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  • Claude Sterckx - L'enlèvement d'Europe par Zeus: un rājasūya grec?

     

    L'enlèvement d'Europe par Zeus : un rājasūya grec ?

     

    Claude Sterckx

     

    Institut des Hautes études de Belgique

    claudesterckx@hotmail.com

     

    Abstract: Just like the Indian ritualism proposed two rituals accession to sovereignty based one on horse (Asvamedha) and the other on cattle (Rajasuya), it seems that many Indo-European traditions have preserved this distinction in myths: for example in the Greek tradition the Trojan myth and the legend of Europe.

    Keywords: Greek mythology, Indo-European comparatism, Asvamedha and Rajasuya, rites of royal accession, Celtic myths.

    Résumé: Tout comme le ritualisme indien proposait deux rituels d'accession à la souveraineté, basés l'un sur les chevaux (aśvamedha) et l'autre sur les bovidés (rājasūya), il semble que plusieurs traditions indo-européennes ont préservé cette distinction sous formes de mythes : le mythe troyen et la légende d'Europe par exemple dans la tradition grecque.

    Mots clés : mythologie grecque, comparatisme indo-européen, aśvamedha et rājasūya, rites d'accession royale, mythes celtes.

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    Cité par / quoted by:

    John McDonald, « The oath of Tyndareus and the nuptials of Nahid: equine elements of marriage by choice in Greek and Persian epic tradition », in Hollyfest.org, Festschrift in honor of Olga (Holly) Davidson on the occasion of her sixty-sixth birthday, 2018, http://www.thehollyfest.org

    John Waddell, Myth and Materiality,2018, Oxbow Insights in Archaeology.

     

    Depuis les travaux de Georges Dumézil et de ses émules1, il est généralement admis que, tout comme les langues indo-européennes dérivent d’un fonds commun, les différentes cultures indo-européennes laissent voir qu’elles partageaient aussi un héritage conceptuel commun et qu’elles ont conservé, surtout avant leurs conversions au christianisme ou à l’islam, des structures idéologiques communes sous des habits parfois très disparates et, parmi les expressions qui en ont été le mieux étudiées, on compte les formes du sacrifice ainsi que les mythes par lesquels on les justifiait2.

     

    Parmi ces formes, l’une des plus remarquables est celle dont le paradigme reconnu est le rituel de l’aśvamedha indien3.

    Il s’agissait là de l’une des plus hautes manifestations de la sacralité royale, posant un souverain en roi universel tant dans le temps – l’année d’errance de l’étalon valant microcosme temporel – que dans l’espace – la course « solaire » de l’étalon valant microcosme spatial –, et assurant la légitimité et le succès de son règne.

    Après la sélection, par une course de quadriges, du meilleur étalon du royaume et divers rites le sanctifiant – dont le sacrifice d’un chien –, cet animal était laissé libre de vagabonder à sa guise pendant toute une année tandis que cent jeunes guerriers devaient assurer sa protection : jusqu’à soumettre militairement les territoires étrangers qu’il abordait. Au terme de cette errance, assimilée à la course annuelle du Soleil, l’étalon était ramené, mis en rut par des juments, attelé à un quadrige doré, baigné et oint de beurre clarifié : sur l’avant-train par le première épouse du roi, sur le tronc et l’arrière-train par deux épouses secondaires4. Il était alors attaché au poteau sacrificiel avec un certain nombre d’autres animaux. Après la mise à mort des bêtes domestiques et la libération des sauvages, l’étalon était à son tour tué par suffocation. Tandis que les épouses secondaires tournaient autour de sa dépouille en échangeant des obscénités avec les prêtres officiants, la première épouse devait simuler un coït avec l’étalon mort en mettant le membre de la bête au contact de sa vulve, puis, avec les autres épouses, elle indiquait au moyen d’épingles en or, argent et cuivre, les lignes de découpe du cadavre. Les morceaux étaient enfin mis à rôtir pour être offerts à diverses divinités, tandis que vingt-quatre vaches stériles étaient immolées pour le banquet final.

    La preuve que cet aśvamedha indien n’était que la forme locale5 et inversée6 d’un rituel hérité par la plupart des anciennes cultures indo-européennes s’est trouvée dans la mise au jour de parallèles plus ou moins nets dans la plupart d’entre elles.

    Sans entrer dans le détail de chaque dossier, il a été relevé qu’en Perse achéménide, l’élection du nouveau roi et sa légitimation étaient confiées a une jument blanche et l’élément sexuel du rite se laisse encore facilement deviner à travers le récit rationnalisant qu’en a transmis Hérodote7.

    Selon le même, les Massagètes, entre Aral et Caspienne, sacrifiaient et mangeaient des chevaux en l’honneur de leur dieu souverain8.

    Les Hittites vénéraient une divinité hippomorphe Pirwa dont le nom est directement rattaché à la terre et leur droit, s’il punit sévèrement les cas de bestialité, exempte remarquablement de toute poursuite la copulation avec une jument9.

    Le légendaire arménien présente la conception du méchant roi Mesramélik comme le fruit d’une imprégnation des juments du Missir par l’étalon de leur roi Mehèr Ier10.

    Les Romains sacrifiaient le « cheval d’octobre » en un rituel touchant directement leur « roi des sacrifices », héritier républicain des fonctions religieuses des souverains primitifs, en un rituel comportant la sélection d’un étalon par une course de biges, sa mise à mort, son démembrement et la livraison de sa queue à la résidence de ce roi11.

    Directement comparable, le rituel scandinave de fécondité vǫlsatháttr donnait similairement le rôle principal à un pénis d’étalon12.

    C’est toutefois le monde celte qui offre les parallèles les plus évidents. Une suite ininterrompue de documents, depuis la fin du cinquième siècle avant notre ère jusqu’aux temps celto-romains, assure la présence dans la mythologie d’une hiérogamie, tantôt sous forme humaine, tantôt sous forme équine, entre le dieu souverain et sa parèdre13 . Au temps celto-romains, celle-ci apparaît sous le nom d’Epona Regina “la Divine Equine Reine”, née elle-même d’un coït bestial

    « Haïssant les femmes, Fulvius Stellus s’accoupla avec une jument. Le temps venu, cette dernière mis bas une fillette très belle qui reçut le nom d’Epona14. »

     

    Tous les détails de son iconographie – sa position en amazone15 sur une jument au pas, le nouveau-né ou le chiot dans son giron, le poulain qu’elle nourrit tantôt sous forme humaine tantôt sous forme de jument, etc. – correspondent étroitement aux mésaventures prêtées à une héroïne du légendaire gallois, Rhiannon « la Divine Reine », que son nom même signale comme son héritière directe : pour épouser le roi, elle apparaît sur une jument blanche toujours au pas ; son fils nouveau-né est mystérieusement enlevé la nuit même de sa naissance et remplacé par un chiot égorgé pour la faire accuser d’avoir elle-même dévoré son fils ; elle est condamnée pour cela à tenir le rôle d’une jument ; cette mésaventure est doublée simultanément par le poulinage d’une jument merveilleuse dont le poulain est pareillement enlevé ; le fils de Rhiannon et le poulain de la jument sont retrouvés ensemble ; etc.16 Et la vénérabilité pancelte de ce mythème est assurée par des parallèles évidents attestés de la Galatie17 à l’Armorique ancienne18.

