Présence d'un mythe égéo-oriental dans l'étiologie des Nones Caprotines ?
Marcel Meulder
Université Libre de Bruxelles
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Abstract: A religious ritual from oriental origin (the Romans not any longer did understand this ritual) and the Indo-European myth of the dysfunction of the warrior after his feats (the Romans transposed this myth in their history), make up the Roman feast of the Nonae Caprotinae. Just after the second Punic War, an anonymous author wrote a Roman comedy about the Nonae Caprotinae; he places the plot after Rome was liberated from the Gauls, and make use of an Aegean - oriental myth we find in Polyaenus’ account of the liberation of Thebes (379 b. C.), and in Neanthes’ account of the liberation of Abydos (in an unspecified time). His plot explains the ritual of the feast and the place of women and maidservants in this ritual, and brings up to date the part played by the women during the second Punic War, and the repeal of the Lex Oppia. Plutarchus, Polyaenus, and Macrobius erroneously considered this Roman comedy as historical evidence, like others ancient authors did it with Roman tragedies.
Keywords: Rome, mythology, feasts, stage, history.
Résumé: La fête romaine des Nones Caprotines semble fusionner un rituel religieux d’origine orientale que les Romains ne semblaient plus comprendre et le mythe indo-européen du dysfonctionnement du guerrier après ses exploits – mythe que les Romains ont historicisé en les personnes de Romulus et de Camille. Peu après la fin de la 2e guerre punique, un auteur (anonyme) a écrit une togata sur les Nones Caprotines ; il y situe l’action après la libération de Rome des Gaulois, et fait appel à un mythe égéo-oriental que reflèteraient les libérations de Thèbes (en 379 av. J.-C.), narrée par Polyen, et d’Abydos (à une époque indéterminée) narrée par Néanthès de Cyzique. Cela lui permet d’expliquer le rituel de la fête et la place des femmes libres et esclaves dans celui-ci. Il se sert anachroniquement de l’importance des femmes dans la société romaine lors de la 2e guerre punique et de l’abrogation de la Lex Oppia. Plutarque, Polyen et Macrobe ont erronément considéré cette togata comme un témoignage historique, comme d’autres écrivains antiques l’ont fait avec des tragédies à sujet romain.
Mots clés : Rome, mythologie, fêtes, théâtre, histoire.
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Nous pensons que l’étiologie de la fête des Nones Caprotines à Rome se fonde en partie sur un mythe égéo-oriental, attesté par le récit de Polyen au sujet à propos de la libération de la Cadmée de Thèbes en 379 av. J.- C., ainsi que par celui de Néanthès de Cyzique au sujet de celle d’Abydos à une époque toutefois non précisée. C’est à démontrer ce lien entre Rome et le monde égéo-oriental, et à établir à quel moment de l’histoire romaine il a été établi, que nous nous emploierons dans cette recherche. Mais, avant d’analyser les récits de Plutarque, de Polyen et de Macrobe qui concernent l’étiologie des Nones Caprotines, voyons comment Polyen et Néanthès de Cyzique ont narré la libération, l’un, de Thèbes, l’autre, d’Abydos, et quelles sont les similitudes entre les deux narrations.
- La libération de la Cadmée de Thèbes.
Au début du IVe siècle av. J.- C., en Grèce s’opposèrent de plus en plus les deux puissances de l’époque, Sparte et Thèbes. Cette dernière vit un jour de 382 sa forteresse, la célèbre Cadmée, être prise, par surprise et grâce à une trahison, par les Lacédémoniens conduits par un certain Phoibidas ; elle fut libérée quelques temps après en décembre 379. Polyen, écrivain grec de l’époque de Marc Aurèle, transmet une version qui n’est attestée par aucune autre source.
Ainsi rapporte-t-il que Phoibidas, qui gardait la Cadmée, était tombé amoureux de l’épouse d’Épaminondas, son adversaire thébain. Celle-ci révéla à son mari les avances du Spartiate. Épaminondas incita sa femme à prendre langue avec l’occupant et à fixer un rendez-vous nocturne, en promettant d’amener aussi d’autres femmes pour les amis du gouverneur de la Cadmée. Toutes vinrent et festoyèrent avec les convives de Phoibidas jusqu’à ce qu’ils fussent enivrés. Elles demandèrent alors de pouvoir s’éclipser quelques instants pour accomplir un sacrifice nocturne, en disant qu’elles reviendraient aussitôt. Phoibidas et ses compagnons donnèrent l’ordre aux gardiens des portes de la citadelle de les accueillir à leur retour. Elles s’en allèrent, mais au voisinage des portes de la ville, des jeunes gens imberbes les attendaient pour enfiler leurs vêtements féminins ; ces jeunes gens prirent avec eux une femme qui connaissait le chemin à l’intérieur de l’acropole ; elle échangea quelques mots avec les gardes, et tous étant entrés de la sorte, tuèrent Phoibidas et son entourage.
Cette anecdote romancée ne correspond nullement, semble-t-il, à la réalité ; en effet, ni Épaminondas n’était marié, ni Phoibidas ne mourut lors de la délivrance de la Cadmée. Cette anecdote garde, à nos yeux, des vestiges d’un thème épique, celui de la Guerre de Troie, mais avec, malgré tout, de nettes différences :
1°) C’est l’occupant de la forteresse qui fait venir celle qui causera sa perte, un peu comme ces naïfs Troyens séduits par la magnificence de l’offrande grecque qu’était le célèbre Cheval ; de même, selon certaines pages des Stratagèmes de Frontin, les Tégéates laissèrent entrer dans leur ville des marchands, en fait des soldats lacédémoniens déguisés sous la conduite du spartiate Aristippos ; de même les Sicyoniens avec des soldats thébains d’Épaminondas déguisés en marchands ; de même des villes fortifiées du Touran, du Sépand et d’Heftwad aux mains d’ennemis de l’Iran avec des héros iraniens comme Isfendyar, Rostam et Ardeschir déguisés en marchands.
2°) C’est d’un moment d’assoupissement dû à la fête et à l’ivresse que profitent les Thébaines pour faire ouvrir les portes de leur ville et faire venir, sous un déguisement (l’habit féminin comme le roi danois Frotho cité infra), les assaillants à l’intérieur de la Cadmée.
3°) Le lien de parenté apparaît dans cet événement, puisque Épaminondas aurait permis à sa femme, et à d’autres Thébaines de jouer à la courtisane avec l’occupant spartiate, comme il apparaît dans les chutes de Troie, de Lanka selon le Ramayana, de la forteresse Roîndiz du Touran selon le Livre des Rois (Rama et Sita ; Ménélas et Hélène ainsi qu’Ulysse et Sinon ; Isfendyar et ses soeurs).
4°) L’expulsion des Lacédémoniens de Thèbes marque, semble-t-il, la fin de l’hégémonie spartiate en Béotie, et même en Grèce, de même que la prise de Troie marque la fin du temps des héros, que la victoire d’Isfendyar, tué peu après par Rustam, marque la fin des temps mythiques de l’histoire iranienne, que le règne de Frotho précède de peu les temps historiques, que la geste de Volga Vseslavitch se déroule avant le règne attesté de Vladimir Ier.
