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NMC - Page 52

  • (Review) Jean-Loïc Le Quellec - Jung et les archétypes. Un mythe contemporain

    Jung.jpgJean-Loïc Le Quellec, Jung et les archétypes. Un mythe contemporain, 2013, éditions Sciences Humaines, Auxerre (France)

     

    Nous sommes quelques-uns ici, participant à Nouvelle Mythologie Comparée, à ne pas admettre la notion d'archétypes, qui nous semble non-démontrée. J'ai pu mettre en évidence que le mythe de l'homme cosmique, par exemple, n'en est pas un : il est d'origine indo-européenne et s'est répandu par la suite en Asie, jusqu'à atteindre des régions parfois fort éloignées. De même, Jean-Loïc Le Quellec a accompli le même travail sur l'ouroboros, travail qui a par ailleurs intégré le présent ouvrage sous la forme d'un chapitre particulier.

    Si cette notion a été particulièrement mise en avant par des mythologues comme Joseph Campbell ou Mircea Eliade, son principal promoteur -souvent considéré comme son inventeur – est Carl Gustav Jung. Autant dire qu'une étude sur ce personnage, axée sur les archétypes, s'avère nécessaire.

    Jean-Loïc Le Quellec commence par interroger la notion d'archétype elle-même, par en chercher la définition exacte – laquelle s'avère particulièrement fluctuante d'un auteur à l'autre, y compris chez Jung lui-même. Il remonte à l'Antiquité grecque, où le terme apparaît déjà, notamment chez Platon, qui en fut le premier vrai théoricien – un théoricien singulièrement absent de l'oeuvre de Jung. Malgré le fait qu'elle ne soit pas le moins du monde démontrée, cette notion est malgré tout rapidement devenue comme une sorte de credo (chapitre 5), qu'il n'est justement plus nécessaire de démontrer. Pourtant, très tôt des voix se sont élevées, notamment chez les ethnologues, mais aussi dans d'autres branches des sciences : ainsi l'éthologue Konrad Lorenz, pourtant invoqué parfois par les jungiens, a dès 1950 montré que « sa théorie de l' 'archétype' se révèle à l'expérience inexacte ».

    Malgré ces réserves, jamais Jung ni ses continuateurs ne se remettront en cause, au contraire, le psychanalyste continuera sans cesse à creuser dans cette voie, invoquant de nouveaux archétypes, tentant une expédition « ethnologique » au Kenya dont la description fait plus penser à Tartarin de Tarascon chassant le lion plutôt qu'à une vraie expédition scientifique. Mais il y a pire : il apparaît au fil des pages que Jung a sciemment déformé certaines informations qu'il a mises à son profit. Jean-Loïc Le Quellec, à ce sujet, est prudent, s'étant attaqué d'abord à l'œuvre avant d'essayer de comprendre l'auteur, le mot « mensonge » n'apparaît clairement sous sa plume qu'à la page 177. Car mensonges il y a. Notamment lorsque Jung raconte, à plusieurs reprises durant sa carrière, le rêve qui lui aurait permis d'élaborer sa théorie des archétypes : un rêve qui n'apparaît jamais de la même manière d'une version à l'autre. C'est alors qu'il faut s'intéresser à la personnalité de Jung elle-même, essayer de comprendre pourquoi et comment a-t-il pu soutenir coûte que coûte cette théorie. Si Jean-Loïc Le Quellec s'adresse finalement peu aux années de jeunesse de Jung, à sa relation avec Freud – et on peut parfois le regretter, car il y a peut-être là une clé de compréhension de son antisémitisme –, il montre cependant que ses positions sur l'inconscient collectif et les archétypes l'ont amené à avoir un comportement pour le moins ambigu lors de la monté du nazisme. Jung semble avoir vécu Hitler et les nazis comme une résurgence d'un « archétype de Wotan », archétype construit sur rien de scientifique, mais au contraire élaboré en tordant les connaissance d'alors sur la mythologie germanique de façon pour le moins surprenante, voire irrationnelle. Si Jung s'est par la suite défendu de toute connivence avec le nazisme, il n'en reste pas moins que l'épisode est intéressant pour montrer, une fois encore, la nullité de la théorie des archétypes.

    On pourra regretter alors quelques petites erreurs qui émaillent le livre de Jean-Loïc Le Quellec. Dès la première page, il n'est pas question du centenaire de la mort de Jung, mais de son cinquantenaire. P. 182, il fait de Camille Flammarion un proche de la Société théosophique (la théosophie, autre fléau de la mythologie comparée) : ça n'est pas du tout certain, même si cela est écrit partout. Selon Vsevolod Soloviev, qui fut membre de la société, Flammarion ne serait venu qu'une seule fois chez Mme Blavatsky et en serait reparti sans éprouver le moindre intérêt.

    Autre erreur, plus importante : p. 232 et 327, Jean-Loïc Le Quellec inverse la deuxième et et la troisième fonction dumézilienne. Ce n'est pas la troisième fonction qui est liée à la guerre, mais la deuxième.

    Mais ce ne sont-là que broutilles, tant à côté de cela l'ouvrage est salutaire. Il vient en effet à point, après les critiques de Campbell par divers ethnologues et anthropologues (Northup, Cosentino, Crespi, Dundes, etc.), puis d'Eliade notamment par Dubuisson : il était temps de remonter à l'une des sources de ces errances, Jung lui-même, dont le travail concernant les mythes n'avait finalement rien de scientifique.

     

    Patrice Lajoye

  • Pierre Sauzeau - Le renard et la quatrième fonction

    Le renard et la quatrième fonction

    Pierre Sauzeau

    Professeur émérite à l'Université Paul-Valéry-Montpellier 3

     

    sauzeau.pierre2@wanadoo.fr

     

    NB: Les caractères grecs n'étant pas gérés par notre plate-forme, nous prions nos lecteurs de bien vouloir consulter cet article en téléchargeant la version pdf.

     

    Abstract: This article fits into the framework of the 4th function theory. In it, we study the Masters of paths that are foxes, from the fables, the Greek or Irish pseudo-historical narratives and the Roman de Renart. Cunning, crafty, the fox is characterized with a strong association to transgressive sexuality, whether male or female as well as with an ambiguous relationship with sovereignty, that he pretends to support and still is very likely and willing to usurp.

    Keywords: fox, fourth function, fable, Aesop, Aristomenes, Crimthann, Roman de Renart.

    Résumé: Dans le cadre de la théorie de la 4ème fonction, on étudie dans cet article ces Maîtres du chemin que sont les renards, venus de la fable, des récits pseudo-historiques de la Grèce ou de l'Irlande, du Roman de Renart. Le Rusé se caractérise par une forte association avec la sexualité transgressive – masculine ou féminine – et par un rapport ambigu avec la souveraineté, qu'il prétend soutenir mais qu'il cherche volontiers à usurper.

    Mots clés : renard, quatrième fonction, fable, Ésope, Aristoménès, Crimthann, Roman de Renart.

    Télécharger l'article en pdf / download in pdf: Sauzeau.pdf

     

    Même si l'étude du symbolique doit se garder de hâtives généralités transhistoriques et transculturelles, on peut sans doute considérer comme une donnée « universelle » la symbolique du renard (éventuellement relayé par le chacal ou le coyote), l'animal qui incarne essentiellement l'intelligence rusée. Mais ces universaux n'ont de véritable intérêt que replacés dans un contexte suffisamment précis pour que leur signification s'intègre dans un ensemble idéologique structuré1. C'est pourquoi il a paru intéressant d'examiner, à partir de quelques textes caractéristiques, comment cet animal "fictionnel" fonctionne au sein de l'espace indo-européen, selon le modèle quadrifonctionnel que, mon frère et moi, nous avons pu dessiner, à la suite des frères Rees et de Nick Allen ; il s'agit, pour mieux rendre compte des complexités du système idéologique indo-européen, d'élargir le modèle trifonctionnel et les chemins frayés par G. Dumézil sans pour autant trahir sa méthode ni sa pensée2.

    Il fallait dans un premier temps établir fermement la fréquence des séries à quatre termes et surtout la cohérence de ces séries entre elles ; car la quatrième fonction ne se contente pas de réunir de façon informelle tout ce qui relève du non-ordre, périphérique, marginal, et de l'Altérité, que ce soit sur le plan de l'organisation sociale, du panthéon ou du cosmos. La définition négative de la Quatrième fonction ne l'empêche pas de se structurer elle-même selon un certain nombre de pôles bien apparents, même si un approfondissement de la recherche sera nécessaire pour les caractériser précisément, et établir leurs rapports dans toute leur richesse.

    Parmi ces pôles, l'un des mieux définis, que nous avons nommé par convention « aryamanique », est caractérisé par la communication, et à l'intérieur même du champ aryamanique, se déploie la tradition des Maîtres du Chemin3, où le renard trouve aisément sa place. L'intérêt d'approfondir ainsi un dossier clairement situé en Quatrième fonction, c'est de pouvoir démontrer la cohérence interne de ce quatrième élément de la structure idéologique indo-européenne.