    Surtout, au grand avantage de notre propos, c’est dans l’Irlande médiévale que le rite de l’hiérogamie royale hippomorphe s’est le plus exactement conservé. A la date étonnamment haute de 1185, un témoin oculaire, l’archidiacre Giraud de Barri, relate comme suit la sacré d’un roi irlandais du Tirconnell :

    « On amène devant toute la population assemblée une jument blanche et le roi... s’unit alors, bestialement et sans pudeur, devant tous à l’animal. La jument est ensuite tuée et dépecée et sa chair est bouillie dans de l’eau et ce bouillon sert alors de bain au roi. Tout en sa baignant, celui-ci mange les morceaux de viande qu’on lui présente et l’assistance à l’entour mange les autres19. Toujours dans le bouillon, le roi boit sans se servir d’un récipient ni de ses mains mais en lapant avec sa bouche. Quand ce rite impie est accompli, le sacre est achevé et le roi voit son règne et son autorité reconnus20. »

     

    Le témoignage de Giraud de Barri n’est pas isolé. Il a été relevé en effet que le roi est parfois comparé à un étalon dans la vieille poésie irlandaise21, que la souveraineté du Leinster est liée à la consommation de viande de cheval et que c’est vraisemblablement le paganisme de tels rituels d’investiture qui a justifié la longue interdiction portée par l’Eglise d’Irlande contre la consommation de viande chevaline22.

    Dans tout le monde celte ancien, l’idée que l’accession à la souveraineté est un mariage23 entre le roi et on royaume identifié à une déesse éventuellement hippomorphe est constante, depuis le Pays de Galles où le roi est traditionnellement qualifié de priod Prydain « époux de la Grande-Bretagne »24 et où les textes postérieurs à la conquête anglaise décrivent le pays comme une princesse veuve qui a perdu son époux légitime et dont les enfants sont orphelins25, jusqu’en Irlande où la consécration royale porte le nom de bannaí righe « noces du royaume »26.

     

    A côté de l’aśvamedha, la tradition indienne connaissait un autre rituel majeur d’investiture royale : le rājasūya27. Celui-ci couronnait plusieurs années de préparatifs minutieux par une cérémonie de douze jours. Les onze premiers amenaient le roi à visiter successivement onze maisons spécifiques : la maison de la reine, celle du chapelain royal, etc. Le douzième jour, trônant sur un siège en bois de figuier et revêtu d’une peau de tigre, il était oint solennellement par le prêtre officiant, puis par son propre frère ou un cousin germain ; ensuite, il se levait, faisait les « trois pas de Viṣṇu »28 qui le consacraient maître de l’univers, présentait solennellement son fils à Prājapati, le Géniteur Universel, enfin il menait une razzia symbolique des vaches de son frère (ou de son cousin) pour reconquérir sa virilité censée avoir été emportée par l’écoulement de l’onction et usurpée par ce parent29.

    Cette fois encore, des parallèles assurés ont été retrouvés dans plusieurs autres traditions indo-européennes et assurent qu’il doit s’agir à chaque fois de versions diversement évoluées d’un très ancien héritage conceptuel commun.

    Le rituel hittite de l’assumaš était célébré pour le roi par son fils, comprenait la visite durant quatre jours de différentes « maisons » ou lieux de culte, impliquait douze laboureurs – ce qui connote l’offrande d’une charrue et de douze bœufs à l’officiant du rājasūya indien – et signifiait une mort et une renaissance symbolique, valant perte et récupération de sa virilité, du souverain30.

    Les éléments du rājasūya ont également été décelés dans le célèbre rite romain des Lupercales : celui-ci commémore en fait la rivalité des deux frères Romulus et Remus consécutive à un vol de bétail récupéré par le second au grand dépit du premier, non sans que celui-ci finisse seul par obtenir la royauté31.

    Enfin dans le monde celte, le mythe irlandais contant la naissance du dieu Aonghus présente tous les aspects du rājasūya indien : tout comme celui-ci, pour consacrer un roi universel, met symboliquement en scène une rivalité entre lui et son frère – ou son cousin –, puis lui fait acquérir son plein pouvoir en récupérant sa virilité dans les vaches de ce parent en lignée masculine, le mythe irlandais décrit la rivalité entre le dieu souverain, géniteur universel, Eochaidh Ollathair et son parent en lignée masculine Ealcmhar32, puis l’affirmation de la virilité féconde du premier quand il engrosse la déesse Bóinn « la Vache Blanche » appartenant au second33.

     

    La Grèce ancienne, malgré ses spécificités incontestables, ne fait pas exception et des parallèles très nets de l’aśvamedha et du rājasūya ont été dûment retrouvés dans ses mythes.

    L’écho d’un antique aśvamedha athénien a été repéré, déformé, dans la cruelle histoire du dernier roi d’Athènes et de sa fille : ce roi Hippomène surprend un jour sa fille Limoné dans les bras d’un amant ; il les condamne atrocement, l’amant à prendre la place de l’un des étalons de son char, Limoné a être enfermée avec l’étalon, sans aucune nourriture jusqu’à ce que l’animal l’ait violée et dévorée ; Hippomène fait alors détruire leur prison dont le site est dès lors connu comme le lieu-dit de l’Etalon et de la Fille34 .

    Deux autres sont attachés à la guerre de Troie. Le premier quand Tyndare, père putatif d’Hélène, tente de prévenir un tel conflit en faisant jurer à tous les prétendants venus postuler la main de sa fille qu’ils protègeraient unanimement le mariage de l’heureux élu, et ce serment est prêté sur un étalon immolé et coupé en morceaux35. Ce sacrifice apporte à Agamemnon la suzeraineté sur tous les Grecs après le rapt d’Hélène par Pâris, puis, secondairement, la conquête de Troie grâce au cheval de bois qui en constitue bien sûr l’autre écho évident. Les coïncidences sont en effet nombreuses entre le rituel indien et cet épisode de l’Iliade : tout comme l’étalon indien a été immolé par suffocation, l’un des Grecs cachés dans le cheval de bois – spécifiquement dans son arrière-train, au niveau donc de son sexe – est étouffé par Ulysse ; tout comme, avec ses trois co-épouses, la reine indienne tourne trois fois autour de l’étalon sacrifié, puis saisit le membre de l’animal pour simuler un coït, Hélène – accompagnée là de son quatrième époux Déiphobe – tourne trois fois autour du cheval de bois en palpant son ventre ; etc.36

    L’écho de concepts similaires à ceux que sous-tendait le rājasūya indien ont été discernées pour leur part dans le mythe des amours bestiales de Pasiphaé37 : dans le cadre d’un conflit entre le roi de Crète Minos et son frère Sarpédon, la légitimité du roi est consacrée par l’apparition d’un taureau merveilleux envoyé par Poséidon mais, pour remplacer l’immolation de cet animal sans pareil, l’épouse du roi, Pasiphaé, est amenée à se laisser saillir par lui, cachée dans une vache en bois38, avec notamment cette coïncidence significative que, selon la tradition indienne la virilité du roi a été déportée dans les vaches de son frère lors de l’aspersion rituelle qui répète celle de Varuṇa, le dieu indien de l’océan, tandis que c’est un taureau de Poséidon , le dieu grec de l’océan, qui substitue sa virilité à celle du roi Minos.

     

    Le mythe de l’enlèvement d’Europe par Zeus est directement associé à ce rājasūya de Pasiphaé puisqu’il en est le prélude et que Minos est précisément né de l’union d’Europe et de Zeus

    « Libye eut deux fils de Poséidon ; Bélus et Agénor. Bélus régna sur les Egyptiens... ; Agénor, pour sa part, se rendit en Phénicie, épousa Téléphassa et engendra une fille, Europe, et trois fils : Cadmos, Phénix et Cilix... Zeus s’éprit d’Europe et, s’étant métamorphosé en taureau domestique, il la prit sur son dos et lui fit passer la mer jusqu’en Crète. Là, il copula avec elle et elle donna naissance à Minos, Sarpédon et Rhadamanthe... 39 »

     

    Mais l’élément le plus remarquable est sans doute le fait que le mythe du rapt d’Europe rassemble l’exploit d’un dieu-père et roi universel, Zeus Paté:r, aux dépens de son proche parent agnatique – fils de Poséidon, le père d’Europe est donc le neveu direct de Zeus – et la razzia bovine, ici inversée - mais ce genre d’inversion est fréquent en mythologie - en ce sens que ce n’est pas le souverain anthropomorphe qui enlève une ou des vache(s) pour exprimer sa virilité mais un souverain sous forme taurine qui enlève une partenaire anthropomorphe pour exprimer sa virilité.