Nous ne pouvons malheureusement pas déterminer la source de Polyen, puisqu’en dehors de la biographie que Cornélius Nepos a consacrée à Épaminondas, et des notations de Xénophon et de Diodore de Sicile à propos de ce général thébain, nous ne disposons plus de celle qu’a rédigée Plutarque ; mais, que l’écrivain de Chéronée aurait adopté une aussi différente version que celle qu’il présente dans la Vie de Pélopidas, nous ne le pensons pas. Aussi pouvons-nous simplement conjecturer que Polyen a extrait la présente anecdote d’une « biographie » plus qu’élogieuse du Bayard thébain ; l’on a remarqué qu’Éphore s’était beaucoup intéressé au personnage d’Épaminondas, et que Polyen employait cet historien du IVe siècle av. J.-C. fréquemment comme source. Mais qu’Éphore, presque contemporain des événements, ait pu inventer l’histoire de l’épouse d’Épaminondas et de la mort de Phoibidas, et transformer radicalement la narration de la libération de la Cadmée, paraît, à nos yeux, impossible. Qui plus est, le rôle que fait tenir aux femmes Polyen, se substitue à celui que donnait Éphore à Athènes dans la libération de Thèbes, et parmi les fragments que nous lisons d’Éphore, certains ne semblent s’intéresser qu’à l’homosexualité, et non aux relations hétérosexuelles. Aussi serions-nous enclins à marquer notre accord avec Francisco Martìn García pour qui Polyen se sert d’un grand nombre de sources intermédiaires et de recueils de toute sorte, écrits à l’époque hellénistique et peut-être aussi romaine ; Maria Pretzler va encore plus loin en soutenant que l’œuvre de Polyen rassemble et adapte des « precise quotations, close excerpts and paraphrases from earlier literary sources as well as stories Polyainos remembered more or less accurately from his reading or because he heard them somewhere » ; d’ailleurs J. Melber, il y a plus d’un siècle, pensait que dans celles-ci s’étaient produites des confusions, reflétant des passages d’Aristote (Politique, V, 6, 14 – 15, 1306a 35 – b 2), de Plutarque (Pelopidas, 9 - 11 ; de genio Socratis, 30 = Moralia, 587 b – 588 a) et de Frontin (Stratagèmes, 3, 2, 7).
Ce dernier raconte que Epaminondas Thebanus, in Arcadia die festo effuse extra moenia uagantibus hostium feminis, plerosque ex militibus suis muliebri ornatu immiscuit : qua simulatione illi intra portas sub noctem recepti ceperunt oppidum et suis aperuerunt (Le Thébain Épaminondas avait vu, en Arcadie, pendant un jour de fête, les femmes des ennemis aller un peu partout et sans ordre se promener hors des murs : il envoya parmi elles un grand nombre de ses soldats habillés en femmes, mise en scène qui leur permit d’être admis à la nuit tombante dans la ville ; ils s’en emparèrent ainsi et ouvrirent les portes à leurs compagnons).
Dans ce fait divers, nous avons, pensons-nous, quelques ingrédients du mythe que nous essayons de déterminer (cf. n. 8) et que nous nous permettons d’appeler le « mythe du Cheval de Troie » : une ville (ou une place forte) apparemment imprenable ; la naïveté de l’assiégé qui croit au respect du temps sacré de la fête ; le déguisement en femmes, comme dans l’épisode de Frotho raconté dans les Gesta Danorum par Saxo Grammaticus; l’introduction nocturne ; la prise de la forteresse et l’ouverture des portes. Le parallèle que nous établissons entre les récits de Polyen et de Frontin, permet de dire que l’historiographie thébaine a appliqué à son héros Épaminondas un exploit proche de celui de la prise de Troie.
- La libération d’Abydos.
Le hasard de la recherche et des lectures nous a fait revenir à l’ouvrage de W. Burkert, Homo Necans. Rites sacrificiels et mythes de la Grèce ancienne (trad. fr.). Ce spécialiste de la religion grecque évoque en quelques lignes, « le coup d’état de Pélopidas, qui, à Thèbes, fit assassiner en 379 le gouvernement pro-spartiate, {coup d’état qui} donna lieu, chez ses contemporains, à un récit inspiré », selon W. Burkert, par le schéma d’un événement qui se passa à Abydos. Dans cette ville thrace des Dardanelles, « il y avait un sanctuaire d’ « Aphrodite, la prostituée », qui, en dépit de son nom, était dûment vénérée et avait une fête. On racontait à ce propos que la ville avait été autrefois libérée de méchants tyrans : ces tyrans offrirent un sacrifice, festoyèrent, s’enivrèrent et s’abandonnèrent à leurs hétaïres ; l’une d’entre elles ouvrit les portes. Là-dessus, les citoyens en armes firent irruption et massacrèrent leurs oppresseurs sans défense. Si l’ordre et de la moralité purent a contrario être refondés, c’est précisément parce qu’Aphrodite les avait dissous lors de la fête ».
Nous trouvons en ce récit d’un certain Néanthès (FGrH 84 F 9), transmis par Athénée de Naucratis, des parallèles avec celui de la libération de Thèbes :
1°) Polémarques et tyrans célébrant les Aphrodysia à la fin de leur mandat.
2°) Des conspirateurs déguisés en hétaïres, qui réussissent à s’introduire en cachette, puis dévoilant leur véritable identité et massacrant la « crème » des occupants, enivrée et épuisée par l’amour.
W. Burkert ajoute : « Xénophon évoque brièvement une autre tradition plus réaliste, mais donne la préférence à la version mythique, qui replace cette péripétie bouleversante dans le contexte d’une fête de « dissolution » ». Il nous donne son aval pour considérer que l’expulsion des Lacédémoniens de la Cadmée de Thèbes, telle que la racontent notamment Xénophon et Polyen, a été mythifiée par des historiographes favorables à Thèbes, ou du moins défavorables à un certain impérialisme spartiate.
- Les Nones Caprotines.
Voyons maintenant en quoi un autre récit de Polyen, qui reprend celui de Plutarque dans ses biographies de Romulus (29, 4 - 11) et de Camille (33, 1 – 10) et que reprendra Macrobe dans ses Saturnales (I, 11, 36 – 40), semble, à notre avis, se rapprocher de la prise de la Cadmée de Thèbes. Ce narrateur d’anecdotes guerrières écrit à propos d’événements qui ont suivi la prise de Rome par les Gaulois et le sauvetage de la Ville éternelle par le dictateur Camille : « C’est contre les Romains que les Latins firent une campagne militaire, ayant pour chef Postumius, car ils réclamaient les filles de leurs adversaires en mariage, en avançant comme exemple que ces derniers avaient enlevé jadis les Sabines, moyennant quoi ils concluraient la paix. Les Romains redoutaient la guerre, mais ils ne supportèrent pas de donner leurs filles à des étrangers. C’est alors que Philotis, une servante, d’une beauté agréable à regarder, proposèrent le plan suivant : que les Romains les parent elle-même et d’autres femmes esclaves, qui à première vue semblaient être des citadines, comme des Romaines et qu’ils les envoient aux ennemis, comme si c’étaient leurs filles ; qu’elle s’engagerait de son côté, dès que les ennemis les avaient reçues et s’étaient mis au lit, d’élever un bûcher la nuit. Ainsi les Latins s’endormirent-ils avec les jeunes femmes, tandis qu’elle élevait un bûcher. Les Romains alors attaquèrent les Latins qui sommeillaient et les tuèrent » (trad. pers.).