     

    Les noms : Loups et renards

     

    Renart, avant de devenir sous la forme renard la désignation française moderne du Vulpes vulpes, est le nom propre que la tradition littéraire médiévale attribue au représentant de l'espèce désignée par le nom commun goupil. Les noms du renard dans les langues indo-européennes (sanskrit lopāśa, avestique raopi, grec alōpēx, gaulois louernos4, lat. uulpis / uulpēs, bas-latin uulpiculus > goupil) sont certainement apparentés à ceux du loup (sanskrit vṛka-, grec lukos, lat. lupus, vieil irlandais olc, goth. wulfs, vieil islandais ulfr) mais dans des conditions très complexes, qu'on a expliquées par le phénomène du tabou linguistique (qui consiste en particulier à déformer les noms des animaux dangereux ou des puissances inquiétantes)5. Grâce à la théorie des laryngales, Françoise Bader6 se passe de ce concept, pour analyser cette famille étymologique du point de vue phonétique, morphologique et sémantique, à partir de l'idée « arracher, razzier » *h2w-el-. N'entrons pas dans le détail d'une démonstration difficile et qui reste toujours discutable.

    Les deux compères-ennemis, que la science moderne rassemble dans la famille des canidés, n'ont pas toujours été nettement distingués du point de vue linguistique par les proto-indo-européens, avant de recevoir chacun une désignation spécifique ; ils ont longtemps été sentis comme proches – des prédateurs sauvages, qui sortent de la forêt pour arracher, ravir leurs proies, en particulier les animaux domestiques7 ; mais aussi distingués, voire opposés, en raison des différences évidentes de taille, de force, de caractère, de comportement. Le loup est comme le renard un « razzieur », il sait « dérober sa trace par mille détours tortueux » (Pindare, Pyth., II, 85) mais, plus puissant, préférant l'action collective de la meute, « il attaque à découvert, tandis que le renard opère dans l'ombre, sans se montrer »8. Ces caractères naturels ont conduit les peuples indo-européens à faire du loup un symbole de la force brutale et dangereuse, qui peut être située en deuxième fonction – une image du guerrier terrible, par exemple dans la saisissante comparaison homérique des Myrmidons de l'Iliade (XVI, 156-162). Mais l'image du loup guerrier est secondaire à celle des jeunes en marge initiatique, de la bande de para-guerriers ; s'il est isolé, le loup évoque l'homme hors-société, l'outlaw ; dans tous ces cas, il s'inscrit en quatrième fonction9. Les deux conceptions peuvent se croiser et jouer l'une avec l'autre : la bivalence symbolique du loup signale une importante contiguïté, qui révèle la dimension sauvage du guerrier indo-européen. Le renard, lui, n'évoque en rien le guerrier « normal » selon les conceptions indo-européennes. Absent des épopées homériques, il peut passer pour couard, selon le proverbe « lions au logis, renards au combat » (Aristophane, Paix, 1189-1190). Il peut néanmoins, nous le verrons, s'associer à certaines formes de combat irrégulier.

     

    L'animal trickster

     

    Si le renard porte un nom indo-européen proche de celui du loup, ce nom relève souvent du genre féminin (grec hē alōpēx, lat. uulpes, russe lisíca...) ; il est fameux depuis l'Antiquité pour son intelligence rusée, du reste tout à fait réelle. Le renard, avec des forces bien plus modestes que le loup, individualiste, ne menace guère l'homme directement, mais rôde volontiers à la périphérie des habitats. Il est l'animal-trickster par excellence, compte tenu des problèmes que pose ce concept trop universel, dont, après les travaux de Dumézil sur Loki et de Detienne et Vernant sur la mētis10, nous avons tenté ailleurs de préciser les contours dans le domaine indo-européen11. La représentation de cette qualité intellectuelle et de l'animal qui l'incarne présente la grande ambiguïté si caractéristique de la quatrième fonction, et peut subir une forte péjoration. Un « renard » reste pour nous, si fin soit-il, une personne peu recommandable, et les Siciliens de l'Antiquité le désignaient par le mot κίναδος qui sert en grec d'insulte12.

    En Grèce, le renard peut être désigné par le nom féminin Κερδώ13, dérivé du neutre τὸ κέρδος « gain, profit personnel obtenu par habileté »14, au pluriel τὰ κέρδεα « moyens de gagner, ruses ». Ce « surnom » du renard nous signale que la ruse ne relève pas seulement du jeu, du plaisir de tromper pour se gausser de l'adversaire, mais qu'il s'agit d'un moyen de gagner, sur tous les plans de la vie personnelle ou sociale, alors même qu'on était en position de perdre. La « ruse » se révèle indispensable, y compris dans deux domaines où, selon l'idéologie indo-européenne décrite par Georges Dumézil, elle devrait se heurter à un interdit de principe, la souveraineté et la guerre, d'autant plus qu'elle s'accompagne volontiers d'impudence et de trahison15. La « morale » des fables grecques et indiennes, fondée sur l'intérêt, qu'on obtient par l'habileté, fût-elle déloyale, et la tromperie, s'oppose de façon remarquable à la théorie dominante selon lequel les actes bons et une conduite honnête conduisent au succès16. De la nature profondément ambivalente de la fable naissent les problèmes de sa « moralisation »17.

     

    Les chacals et le Pañcatantra

     

    Le renard n'est pas seulement l'un des personnages récurrents de la « fable » antique ; il en est de quelque façon le modèle et l'inspirateur18.

    En Inde il est relayé par le chacal19, personnage autour duquel s'organise le Pañcatantra. Ce texte célèbre, qui rassemble un grand nombre de fables, date du VIe ou VIIe siècle de notre ère. Le titre lui-même signifie à la fois « l'enseignement (réparti en) cinq sections » et « (le recueil de récits didactiques en) cinq Livres ». Le mot tantra, en effet, comporte la signification « section d'un ouvrage, livre », ou bien « enseignement, procédé didactique », d'où, selon l'explication donnée par Louis Renou, « sur un plan mineur », les sens d'« artifice », ou de « ruse »20. Il s'agit en tout cas de donner, par l'exemple des fables, une leçon de vie et de gouvernement à des princes jusqu'ici peu concernés par leurs devoirs.

    Les fables, surtout les fables animales, ont quelque chose de populaire et d'enfantin qui résulte de l'affaiblissement de leur fonction d'enseignement « initiatique » dans le cadre des rites de passages de l'enfance à l'adolescence et se perpétue en raison de leur rôle pédagogique21. Cette fonction ne doit pas faire oublier leur signification sur le plan de l'idéologie politique. Le chacal Damanaka (le Dompteur) est au service du Lion et devient son ministre ; et l'ensemble des Cinq Livres constitue un texte « à l'usage du prince, destiné à lui apprendre – en l'amusant – les principes de l'art de conduire les hommes »22. L'intelligence rusée est l'arme suprême de la souveraineté, bien supérieure à la force armée.

    « Ni avec les armes, ni avec les éléphants, ni avec les chevaux, ni avec les fantassins, une affaire n'arrive à bonne fin comme quand elle est faite par l'intelligence... » (Pañcatantra, I, 3, trad. Lancereau)

    Cette fonction de la parole intelligente mise au service de l'autorité royale relève, comme nous l'avons montré dans notre ouvrage de présentation générale, du pôle aryamanique de la Quatrième fonction. La fable grecque fournit de nombreux arguments à l'appui de cette analyse23.

     

    Ésope et le renard des fables

     

    En Grèce archaïque, le genre de la fable relève de l'ainos, la poésie du blâme24 ; le renard y joue un rôle prépondérant, et circule à l'aise dans le monde de la fable, et de la satire iambique, informelle et anti-héroïque25. Archiloque cite plusieurs fables, et évoque en particulier le renard et l'aigle (fgt 174-181 W), le renard et le hérisson (fgt 201 W)26 ; Pindare (Pyth., II, 77-80) évoque le renard et le loup (ibid., 84) ; mais la fable grecque s'incarne dans un auteur au moins partiellement mythique, Ésope, dont le renard est le personnage favori277. Une kulix du Ve siècle28 représente le fabuliste conversant avec un renard, comme si l'animal lui apprenait les histoires. Philostrate (I, 3) décrit l'image des animaux entourant Ésope pour le couronner : « les personnages dont [la peinture] entoure Ésope comme d'un chœur tragique tiennent à la fois de l'homme et de la bête et sont composés d'éléments empruntés au théâtre même du poète. Le renard est le coryphée ; c'est que, dans la plupart des cas, Ésope se sert du renard [...] pour exposer son dessein (trad. Bougot). »

    Or, selon ce roman picaresque que constitue sa Vie29, Ésope rassemble de nombreux traits caractéristiques des personnages de la Quatrième fonction30.

    – la laideur physique d'abord, sur laquelle les textes insistent tout particulièrement ; cette laideur rappelle celle du Thersite de l'Iliade, le trublion vindicatif qu'Ulysse fait taire d'un coup de sceptre ; c'est l'un des marqueurs de la Quatrième fonction. Elle se retrouve, sous des formes diverses, chez plusieurs poètes – Hipponax, Sapphô, Tyrtée... – et chez Socrate qui ressemblait à Marsyas (Platon, Banquet, 215a-222d)31, et versifiait Ésope (Platon, Phédon, 60b-61c)32.

    – le statut servile, qui contraste avec une noblesse morale ; ce statut est à la racine du genre de la fable d'après le fabuliste latin Phèdre lui-même : l'esclave, « qui n'osait pas dire ce qu'il voulait, transposa dans les fables ses propres sentiments » (prologue à III, 34-35)33.

    – le statut d'étranger (Ésope est d'origine barbare, Thrace, ou Phrygien), d'errant, d'exilé.