    L’hypothèse de la reconnaissance dans ce mythe d’un écho lointain d’un rituel très ancien de sublimation de la souveraineté serait évidemment fragile sans la convergence des autres échos, de l’Inde à L’Irlande, dont beaucoup sont certes, par eux-mêmes, tout aussi fragiles mais qui, ensemble, apparaissent beaucoup plus vraisemblables.

     

     

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    1 Dumézil, 1958. Cf. Eribon, 1992 ; Blaive, 1995 ; Miller, 1999 ; García Quintela, 2001.

     

    2 Sergent, 1995, p.360-375.

     

    3 La Terza, 1922 ; Dumont, 1927, 1948 ; Doniger O’Flaherty, 1980, p.153-164 ; Sergent, 1997, p.335-339.

     

    4 En renfort du parallèle irlandais exposé plus loin, on note que cette partie du rituel indien a été comparée avec la légende du prince laginien Lughaidh Riabhdhearg, au corps similairement distribué (MacCone, 1987, p.135-138).

     

    5 La plus précisément documentée en tout cas.

     

    6 Tous les autres cas attestent que la forme canonique est une hiérogamie entre le roi et une jument représentant son royaume.

     

    7 Hérodote, Historíai III 84-88 = Legrand, 1932-1955, III 136-137 ; cf. Duchesne-Guillemin, 1968, p.144-145 ; Dumézil, 1985, p.246-253.

     

    8 Hérodote, Historíai I 216 = Legrand, 1932-1955, I 204.

     

    9 Puhvel, 1970b, p.171.

     

    10 Sasna dzrer II 2 9 = Feydit, 1964, p.183-185 ; cf. Sterckx, 2010b, p.435-439

     

    11 Plutarque, Aíthia rho:maiká 97 = Boulogne, 2002, p.165 ; etc. Cf. Puhvel, 1970b p.162-163 ; Dumézil, 1974, p.225-235; 1975, p.139-156, 177-219.

     

    12 Schröder, 1927, p.312 ; Dumézil, 1975, p.215-216.

     

    13Il n’est sans doute pas non plus insignifiant que le terme même d’aśvamedha se retrouve exactement en gaulois sous la forme d’un anthroponyme Epomeduos (Pirart, 2010).

     

    14 Ps.-Plutarque, Sunago:gè: historío:n paralle:lò:n helle:nik:òn kaì rho:maíko:n XXIX 312e = Hofeneder, 2005-2011, III, p. 119. Remarquablement, les seules représentations de bestialité dans l’iconographie celto-romaine semblent associer un homme et une jument (Sterckx, 2010a, p.41-43) !

     

    15 Le détail n’est pas insignifiant car il signale sans doute sa qualité de vierge mère : c’est une croyance générale que la monte à califourchon rompt l’hymen et déflore la virginité (Closson, 1992, p.62). Pour la virginité de la déesse-mère: Sterckx, 2010a, p.9-39.

     

    16 Pwyll Pendefig Dyfed = Thomson, 1957, p.7-23.

     

    17 Vielle, 1988-1990.

     

    18 Sterckx, 1988-1990.

     

    19 Pour d’autres allusions à cette ingestion de viande chevaline comme rituel d’intronisation : Doherty, 2005, p.18-24.

     

    20 Giraud de Barri, Topographia hibernica III 25 = Dimock, 1867, p.169. Cf. Sterckx, 2012.

     

    21 Par exemple Cuisle Brighdhe agus oidheadh mic Dhíchoimhe = Meyer, 1903, p.47.

     

    22 Sterckx, 2009, p.234-238.

     

    23 Un conte armoricain tardif (Koadalan = Luzel, 1984-1989, IV, p.86-100) fait de son héros, Ewen Koadalan, le pauvre domestique d’un magicien contraint par ce dernier d’affamer et de battre une jument merveilleuse et son poulain. Il obtient finalement la royauté après avoir éventré la jument – euphémisme, si l’on peut dire, d’une copulation –, ce qui a été vraisemblablement rapproché d’une part de la détention pleine de souffrances de Rhiannon et de son fils-poulain Pryderi du fait du méchant magicien Llwyd ab Cilcoed, d’autre part du rituel d’investiture royale « asvamédhique » : Gricourt et Hollard, 2004, p.44-45.

     

    24 Andrews, 1976-1978.

     

    25 Morgan, 1985, p.24-25.

     

    26 Ohkuma, 1986, p.240-243 ; etc.

     

    27 Remarquablement, des éléments propres à un troisième rituel indien d’inauguration royale, où le sacrifice d’un étalon est remplacé par un sacrifice humain, a été décelé dans la légende galloise de Rhiannon : Branchaw, 2008. Les antiques Lusitans avaient pareillement comme victimes sacrificielles ultimes des chevaux et des hommes (García Quintela, 1992).

     

    28 Remarquablement, ce thème des trois pas englobant l’univers est bien attesté dans la tradition celte : Sterckx, 2009a, p.178-184.

     

    29 Heesterman, 1957.

     

    30 Ardzinba, 1981 ; Sergent, 1997, p.334-335.

     

    31 Dumézil, 1975, p.157-160.

     

    32 Ealcmhar est le petit-fils d’un frère de père et de mère d’Eochaidh Ollathair (Sterckx, 2009b, p.117).

     

    33 Cf. Sterckx, 2009a, p.88-89.

     

    34 García Quintela, 1997.

     

    35 Pausanias, Helládos perié:ge:sis III 20 9 = Jones et al., 1918-1935, III, p. 130 ; cf. Rose, 2006, p.229-242.

     

    36 Homère, Odusseús IV 274-289 = Bérard, 1924-1956, I 88-89 ; etc. ; cf. Rose, 2006, p.242-250.

     

    37 Rose, 2006, p.242-244.

     

    38 Ps.-Apollodore, Bibliothé:ke: III 1 3-4 = Frazer, 1946, I, p. 302-304 ; etc.

     

    39 Ps.-Apollodore, Bibliothé:ke: III 1 1 = Frazer, 1946, I, p. 296. Pour les autres sources et l’ensemble du dossier du mythe : Robertson, 1988 ; Kühr, 2009 ; Jouanna, 2011.

     

  • Bernard Sergent - Toribúgu, Hèraklès et Brian

     

    Toribúgu, Hèraklès et Brian

    Bernard Sergent

     

    CNRS UMR 7192 « Proche-Orient, Caucase, Iran : continuités et diversités »

     

     

     

    Abstract: The Bororo mythology has many affinities with the Greek mythology, especially the stories related to the hero Herakles or that which have some relations with him. A version of the Bird Finder myth published by Albisetti and Venturelli in 1969 confirms this: it shows remarkable similarities with Herakles Works'. This article expose them and draw the historical conclusion.

    Keywords: Bororo, Herakles, Mythological relationship between Eurasia and America.