Nous voilà en présence d’un ennemi – nous dirions d’ennemis - puisque « les Èques, les Volsques et les Latins se jetèrent ensemble sur [le] territoire [romain] » - qui menace Rome et qui, pour ne pas mettre à exécution son plan, exige une sorte de communauté de destin avec les Romains ; ceux-ci en un premier temps refusent malgré le danger imminent. Ils sont sauvés d’une déroute qui leur paraît inévitable, par des jeunes femmes, et plus précisément par des esclaves. Ces dernières ont tous les traits physiques, semble-t-il, de femmes libres ; aussi, grâce à une tromperie sur leur identité, sont-elles accueillies par les Latins dans leur camp. Celui-ci devait être normalement gardé et par conséquent impénétrable ; mais l’amour et le sommeil ayant eu raison des belligérants, les Romains purent s’introduire dans le campement et semer la désolation.
Philotis et ses compagnes rappellent, à nos yeux, les héros iraniens, thébains et français, le Perse Zôpyre, le grec Sinon, le Spartiate Sthénippos, l’Étrusque de Rome Sextus Tarquin, les jeunes aristocrates vandales, les baroudeurs vikings, qui usent d’une fausse identité (marchands, victimes de mauvais traitements, « morts en sursis »). Mais il y a ici aussi une double inversion, dirions-nous, sociale : ce sont des jeunes femmes, esclaves de surplus, qui tiennent le rôle de femmes libres et « aristocratiques » ; nous avons donc des êtres (normalement) tout à fait marginaux à la guerre (femmes et esclaves) qui, par une usurpation, consentie par leurs maîtres, permettent en véritables « chevaux de Troie » d’entrer dans le camp ennemi et d’en détruire les occupants. Au lieu d’une apparente dégradation de statut, nous avons affaire à une promotion sociale ; toutefois, ces jeunes femmes nouvellement « libres » ne jouent pas le rôle de guerriers, car elles privent les ennemis (leurs compagnons de lit ?) de leurs épées, mais ne les tuent pas comme l’avaient fait les Danaïdes avec leurs jeunes époux. En ne perpétuant pas de meurtre, elles se rapprocheraient p. ex. du « pseudo-déserteur » Sinon (cf. n. 41).
Selon Plutarque qui se base, à ses dires, sur certains auteurs, l’histoire de Philotis serait à l’origine de la fête des Nones Caprotines du 7 juillet ; on a cru que cette histoire pouvait s’interpréter, dans son contexte héortologique comme « un rituel destiné, juste après le solstice d’été, à renforcer la lumière nocturne ».
Des spécialistes modernes de la religion romaine comme G. Dumézil ont avancé, en leur temps, une autre interprétation ; ainsi pour le comparatiste français, « le 7 juillet, le plus vieux férial inscrit les Nonae Caprotinae auxquelles les femmes libres et les ancillae participent ; ces dernières s’amusent à courir, à se battre même à coups de poing et de pierres ; le sacrifice a lieu sous un figuier sauvage, caprificus, et l’on y utilise le « lait » qui coule d’une de ses branches (Varron, De Lingua Latina, VI, 18 ; Macrobe, Saturnales, I, 11, 36 ; etc.) ; Junon elle-même en a reçu le surnom de Caprotina. On rappelle à ce propos que les lanières dont les Luperques, le 17 février, frappent les dames romaines pour assurer leur fécondité sont faites d’une peau de bouc, caper, appelée amiculum Junonis. Figuier, bouc : l’animal comme le végétal fournissent beaucoup à la symbolique de la sexualité ». Cette dernière explication n’est pas totalement erronée, Nous pensons qu’une fois de plus les Romains ont historicisé des matières religieuses ou raccroché à celles-ci un événement bien réel et donc transformé en « chevaux de Troie » des participantes à un rituel basé sur « un mythe perdu de Junon », comme l’a écrit G. Dumézil (p. 69).
Mais c’est N. Boëls-Janssen, qui, partant des recherches de P. Drossart et G. Dumézil, nous semble le mieux découvrir le mythe originel des Nones Caprotines. Pour elle, il faut interpréter « la Tutula à la torche comme une représentation du premier quartier de la lune (…) La posture acrobatique de l’esclave, qui doit tout à la fois faire des signaux avec une torche, et tendre derrière elle un manteau [Plut., Cam., 33, 5] ou même des tentures [Plut. Rom., 29,8], sans que les circonstances justifient un tel luxe de précautions, trouve là une explication évidente (…) Cette mise en scène appartient « à une classe de récits connus, celle où un symbole lunaire est hissé au sommet d’un arbre », et [G. Dumézil] suppose que « le figuier, à la fois nourricier et moyen d’une ascension et d’une mimique lunaire, est un résidu d’un « arbre du monde » comme en connaissent tant de religions ». En effet, le lien entre le symbole lunaire incarné par Tutula brandissant une torche et le rituel de fécondation pratiqué par les femmes est un figuier. L’arbre n’est pas seulement un support commode pour hisser le symbole lunaire ; il est lui-même un symbole. L’arbre lunaire est une représentation fréquente ; E. Harding en cite de nombreux exemples : tantôt c’est un arbre réel, portant dans ses branches la lune en croissant, tantôt il est stylisé, au point de n’être plus qu’un poteau tronqué, proche des colonnes de pierre qui peuvent également symboliser l’astre lunaire. Mieux encore, il est l’Arbre cosmique, l’Arbre de Vie. Tutula perchée sur le figuier sacré fait songer à ces images qui représentent la Grande Déesse apparaissant dans les branches de l’Arbre de Vie. Dès le IIe millénaire l’art oriental offre des représentations de l’épiphanie divine dans une ficus religiosa ; et l’on y voit, associés à la Grande Déesse, les mêmes attributs qui caractérisent la déesse des Nones Caprotines : l’eau (le culte se célèbre près d’un marais) et la chèvre (qui apparaît dans le nom du palus Caprae, dans l’épithète de Junon et dans le nom du figuier sauvage). ». La Grande Déesse, source inépuisable de fécondité cosmique est symbolisée par un arbre qui plonge ses racines dans la terre nourricière et monte jusqu’au ciel. La Tutula à la torche dans les branches du figuier exprime, par une symbolique analogue, la double nature de la Grande Déesse, à la fois chtonienne et lunaire. Le figuier sacré, manifestation sensible de la puissance de fécondité universelle de la Grande Déesse, est le centre et l’instrument d’un rituel qui a pour intention de faire bénéficier les femmes de la puissance de fécondité de la Grande Déesse. La date choisie pour accomplir ce rituel de fécondation des femmes par le figuier magique a un sens précis, que confirme l’image signifiante de Tutula à la torche masquant à moitié la lumière qui éclaire le monde. Il est recommandé, pour assurer la fertilité d’un champ, d’opérer les semailles à la lune croissante. La lune est celle qui croit et fait croître ; et c’est évidemment la lune croissante qui, par un effet de magie imitative, possède l’influence la plus favorable pour favoriser toute croissance. C’est pendant le premier quart qu’il faut semer, qu’il faut tondre les moutons pour que la repousse soit rapide, qu’il faut pratiquer les greffes, etc.. Il est clair que le premier quartier qui suit le solstice d’été, début de la période où la lumière de la lune commence à accroître son domaine, tandis que la lumière solaire régresse progressivement, doit être le moment le plus favorable à la croissance du précieux fruit qu’espèrent les matrones. Les nones de juillet sont la date la plus propice pour qu’elles se soumettent à l’influence fécondante du figuier ».