    – l'accusation injuste de criminel impie, voleur d'objet consacré (hierosulos) le conduit à une mort par précipitation d'une falaise (éventuellement précédé de lapidation), fin typique du pharmakos, du bouc émissaire. Le personnage marginal passe ainsi dans le monde de l'Altérité radicale, celui des Morts, et le pire des hommes devient un hērōs et fait l'objet d'un culte.

    Parmi les caractères distinctifs de F 4, plusieurs signent l'appartenance au pôle aryamanique :

    – l'hypersexualité du personnage, « don d'Aphrodite » malgré sa laideur repoussante34, hypersexualité qui rappelle celle du renard35.

    – la fonction d'intermédiaire, de communication, d'interprète, servie par la maîtrise de la parole à double sens ; cf. le rapport entre ainos et ainigma.

    – la fonction complémentaire de conseiller des princes et des pouvoirs ; son intelligence lui permet de sauver la situation de son maître, du prince ou de la cité qui l'accueille.

    – mais aussi la fonction de poète satirique, la protection des Muses, d'Isis-Tukhè (la Fortune) à ce muet de naissance devenu logopoios, en relation à la fois intime et hostile avec le dieu Apollon36.

    Comme l'a montré Todd M. Compton, ces aventures relèvent d'archétypes narratifs spécialement associés aux poètes37.

     

    Le renard, Maître des chemins et Chasseur Noir

     

    En son domaine naturel, le renard circule discrètement par des sentes qu'on appelle en français des coulées. Imiter sa ruse, c'est, selon l'expression de Solon, « suivre les traces du renard » (ἀλώπεκος ἴχνεσι βαίνειν, Plutarque, Vie de Solon, 30). Le Rusé, selon une fable célèbre (Ésope 196 Chambry), examine prudemment les traces des animaux qui sont entrés dans l'antre du lion et n'en sont point ressortis, et sait en tirer les conséquences.

    Comme les autres canidés, le renard reste un prédateur, et en tant que tel, s'associe à des pratiques guerrières, mais ces pratiques particulières se distinguent nettement de la conception générale de la guerre, et relèvent d'un comportement dissimulé, rusé, souvent associé à la jeunesse et aux rites de passage qui conditionnent l'obtention du statut de guerrier-adulte ; représentation à laquelle, dans le cadre de la culture grecque, Pierre Vidal-Naquet a donné le nom de Chasseur Noir38.

    Une des désignations du casque chez Homère est kuneē, qu'on ne peut expliquer que par une fabrication à partir de la peau de chien. Cette explication inévitable restait incompréhensible à Miss Lorimer39. Pourtant, les casques ou coiffes en peau d'animal, et pas seulement en cuir de bœuf, sont fréquentes en Grèce archaïque. Volontaire pour une expédition nocturne d'espionnage, Dolōn s'arme d'un arc, se revêt de la peau d'un loup gris (Il. X, 334) et d'une kuneē ktideē « une coiffe en peau de martre »40. Ce casque n'est sans doute guère efficace du point de vue mécanique, mais il l'est par sa symbolique : le personnage qui s'en couvre assimile les capacités de ce petit carnivore habile, aux mœurs nocturnes et crépusculaires ; ainsi s'explique le nom latin du casque – anciennement de cuir – galea, emprunté au grec galeē « belette ». D'autres ont porté une coiffe de renard alōpek(e)ē, alōpekis, ou de loup lukeia41.

    Ces animaux sont tous des carnassiers, des prédateurs connus pour leur goût du sang et leurs mœurs discrètes et rusées. Il est clair que, dès la plus haute antiquité, certains guerriers grecs, dans certaines circonstances particulières ou extrêmes, ont reconnu la nécessité de recourir à cette forme de « guerre » irrégulière – extérieure à la norme – où la ruse compte plus que la force, le nombre ou la discipline. C'est pourquoi le renard joue son rôle à Sparte.

    Selon une célèbre anecdote un jeune spartiate vole un renardeau (idée curieuse, on l'avouera) et le dissimule sous sa tunique, préférant se laisser déchirer plutôt que de révéler son larcin (Plutarque, Vie de Lycurgue, 18, 1 et Apophtegmes laconiens, 234) ; ce conte fait évidemment penser à quelque épreuve d'un rite de passage.

    Les chefs de guerre de Sparte savent que la victoire ne peut s'obtenir à coup sûr sans la participation de la ruse, et que la déloyauté peut se révéler bien utile. Ainsi disait Lysandre :

    Ὅπου γὰρ ἡ λεοντῆ μὴ ἐφικνεῖται, προσραπτέον ἐκεῖ τὴν ἀλωπεκῆν.

    « Où n'atteint pas la peau de lion (leontē), il faut ajouter la peau de renard »

    (Plutarque, Vie de Lysandre, 7, 4, 4 ; cf. Apophtegmes des rois et des généraux, 190 e 2 ; Apophtegmes laconiens, 229 b 5)

    Cette cité tout entière vouée à la deuxième fonction (ici symbolisée par la leontē d'Héraklès) sait reconnaître les nécessaires pratiques de la ruse et de la dissimulation, qui caractérisent la dimension « aryamanique » de F 4, et s'attire – à Athènes... – une réputation de cité de tricheurs,

    ἀλωπεκιδεῦσι (...) ὧν δόλιαι ψυχαί, δόλιαι φρένες.

    « de petits renards dont fourbes sont les cœurs et fourbes les esprits » (Aristophane, Paix, 1067)42.

     

    Le renard de Messénie

     

    Mais ce sont leurs adversaires de Messénie qui ont fait du renard leur fétiche et de la guérilla leur dernière chance de salut. Le Rusé constitue précisément le « symbole » de la Messénie dans la légende du partage du Péloponnèse entre les Héraklides. L'histoire est racontée par le pseudo-Apollodore (Bibliothèque, II, 8, 4-5) :

    « Une fois maîtres du Péloponnèse, ils élevèrent trois autels de Zeus Paternel, sur lesquels ils sacrifièrent, puis ils tirèrent au sort entre eux les cités. Le premier tirage donnerait Argos, le second Lacédémone, le troisième Messène. On apporta un vase plein d'eau et on décida que chacun y jetterait une marque. Téménos et les fils d'Aristodémos y jetèrent des pierres, mais Kresphontès, qui voulait obtenir Messène, y jeta une motte de terre. Comme elle s'était dissoute dans l'eau, les deux autres marques devaient sortir d'abord. On retira la marque de Téménos en premier, celle des fils d'Aristodémos en second et Kresphontès obtint Messène. Ils découvrirent des signes posés sur les autels où ils avaient offert leurs sacrifices : un crapaud pour ceux à qui était échue Argos, un serpent pour ceux de Lacédémone, un renard pour ceux de Messène. À propos de ces signes, les devins déclarèrent que, pour ceux qui avaient trouvé le crapaud, il valait mieux rester dans leur cité (car cette bête n'a pas de force quand elle se déplace), que ceux qui avaient trouvé le serpent seraient terribles dans l'attaque et ceux du renard des rusés (δολίους). » (trad. Carrière-Massonie)

    Bernard Sergent avait proposé d'expliquer ce partage du Péloponnèse par le modèle dumézilien43. Il faudra cependant revenir sur cette analyse, qui comporte des difficultés. Elle aboutit à placer Lacédémone en troisième fonction, ce qui surprend tout connaisseur de l'histoire grecque, et ne correspond pas au commentaire donné par le texte : « ceux qui avaient trouvé le serpent seraient terribles dans l'attaque ». La proposition mérite donc une discussion particulière44. Les Messéniens et leur renard seront rusés, trompeurs (dolioi), caractère qui peut servir à la guerre, mais n'est pas un indice sûr de deuxième fonction, loin de là.

    Plus tard, Bernard Sergent a prouvé l'ancienneté des associations infernales de Pylos. La comparaison avec la géographie symbolique de l'Irlande montre que la Messénie correspond – de l'avis de Bernard Sergent lui-même45 – à la province irlandaise de Munster, dont les Rees ont démontré l'appartenance à la quatrième fonction46, et non à la troisième comme l'écrit Sergent – troisième fonction qui n'a d'ailleurs rien à voir avec les ruses ni les renards. Ces difficultés imposent de reprendre l'étude de la géographie mythique de la Grèce, ce qu'à l'évidence nous ne pouvons faire ici47. Contentons-nous de cette constatation : la Messénie est à la Grèce ce que Munster est à l'Irlande, c'est-à-dire la province de quatrième fonction.

     

    Aristoménès

     

    Les guerres impitoyables qui ont permis à Sparte d'anéantir pour des siècles la liberté de la Messénie ont été racontées par Pausanias en son livre IV. La défaite décisive du Grand Fossé contraint les Messéniens survivants à la guérilla. Leur chef est Aristoménès, héros qui a quelque chose d'Achille, mais plus encore d'Ulysse. Il fait partie, comme tant d'outlaws médiévaux, de ces « invincible losers »48 qui mènent une résistance interminable et désespérée contre un ennemi définitivement plus puissant. Que l'histoire d'Aristoménès soit une tradition d'origine archaïque, voire héritée d'un passé plus lointain, ou bien une élaboration postérieure à la « refondation » de Messène, ou bien encore – hypothèse qui paraît la plus probable – les deux à la fois, qu'elle soit liée aux Mystères d'Andania49, ne change rien à la donnée essentielle : le héros messénien constitue un exemple frappant de « chasseur noir ». Chef d'une troupe de jeunes logades symétriques des cryptes lacédémoniens, le Robin des Bois, ou plutôt le William Wallace messénien mène sa guérilla en s'appuyant sur la ruse, les actions de commando souvent nocturnes. Certaines de ses aventures sont des échecs cuisants dont il se tire de façon peu héroïque, grâce à des complicités féminines50, car il plaît aux filles.