    Résumé:La mythologie bororo présente de nombreuses affinités avec la mythologie grecque, en particulier avec des histoires qui concernent le héros Hèraklès ou sont en relation avec celui-ci. Une version du Dénicheur d’oiseaux publiée par Albisetti et Venturelli en 1969 le confirme : elle présente des points communs remarquables avec l’histoire des Travaux du même Hèraklès. Le présent article les expose, et en tire la conclusion historique.

    Mots clés : Bororo, Hèraklès, parentés mythologiques Amérique-Eurasie.

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    Cité par / quoted by:

    Hans Jørgen Lundager Jensen, « Maria Magdalena i Provence: Tribal og post-aksial askese », Religionsvidenskabeligt Tidsskrift, 64, 2016,p. 96-120.

     

    Dans un livre rédigé durant les années 2007-2009, intitulé Gargantua, Jean de l’Ours et le Dénicheur d’oiseaux, je me fondais au sujet de ce dernier avant tout sur les travaux de Claude Lévi-Strauss, qui, dans les tomes I, Le Cru et le cuit, et IV, L’Homme nu, de ses Mythologiques, établissait un dossier aussi complet que possible (à son époque) du mythe du Dénicheur d’oiseaux1, mais, le temps ayant passé, j’avais cherché à vérifier si d’autres versions du Dénicheur d’oiseaux en Amérique avaient été publiées dans l’intervalle, plutôt qu’à savoir s’il en existait des variantes chez les Bororo, puisque c’était précisément un mythe de ce peuple qui ouvrait toute la recherche donnée dans ces quatre tomes que possible2.

    Mon livre notait les points communs remarquables, et bien surprenants, étant donné la distance géographique des deux peuples, que la mythologie des Bororo offre avec celle des Grecs (je les rappelle ci-dessous)3.

    Mais c’est postérieurement à la publication de ce travail que j’ai pris connaissance du recueil des mythes bororo établi par Johannes Wilbert et Karin Simoneau en 1983, et où figure une nouvelle version du Dénicheur d’oiseaux, consignée par César Albisetti et Ângelo Venturelli dans le tome II de l’Enciclopédia Bororo paru en 1969. Cette version développe les épreuves du Dénicheur d’oiseaux de ce peuple du sud du Brésil, plus que la version utilisée par Lévi-Strauss en 1964, elle-même prise dans un ouvrage des mêmes auteurs de 1942. Or, cette seconde version fait du Dénicheur d’oiseaux des Bororo un véritable prototype de l’Hèraklès grec, comme je vais le montrer ici.

    Cela ne doit plus surprendre à priori, puisque déjà, précisément, mon livre paru en 2009 soulignait les curieux rapprochements possibles entre mythologie bororo et mythologie grecque que voici :

    - le mythe du Dénicheur d’oiseaux bororo comprend le motif des vautours secourables qui, après avoir déchiqueté le postérieur du héros, soulèvent celui-ci avec leurs becs et vont le déposer à terre. Ce motif rappelle une méthode de chasse aux aigles amérindienne, que Lévi-Strauss a étudiée principalement chez les Hidatsa, également connue, au moins comme motif mythique, en Amérique du Nord chez les Assiniboine, Pieds-Noirs, Menomini, Omaha, Arapaho, et, en Amérique du Sud, chez les Čoroti, Nivakle et Tapiete du Chaco, et chez des peuples de langue tupi-guarani du même secteur - Apapokuva, Mbya, Tembé, Guarayu. Dès 1971, Marcel Detienne soulignait qu’un mythe grec en est exactement une autre version : le héros Phulios, amoureux d’un nommé Kugnos (« Cygne »), doit accéder à ses demandes, et l’une d’elles est de capturer vivants des vautours énormes. Il se couvre du sang d’un lapin (tué par un aigle) et fait le mort. Les vautours s’abattent sur lui, et il en saisit deux par les pattes. Phulios est donc à la fois gibier et chasseur (comme le Dénicheur d’oiseaux bororo : mangé par les vautours, puis sauvé par eux, et il avait été chasseur juste auparavant, v. ci-dessous). Or, notait M. Detienne, « ce double statut offre la plus grande ressemblance avec celui qu’impose la chasse aux aigles chez les Hidatsa de l’Amérique du Nord », puisque chez ceux-ci « le chasseur d’aigle se dissimule dans une fosse, tandis que l’oiseau est attiré par un appât situé au-dessus. Quand il s’approche pour le saisir, le chasseur l’attrape avec les mains nues »4. Cette chasse est précédée d’un long rituel, dont un élément est une première chasse, pour attraper l’animal qui servira d’appât : de même la chasse aux vautours de Phulios a été précédée de la capture, par un aigle, du lièvre dont le sang a permis au héros de se transformer en appât.- Une autre version grecque (ou bien anatolienne) était localisée à Ephèse, sur la côte égéenne de l’Anatolie. Deux hommes, ayant repéré un nid d’abeille dans un creux de falaise abrupte, décident d’aller y prendre le miel, et l’un d’eux descend avec une corde ; il trouve de l’or dans la cavité, le fait remonter par son compagnon, qui aussitôt après lâche la corde. L’homme, isolé dans la cavité à flanc de falaise, découvre, par un rêve où il est conseillé par Apollon, le seul moyen de s’en sortir : il se lacère le corps avec un caillou tranchant et fait le mort. Des vautours s’abattent sur lui « comme sur un cadavre », ils « accrochèrent leurs serres les uns dans ses cheveux, les autres dans ses vêtements, le soulevèrent sans mal dans le vallon voisin »5. Il n’y a pas besoin d’insister sur les points communs entre cette histoire et le mythe des Bororo : les vautours viennent pour manger, comme ceux du mythe bororo l’ont effectivement fait, et deviennent pourtant salvateurs, comme le deviennent eux aussi ceux de ce mythe. Quant à la quête de miel, elle apparaît en liaison avec le thème du Dénicheur d’oiseaux dans certaines versions sud-américaines, par exemple de peuples du Chaco6.

    - l’isolement du Dénicheur d’oiseaux bororo sur un plateau rocheux, ce qu’il fait et ce qui lui arrive rappellent un mythe grec précis : celui du héros Philoctète. Je le résume : héritier de l’arc et des flèches d’Hèraklès, accompagnant les Grecs partant pour faire la guerre à la ville de Troie, Philoctète fut mordu par un serpent, soit au cours d’un sacrifice, soit alors qu’il lavait une statue divine. Or, si des morsures de serpent se produisent dans d’autres mythes grecs, cette fois-ci, et uniquement cette fois-ci, la blessure n’entraîna pas la mort mais causa une odeur épouvantable, telle que les autres chefs grecs ne pouvaient la supporter, et choisirent de laisser Philoctète dans l’île de Lemnos, située dans le nord de la mer Egée, et alors déserte. Il y subsista dix ans, se nourrissant des oiseaux qu’il fléchait.

     

    Les points communs, chacun d’entre eux étant quasi exclusif, entre l’histoire de Philoctète et celle du Dénicheur d’oiseaux bororo sont les suivants : a) Isolement sur une terre encerclée d’eau (l’île, en Grèce) ou de falaises (le plateau, chez les Bororo) ; b) Survie grâce à la chasse à l’arc (hérité en Grèce, fabriqué chez les Bororo) ; c) l’odeur épouvantable : dans le mythe Bororo, le héros a chassé des lézards, les a fixés à sa ceinture, mais ils pourrissent, et exhalent « une si abominable puanteur que le héros s’évanouit »7. Cette odeur est donc la cause de l’isolement en Grèce, antérieure à la chasse qui permet au héros de vivre, elle est la conséquence de son isolement et de sa chasse, dans le récit bororo.