Si telle est l’origine héortologique et mythique des Nones Caprotines, comment se fait-il que ces dernières se soient transformées en un récit pseudo-historique et qu’ont-elles gardé de leur version « originale » ?
R. Woodard nous semble amorcer un début d’explication. Il vient de découvrir à travers un certain nombre d’ « histoires épiques » indo-européennes (indienne avec le Rig Veda et le Mahabharata dont le héros est Indra, iranienne (ossète) avec la saga des Nartes dont le héros est Batraz, irlandaise avec La razzia des vaches de Cooley, dont le héros est CúChulainn, romaine avec comme héros, Hercule ou Semo Sancus), une caractéristique du guerrier indo-européen ; selon lui, après certains combats, ce guerrier « dysfonctionne » et doit un certain temps se retirer aux marges de la société où il subit un certain nombre d’épreuves, notamment au contact avec le sexe féminin ; suite à cela, il pourra réintégrer la société et rétablir l’ordre. Ce serait également le cas du couple, séparé de plus de trois siècles (!), formé par Romulus, le roi – guerrier, et Camille, le second Romulus en qualité de nouveau fondateur de Rome, après sa destruction par les Gaulois : nous le voyons, la pensée romaine a adapté le mythe indo-européen du guerrier traumatisé par son action guerrière victorieuse, et donc en crise, en le transformant (une fois de plus !) en « faits historiques », mais éloignés dans le temps, et en l’appliquant à deux « créateurs » de Rome.
Le 5 juillet passait pour la date de la disparition de Romulus près du Caprae palus, « le Marais de la Chèvre », dont le symbolisme montre avec évidence le passage du premier roi de Rome vers un ailleurs, le marais étant une eau stagnante et de mort, et la chèvre par son appartenance partielle à la quatrième fonction indo-européenne symbolisant la marge et le lien avec l’au-delà ; qui plus est, l’éclipse solaire est considérée par les Anciens comme un mauvais présage. La disparition de Romulus est un éloignement sans retour – les Romains ne croient pas en la résurrection ! - ; elle semble avoir provoqué un certain malaise chez les Romains, malaise traduit par ce qui s’appelle les Poplifugia, la fuite du peuple (des hommes armés) ; ce malaise est peut-être comparable à celui du Regifugium, notamment en raison de la crainte d’une stérilité généralisée, puisque le roi assurait la fécondité de son royaume.
Mais selon R. Woodard, à Rome au retour dans la société du guerrier à son état normal s’est substitué le remplacement du roi-guerrier Romulus, puisqu’il était mort (assassiné ou enlevé par les dieux), par le retour « gagnant », à peu plus de trois siècles plus tard (!), de Camille. En effet, Camille avait été exilé notamment pour une question de butin, mais sollicité par certains pour sauver Rome des Gaulois, il empêcha ses concitoyens de verser une rançon à ceux-ci, qu’il écrasa par la suite, puis détruisit le camp des ennemis qui assiégeaient près du mont Maecius une autre armée romaine, grâce à des projectiles incendiaires et à la force du vent, ensuite envahit le territoire ennemi et délivra par surprise la ville alliée de Sutrium des Étrusques qui s’y livraient au pillage et à la bombance. Tous ces événements heureux pour Rome grâce à Camille se seraient déroulés après le 13 février (390 / 387 ?), si nous en croyons Plutarque (Camille, 30, 1).
Nous émettons l’hypothèse que l’instauration du culte de la Fortuna Muliebris conséquent à l’épisode pseudo-historique de Coriolan aurait bouleversé la donne. Car l’introduction postérieure du culte de la Fortuna Muliebris, qui se célèbre le 6 juillet, a pu accroître l’idée de cette fuite du peuple que traduisent les Poplifugia du 5 juillet. Par conséquent Rome aurait été sauvée une première fois par les femmes, plus précisément par la mère et l’épouse de Coriolan ; mais, par suite de l’incompréhension du rituel des Nones Caprotines qui se déroulent le 7 juillet, ainsi que du rôle joué par les femmes libres et les épouses d’affranchis au cours de la seconde Guerre punique, l’action victorieuse de Camille contre les ennemis de Rome fut « idéologiquement » concurrencée par celle menée par des femmes esclaves parmi lesquelles se distingue une certaine Tutula ; la « substitution » de Camille par cette femme, et donc celle d’un guerrier par une ancilla, R. Woodard ne nous paraît pas l’expliquer à suffisance. Nous émettons l’hypothèse que c’est à la suite de la deuxième Guerre punique et par l’apport du mythe égéo-oriental que nous étudions présentement et qui se trouverait dans une pièce représentée lors des Ludi Apollinares, que les circonstances des Nones Caprotines furent historicisées. Mais avant d’aborder ce point, nous pensons que des parallèles aux actions de Camille ont pu suggérer des précédents à l’action des ancillae.
Ainsi, l’action du centurion Quintus Caedicius à la tête des soldats rescapés de la bataille de l’Allia et réfugiés à Véies a pu servir d’ « exemple », puisque cette troupe de plébéiens attaque des pillards étrusques dans leur camp de nuit (Tite-Live, Histoire romaine, V, 45, 4-8 et Diodore de Sicile, Bibliothèque historique,XIV, 116, 1). Nous partageons entièrement le raisonnement de D. Briquel , pour qui « à la tradition habituelle, mettant au centre du récit [de la libération de Rome des Gaulois] la figure de Camille, s’opposait une version qui donnait un rôle essentiel aux soldats de l’armée défaite à l’Allia, repliés à Véies sous le commandement de leur chef plébéien, Q. Caedicius – aspect qui n’est pas inexistant dans la présentation classique des événements, mais qui n’y apparaît plus qu’intégré dans un récit mettant Camille au premier plan et ne laissant plus qu’une place seconde à Caedicius et à ses hommes. On a nettement affaire à deux versions d’orientation politique opposées, celle se référant à Caedicius étant de matrice plébéienne et la version courante reflétant le point de vue du patriciat. Mais il est nécessaire de souligner que la première forme de légende – sans doute plus ancienne puisque la variante faisant appel à la figure de Camille en a récupéré des éléments – ne nous est plus perceptible dans ce qui est dû en être la mouture ancienne. On s’attend – et c’est ce que dit explicitement le passage de Diodore sur le rassemblement des forces romaines à Véies (14, 116, 2) – que cette armée de Véies se lance à l’attaque des assiégeants du Capitole et les forces à lever le camp, autrement dit ait un rôle exactement superposable à celui de Camille dans la vulgate, qui défait les Gaulois au moment où ils allaient parvenir à leurs fins. Mais ce n’est pas ce qu’offre le récit de Diodore : chez lui, la valorisation des Romains plébéiens de Véies ne débouche pas sur ce qui serait la conséquence escomptée, leur victoire sur les guerriers de Brennus. Il présente un type de conclusion du siège qui est sans doute conforme à la vérité historique, puisque les assiégés versent la rançon aux Gaulois et ceux-ci s’en repartent alors sans subir l’attaque des troupes… ». Les attaques nocturnes des camps ennemis par les Romains, celui des Gaulois inattentifs, endormis et enivrés par le patricien Camille, celui des Étrusques inattentifs et endormis par le plébéien Caedicius, pouvaient donc servir comme précédents à la prétendue action des ancillae dans le camp des Latins, que mettrait en scène une togata dont nous ignorons l’auteur.