    Il attaque de nuit le bourg d'Amyclées et il est pris vivant par les Lacédémoniens qui le jettent dans le gouffre Kéadas, mais un aigle – l'épisème de son bouclier ? – le soutient dans sa chute ; alors qu'il allait se laisser mourir parmi les cadavres, il trouve une issue souterraine en suivant un renard (Paus., 18, 4-7)5151 qu'il a lui-même attrapé par une manœuvre digne du Rusé ; un proverbe roumain dit : « Le renard est malin, mais plus malin celui qui attrape le renard ».

    Quand il sera capturé pour la dernière fois, ses ennemis lui ouvriront la poitrine, pour découvrir qu'en vrai berserk il a le cœur velu (Pline, H. N., XI, 185)52.

    L'hoplon, l'arme hoplitique par excellence, c'est le bouclier, l'aspis. L'importance symbolique du bouclier d'Aristoménès, perdu, retrouvé, et dont l'épisème devient un « parachute magique » lors d'une descente aux Enfers53, apparaît paradoxale. Ses démêlés avec les archers crétois (Paus., IV, 19, 4-6) ne le sont pas moins, puisque, si l'on replace ce « chasseur noir » dans son contexte de guérilla, il « devrait » lui-même combattre à l'arc, comme l’a fait cet ancêtre des Messéniens, Melaneus (l'homme noir ?, bon tireur à l'arc qui passait pour fils d'Apollon (Paus., IV, 2, 2). La création littéraire semble avoir joué avec la tradition en l’inversant subtilement. Mais le personnage du combattant rusé, à la fois héros et anti-héros, capable, grâce à la mētis du renard, de revenir du sein de la mort, a été comparé de façon convaincante à Ésope54.

    Aristoménès représente une variante du Chasseur Noir que sa mission de résistance à l'oppression rend héroïque, mais dans un registre caractéristique de la Quatrième fonction. Il est intéressant de voir fonctionner, ici comme plus tard en Écosse ou en Irlande dans la tradition légendaire des outlaws, une matrice mythique que le « bricolage » de la tradition transforme en machine de propagande « nationale »55.

     

    Le terrier

     

    La présence du renard dans la légende d'Aristoménès ne peut pas être considérée comme superficielle ou anecdotique. En effet, le subtil rouquin ne se recommande pas seulement par ses ruses de prédateur ; il sait aussi se protéger des chasseurs puisqu'il est lui-même chassé. Il sait se construire une demeure souterraine qu'Oppien décrit avec admiration :

    Ναὶ μὴν αἰολόβουλος ἐπ' ἀγραύλοισι μάλιστα

    θηρσὶ πέλει κερδώ, μάλ' ἀρήϊος ἐν πραπίδεσσι·

    καὶ πινυτὴ ναίει πυμάτοις ἐνὶ φωλειοῖσιν,

    ἑπταπύλους οἴξασα δόμους τρητάς τε καλιὰς

    τηλόθ' ἀπ' ἀλλήλων, μή μιν θηρήτορες ἄνδρες

    ἀμφὶ θύρῃ λοχόωντες ὑπὸ βροχίδεσσιν ἄγωνται·

    « Le Rusé est le plus astucieux (αἰολόβουλος) des animaux sauvages. Dans sa prudence, il se loge au fond d'un terrier admirablement disposé. La demeure qu'il se creuse a sept portes différentes auxquelles conduisent autant de couloirs, et les ouvertures sont fort éloignées les unes des autres. Ainsi, il a moins à craindre que les chasseurs disposant un piège à sa porte, ne le fassent tomber dans leurs lacets. » (Oppien, Cynég., III, 449-460)

    Cet admirable terrier56 – qui offre à son propriétaire à la fois protection contre les agressions et ouverture sur tous les horizons du monde – rappelle la maison du scandinave Loki, « trickster » si proche à bien des égards de Renart le goupil : Loki, après la mort de Baldr, « s'enfuit, se cacha sur une montagne. Il s'y fit une maison avec quatre portes afin de pouvoir, de l'intérieur, voir dans toutes les directions... » (Gylfaginning, xxxv-xxxvi)57.

    Sa demeure fait aussi du Rusé un familier des profondeurs souterraines, et c'est cette dimension chtonienne qui lui permet de jouer, entre le monde de la lumière et celui des Enfers, son rôle de Maître des Chemins.

     

    Renards celtiques

     

    Le renard gaulois a quelque rapport avec la royauté. Le grand roi arverne du IIe s. av. J.-C., dont Poseidonios (in Athénée, Deipnosophistes IV, 37, 1-19 ; cf. Strabon, IV, 2, 3) évoquait la magnificence s'appelait Louernios, et son nom, nous l'avons vu, évoque le renard58. L'argument linguistique a été confirmé de façon étonnante par les fouilles du sanctuaire de Corent, qui semble avoir été le centre religieux de sa dynastie. On y a retrouvé des cranes de renards et de loups, et les monnaies « au renard » y étaient frappées59.

    L'imaginaire du renard en Irlande mérite certainement une étude détaillée60 : on ne trouvera ici que quelques perspectives qui suffisent à confirmer son rapport étroit avec la Quatrième fonction. Dans la tradition folklorique irlandaise, le renard est considéré comme un animal introduit par les Vikings en tant que leurs « chiens »61, donc par les étrangers maléfiques archétypaux des irlandais médiévaux62. D'autre part, d'assez nombreux personnages, dont une dizaine de guerriers de Finn63 et plusieurs rois irlandais de Leinster et de Munster, s'appellent Crimthann64, nom propre sans étymologie claire qui est expliqué par un nom commun, attesté seulement dans les lexiques, et glosé par le terme signifiant « renard » (sinnach). Ainsi Crimthann Cosgrach s'appelle « le Renard victorieux »65. Crimthann Nia Náir (« Neveu de Nár »66) est dit avoir été engendré par Lugaid aux Trois raies rouges par un inceste avec sa propre mère67. Il fait un voyage avec sa tante, épouse ou amante, la femme fée Nár Thuathchaech (« aveugle de l'œil gauche »), dans l'Autre Monde, et en rapporte de multiples trésors. Il devient haut-roi à une période que certains textes disent être la période de règne de l'usurpateur Cairbre Cinncait « Cairbre à la tête de chat » – il s'agit bien sûr du chat des forêts, animal dont la symbolique est d'une façon générale proche de celle du renard, comme nous le verrons bientôt, mais qui joue un rôle important dans l'imaginaire médiéval irlandais, avec des associations infernales68.

    Ce triste personnage était donc affligé d'oreilles pointues et fourrées comme celles des chats :

    C'est ainsi qu'était Cairbre le hardi

    Qui régnait sur l'Irlande du Sud au Nord :

    Deux oreilles de chat sur sa belle tête,

    De la fourrure de chat sur ses oreilles69.

    Ces oreilles de chat, qui devaient être plus efficaces que les humaines, sont surtout à comprendre dans un rapport d'opposition avec les fameuses oreilles de cheval ou d'équidé, qui ont signifié la vocation souveraine de tant de rois, depuis Midas et ses oreilles d'âne jusqu'au roi Marc de Béroul et tant de rois de contes70 : ces oreilles là, celles du rôdeur nocturne, signifient la traîtrise et l'usurpation. Cairbre Cinncait passe pour le plus grand traître de l'histoire irlandaise71 : il invite les rois à un festin puis organise une violente émeute où ils sont massacrés par la « populace » des asservis. L'usurpation de la fonction royale entraîne disette et stérilité et naissance de monstres. Le traître meurt de la peste et la prospérité revient.

    Un autre homonyme, Crumthann Niath Nair72, des Érainn de Munster, attaque Cuchulainn en traître, alors que le héros s'est caché la face afin de ne pas voir la femme qui perfidement s'expose nue pour le désarmer. Les deux traîtres finissent mal, on s'en doute...

    Crimthann mac Fidaig est un roi du Munster et haut roi (IVe siècle ap. J.-C.). Il meurt empoisonné par sa sœur Mongfhinn « Crinière blanche », veuve du haut-roi précédent et sorcière réputée73. Fondateur de la dynastie des Eóganachta, il compte plusieurs Crimthann dans sa descendance74, par ex. son arrière-petit fils un Crimthann Srem mac Echado75, roi de Munster (VIe s. ap. J.-C. ?).

    Signalons enfin ce curieux Saint Sinnach (Renard) mac Dara, saint très redouté, protecteur paradoxal des pêcheurs puisque voir un renard et prononcer son nom était pour eux de mauvais augure76 ; c'est à son église qu'on ensevelissait les enfants morts avant leur septième année77. D'autre part, dans le folklore irlandais, le renard ne se contente pas du rôle de trickster, il a quelque chose d'un médium78.