    - le mythe bororo se termine par la vengeance du héros. Revenu chez lui, il envoie une tempête qui éteint tous les feux du village sauf celui de sa grand-mère, laquelle l’avait aidé de manière décisive, et tous les habitants du village viennent la voir pour rallumer leurs foyers. Un second mythe était raconté en Grèce au sujet de l’île de Lemnos, et il comprenait lui aussi le motif de la mauvaise odeur (cette fois attribuée aux femmes). À la suite de cela (en grec la dysosmie), comme les hommes ne voulaient plus approcher leurs femmes, elles décident leur massacre général. Mais une jeune fille non mariée, Hupsipulè, veut sauver son père, le roi Thoas, et elle le déguise en le dieu Dionysos avec des éléments végétaux, puis elle l’installe sur un radeau en mer. Ces événements étaient célébrés par une fête annuelle (ou ayant lieu tous les neuf ans) et elle comprenait l’extinction de tous les feux et leur rallumage rituel à un seul feu. Or, le mythe bororo comprend lui aussi l’extinction de tous les feux (à cause d’une tempête se produisant au retour du héros à son village) suivi d’un rallumage à un seul feu, celui de la grand-mère et protectrice du héros, puis le déguisement du héros se fait de faux andouillers grâce à la branche ramifiée d’un arbre - donc là aussi des éléments végétaux -, ce qui lui permet de tuer son père en le jetant dans un cours d’eau8. Il y a à la fois parallélismes et inversions : Thoas est sauvé par sa fille, le héros bororo protégé par sa grand-mère ; Hupsipulè met son père sur l’eau pour le sauver, le héros bororo met son père dans l’eau pour le tuer ; les éléments végétaux protègent le premier père, et entraînent le décès du second ; à la fin du récit le héros boboro se venge des épouses de son père, tandis que dans l’histoire lemnienne les femmes massacrent les hommes leurs époux.

    - dès le livre de 2009, je notais, à partir de la version citée par Lévi-Strauss dans son livre de 1964, des points communs entre le même mythe bororo et l’histoire d’Hèraklès. Je dois ici me citer, et d’abord résumer le mythe en question : un jeune homme ayant suivi les femmes qui allaient en forêts se procurer des palmes (pour une cérémonie initiatique des garçons), il en profita pour la violer. Son père découvre l’affaire, et entreprend diverses opérations pour condamner son garçon. Il l’envoie d’abord au nid des âmes (car les âmes des Bororo sont des aras), pour qu’il en rapporte le grand hochet de danse. Le jeune homme, inquiet, demande avis à sa grand-mère, et celle-ci lui conseille de faire réaliser l’opération par l’oiseau-mouche. Ce qui a lieu. Lorsque l’oiseau repart avec le hochet, les âmes le flèchent, mais il va si vite qu’il leur échappe. Le père demande alors à son fils d’aller au même endroit prendre le petit hochet des âmes, et tout cela se déroule de la même façon, l’animal auxiliaire étant ici une colombe. Il lui faut alors aller s’emparer, toujours au même endroit, de sonnailles en sabots de caetetu (un petit porcin), l’animal qui opère était cette fois la grande sauterelle, plus lente mais cuirassée. Ce n’est qu’en quatrième lieu que le père du héros organise l’expédition de chasse aux œufs d’aras, qu cours de laquelle il abandonnera son fils sur la falaise où se trouve le trou où les aras avaient fait leur nid.

    J’écrivais alors :

    « Hèraklès est célèbre par les Travaux, au nombre de dix ou de douze, que lui a imposés son cousin, le roi de Mycènes Eurysthée. Toutes les fois, Eurysthée essaie de faire tuer Hèraklès, comme le père de Geriguiguiatugo [ou Toribogu, deux des noms du Dénicheur d’oiseaux bororo] veut aussi faire tuer celui-ci. Dans la liste canonique des Travaux d’Hèraklès, le quatrième devait être de chasser les oiseaux du lac Stymphale, dans le nord de l’Arcadie. Il s’agit de cette même région sauvage... où se déroulaient les rites initiatiques des habitants de l’Argolide quand, à l’époque dite mycénienne, l’Arcadie du nord était inhabitée. Pour faire sortir les oiseaux des forêts environnantes, Hèraklès utilisa des castagnettes, données par Athèna, ou faites par lui-même9 ; il n’eut alors aucun mal à les flécher, ou bien il les chassa par le bruit même de ses instruments10 ; selon une variante, ces oiseaux (dont l’espèce n’est jamais précisée) avaient des plumes en acier, très acérées, et ils les lançaient comme des flèches sur les ennemis11.

    On a donc, dans ce mythe grec, concernant le maître de Philoctète, et dans le mythe Bororó, plus précisément dans la première partie de ce mythe du Dénicheur d’oiseaux qu’on comparait à l’instant à celui de Philoctète :

    - le séjour aquatique des oiseaux à affronter (âmes, [dont le séjour est aquatique12, et qui sont des aras13] ; oiseaux du lac Stymphale) ;

    - l’intervention de castagnettes ou sonnailles : objet de la quête, dans le mythe bororó ; moyen de la chasse, dans le mythe grec ;

    - le fléchage : seulement des âmes vers les alliés du héros, à savoir les deux fois des oiseaux, dans le mythe bororó ; d’Hèraklès vers les oiseaux, et des oiseaux vers Hèraklès, dans le mythe grec ;

    - l’invulnérabilité : les flèches lancées par les âmes ne blessent ni les oiseaux ni la sauterelle, dans le mythe bororo ; les plumes lancées comme des flèches par les oiseaux du lac Stymphale n’atteignent pas Hèraklès ;

    - sans doute, des âmes en tant qu’ennemies dans l’un et l’autre mythes : c’est explicite du côté Bororó, et demande un brin d’explication du côté grec. Lorsque Pausanias arrive à Stymphale, au cours de son exploration de la Grèce au IIe siècle de notre ère, il voit, au sommet du temple d’Artémis Stumphalia à Stymphale, petite localité riveraine du lac du même nom à l’époque historique, des acrotères en forme d’oiseaux, représentant ceux du lac mentionnés dans le mythe, et, au pied du bâtiment, « des statues de jeunes filles en marbre blanc à pattes d’oiseaux, qui se dressent à l’arrière du temple »14. J’ai interprété ces figures comme le début de la métamorphose de jeunes filles en oiseaux : car Artémis est la patronne des métamorphoses et des initiations féminines, initiations qui comprennent elles-mêmes souvent des métamorphoses15. De son côté, dans son étude de la religion grecque en Arcadie, ma collègue Madeleine Jost a vu dans ces statues des représentations de sirènes16. Voici qui intéresse directement la comparaison ici opérée, car on tient couramment les sirènes grecques pour des formes des âmes des morts, d’autant qu’elles figurent souvent dans l’art funéraire17. Or, il n’y a pas incompatibilité entre l’interprétation de Mme Jost et la mienne : les Sirènes, chantant sur le rivage, dans l’Odyssée, sont bien à la fois des images des âmes et la projection d’un chœur de jeunes filles18. Ainsi, le héros Bororó va chercher des instruments de musique chez les âmes, et Hèraklès chasse avec un instrument de musique homologue des jeunes filles en cours d’initiation, métamorphosées en oiseaux, et images des âmes des morts19 ;

    - enfin, si le mythe bororó couvre non seulement les deux principaux mythes grecs concernant l’île de Lemnos, mais également un élément de celui d’Hèraklès, un autre rapprochement est envisageable : on sait qu’Hèraklès, à qui sa femme avait envoyé un manteau imbibé du sang du Centaure Nessos, se sentit brûlé dès qu’il le revêtit, et, ne pouvant le retirer, décida de se faire incinérer sur un bûcher, avec l’aide, précisément, de Philoctète. Dans un mythe bororó, distinct de celui du Dénicheur d’oiseaux, dans le temps passé, les hommes du clan appelé Bokodori étaient des esprits qui vivaient dans des huttes faites de duvets et de plumes, et appelés « nids d’aras ». Ils fabriquaient des objets de parure. Mais un jour une femme les espionna, malgré l’interdit fait à ce sexe de connaître ces secrets. Les hommes décidèrent alors de se jeter ensemble dans un bûcher ardent ; ils en sortirent transformés en oiseaux : ara rouge, ara jaune, faucon, épervier, aigrette…20. Les oiseaux sont présents dans le mythe de Geriguiguiatugo, et les âmes sont des aras : ce mythe se rattache donc au précédent. Dès lors, on voit que, pour les Grecs anciens et pour les Bororó, à cause d’une femme des hommes se sont jetés volontairement sur un bûcher, et ont connu, par cette action, une renaissance, comme oiseaux chez les uns, comme dieu associé à Zeus au ciel chez les autres.