Cette pièce anonyme serait mentionnée par un passage de Varron du De lingua Latina (VI, 18-19) ; dans un article à paraître, nous nous proposons de lire le texte varronien comme suit : Cur hoc, togata, praetexta data eis Apollinaribus ludis docuit populum, que nous traduirons par : « pourquoi cela [le rituel des Nones Caprotines], une comédie à sujet romain en a instruit le peuple aux Jeux Apollinaires, quand la toge prétexte fut donnée à celles-ci [aux femmes qui célébraient les Nones Caprotines]. L’auteur de cette comédie romaine jouée aux Ludi Apollinares, ou celui du récit qui sert à cette pièce, devait, pensons-nous, connaître le mythe égéo-oriental que nous avons analysé plus haut et l’a adapté au contexte romain.
Des événements contemporains de cette deuxième guerre punique ont pu contribuer, selon notre hypothèse, à accréditer comme fait historique la permission reçue par les servantes de porter les vêtements des (jeunes) femmes libres, comme la toge prétexte. Si nous accordons foi à Macrobe (Saturnales I, 6, 13-14), « le port de la prétexte fut (…) accordé aux fils d’affranchis pour la raison que rapporte Marcus Lélius l’Augure : selon lui, pendant la deuxième guerre punique, les duumvirs consultèrent les livres sibyllins sur l’ordre d’un sénatus-consulte à la suite de nombreux prodiges et, après les avoir examinés, ils ordonnèrent une supplication au Capitole et un lectisterne sur le produit d’une collecte à laquelle apporteraient aussi leur contribution les affranchies autorisées à porter la robe longue des matrones. Les actions de grâces furent donc rendues et l’hymne fut chanté par de jeunes garçons de naissance libre ainsi que par des fils d’affranchis et, de plus, par des jeunes filles ayant encore leur père et leur mère ; à la suite de quoi on accorda aussi aux fils d’affranchis le droit de porter la prétexte (…), à condition qu’ils fussent nés en mariage légitime d’une mère dépendant de son mari » (trad. Ch. Guittard). Le changement de port de vêtements autorisé par les autorités romaines pour certaines catégories d’habitants de Rome a pu inciter d’aucuns à « mieux » expliquer le rituel des Nones Caprotines.
Nous envisageons dans cet article à paraître, en quelle mesure ce texte macrobien reflèterait vraisemblablement des passages des livres XXI (chap. 62) et XXII (chap. 1) de Tite-Live, qui énumèrent les prodiges qui ont émaillé l’un l’hiver romain de 218 av. J.-C., l’autre la seconde moitié de l’année suivante, c’est-à-dire les premiers temps de la deuxième guerre Punique ; ainsi le début du livre XXII de l’Histoire romaine de Tite-Live parle d’une quête, où chaque femme donnerait selon ses moyens, et qui serait apporté par les femmes à Junon Reine sur l’Aventin, de la célébration d’un lectisterne et de l’apport des affranchies à une offrande à Féronia, dans la mesure de leurs possibilités.
Qui plus est, le vêtement semble avoir joué un rôle important dans la société romaine après la deuxième guerre punique, puisque jusqu’en 195 av. J.-C. la fameuse Lex Oppia interdisait à la gent féminine de porter des vêtements où s’étaleraient l’or et la pourpre. Ceci signifie pour le texte varronien dont nous nous occupons dans notre article à paraître, qu’une togata, ayant pour sujet l’origine du rituel des Nones Caprotines, aurait pu être jouée après cette date, lors des Jeux Apollinaires, qui avaient pour caractéristiques d’être présidés par le préteur, et non par les édiles (Tite-Live, Histoire romaine, XXV, 12, 10-13), d’y voir des sacrifices selon le rite grec, et non suivant le rite romain, de se dérouler annuellement (Tite-Live, Histoire romaine, XXVI, 23, 3) le 13 juillet (Tite-Live, Histoire romaine, XXVII, 23, 5-7). Cette togata aurait donc avancé une raison d’origine religieuse (et peut-être « historique ») à la permission qu’avaient reçue les femmes de porter la toge bordée de pourpre (et d’or) ; qui plus est, si la togata mettant en scène les Nones Caprotines célébraient les ancillae qui avaient sauvé « illo tempore » Rome, cela convenait parfaitement aux Jeux Apollinaires qui avaient été institués en 212 av. J.-C., comme le rappelle Tite-Live (Histoire romaine, XXV, 12, 15), uictoriae, non ualetudinis ergo, d’autant plus que lors de leur déroulement en 211 av. J.-C., Hannibal se présenta aux portes de Rome, sans succès, comme nous le savons.
Cette togata pouvait donc s’inscrire dans ce mouvement qui reconnut lors de la deuxième guerre punique le rôle important que jouèrent les femmes en ces années-là, comme l’attestent de nombreuses pages de l’Histoire romaine de Tite-Live, celle de XXI, 62, 8 où il est question de la part des matrones d’offrir une statue d’airain à Junon, sur l’Aventin ; celles de XXII, 1, 18 et de XXVII, 37, 7-10 que nous venons d’évoquer, ainsi que celle, célèbre, du livre XXIX de l’Histoire romaine (14, 10-13) où il est question de l’arrivée de la déesse Cybèle de Pessinonte.
D’aucuns diront : « mais pourquoi attendre les derniers soubresauts de la deuxième guerre punique pour voir un mythe égéo-oriental introduit dans l’histoire romaine et adapté à des « événements historiques » ? ». Précisément, la ville d’Abydos, qui semble être, si nous suivons l’argumentation de W. Burkert, le berceau du mythe égéo-oriental que nous analysons, occupe l’actualité à la toute fin du IIIe siècle av. J.-C., puisque Philippe V de Macédoine assiège la cité et s’en empare, malgré les mises en garde du Sénat romain et d’une ambassade romaine. Une fois la ville prise, ses habitants se suicidèrent en masse, comme le rapportent Polybe et Tite-Live. Victoire de courte durée pour le souverain macédonien, puisque dès 198/197 Rome et ses alliées réclament l’évacuation d’Abydos par les troupes du roi (Polybe, Histoire, XVIII, 2, 4), ce qui sera effectif en 197/196 (Polybe, Histoire, XVIII, 44, 1-4). Le destin d’Abydos ne devait guère, pensons-nous, rester inconnu des Romains, puisque le consul de 198, le célèbre Titus Quinctius Flamininus, tint un rôle important dans celui-ci, et la cité thrace des Dardanelles fut reconstruite et repeuplée après 196 av. J.-C. par le roi séleucide Antiochus III le Grand, qui ne sera en guerre avec Rome qu’en 192 av. J.-C..
D’autre part, le rôle que faisait tenir aux femmes le mythe égéo-oriental originaire d’Abydos et qui correspond à l’importance de la gent féminine à l’époque et dans la littérature hellénistiques, a pu influer sur celui que prête l’ « adaptateur » du récit abydien à Tutula / Philotis pour le mythe des Nones Caprotines.