    Il convient de remarquer l'association insistante des personnages et des rois irlandais dont le nom évoque le renard (ou le chat sauvage) avec une souveraineté souvent problématique, et plus généralement des thèmes caractéristiques de la Quatrième fonction (satire, voyage dans l’Autre Monde, capacités de médium, usurpation, assassinat, poisons, émeute, traîtrise...), et d’autre part la province de Munster79.

     

    Le renard médiéval

     

    L'ambivalence maximale qui est celle de la quatrième fonction tend à la péjoration, voire à la diabolisation dans un système fondamentalement dualiste comme le christianisme médiéval. Le goupil est démoniaque, symbole du Malin, figure de l'hérétique80. Il ne jouit pas aux yeux du chasseur du prestige du loup ou du cerf. À la Renaissance, d'après le fameux traité de John Manwood, Treatise and Discourse on the Laws of the Forrest (1598) le renard ne fait pas à proprement parler partie du gibier de la Forest royale, comme le loup (en réalité disparu d'Angleterre dès le Xe s.), le sanglier, le lièvre ou le cerf et la biche, mais de la Chase, comme le chevreuil81. Pourtant une certaine forme de littérature médiévale fait du goupil son héros paradoxal, sans que ni les autres personnages ni les lecteurs puissent jamais choisir entre l'admirer ou le détester.

     

    Le Roman de Renart

     

    On a beaucoup discuté, depuis l'époque romantique, pour savoir si le Roman de Renart relevait de la création populaire, du folklore international, de l'oralité, ou bien de la tradition livresque. C'est la dernière hypothèse qui l'a pour l'essentiel emporté ; mais à vrai dire, du point de vue très général qui est le nôtre, le problème des sources et des modes de transmission est relativement secondaire. Ce qui nous intéresse, c'est la structure idéologique qui explique le jeu dynamique d'associations et d'oppositions que nous appelons matrice mythique.

    « Vaste chantier sur lequel plus de vingt auteurs plus ou moins talentueux ont travaillé pendant près d'un siècle, de 1175 à 1250 »82, le Roman de Renart a été rédigé en langue d'oil à partir du croisement de traditions diverses, orales et écrites, d'origines surtout germanique et française, de contes zoomorphiques dont la tradition remonte à la plus haute antiquité, et d'œuvres « savantes » médiévales rédigées en latin. En cette œuvre foisonnante règnent l'intertextualité, la parodie des genres nobles, la satire sociale ; œuvre mouvante et ouverte, comme un tronc d'où poussent diverses « branches ». Ce qui fait malgré tout l'unité du Roman, c'est son héros, le goupil Renart, qui incarne une version particulièrement complète de ces personnages mythiques dont nous entreprenons de décrire les constantes et les transformations, ces hors-la-loi et maîtres du chemin d’ascendance indo-européenne.

    Dans le monde de fantaisie que construisent et déconstruisent les poètes du Roman, les animaux sont à la fois ou successivement eux-mêmes et l'incarnation d'un caractère humain, ou, d'une façon qui reste souvent implicite, d'un type social. « Entre animaux, on est homme ; qu'un humain surgisse, on est bête »83. Ce carnaval des bêtes joue selon différents systèmes d'opposition. D'une façon générale, sans qu'on puisse parler d'un codage social univoque et stable, ni exclure que certaines figures historiques aient pu servir de modèle et donner leur nom à des personnages, les animaux représentent des nobles, chevaliers, barons ou prélats, mais de rangs différents, le plus souvent des prédateurs. Les humains, eux, sont presque toujours des paysans, des « vilains ». « Au fond, écrivait Jean Batany, la pluralité des espèces animales est peut-être plus précieuse comme image d'un désordre que comme image d'un ordre »84. Ce n'est pas un hasard que ce désordre, ou ce non-ordre, soit animé par la silhouette agile et la parole d'illusions de Renart.

     

    La société des bêtes

     

    Le couple principal du loup et du goupil, avec les noms de Reinardus et Ysengrimus, est apparu vers 1150 avec l'Ysengrimus, long roman burlesque, en 6574 vers élégiaques latins, dont l'auteur serait un flamand, « Magister Nivardus », ou « Balduinus Cecus » (Baudouin l'Aveugle), ou bien « Bernard ». Le loup y caricature le moine avide, voire l'abbé et l'évêque (ces mêmes personnages qui sont, dans l'Angleterre des Ballades de Robin Hood, les ennemis et les victimes du héros de la ruse et de l'habileté...) ; et Renart l'image du dominé qui triomphe par son intelligence – mais, comme il arrive souvent aux trompeurs, il est parfois berné par plus faible que lui. Bref, c'est le monde à l'envers – qui remet le monde à l'endroit85... Le monde de l'Ysengrimus est un monde carnavalesque.

    Dans le Roman de Renart, Isengrin, peu intelligent mais physiquement puissant, est le Connétable du roi. À l'époque de la rédaction, le connétable est le garde des écuries royales, charge importante, mais pas encore celle du chef des armées que sera Du Guesclin. Il a pourtant quelque chose d'un guerrier qui doit remonter assez haut – son nom (rad. is- « dureté, brillant » et -grimr « masque ») évoque « un masque de combat en fer »86. Dans son duel avec Renart (VI M, v. 861-879), il porte un écu vermeil, alors que Renart porte un écu jaune : selon un codage héritier du codage fonctionnel des couleurs indo-européennes, ce choix l'installe en deuxième fonction, et son adversaire en quatrième87. Isengrin et Brun l'Ours incarnent la Force bête et brutale – une image polémique et négative de la seconde fonction.

    Le Roi-Empereur est incarné par le lion Noble, qui tient une cour, où sa souveraineté s’exerce selon une alternance de faiblesse, de générosité et de cupidité, de noblesse et de bestialité : il cherche à préserver la paix à tout prix, mais plus par l'effet d'une paresse égoïste que par devoir, et finalement la tyrannie n’est jamais loin derrière la royauté, dont le Roman donne une image elle aussi plutôt négative.

     

    Le statut de Renart

     

    Quel est, dans cette comédie animale qui satirise la comédie humaine, le statut de Renart ? Presque toujours au centre de la narration, il a les faveurs de l'auteur, et celles du public à l'évidence, mais le narrateur, parfaitement conscient de la méchanceté de son personnage, a pour lui peu d'estime sur le plan moral.

    Ce personnage est décidément un noble, un châtelain, mais marginal88 et dévalorisé. Il vit, avec sa famille, à l'écart, en son terrier-château de Maupertuis, au nom significatif « trou, passage mauvais » – et son fils aîné s'appelle Malebranche. Il est, bien évidemment, lié au monde de la nature et de la forêt, mais toujours à la périphérie du monde cultivé, où se trouve l'essentiel de sa nourriture. Et, comme Robin Hood, on le trouve souvent au pied d'un arbre (XIII Martin, v. 239, 1131 etc.). Comme beaucoup des tricksters indo-européens, c’est un être petit – comme Hermēs voleur, comme Ulysse (Od., IX, v. 513-517), comme Loki – et plutôt chétif (grelles et menus : II Martin = IX Strubel, v. 1054), mais vif et rapide. Sa couleur rousse signale sa fausseté89 ; il souffre régulièrement de la faim : attiré par les proies appétissantes et – en principe – faciles que constituent les animaux domestiques, c'est un rôdeur des broussailles, des haies (un de ses fils s'appelle Percehaie), des sentiers et des chemins de la périphérie.

    Sa pratique est merveilleusement évoquée au début de l’aventure des anguilles (III Martin = X Strubel ; v. 15-23) :

    « Son trajet finit par le mener à un chemin, dans lequel il s’engage. Voilà Renart qui s’accroupit au milieu du chemin : il tend son cou frénétiquement dans toutes les directions, ne sachant où trouver de quoi se nourrir ; la faim lui fait une guerre cruelle. [...] Il se couche alors à côté d’une haie : il attendra là ce que le hasard lui réserve (Iluec atendra aventure)... »

    Ces lignes font un curieux écho aux évocations de Robin Hood et de ses compagnons, installés au bord de la grand route pour guetter leurs futures victimes.

    Dans la langue du Roman, la ruse du goupil s’appelle enging, art90, barat, guile. Cette ruse, qui doit son nom au vocabulaire de la vènerie, « fait partie d’une méthode de chasse : furtivité, préférence pour les détours et les fourrés, reptation sournoise »91 ; elle constitue à la fois le principe du Roman, et la composante essentielle de ce personnage de maître des Chemins qu'est Renart. Anna Lomazzi a montré que la ruse, l'engin de Renart, a la même valeur que l'arc dans la société médiévale, arme interdite au chevalier des Chansons de geste ou des romans courtois, mais qui peut retrouver une valeur positive, comme l'arc-qui-ne-faut de Tristan92.

    Comme les hors-la-loi de la tradition, Renart l'« universel trompeur » (qui le secle engine) sait épier l'adversaire ou la victime (XVI M, 919-924). Comme ses frères les outlaws, alors qu'il est partout recherché, il joue du déguisement, de la teinture – en jaune (Ib M), d'ailleurs accidentelle, mais bien utile (2114-2116) :

    « jaunez en sui et reluisant

    Ja ne serai coneüz

    En leu ou j'ai esté veüz... »

    « me voilà devenu jaune vif.