    L’homologie entre la mythologie des Bororó et un secteur délimité de la mythologie grecque est donc étonnante21. ».

     

    Ainsi notais-je quelques points communs entre Hèraklès et le ou les héros bororo. La version d’Albisetti et Venturelli à laquelle je faisais allusion ci-dessus, publiée postérieurement au premier tome des Mythologiques de Lévi-Strauss, permet d’aller plus loin. Voici un résumé substantiel de la première partie.

    Le héros s’appelle ici Toribúgu. L’initiative sexuelle ne vient pas alors de lui, mais de sa belle-mère, car son père, Kiáre Wáre, s’étant remarié à la mort de sa première épouse, la nouvelle appréciait Toribúgu. Un jour, elle le pare, le peint et lui demande de dormir avec elle. A son retour à la hutte, Kiáre Wáre est intrigué par la présence de duvet blanc à la ceinture de son épouse. Comme dans la version citée par Lévi-Strauss, il fait organiser une danse, et identifie son propre fils comme le seul coupable possible. Il n’a de cesse alors de le faire tuer.

    a) [le séquençage est le mien] le père souhaite que les plus féroces bêtes dévorent son fils, et lui demande de la viande de jaguar. Conseillé par sa grand-mère maternelle, le garçon fait une très bonne chasse, et rapporte de la viande de fauve.

    b) Son père l’envoie ensuite chercher les sonnailles pour la danse chez les âmes. Sur le conseil de sa grand-mère, Toribúgu demande à Mamóri, la grande locuste, de s’en charger. Lorsque l’insecte parvient chez les âmes, elles dorment, et il peut s’emparer de l’objet, mais les sonnailles sont du bruit, les âmes se réveillent en faisant « Um, um, um ». Elles couvrent Mamóri de flèches ; celles-ci ne l’arrêtent pas ni ne le tuent, mais laissent les marques qu’il a désormais sur les ailes. Le héros peut donner les sonnailles à son père.

    c) Kiáre Wáre dit alors à son fils : « Je voudrais manger les noix du palmier babassu qui a poussé tout droit au milieu du marécage et est gardé par les esprits buiógoe ». La grand-mère a cette fois l’idée qu’on envoie l’araignée Ieragádu, accoutumée à marcher sur l’eau, avec sur son dos l’écureuil Kodokódo, qui pourra grimper au tronc et cueillir la noix. Tout se passe comme prévu, sinon que l’écureuil mange un morceau de noix, dont un fragment tombe à l’eau et cela réveille les esprits. Ceux-ci font monter l’eau qui submerge tout jusqu’au sommet du palmier. Kodokódo a pu s’y réfugier, et est sauf. Il repart sur le dos de l’araignée...

    d) C’est alors, ultime épreuve, que se situe l’épisode « Dénicheur d’oiseaux »22.

    On comparait ci-dessus l’épisode de la quête des sonnailles dans le récit bororo et le combat des oiseaux du lac Stymphale, dans le mythe grec, quête qui comprend le don au héros de castagnettes et leur utilisation contre les oiseaux. Il est certain que, quelle que soit la nature exacte des instruments de musique à percussion mentionnés, ils sont bien proches.

    Mais la version Albisetti-Venturelli offre des points communs bien plus nombreux, et tout aussi précis, avec le mythe des Travaux d’Hèraklès.

    a) la première épreuve imposée par Eurysthée à Hèraklès est la capture du lion de Némée : il s’agit donc d’affronter, du côté bororo, le plus grand fauve d’Amérique du Sud, de l’autre côté, le plus grand fauve, également un félin, connu des Grecs. Dans l’un et l’autre cas, il s’agit d’une chasse proche : Toribúgu va dans la forêt, celle qui entoure tout village bororo ; Némée est une ville d’Argolide, comme Mycènes, d’où part Hèraklès à chaque épreuve. La forêt et Némée se distinguent des pays des étapes ultérieures, marqués par la distance réelle ou symbolique (pays des âmes et des esprits, Arcadie et Elide, autres mondes, etc.).

    b) le second épisode réunit les sonnailles, les oiseaux à combattre qui sont des âmes, leur séjour aquatique, le motif de la pluie de flèches, toutes choses qui se retrouvent en Grèce en une seule occasion, l’un des travaux d’Hèraklès.

    c) Le troisième épisode, qui manque dans la première version publiée du mythe bororo du Dénicheur d’oiseaux, évoque directement un autre mythe grec, et c’est à nouveau l’un des travaux d’Hèraklès. Parmi les épreuves que lui impose Eurysthée, il y eut la quête des pommes d’or du jardin des Hespérides. Le dit jardin se trouvait sur une île, à l’extrême-occident. Elles étaient dans un arbre, lequel était gardé, non seulement par trois jeunes femmes, les Hespérides, mais aussi par un dragon.- L’homologie avec les motifs de l’épisode bororo est patente : Toribúgu doit aller sur une île, au milieu d’un marécage (les Bororo, à la différence des Grecs, n’ont pas de mer ou d’océan à leur disposition), pour y prendre des fruits situés sur un arbre, et gardés par les esprits buiógoe. Hèraklès tue ou endort le dragon qui gardait l’arbre. Les esprits buiógoe dormaient et, malgré leurs efforts, ils ne peuvent empêcher le succès de l’écureuil. Ils étaient au pied de l’arbre, et de même, la céramique grecque, lorsqu’elle a figuré les Hespérides, l’arbre avec ses pommes et le dragon, a toujours placé celui-ci au pied de l’arbre.

    Trois des épreuves coïncident ainsi, jusque dans des détails, dans les mythologie grecque et bororo.

    d) Pour la quatrième, il faut parler d’inversion, au sens lévi-straussien du terme, et celle-ci a précisément été envisagée par le grand savant. Cette quatrième épreuve est donc celle de la quête d’oisillons dont le nid était en altitude, ce qui a donné son nom au motif et au personnage. Dans la mythologie grecque, la dernière épreuve imposée à Hèraklès23 (ou l’avant-dernière, selon les versions, la douzième étant celle des pommes des Hespérides) consistait à aller aux enfers chercher le chien qui en gardait l’entrée, Kerbèros. Les textes insistent sur la notion de descente : Hèraklès a gagné le sud du Péloponnèse, car près du cap Tainaros se trouvait une caverne par laquelle on pouvait descendre jusqu’aux enfers ; mais les gens de la ville d’Hérakléa du Pont possédaient une « Bouche d’enfer » près de leur cité, et disaient qu’Hèraklès était par là descendu aux enfers et en était remonté. La dernière épreuve du mythe du Dénicheur d’oiseaux consiste au contraire en une ascension : le héros est envoyé par son père en altitude, et abandonné.