C’est pourquoi, l’auteur (anonyme) de la pièce jouée aux Ludi Apollinares de 195 ou peu après (?), ou celui du récit qui sert à cette pièce, devait, pensons-nous, connaître le mythe égéo-oriental que nous avons analysé plus haut. Mais l’auteur du récit ou de la comédie devait, nous semble-t-il, se référer aussi à une autre histoire mythique, celle du Cheval de Troie, l’Equus Troianus, mise en scène par Livius Andronicus, l’auteur même du carmen exécuté en 207 en l’honneur de Junon Regina.
C’est pourquoi la femme qui monte au sommet d’un figuier avec une torche pouvait également faire songer à quelqu’un qui (s’) est introduit dans une place ennemie et qui fait signe aux assaillants qu’est arrivé le moment opportun d’une attaque, comme le fit le célèbre Sinon lors de la prise de Troie. Cette personne introduite chez l’ennemi doit impérativement se déguiser, se faire passer pour un(e) sympathisant(e) ; comme les Poplifugia de l’avant-veille avaient vu la fuite des hommes armés de la ville, le sort de Rome reposait sur les femmes, et en premier lieu sur les mères de famille veuves et les jeunes filles de bonne famille (cf. n. 18), qu’exigeait l’ennemi comme otages (c’était, disaient les ennemis de Rome, une juste compensation du rapt des Sabines qui avait eu lieu au début du règne de…Romulus !). Comme les Nones Caprotines étaient une fête célébrant la fécondité, la fertilité et que lors des dernières fêtes du mois de juin précédent (le 11 précisément), à savoir les Matralia, les servantes s’étaient vues expulsées des temples, il pouvait sembler opportun de réintégrer ces dernières, ou, version plus adéquate à la « grandeur romaine », que les servantes, sous la conduite de l’une d’entre elles, et de caractère plus héroïque, revêtent les habits des femmes libres, pour donner le change et sauvegarder la vertu des matrones veuves et des jeunes filles de naissance libre. Cela expliquerait pourquoi à l’origine le nom d’une de ces servantes fut Tutula, lequel pourrait paraître lié au nom de la coiffure des matrones, et aussi la différence de comportement entre les (jeunes) femmes libres et les servantes ; si toutes banquetaient à l’ombre d’un figuier, il semblerait que seules les premières mettaient la branche du figuier contre leur bas ventre afin de lui faire bénéficier de sa vertu fécondante, tandis que les secondes « apostrophaient effrontément les passants, avec les plaisanteries les plus crues » et « se battaient joyeusement entre elles et se lançaient des pierres ».
Le fait d’avoir revêtu des habits d’autrui, et notamment de gens appartenant à la classe supérieure, entrerait dans les caractéristiques d’une fête d’inversion, où règne souvent la licence sexuelle ; mais N. Boëls-Janssen ne voit pas dans ce déguisement une caractéristique carnavalesque, mais plutôt la « variante du thème bien connu de la fausse fiancée », où p. ex. un dieu phallique reçoit une esclave au lieu d’une princesse, le dieu de la guerre une vieille femme au lieu d’une jeune déesse ; outre l’absence d’hommes lors des Nones Caprotines, le nom de la « cheffe » des servantes, Tutula, a pu être également interprété en relation avec Tutunus (Mutinus), divinité représentant la sexualité débridée, et être transposé en grec par un nom qui évoque l’amour, ῖ. Mais N. Boëls-Janssen voit plutôt dans le nom de Tutula une référence à une déesse qui protège les récoltes, à savoir Tutilina ; il est vrai que le 7 juillet se pratiquent également un sacrifice aux dieux Consus, qui protège le blé mis en réserve, - par le flamine de Quirinus -, et Palès qui garantit la croissance et la bonne santé du bétail – par l’un des flamines mineurs. Cette convergence entre Nones Caprotines et fête de Consus et de Palès étaie l’importance de la fertilité célébrée à cette date.
Dans les guerres qu’ont menées Rome contre ses voisins et en raison du péril qu’elle a couru d’être prise lors de l’invasion gauloise, il pouvait sembler proche de la « vérité historique » de situer la scène dans un contexte d’hostilités, d’autant plus que les Nones Caprotines et le culte de Junon Caprotine étaient célébrés en dehors de Rome, et qu’ils étaient suivis le 8 juillet, par une uitulatio accomplie par le pontife, en d’autres mots un sacrifice d’une génisse pour marquer non seulement la victoire romaine, mais aussi le retour à l’ordre.
Par ailleurs, nous savons p. ex. par D. Briquel que certains récits concernant les Tarquins semblent être une adaptation théâtrale d’une matière qui se trouve dans les narrations grecques et proche-orientales. Si l’on adopte la thèse de N. Boëls-Janssen sur l’origine orientale du thème de la femme à la torche perchée au haut d’un arbre, pourquoi rejetterions-nous celle qui voit dans les Nones Caprotines telles que les auteurs classiques les ont transmises, une adaptation (peut-être à l’origine littéraire) d’un mythe égéo-oriental ? D’autant plus que des thèmes orientaux sembleraient apparaître dans l’historiographie romaine, comme p. ex. la femme à la fenêtre, et ce n’est pas un mythe égéo-oriental comme celui de Tarpéia, qui démentira ce fait.
- Conclusions.
La comparaison avec les récits qui évoquent, l’un, de la libération d’Abydos narrée par Néanthès de Cyzique, l’autre, celle de la Cadmée de Thèbes racontée par Xénophon, Diodore de Sicile et Plutarque notamment, pourrait prouver que dans le cas des événements concernant les Nones Caprotines nous serions en présence d’une inversion de certains motifs.
Dressons les parallèles et les différences entre les récits concernant les villes grecques et ceux qui ont Rome pour objet :
1°) à Abydos et à Thèbes l’on fête Aphrodite, tandis qu’à Rome on fêtera Junon Caprotine – en fait deux déesses qui portent sur les relations sexuelles entre hommes et femmes, l’une en dehors du mariage, l’autre à l’intérieur du couple. Mais Junon, épouse « légitime » de Jupiter, porte ici l’épiclèse de Caprotine, par référence, pensons-nous, à la chèvre, lequel animal représente la quatrième fonction et le passage de celle-ci aux trois autres fonctions indo-européennes ; en d’autres mots, Junon Caprotine représente ce qui est marginal à l’ordre établi et le rétablissement de ce dernier : en tant que Caprotine, elle serait à la fois in et out.
2°) Abydos et Thèbes sont deux villes vaincues et occupées, tandis que Rome l’a été par les Gaulois, mais s’est libérée et se trouve affaiblie. Les peuples voisins hostiles à Rome profitent de ce moment d’affaiblissement pour la menacer, et troquent leurs menaces contre l’envoi de femmes et de jeunes filles dans leur camp installé près de Rome.