    Jamais on ne me reconnaîtra

    dans aucun lieu où l'on m'a déjà vu... » (trad. Dufournet - Méline)

    Michel Pastoureau93 a montré que le jaune est par excellence la couleur du déguisement et de la fausseté. Lors de son duel contre Isengrin, qui porte, lui, le vermeil et le rouge de la seconde fonction, Renart se trouve un écu « tot gaunes » (VI M, v. 861-879). Le jaune, dont le roux est la forme « superlative », est l'un des héritiers de cette couleur « chlore » que les plus anciens Indo-européens associaient volontiers à la quatrième fonction94. Ailleurs, dans une branche plus tardive où le caractère du personnage devient plus inquiétant encore, il se teint en noir (XIII M), couleur sinistre et diabolique.

    Il use aussi du pseudonyme, se faisant passer pour Galopin le jongleur (Ib M)95 – un nom, on le notera, de coursier, de messager. Une de ses ruses consiste en effet à se déguiser en un jongleur venu de terres étrangères et parlant un savoureux « franglais »96, ce qui nous renvoie avec une précision troublante aux exploits de certains de ces hors-la-loi médiévaux, Fouque, Eustache ou Johan de Rompaigne, tous des Maîtres du chemin marginaux et rusés dont nous reprendrons ailleurs une étude approfondie. Selon la branche XXIII, v. 1321-1326, il a appris la magie à Tolède, comme Eustache, et c'était un disciple « très sérieux et intelligent (Molt fut sages et entendanz) », qui « les oreilles toutes droites, écoute, réfléchit profondément »... Il a appris la musique en quinze jours (Ib M v. 2751-2753).

    Il sait la médecine (X M, v. 1291-1307) et guérit le lion grâce aux drogues prétendument ramenées de chez les Sarrasins. Les personnages « aryamaniques » et les représentants de la quatrième fonction plus généralement, semblent avoir possédé leur médecine, comme ceux des trois premières fonctions : prières et formules (F 1), chirurgie (F 2), herbes (F 3) ; certaines pratiques du poison, du rite magique, voire de la sorcellerie, leur reviennent : ainsi dans l'Odyssée (X, 302-306), c'est le dieu Hermès qui donne à Ulysse le fameux pharmakon au nom énigmatique molu, antidote aux philtres de la sorcière Circé.

     

    Renart et la souveraineté

     

    Renart est d'autre part un auxiliaire de souveraineté – en principe et de par son nom Reginhart « conseiller »97, étymologie dont le poète semble conscient, comme si la tradition l'avait maintenue depuis l'époque franque – où du reste ce nom était fréquent98 : « J’ai trompé maint homme sensé et filouté maint sage, et j’ai aussi donné maint bon conseil : il est bien juste que l’on m’appelle Renart (Par mon droit non ai non Renart) » (Branche IX Martin = XII Strubel ; v. 556-560). Bien entendu, ses conseils sont à prendre avec des pincettes. En fait il constitue une menace bien réelle pour le souverain, jusqu’à devenir, nous allons le voir, un véritable usurpateur99.

    Mais, comme dans le cas d’Hermēs ou d'Ulysse, au Moyen-âge comme dans l'Antiquité, pour une grande part la ruse du goupil est un art de la parole, de la parole-action, de la séduction et du mensonge. « Renart, écrit A. Strubel, incarne les aspects les plus fascinants et les plus inquiétants de cette puissance irrésistible du langage »100.

    Renart le goupil tient dans cette cour une place particulière ; à la fois périphérique et parfois proche conseiller du Roi, ce personnage hors-norme, à la fois odieux et attirant, sort de sa tanière-château pour trouver de la nourriture, pour lui-même et sa famille souvent famélique. Mais il profite des occasions pour une aventure sexuelle avec la louve ou la lionne : comme Ésope, il est très porté sur le plaisir amoureux, mais sous des formes illégitimes, voire violentes101 ; il s'intéresse tout particulièrement aux grandes dames, qui ne sont pas toujours insensibles aux charmes de cet aventurier, et de ce point de vue il ressemble fort à Robin Hood.

    Surtout il ne se prive jamais du plaisir de nuire, y compris à son souverain. Selon le récit de la Branche Ia Martin (Ib Strubel), il profite d’une sortie nocturne pour violer la lionne Fière pendant son sommeil, alors même que l’armée royale fait le siège de son château de Maupertuis. Et plus tard, grimpé sur un chêne pour échapper au lynchage, il frappe le Roi d’une pierre sur la tempe et s’enfuit en profitant de la panique. Souvent il est poursuivi et court le risque d’être lynché et pendu.

    La branche XI Martin (XVI Strubel), souvent négligée, est, dans notre perspective, plus intéressante encore. On y voit les païens, conduit par le Chameau, attaquer le royaume. Noble part en expédition pour les combattre aux frontières, et charge Renart d’assurer l’intérim. Bien entendu, le méchant rouquin organise aussitôt l’usurpation, fait croire que le Roi a été tué, se fait nommer Empereur et épouse la Reine, qui de toute façon a un faible pour lui : nous retrouvons là, grossièrement chargé, le lien proche de la complicité qui unit Robin Hood à la reine ou à l'épouse de shériff. Le souverain de retour n’apprécie guère et met le siège devant son propre palais. Renart prépare une sortie nocturne pour tuer le Roi. L’entreprise échoue de justesse, et Renart est capturé. Au moment de payer ses crimes, le goupil rappelle au souverain les services qu’il lui a rendus :

    « Je suis coupable envers vous, je le sais bien ; mais si vous me pardonnez aujourd’hui, je serai bien récompensé pour le service que je vous ai rendu en vous guérissant de la fièvre, lorsque pour vous je suis allé à Palerme, dans le pays de Rome et à Salerne ; pour vous j’ai même franchi la mer et j’ai même séjourné très longtemps chez les Sarrasins pour chercher un remède afin de vous guérir. Récompensez-moi de tout cela102... »

    La Souveraineté, pour exercer efficacement le pouvoir, a toujours besoin de la ruse. La Première fonction ne peut se passer durablement de cette arme décisive. Elle ne peut se permettre un conflit définitif avec le Maître rusé des chemins et de leurs détours ; impossible d'éliminer cet auxiliaire déloyal, mais indispensable, et toujours si charmant...

    Et le Lion fait grâce au goupil103...

     

     

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    1C'est pourquoi les études très générales (comme Uther, 2006, à qui j'emprunte néanmoins le concept de fictional animal) se révèlent décevantes. L'ouvrage très ancien d'A. Gubernatis sur la mythologie animale, cité dans la trad. anglaise de 1872, et disponible sur Internet (Archive.org), s'intéresse surtout aux textes sanskrits et aux légendes russes.

     

    2Sauzeau et Sauzeau, 2012.

     

    3Sauzeau, 2011, où sont très rapidement esquissés, p. 263-264, les thèmes de cet article. Sur l'imaginaire des forêts et des routes, voir Miller, 2011.

     

    4Le gaulois louernos, dont on retrouve la trace dans les langues celtiques (v. irl. NP Loarn, v. gall. Louern, breton louarn etc.) explique le nom propre du roi arverne Louernios ; cf. Delamarre, 2003, p. 208 (et infra, p. 15).

     

    5Le nom des animaux nuisibles et dangereux est instable, de règle générale ; ainsi un des noms du renard en grec se présente sous de nombreuses formes : κίδαφος, κιδάφη, κινδάφη, σκιδαφή, σκινδαφός (Cf. Chantraine DÉLG, s. v. κίδαφος). Ces mêmes animaux reçoivent souvent, par l'effet du « tabou linguistique » (cf. par ex. Meillet, 1921, p. 281 et sq.), des « surnoms » descriptifs qui permettent, à un moment donné de l'histoire de la langue, d'éviter de prononcer le « vrai » nom de la bête (c'est-à-dire le nom hérité, lui-même souvent affecté par le phénomène). Ainsi l'ours (*h2ṛtḱos, lat. ursus etc.) devient en germanique *beron « le brun », en slave *medujed le « mangeur de miel », etc. Pour le renard, les mots anglais fox et allemand fuchs dérivent du germanique *puḱso « qui a une (belle) queue » dérivé de i.-e *puḱ- « queue ». L'irlandais loisinánn « au bout (de la queue) blanc » évoque le détail caractéristique de cette queue remarquable. Le mot irlandais plus courant sinnach, de sinn « se moquer », pourrait bien signifier « le moqueur » (Vendryes, LEIA, vol. S, 1974, p. 114). Cf. sindad « fait de railler, de satiriser, d'injurier » : la satire est clairement une activité poétique relevant de F 4. Rien ne recommande le rapprochement de sinnach avec σκινδαφός. Voir infra p. 15 pour l'irlandais crimthann et p. 4 pour le grec Κερδώ.

     

    6Bader, 1995. Cf. Adrados, 1985. Schriver, 1998.

     

    7Le renard de Teumessos est l'image fantastique de ce prédateur ; nous ne pouvons l'étudier ici, ni la dimension solaire du renard  ; cf. Sergent, 1999, p. 27 et sq.

     

    8Detienne et Vernant, 1974, p. 43.

     

    9Sauzeau et Sauzeau, 2012, p. 152 et sq.

     

    10Dumézil, 1986. Detienne et Vernant, 1974.

     

    11Sauzeau et Sauzeau, 2012, p. 296 et sq. à propos d'Hermès.

     

    12Corbel-Morana, 2012, p. 95, avec les références.