    C’est en 1991, dans Histoire de Lynx, que Claude Lévi-Strauss, s’interrogeant sur la différence entre emprunt (de contes européens par les Amérindiens du nord) et parenté (entre mythologie amérindienne et traditions eurasiatiques), remarque qu’« une des différences les plus manifestes entre le mythe américain du dénicheur et le conte français des Princesses délivrées du monde souterrain est que, toujours sur l’axe vertical, la disjonction du héros se produit de bas en haut dans l’un, de haut en bas dans l’autre. Chaque fois le héros, habitant du monde moyen, change d’univers : il s’élève [dans certaines des versions d’Amérique du Nord] jusqu’au monde céleste, ou s’enfonce dans le monde souterrain. Ici et là des animaux plus ou moins empressés, mais en fin de compte secourables, l’aident à redescendre dans le monde terrestre ou bien à y remonter »24.

    C’est ce texte qui fonde mon travail de 2009, au long duquel j’étudie les points communs entre le thème du Dénicheur d’oiseaux et le conte eurasiatique de Jean de l’ours (le héros de l’histoire des Princesses délivrées du monde souterrain). La légende d’Hèraklès est bien différente, mais le raisonnement de Lévi-Strauss s’applique entièrement : la dernière épreuve du héros Bororo est son envoi en altitude, la dernière épreuve d’Hèraklès est son envoi en profondeur.

    Dans l’un et l’autre mythes, on passe donc de la disjonction horizontale courte (la forêt, Némée) aux disjonctions horizontales lointaines (pays des âmes, lac Stymphale ; île aux noix, île aux pommes) et de là à la disjonction verticale. Enfin, si le héros bororo reçoit abondamment l’aide d’animaux, qui se substituent à lui dans la réalisation des épreuves (sauf la première), Hèraklès reçoit – version modernisée – l’aide de divinités, Athèna surtout, et aussi Hermès ou le soleil, et bien sûr Zeus son père.

    Dans une étude publiée en 1992, je montrais les points communs entre les travaux d’Hèraklès et les épreuves subies par un héros irlandais, Brian, dont un rival, Lug, voulait se débarrasser par vengeance. A un certain degré, cette version irlandaise est intermédiaire entre le récit bororo et le mythe grec : ainsi, pour s’emparer - eux aussi - de trois pommes, Brian et ses deux frères se changent en faucons et vont les cueillir, alors qu’Hèraklès va chercher les pommes sous sa forme parfaitement humaine, tandis que Toribúgu envoie des animaux à sa place. Les frères sont alors poursuivis par les trois filles du roi du pays (de même qu’il y a trois Hespérides), changées en griffons, et qui lancent contre les trois faucons des rayons de feu brûlant : motif des flèches des âmes (des aras) et des oiseaux du lac Stymphale. Ce parallélisme garantit que ces oiseaux utilisaient bien leurs plumes d’acier comme projectile, même si plusieurs sources le taisent. Hygin, le premier à le mentionner, avait d’excellentes sources grecques.

    Je concluais cette étude, qui incluait aussi une récit iranien de métamorphoses guerrières, sur l’existence d’un mythe indo-européen dont les versions irlandaise avec Brian, grecque avec Hèraklès, et iranienne constituaient autant de reflets.

    L’existence de la version bororo recueillie et publiée par Albisetti et Venturelli élargit considérablement le débat. Si l’on exclut qu’un missionnaire ou un coureur des bois ait enseigné aux Bororo une version des Travaux d’Hèraklès si orthodoxe qu’on y trouvait correctement le lion de Némée comme première épreuve et la descente aux enfers, alors curieusement transformée en ascension, comme épreuve finale, ce qui est bien improbable, alors force est de considérer que les Bororo connaissaient une histoire très proche de celle qu’on trouve dans les mythologies grecque et irlandaise. Cette histoire, ils l’avaient héritée de leurs ancêtres - et il faut remonter dans un passé lointain, car elle est si proche des récits de Grèce et d’Irlande qu’il faut penser qu’ils la connaissaient déjà au temps où les Amérindiens étaient en Asie, donc au Paléolithique, temps auquel la famille linguistique indo-européenne ne s’était sans doute pas encore individualisée.

    Je conclus alors (comme je l’avais fait dans le livre cité de 2009, mais ici sur un point particulier) : l’Eurasie du Paléolithique racontait déjà une histoire d’épreuves imposées successivement à un jeune homme par un aîné - en fait un maître d’initiation - et cette histoire comprenait ce qu’on a repéré en notant les points communs entre celles qui en sont issues : série de quatre ou x épreuves, se déroulant du proche au lointain, de la disjonction horizontale pour les premières à la disjonction verticale pour la dernière. Elle racontait les victoires du héros à toutes les épreuves imposées (sans doute en prenant des formes animales ou grâce à des alliés animaux), et la déconfiture du maître (noter que lorsque Hèraklès revient avec le chien Kerbèros, Eurysthée a si peur qu’il plonge dans un pithos, objet destiné à contenir des réserves, par exemple de liquide : le père du dénicheur d’oiseau bororo est jeté à l’eau). Avec quatre épisodes probateurs, la version bororo est plus restreinte que les versions indo-européennes, qui comprennent une dizaine d’épreuves : les secondes peuvent alors bien être un développement de la première par enrichissements. En ce sens, le mythe bororo procure une image de ce qu’a pu être la version la plus ancienne des mythes d’Hèraklès et de Brian25.

     

    Albicetti, César, et Venturelli, Ângelo Jayme, 1969 : Enciclopédia Bororo, Campo Grande, Museu Regional Dom Bosco, t. II.

    Colbacchini, António, 1925 : I Boróros Orientali ”Orarimugudoge” del Matto Grosso, Brasile, Turin, Contributi Scientifici delle Missione Salesiane del Venerable Don Bosco.

    Colbacchini, António, avec Albisetti, César, 1942 : Os Bororos Orientais, Sao Paulo/Rio de Janeiro.

    Detienne, Marcel, 1971 : Les Jardins d’Adonis, Paris, Gallimard.

    Jost, Madeleine, 1985: Sanctuaires et cultes d'Arcadie, Paris, Vrin, Études Péloponnésiennes IX.

    Lévi-Strauss, Claude, 1960 : « La chasse rituelle aux aigles », Annuaire de l’École pratique des Hautes Études (sciences religieuses) 1959-1960, p. 38-41.

    1962 : La Pensée sauvage, Paris, Plon.

    1964 : Le Cru et le cuit. Mythologiques I, Paris, Plon.

    1971 : Origine des manières de table. Mythologiques III, Paris, Plon.

    1991 : Histoire de Lynx, Paris, Plon.

    Sergent, Bernard, 1992 : « (Celto-Hellenica V) Les Travaux de Brian», Ollodagos, 5.1, p.:69-129.

    1996 : « Ces demoiselles de Stymphale », in Colette Jourdain-Annequin et Corinne Bonnet dir., Héraklès, les femmes et le féminin, Actes du Colloque de Grenoble, Université des Sciences sociales, 22-23 octobre 1992, Bruxelles-Rome, Institut historique belge de Rome, p. 19-34.

    2009 : Gargantua, Jean de l’Ours et le Dénicheur d’oiseaux, La Bégude de Meyzens, Arma Artis.

    Wilbert, Johannes, et Simoneau, Karin, 1983 : Folk Literature of the Bororo Indians, Los Angeles, UCLA Latin American Studies.

     

    1Lévi-Strauss, 1964, pp. 43-88 ; 1971, pp. 25-32, 34-37, 324-344.

    2Ibid., 1964, p. 43-45.

    3Sergent, 2009, p. 334-351.