3°) tant la garnison occupant Abydos que les Lacédémoniens et leurs « collabos » qui occupent Thèbes font la fête, s’enivrent et se livrent (ou ont l’intention de le faire) au plaisir de l’amour, à Abydos en compagnie d’hétaïres, à Thèbes en compagnie d’épouses de citoyens (celle inventée d’Épaminondas) qui se font passer pour des femmes légères – la version xénophontique présente les comploteurs déguisés en dames et en servantes ; de même, les ennemis de Rome reçoivent en leur camp les prétendues Romaines, en fait des servantes, qui ont pris la place (et le déguisement) des épouses et filles de citoyens, comme l’avait suggéré l’une d’entre elles, du nom de Tutela (en latin), de Philotis (en grec).
4°) tant à Abydos qu’à Thèbes et à Rome les soldats ennemis s’endorment, vaincus par les excès festifs ; ce dont profitent les femmes, les hétaïres abydiennes pour ouvrir les portes de la forteresse, les épouses thébaines pour échanger leurs vêtements avec les comploteurs, les servantes romaines pour donner le signal de l’attaque – du haut d’un figuier… !.
5°) tant à Abydos qu’à Thèbes et à Rome, les ennemis sont massacrés. L’ordre est rétabli à Abydos, à Thèbes et à Rome.
6°) une des différences notables entre Abydos et Thèbes d’un côté, et Rome de l’autre, consiste dans le fait que celle-ci, après avoir été prise par les Gaulois, se trouve libre au moment d’une agression ennemie ; et donc, au lieu de faire se dérouler les faits à l’intérieur de la citadelle – le Capitole -, comme celle d’Abydos et de Thèbes – la fameuse Cadmée , les Romains auraient transposé les événements à l’intérieur du camp ennemi, sis hors de la ville.
Si cette « histoire » de femmes, soit épouses, soit servantes de citoyens d’Abydos, de Thèbes et de Rome, n’est attestée que pour ces cités, il y aurait peut-être lieu de penser que comme l’histoire de Tarpéia, elle provient du monde égéen, et non indo-européen, quitte à ce que les narrateurs romains de cette histoire l’aient fait rentrer dans un schème indo-européen, celui de la prise d’une position forte ennemie par des gens déguisés (ici des femmes !). Les Romains auraient intégré cette histoire de Tutela / Philotis, dans le rituel de Junon Caprotine, dont ils avaient peut-être perdu la signification.
Par cette intégration, les Romains (ou certains d’entre eux) enlevaient (ou feignaient enlever) le mérite d’avoir définitivement libéré Rome d’une agression de peuples voisins, à Camille, représentant de la fonction guerrière, et l’attribuaient à des femmes, non libres, mais esclaves, représentant la (quatrième) fonction, celle des marginaux, s’intégrant ici dans la troisième fonction, celle de la production ; toutefois, ces femmes esclaves séductrices de la milice ennemie n’en portaient pas les fruits (leur vertu était sauve !).
Nous pensons que la transposition « adaptée » de l’événement qui se serait produit à Abydos, dans un épisode de l’histoire de Rome est peut-être le fait de certains milieux, favorables à l’abrogation de la lex Oppia. Nous nous expliquons. En expliquant pourquoi aux Nones Caprotines du 7 juillet qui sont également des ancillarum feriae, les ancillae pouvaient porter la toge prétexte, dont le don remonterait à l’époque qui suit immédiatement le départ des Gaulois de Rome (l’exemple historique est pour les Romains un excellent précédent juridique), certains Romains semblaient faire pencher la balance pour son abrogation (ou l’approuver) ; qui plus est, les Nones Caprotines fêtées le 7 juillet en l’honneur de Junon Caprotine, voyaient l’intégration des ancillae, lesquelles avaient été exclues aux Matralia du culte de Mater Matuta ; or Camille avait fait vœu, en cas de victoire sur Véiès, notamment de dédier un temple à cette déesse. L’histoire d’Abydos transposée à celle de Rome au moment de la reconstruction de celle-ci après l’occupation gauloise, n’était-elle pas une excellente occasion, de paraître « déposséder » Camille d’un second sauvetage de Rome et de l’attribuer, dans une comédie à sujet romain, une togata, à la gent ancillaire ?
Toutefois, il est peut-être caractéristique de la pensée romaine d’associer le sexe féminin au sauvetage de Rome. De même que Clélie a sauvé Rome de sa prise par Porsenna lors de la chute de Tarquin le Superbe, de même « les femmes de Rome de 390 av. J.-C. auraient rempli la fonction cruciale qui leur incombait en tant que représentantes de l’élément féminin [en apportant leur or à la rançon réclamée par les Gaulois], en complétant ce qu’avaient fait les hommes », comme le feront celles qui ont connu la deuxième guerre punique et qui ont participé à « l’effort de guerre », de même aussi les servantes de ces dames de l’époque de l’invasion gauloise firent ce qu’elles s’engageaient à faire vis-à-vis de l’ennemi, le cajoler, le séduire, l’enivrer et l’« endormir ». Pour récompense de son leur intervention, Clélie, pour sa part, recevra un cheval ou une statue équestre qui la représente, les matrones de 390 av. J.-C., pour leur part, reçurent le droit d’employer des chars en ville, mais aussi d’être l’objet d’un éloge funèbre, au même titre que les hommes, lors de leurs funérailles, et celles de 202 av. J.-C. eurent droit de nouveau en 195 av. J.-C. à porter des vêtements ornés d’or notamment ; certaines ancillae des années 390 obtinrent non seulement leur affranchissement, mais aussi la permission de se vêtir de la prétexte. L’adaptation des prétendus événements d’Abydos et de Thèbes convenait parfaitement à la mentalité romaine, qui, lors des grands dangers courus par la cité, associèrent la gent féminine ou des représentantes de celle-ci au salut de cette cité.
L’association du sexe féminin aux exploits de certains héros « épiques », comme Indra en Inde, Batraz chez les Ossètes, Cuchulainn dans les cycles irlandais, et Hercule / Semo Sancus à Rome, semble être une des articulations du mythème découvert par R. Woodard ; mais dans la narration des événements qui ont suivi la libération de Rome des Gaulois semble s’être produite une inversion, en ce sens que les femmes, plus précisément les ancillae, au lieu de se montrer au héros romain qu’est Camille, se présentent aux Latins coalisés contre Rome. Cette inversion n’est pas étonnante, car elle nous semble parallèle en quelque sorte à celle qui marque « la victoire des soldats de Véies menés par Caedicus sur les pillards étrusques et celle de la victoire de la troupe ardéate commandée par Camille sur les pillards gaulois » ; nous pourrions dire, en reprenant quelque peu les mots de D. Briquel, que « dans les [trois] cas, on assiste à un raid nocturne contre un ennemi assoupi dans son camp et le succès tient plus d’un massacre que d’un combat proprement dit (…) Cette particularité ne va pas de soi : on peut même considérer qu’elle déprécie l’exploit, puisque ce n’est pas dans les conditions glorieuses d’une bataille rangée, mais dans l’obscurité de la nuit, par un coup de main, qui relève de la ruse plus que du courage, que les Romains vainquent leurs ennemis ». En fait, les Romains ont inversé ici, comme ils l’avaient fait pour la bataille de la forêt d’Arsia contre les Étrusques, les valeurs des combats diurnes et nocturnes, et ont donc inversé, dans la grande bataille eschatologique qu’ils ont reprise dans leur héritage indo-européen, ce qui se passait dans la bataille de Kuruksetra, relatée par le Mahabharata. Au livre X dit « de l’attaque nocturne » de cette épopée indienne, les combats se déroulent « sur plusieurs jours consécutifs, mais toujours dans la journée » et aboutissent « à la franche victoire des Pandava, qui sont les personnages positifs de l’histoire. Mais les résultats de cette victoire vont être quasiment annihilés au cours de la nuit suivante, par le raid nocturne auquel se livre alors Asvatthaman : celui-ci massacre presque entièrement l’armée de Yudisthira et ses frères qui, se croyant victorieuse, dormait tranquillement dans son camp. Il faudra l’arrivée des Pandava eux-mêmes – absents de leur camp lors du massacre – et surtout l’intervention in extremis de Krsna, représentant le dieu Visnu (…) pour que les Pandava échappent au désastre et qu’au moins leur race soit assurée de survivre, grâce à la résurrection de l’enfant mort-né Pariksit. L’épopée indienne qui relate ces événements (…), témoigne donc bien d’une succession entre une phase diurne et une phase nocturne de l’affrontement, la seconde semblant inverser l’issue de la bataille qui venait de se terminer. Cette phase nocturne, en outre, met en scène l’attaque d’un camp et le massacre d’adversaires endormis, traits dont il n’est pas besoin de souligner qu’ils se retrouvent dans l’épisode de la tradition de la prise de Rome par les Gaulois » et dans la relation de Polyen qui nous occupe. « Dans le Mahabharata, il est vrai, les vainqueurs de la grande bataille qui a précédé la scène nocturne étaient les bons, les Pandava, dans lesquels on reconnaît bien évidemment les correspondants des Romains, et le carnage auquel se livre Asvatthaman est une vengeance quasiment posthume pour le démoniaque Duryodhana et les siens » - et dans le récit de Polyen, le chef des Latins coalisés, dit vouloir venger le rapt des Sabines (cf. n. 33 et 109).