     

    13Aristophane, Cav., 1068 ; Lucien, Hermotimos, 84, etc. La fable d'Ésope (192 Chambry) raconte comment un lièvre apprend, pour son malheur, pourquoi le renard s'appelle Κερδώ. Chantraine P., DELG, s.u. D'autres dérivés sont des épithètes associées à des divinités : Κερδέων à Hermès (Hérondas, VII, 74), Κερδείη à Peithō, Κερδῶος à Apollon. Oppien (Hal. II, 107-118) a décrit la fameuse pratique du renard « à la ruse tordue » (ἀγκυλόμητις κερδώ), qui fait le mort pour attraper les oiseaux. Sur le renard comme modèle de tromperie en Grèce, Taillardat, 1965, p. 227-228 ; Detienne et Vernant, 1974, p. 41 et sq.

     

    14J'emprunte cette définition du sens à Roisman, 1990, qui étudie le comparatif κέρδιον et signale la connotation souvent péjorative des mots de la famille.

     

    15Voir par ex. Corbel-Morana, 2012, p. 94 et sq.

     

    16Thite in Fable 1984, p. 50 et sq.

     

    17Nøjgaard, in Fable 1984, p. 225-251.

     

    18Il y incarne l'intelligence rusée, bien entendu, mais, par l'effet d'une dialectique propre au genre, mais qui renvoie peut-être au type général du trickster, certaines fables lui donnent le mauvais rôle, y compris celui du sot, du trompé.

     

    19En fait, le védique lopāśa désigne le chacal, le renard et les animaux comparables. Sur le chacal des fables indiennes, cf. Thite, in Fable 1984, p. 45.

     

    20Renou, 1965.

     

    21Sur le rapport entre rites de passage et F 4, cf. Sauzeau, 2010.

     

    22Renou, 1965, p. 17.

     

    23À l'évidence, le fait que le genre lui-même, du moins sa tradition écrite, ait ses racines dans la culture sumérienne et le monde sémitique du Proche- et du Moyen-Orient, n'empêche en rien qu'il se soit développé dans le cadre des cultures indo-européennes ni qu'il ait trouvé sa place dans leur structure idéologique, bien avant d'y être fixé par l'écriture.

     

    24Nagy, 1979.

     

    25Rothwell, 1995, p. 236 ; García Gual, 1970.

     

    26Lasserre F., in Fable 1984, p. 61 et sq.

     

    27Arendt, 1982.

     

    28Rome, Vatican, 16552 ; Beazley, 19632, 916. Vers 450 av. J.-C.

     

    29Sur la Vie d'Ésope, cf. Adrados, 1979, qui montre que les emprunts à la Vie d'Ahikar ont été fondus dans un récit grec ; Holzberg, 2002, p. 72 et sq. ; Compton, 2006.

     

    30Sur la laideur, Sauzeau et Sauzeau, 2012, p. 33, 284 ; Compton, 2006, p. 61-62, 122 etc. Le nom d'Eschyle (Aiskhulos) signifie « Petit moche ». Sur le statut servile, cf. Sauzeau et Sauzeau, 2012, p. 190-193 ; sur le statut d'étranger, p. 43, 53, 337 ; sur le poète et bouc émissaire, p. 244 ; Compton, 2006, passim. Il faut ajouter que la beauté peut caractériser des personnages relevant nettement de la quatrième fonction, soit parce qu'elle permet la séduction trompeuse, soit parce qu'elle évoque la fleur de la jeunesse et les rites de passage (Apollon).

     

    31Compton, 2006, p. 154.

     

    32Compton, 2006, p. 159.

     

    33Sur le lien entre fable et servitude, cf. Rothwell, 1995, p. 234.

     

    34Adrados 1979, p. 95. Cf. Sauzeau et Sauzeau, 2012, p. 280-283.

     

    35Le renard est hypersexué, mais dans les deux genres. Sa féminité se retrouve en anglais moderne, où foxy se dit d'une fille sexy ; on le voit, dans un conte russe, devenir l'épouse du chat (Gubernatis, 1872, p. 133). Sa queue devient aisément un symbole phallique, et, nous le verrons plus loin, le héros du Roman de Renart, marié, viole ou séduit la Louve et même la Lionne.

     

    36Compton, 2006, p. 29.

     

    37Compton, 2006, passim.

     

    38À la suite de notre article sur la Quatrième fonction (Sauzeau et Sauzeau, 2004), Pierre Vidal-Naquet m'a confié qu'il avait eu bien des années auparavant, dans le contexte du Chasseur Noir, l'intuition d'un nécessaire complément au modèle dumézilien.

     

    39Lorimer, 1950, p. 245 : « The derivation from κύων is in the highest degree improbable. Why so improbable a material should be used by a people who normally employed ox-hide for such purposes remains unexplained ».

     

    40Gernet, 1968, p. 154-171.

     

    41Sur ce type de casques et leur signification, cf. Sauzeau P. in Sauzeau et Van Compernolle éds., 2007, p. 25 et sq.

     

    42Richer, 2007, p. 98.

     

    43Sergent, 1977-1978. L'auteur s'appuie essentiellement sur le symbolisme des trois animaux (crapaud, serpent, renard), sans tenir compte du commentaire.

     

    44La tradition épique conserve peut-être des traces de cette position fonctionnelle de la Laconie (Ménélas le Riche par excellence, importance d'Hélène etc.).

     

    45Sergent, 1986.

     

    46La Messénie en F 3 contredit l'analyse de l'article de 1977-1978, où elle figurait en F 2. Mais l'analyse qui place la Messénie en F 3 pose un autre problème, car elle s'appuie sur l'ouvrage des Rees qui montre tout autre chose. Sergent écrit (Sergent, 1986, p. 31-32) : « Aldwyn et Brinley Rees ont montré que les quatre provinces traditionnelles de l'Irlande symbolisaient, autour de la province centrale, les trois fonctions indo-européennes. Celle qui se trouve au sud-ouest de l'île, le Mumu (Munster), représente la troisième fonction ».En fait les Rees assignent le Munster à la quatrième fonction, et non à la troisième ! (cf. Rees et Rees, 1961, ch. V, 118-139 ; spécialement p. 133-139). C’est le Leinster qui est F 3, avec comme connexion majeure la prospérité (sans les morts).

     

    47Nous envisagerons ailleurs l'hypothèse d’une interférence entre deux mytho-géographies : l'une remonterait à l’époque mycénienne, couvrant probablement la Grèce entière où la Laconie est F 3 et la Messénie F 4 ; et une autre restreinte au Péloponnèse, relevant d’une tradition proprement dorienne.

     

    48Figueira, 1999, p. 27 ; Ogden, 2004, p. 46.

     

    49Deshours, 2006, Ogden, 2004.

     

    50Ogden, 2004, p. 46-50.

     

    51Sur ce thème dans le folklore, cf. Uther, 2006, p. 150.

     

    52Sauzeau, 2003 ; Ogden, 2004, p. 118.

     

    53Vincent, 2007.

     

    54Ogden, 2004, p. 50-54.

     

    55La fiction contemporaine continue la tradition du renard incarnant le personnage du « guerrier », justicier nocturne et rusé : en 1919 Johnston Mc Culley crée le personnage de Zorro, c'est-à-dire « le Renard » ; les scénaristes de Walt Disney n'ont pas manqué de faire de Robin des Bois un renard.

     

    56Dans la réalité, le renard roux occupe bien un terrier de plusieurs « pièces », long de 5 à 15 m., avec un poste d'observation à l'entrée et une ou plusieurs sorties de secours ; ce terrier est généralement emprunté, souvent au blaireau. Il n'utilise cet abri que de façon exceptionnelle ; c'est là que la femelle met bas et élève ses petits. Sur le renard fouisseur creusant son terrier, cf. la fable de Phèdre, « Le renard et le serpent » (IV, 21).

     

    57Dumézil, 1986, p. 42. Sur la maison souterraine du « Loki » ossète, Syrdon, cf. ibidem, p. 148, n. 2 et 158, n. 2. Un des « renards » royaux du Munster, Crimthann mac Fidaig, serait le constructeur d'une forteresse mythique, Dún Crimthainn, nommée aussi Din Tradui, et bâtie en Grande-Bretagne sur la rivière Dee (ODCM, s.u. Crimthann Mór mac Fidaig).

     

    58Cf. supra, note 000.

     

    59Poux, 2003. On trouve commodément les rapports de fouille sur Internet :
    www.luern.fr/

     

    60Boekhoorn, 2008 ne consacre que quelques lignes au renard irlandais (p. 340) ; il a trouvé à dire bien davantage du chat, p. 341-343.

     

    61Ó hÓgáin, 2006, p. 496.

     

    62MacCana, 1975.

     

    63Sur les Fenians et leur rapport à la Quatrième fonction, cf. Sauzeau et Sauzeau, 2012, p. 159-162.

     

    64C'est aussi le nom de Saint Colomba, avant de devenir Colomkille « la Colombe du Ciel ».

     

    65Keating G., Forus Feasa ar Éirinn I, 30 ; Lebor Gebála Érenn, V, éd. Macalister p. 289-291.

     

    66Ou « Champion de Nár » ? cf. Carey, 2005.

     

    67Annales des quatre maîtres, âge du Christ 9 ; Lebor Gebála Érenn, V, éd. Macalister p. 303-305. Keating G., Forus Feasa ar Éirinn, I, 38. cf. Rees et Rees, 1961, p. 234.

     

    68Boekhoorn, 2008, p. 341.