    4Detienne, 1971, p. 44-45 ; cf. Lévi-Strauss, 1960, p. 38-41 ; 1962, p. 68-72 ; 1971, p. 242-247.

    5Konôn, 35, cité par Phôtios, Bibliothèque, 186, 137 a - 137 b, traduction V. Henry.

    6Lévi-Strauss, 1964, p. 108. Et cf. mon chapitre sur « Le dénicheur de miel : Ephèse, le Népal, la Chine et l’Islande », 2009, 276-283.

    7Lévi-Strauss, 1964, p. 44.

    8Pour cette série de comparaisons, Sergent, 2009, p. 343-348.

    9Diodore, IV, 13, 2.

    10Apollodore, Bibliothèque, II, 5, 6 ; Diodore, l. c.; Strabon, VIII, 6, 8 (371) ; Pausanias, VIII, 22, 4 ; Quintus de Smyrne, Suite d’Homère, VI, 227-231 ; Hygin, Fables, 30, 6 ; Pline, Histoire Naturelle, VI, 32 ; etc.

    11Hygin, Fables, 20 ; 30, 6. Rappelons qu’Hygin utilise, et met en latin, des mythes grecs d’après des recueils d’époque hellénistique. L’antiquité du présent motif est garantie par le parallèle celtique : lorsque Brian et ses frères sont poursuivis par trois femmes qui se sont changées en griffons, ceux-ci « lançaient des rayons de feu après et devant eux. Ces rayons étaient très brûlants » (Sergent, 1996, 93).

    12Lévi-Strauss, 1964, p. 43.

    13Id., p. 55.

    14VIII, 22, 7.

    15Sergent, 1996.

    16Jost, 1985, p. 102.

    17Références dans Sergent, 2009, p. 348, n. 140.

    18Elles sont des jeunes filles métamorphosées : Apollonios, Argonautiques, IV, 895-898 ; Ovide, Métamorphoses, V, 552-563 ; Hygin, Fables, 14 ; elles sont associées aux Muses, Alcman, frg. 30 Page ; Apollonios, IV, 896 ; Apollodore, Bibliothèque, I, 3, 4 ; Epitomé, VII, 18 ; Hygin, Fables, Préface ; 30 ; 125, 13 ; 141 ; ou rivalisent avec elles, Pausanias, IX, 34, 3 ; Stéphane de Byzance, s. v. Aptera ; Eustathe, à Iliade, I, 201 (p. 85, 47-48) ; elles jouent le rôle de muses funèbres, dans Euripide, Hélène, v. 169-174. Cf. aussi Platon, République, X, 617 c.

    19Ce qui revient sur ma note, 1996, p. 25, n. 23.

    20Lévi-Strauss, 1964, p. 100-101.

    21Sergent, 2009, p. 347-348.

    22Wilbert et Simoneau, 1983, p. 198-199, d’après Albisetti et Venturelli, 1969, p. 303-304.

    23Ainsi Apollodoros, Bibliothèque, II, 12.

    24Lévi-Strauss, 1991, p. 260.

    25Une partie du « chemin » est faite par Lévi-Strauss lorsque, au cours des Mythologiques, il envisage les versions du Dénicheur d’oiseaux d’Amérique du Nord. Certaines d’entre elles comprennent un motif de mauvaise odeur. Je n’ai pas à développer ces aspects ici, c’est l’objet du livre cité de 2009 (sur les rapports précis entre le mythe bororo et les versions nord-américaines, pp. 259-274 et 321). Des versions sibériennes du Dénicheur d’oiseaux sont aujourd’hui connues. Une autre est néo-guinéenne. L’origine paléolithique du récit est incontestable.

     

  • Jamshid J. Tehrani – Reply to Lajoye, d'Huy and Le Quellec (2013)

    Reply to:
    Patrice Lajoye, Julien d'Huy and Jean-Loïc Le Quellec  (2013),
    Comments on Jamshid J. Tehrani (2013).



    Jamshid J. Tehrani*

     

     

    *Department of Anthropology, Durham University, Durham, U.K.

     

    I thank the authors for taking an interest in my study and welcome the constructive spirit of their critique. While Lajoye, d’Huy and Le Quellec are broadly sympathetic to my approach, they raise a number of specific concerns which I would like to respond to here.

     

    ● In suggesting that I included Egbert’s 11th century poem “uncritically” in the ATU 333 corpus, Lajoye et al. seem to have misunderstood my aims, or got them back-to-front. The point is that we don’t know which tales can be classified as ATU 333 and which ones can’t a-priori, since we can’t even be sure it even exists as a distinct international type. Establishing these facts was precisely what my analyses sought to do. And it would have been very odd to omit a story that some scholars believe to be the earliest surviving variant of ATU 333. (As it turns out, my results suggest that these scholars were probably right).

    ● While I certainly can’t claim to have referenced every work on ATU 333 and ATU 123 – two of the most discussed international types in the folklore literature – some of the gaps identified by Lajoye et al. are in fact cited in the study: Eberhard (1970) and Ikeda (1971) both appear in the list of references, while samples of the material collected by Delarue and Rumpf were included in the analyses.

    ● Lajoye et al. similarly suggest that there are gaps in the motifs used in the character data. I should point out that one of the motifs they say I ignore - “villain gives victim remains of the grandmother to eat” – is actually present (indeed, they reference that very character in the sentence immediately prior to the one in which they say it was missing). They also claim that the number of characters is important for the effectiveness of phylogenetic method. This is not necessarily true. It doesn’t help to keep adding characters and character states if they are uninformative about phylogenetic relationships, redundant, or add noise to the analysis. Quality is more important than quantity. In this case, most of the characters and character states they point to as missing either do not occur in the tales I used, or only occurred in a single variant, making them phylogenetically uninformative.

    ● This brings us to the most substantive criticism made by Lajoye et al., namely that there are many more variants of ATU 333 and ATU 123 that have not been translated into English. They focus on the rich body of material collected by French folklorists in particular, including a fascinating version of ATU 333 from the Velay and the Dauphiné. I am grateful to the authors for drawing my attention to these variants, which certainly deserve further investigation. I absolutely accept (as stated in the paper itself) that there is much more work to be done, both at a regional scale and globally. However, I think that the need for multi-lingualism must go further than European languages like English, French and German. As I say towards the end of my paper, there is surely a wealth of Chinese, Turkic, Mongolian, etc. variants that would illuminate the many questions that remain concerning the origins and diffusion of these stories. In the meantime of course, we work with the materials we have. No corpus is ever complete – even the collections mentioned by Lajoye et al. represent a tiny sample of all the versions of those tales that exist in those populations. So that raises the question of how much data are enough data? 58 versions of ATU 123/333 may only be a snapshot, but it is one that nevertheless reveals an image of the big picture, if not all the details and nuances. Similarly, one of the authors of the above critique considered 13 versions of Pygmalion (d’Huy 2013 Rock Art Research 30) and 44 versions of Polyphemus (d’Huy 2013 NMC, 1) to be sufficient to make inferences about their diffusion and original forms over extremely large geographical and temporal distances. So I suppose it is a question we can ponder together.

     

    I believe that future progress in this field will depend on international collaboration, and on making our data and findings available to one another. From that point of view, I welcome the reanalyses of my data that Lajoye et al. report here. The results are interesting, and support the same major clusters as my phylogenetic analyses. A word of warning though – multidimensional scaling like PCOA does not employ an explicitly evolutionary model to account for the dissimilarities among taxa, so we must be careful not to over-interpret what these clusters mean from a phylogenetic point of view, or make inferences about ancestor-descendent relationships.

     

    Once again I thank the authors for their feedback. I hope that this response has proved useful and look forward to discussions on our future research.

     

    Jamie (Jamshid) Tehrani