Par conséquent, l’étiologie des Nones Caprotines que nous pouvons découvrir à travers les récits de Plutarque, Polyen et Macrobe se compose au moins de quatre éléments :
1°) un élément indo-européen, celui du mythème du guerrier qui « dysfonctionne » après ses exploits (ici la grande bataille eschatologique sous les traits de la libération de Rome des Gaulois), mais aidé par la suite par une femme pleine de sagesse, avec une inversion des motifs, comme la valorisation de l’attaque nocturne du camp ennemi, le déguisement des servantes en « femmes – citoyennes », et l’ennemi aux prises avec les charmes du sexe féminin.
2°) un élément égéo-oriental, celui d’un ennemi occupant la forteresse de la cité et y faisant venir des femmes (prétendument) aux mœurs légères, mais bonnes patriotes.
3°) un élément religieux, peut-être d’origine orientale, celui de l’arbre lunaire, qui symbolise la fécondité, la fertilité.
4°) une togata datant des premières années du 2e siècle av. J.-C. et « expliquant » par une raison « historique » (à savoir le dévouement de certaines ancillae après le départ des Gaulois de Rome) le pourquoi de la présence des ancillae aux Nones Caprotines, est tout à fait plausible dans le climat qui régnait à Rome entre la victoire de Scipion à Zama contre les Carthaginois et la suppression de la Lex Oppia en 195 av. J.-C. Car cette loi « imposait des limites au luxe des femmes et, entre autres, leur interdisait de circuler dans un véhicule attelé en ville ou pour des distances de moins de mille pas si ce n’est pour des fêtes publiques (Tite-Live, Histoire romaine, XXXIV, 1, 3) et que l’éloquence de Caton ne parvint pas à faire maintenir ». Cela signifie que les Romains du début du 2e siècle av. J.-C. établissaient un lien, pour les « privilèges » ou les « droits » des femmes (et des servantes), entre leur époque et celle qui a vu et suivi la prise de Rome par les Gaulois, et la libération de la cité notamment par Camille. Aussi ne nous paraît-il pas étrange qu’une togata contemporaine ait « expliqué », en se rapportant aux temps qui suivirent la libération de Rome de toutes les agressions extérieures, la raison du port de la prétexte par les servantes aux Nones Caprotines.
Enfin, il existe peut-être deux façons d’expliquer le côté « aberrant » des Poplifugia du 5 juillet, la seule fête du calendrier romain à tomber entre les Calendes et les Nones. Selon une première explication envisageable, comme les Poplifugia apparaissent être liées à la disparition de Romulus, elles semblent relever du calendrier romuléen, où les Nones se seraient célébrées le 5 du mois. Et comme Romulus avait disparu ce jour-là près du Caprae Palus lors d’une éclipse solaire, les Poplifugia furent une autre appellation des Nones, du calendrier romuléen, dites Capratines, la chèvre étant symboliquement lié, en partie, précisons-le, à la mort, aux puissances chtoniennes (la 4e fonction), et l’invocation à Junon Couella ne se serait portée que sur les cinq premiers jours du mois dans ce calendrier romuléen. Mais, pour nous, cette explication serait erronée, car le mois de juillet, quintilis (jusqu’à la mort de César) était dès l’origine un mois comportant 31 jours où par conséquent les Nones tombaient le 7, comme en mars, mai et octobre. Aussi faudrait-il passer à une seconde explication.
Selon celle-ci, on a cru que l’éclipse solaire concomitante de la disparition de Romulus marquait exceptionnellement à ce moment-là le jour des Nones ; car il se peut que les Romains crurent que la lune combattait victorieusement le soleil, comme le dit parmi les prodiges qui se produisent au début de la seconde Guerre Punique, Tite-Live (Histoire romaine, XXII, 1, 8-9 : augebant metum prodigia ex pluribus simul locis nuntiata (…) ; in Sardinia (…) solis orbem minui uisum (…) et Arpis primas in caelo uisas pugnantemque cum luna solem). Ce jour ultime de la vie terrestre de Romulus, on l’aurait appelé (populairement et rétrospectivement ?) par la suite Nones Capratines en raison du lieu où l’événement s’était déroulé, à savoir le Caprae Palus. Cela permettait de les distinguer des Nones (régulières) de Juillet placées le 7, d’autant plus que, ce jour-là, le symbolisme de la fête de Junon Caprotine (arbre lunaire, signal lumineux au sommet de celui-ci) correspondait à l’action de Junon Couella. Cette divinité invoquée aux Calendes 5 ou 7 fois, assurait la croissance de la lune jusqu’aux Nones et donc la présence d’une lumière nocturne. Junon Caprotine, pour sa part, était liée au figuier caprificus, c’est-à-dire avec la fertilité, via le symbolisme de la chèvre relevant également de la troisième fonction, précisément celle de la fertilité ; ce symbolisme « caprin » est également en rapport avec l’intégration (dans la troisième fonction) de ce qui était marginal (la quatrième fonction), à savoir les femmes et des servantes héroïques. C’est ainsi que l’appel des noms courants des Romains aux « deux » fêtes « capra/otines » passait le 5 juillet pour marquer le désordre (la débandade du peuple) vu la disparition du chef, en l’occurrence le roi-guerrier Romulus, le 7 pour un appel militaire à chasser l’ennemi qui menaçait Rome et afin de rétablir ou de maintenir l’ordre, peut-être à l’origine sous la conduite de Camille, le second Romulus, mais, après la deuxième guerre punique, avec la participation contre les Latins d’une « serva padrone » du nom de Tutula.
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