     

    69Keating G., Forus Feasa ar Éirinn, I, 38.

     

    70Milin, 1991.

     

    71Coir Anman, p. 384 § 241 Stokes et Windish, 1897. Cf. Milin, 1991, p. 158-163.

     

    72Mesca Ulad, in Lebor na hUidne, 1527-1543. Sur ce nom, son rapport avec le héros fils de Lugaid, et la signification de cet épisode, cf. Carey, 2005, p. 120.

     

    73Annales des quatre maîtres, âge du Christ 378 ; La mort violente de Crimthann mac Fidaig (Aided Chrimthaind Maic Fhidaig), Revue Celtique XXIV, 1903. Sterckx, 2009.

     

    74Voir par ex. les généalogies du Book of Munster (1703).

     

    75Annales de Tigernach, AT 522, 3.

     

    76D'après Westropp, 1923, le fait de voir une femme rousse, un renard ou un chat est de mauvais augure pour l'Irlandais qui va à la pêche.

     

    77Westropp, 1912, p. 210.

     

    78D'après Ó hÓgáin, 2006, ibid., le renard était considéré comme pouvant prédire les événements, y compris les changements de temps, et son aboiement annonçait la pluie. Dans quelques cas, un groupe de renards était censé s'assembler près d'une maison pour entonner en chœur des aboiements comme signe de la mort prochaine d'un membre de la maisonnée. Sur le rapport du médium avec F 4, cf. Sauzeau et Sauzeau, 2012, p. 229 et sq.

     

    79Je remercie Guillaume Oudaer pour m'avoir mis sur la piste du renard celtique et donné de précieuses indications bibliographiques.

     

    80Uther, 2006, p. 139.

     

    81Une Chase, si elle ne fait pas partie d'une Forest, ne relève pas de l'autorité royale et n'est pas protégée de la même façon par la Forest Law.

     

    82Dufournet, 2007, p. 55.

     

    83Dufournet, 2007, p. 130.

     

    84Batany, 1989, p. 186.

     

    85Mann, 1988, p. 21, 25.

     

    86Schramm, 1957, p. 77 ; Bonafin, 2006, p. 227. Sur le rôle de connétable, cf. Devard, 2010, p. 177.

     

    87Comme nous verrons infra.

     

    88Y compris au sens propre, son image étant rejetée dans les marges du manuscrit... Barre, 2007.

     

    89Par ex. Branche III Strubel, v. 477.

     

    90Guenova, 2003, p. 120, 149.

     

    91Roman de Renart, Strubel A. éd., 1998, p. XXXI.

     

    92Lomazzi, 1980.

     

    93Pastoureau, 1997, p. 28.

     

    94Sauzeau et Sauzeau, 2010 ; Sauzeau et Sauzeau, 2012, p. 75-130.

     

    95Dufournet, 2007, p. 125.

     

    96Batany, 1989, p. 230, écrit à ce propos : « comme dans l'Odyssée, le masque d'exclu d'un jongleur permet au héros de mener à bien sa vengeance. »

     

    97Le nom de Renart est issu de Reginhart < *ragina, « conseil, jugement » cf. *reĝ-, + hard, « brave, courageux » (étymologie déjà proposée par Jacob Grimm). L’idée de conseil s’exprime par la même racine dont est issu, dans plusieurs autres domaines linguistiques, le nom même du roi (lat. rex, skt. raja- etc.)

     

    98Bonafin, 2006, p. 227.

     

    99Guenova, 2003, p. 109.

     

    100Roman de Renart, Strubel A. éd., 1998, p. XXXV.

     

    101Cf. Sauzeau et Sauzeau, 2012, p. 169 et sq. La note sexuelle du renard est pour les Anglais sensible au niveau du langage populaire, mais associée au genre féminin (foxy étant proche de sexy).

     

    102« Renart empereur », trad. R. Bellon, in Roman de Renart, Strubel A. éd., 1998, p. 644.

     

    103Je remercie une fois de plus mon frère André pour ses critiques et ses suggestions.

     

  • (Review) Roger D. Woodard – Myth, Ritual and the Warrior in Roman and Indo-European Antiquity

    myth-ritual-and-the-warrior-in-roman-and-indo-european-antiquity.jpgRoger D. Woodard, Myth, Ritual, and the Warrior in Roman and Indo-European Antiquity, 2013, Cambridge University Press.

     

    Avec Myth, Ritual, and the Warrior in Roman and Indo-European Antiquity, Roger Woodard aborde à nouveau la thématique spatio-calendaire de son précédent ouvrage, Indo-European Sacred Space Cult dans lequel il mettait en parallèle la topographie sacrée de Rome et ses rituels associés avec ceux de l'espace sacrificiel védique.

    R. Woodard part des correspondances existant entre la fête des Poplifugia (5 juillet), censée commémorer la fuite du peuple romain devant ses ennemis, et celle des Nones Caprotinae (7 juillet), qui célèbre la victoire de Rome sur une armée assiégeant cette ville, au moyen du stratagème d'une esclave. Cette dernière fête étant liée aux Parilia (21 avril), avec laquelle elle partage un lien avec la fertilité et la sexualité. Dans son analyse du rapport entre les deux premières fêtes, notre auteur remarque qu'elles sont liés à une crise guerrière. Or, il observe que les dates du 5 et du 7 juillet sont également données comme étant celles de la disparition soudaine de Romulus, elle aussi accompagnée d'une fuite du peuple romain qui peut, là encore, être rapprochée d'une crise guerrière. Woodard examine également la version de cette événement qui ne fait pas de la disparition de Romulus un événement surnaturel, mais un assassinat, et qui a également des affinités guerrières. Il explore les variantes existant dans les mouvements des Romains en fuite lors du Poplifugium et il en extrait des variantes rituelles. Celles-ci lui permettent de rapprocher le complexe formé par les Poplifugia et les Nones Caprotinae de la tradition mythique indo-européenne que Woodard avait commencé à explorer dans son précédent ouvrage : soit le franchissement des limites de la société par un guerrier vers un lieu où il est psychologiquement affecté, soit son retour dans la société depuis un tel lieu et dans le même état de dérangement mental. Dans les deux cas, ce traumatisme psychologique suit un triomphe militaire de ce guerrier. Notre auteur compare donc les faits romains à ceux des traditions irlandaises, indo-iraniennes et grecques. Il en tire plusieurs éléments caractéristique du complexe des Poplifugia et des Nones Caprotinae : les mouvements caractéristiques de la crise guerrière sont marqués par le franchissement d'une limite qui, à Rome, est celle du Pomerium ; le rôle nécessaire de la nudité d'une figure féminine érotique, d'une femme clairvoyante, des eaux dans la réintégration du guerrier dans la société ou dans la destruction de la menace guerrière qu'elle fait peser sur la communauté. Cette masse du peuple qui réintègre ou élimine la ou les figure(s) guerrières menaçantes démontre ici la force de la troisième fonction, celle de la fertilité et de la fécondité, sur la seconde, celle de la guerre. De ces comparaisons, Woodard en conclut que les rituels et les mythes qu'il a explorés, en partant des faits calendaires romains trouvent leur source dans des pratiques rituelles proto-indo-européennes visant à réintégrer le guerrier traumatisé par son expérience guerrière dans la société à laquelle il appartient.

    Cette dernière théorie de l'auteur nous semble tout à fait crédible et elle lui permet de décoder parfaitement le rapport mystérieux existant entre les Poplifugia et les Nones Caprotinae. De la même manière, l'analyse comparable du motif de la crise du guerrier dans les autres traditions indo-européennes nous semble parfaitement valable. Cependant, nous ferons deux remarques.

    Premièrement, Woodard signale que, contrairement, aux vues de Dumézil dans son Heurts et Malheurs du Guerrier, ce qui arrive à l'irlandais Cú Chulainn, au romain Horace ou aux védiques Indra et Trita ne peut être perçu comme un mythe initiatique. Il est vrai qu'à la lecture du présent ouvrage, le motif de la crise du guerrier s'impose dans ces récits, mais ne peut-il cohabiter avec un motif initiatique ? En effet, les traditions initiatiques se signalent par une mort et une renaissance symboliques, ce qui est également le cas ici dans le motif de la crise du guerrier. Prenons le cas de Cú Chulainn. Certes, il s'agit d'un guerrier qui est réintégré à la société après une expédition guerrière traumatique, mais il s'agit de sa première expédition guerrière, de celle qui va l'initier pleinement comme un guerrier de sa communauté. Il semble donc que les motifs de l'initiation guerrière et de la réintégration du guerrier à la société peuvent très bien se superposer dans ces mythes et, éventuellement, dans les rituels auxquels ils étaient liés, en tout cas en ce qui concerne l'Irlande.

    Deuxièmement, certains éléments de ce motif de la crise guerrière et leurs expressions mythico-guerrières devraient être réexaminés à la lumière du mythème de la « colère de la déesse », mais également à celle de la quatrième fonction. En effet, le dénudement érotique féminin, la liminarité et les caprins sont liés à la fois à ce mythème et à ce prolongement de la trifonctionnalité dumézilienne.

    Il n'en reste pas moins que ce livre est d'un grand intérêt pour les spécialistes de la religion romaine, mais également pour tous ceux qui s'intéressent au comparatisme mythologique et à l'ethnohistoire indo-européenne.

     

    Guillaume Oudaer