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(Review) Eugène Warmenbol et Julie Cae-Van (éd.) – Les Celtes et le Cheval

Celtes-et-cheval_Page_1.jpgEugène Warmenbol et Julie Cae-Van (éd.), Les Celtes et le Cheval, Archéologie et mythologie (de l’âge du Bronze à l’époque contemporaine), actes des journées de Contact de la Société Belge d’Études Celtiques (SBEC), tenues à Bruxelles les 31 mars 2018 et 23 mars 2019, 2020, Bruxelles / Libramont, Société belge d’Études celtiques / Musée des Celtes.

 

Le présent ouvrage de 171 pages est constitué de 14 articles de valeur inégale, auxquels s’ajoutent un avant-propos et une introduction. Le premier article, signé par Xavier Delamarre, «De l’indo-européen au celtique: les noms du cheval en gaulois et dans l’onomastique» (p. 9-18), donne une liste de noms du cheval en gaulois et dans les langues celtiques. L’intérêt de ce travail réside également dans l’aspect didactique, pour ne pas dire pédagogique, de son auteur, qui prend soin de restituer son processus d’identification et d’analyse, permettant ainsi aux non-initiés de mieux appréhender ce champ de la recherche.

Le deuxième article, «Le rôle du cerf dans l’âge du Bronze européen. Le mythe et la réalité: une deuxième approche», d’Eugène Warmenbol, propose d’analyser les représentations des chevaux et cervidés depuis l’Âge du Bronze. Par comparatisme, l’auteur parvient à montrer une catégorisation tout à fait saisissante de ces animaux: le cheval étant cantonné à l’astre diurne, au Soleil, au lumineux, d’une certaine manière au monde «civilisé» compris comme anthropisé alors que le cerf, lui, est cantonné à l’astre nocturne, à la Lune, au monde sauvage. Il est intéressant de constater que les hommes, par certains artifices dans un cadre probablement religieux, ont cherché à travestir des chevaux en cervidés. Cette recherche, par ces comparaisons archéologiques, mythologiques, iconographiques voire astronomiques, ouvre des horizons très prometteurs.

Le troisième article, écrit par Manon Vallée et intitulé «Métamorphoses et jeux de sens: analyses et réflexions autour des représentations du cheval et de l’oiseau», montre l’intérêt des démarches transdisciplinaires pour mieux appréhender le corpus symbolique des sociétés anépigraphiques. Ici, il est question d’archéologie, d’archéozoologie, d’ornithologie et d’éthologie. Ainsi, concernant le fourreau d’épée de Marin-Épargnier, les trois animaux présentés comme la fusion du cheval et de l’oiseau, au moins pour leur tête, peuvent aussi être vus comme des cervidés, au moins pour l’un d’entre eux, la ramure étant définie par des motifs curvilignes.

Peter Halkon signe le quatrième article, «New light on the chariot burials of Eastern Yorkshire», dans lequel il propose un état de l’art concernant les tombes à char découvertes jusqu’à présent dans le Yorkshire. L’intérêt de cette contribution réside dans les questionnements de l’auteur sur les emplacements de ces tombes, dans leurs relations avec le paysage et leur intégration dans une économie du cheval et du fer. Bien évidemment, il conclut son étude par l’évocation de possibles connexions continentales comme l’avait déjà proposé Greta Anthoons1.

Patrice Méniel, pour le cinquième article, «Les dépôts de chevaux sur le site du Mormont (Vaud, vers 100 av. notre ère)», tente de replacer le cheval dans le cadre de pratiques rituelles ou de consommation dans le cadre de l’étude du site du Mormont. Malgré la difficulté de la tâche, tant le corpus ostéologique est élevé, et dans l’attente de l’étude des autres mobiliers, comme la céramique, l’auteur montre que l’âge d’abattage des chevaux est deux fois plus élevé pour les mâles (11 ans) que pour les femelles (5,5 ans) et met au jour des pratiques d’hippophagie. Plus intéressantes encore sont les hypothèses interprétatives proposées pour ce site occupé durant un laps de temps très court, à savoir; un sanctuaire, avec des pratiques cultuelles donc sacrificielles, mais surtout celle du bivouac. La période d’occupation du site, qui s’arrête à l’extrême fin du IIe s. av. J.-C, voire le début du siècle suivant, pourrait correspondre au passage des Cimbres et des Teutons. En cela, ce site représenterait un intérêt majeur puisqu’illustrant une migration à travers une de ces étapes, un arrêt nécessaire, le bivouac.

Le sixième article, proposé par Charlotte Van Eetvelde, «La question de l’hippophagie en Gaule à l’âge du Fer», permet un utile état d’une question qui semble polarisée entre tabou alimentaire et pratique autorisée. L’hippophagie est attestée sur des sites du second âge du Fer en Gaule Belgique, dans des contextes d’habitat, avec une dissociation proposée pertinemment par l’auteur, entre producteurs chevalins (présence d’ossements de poulains) et consommateur (présence d’ossements d’individus matures avec traces de découpes, absence de jeunes). Mais elle reste surreprésentée dans le contexte de sanctuaires avec deux catégorisations majeures: sacrifice suivi de la consommation de la viande et sacrifice sans consommation de la viande. Enfin, ces données sont mises en dialogues avec les textes insulaires permettant d’évoquer les tabous alimentaires et les mythes liant l’hippophagie avec l’intronisation d’un roi.

Alexis Stockebrand, pour le septième article, «Au-delà de l’épigraphie : le culte d’Epona à Entrains-sur-Nohain (Nièvre)» revient sur l’étymologie d’Epona et avance un parallèle avec la déesse Rhiannon, toutes deux ayant un aspect chevalin. Le corpus rassemblé par l’autrice, 69 inscriptions latines, permet de distinguer les origines géographiques, sociales des dédicants et montre la pleine intégration d’Epona dans le panthéon romain. La bibliographie actualisée et les nombreuses notes permettent également d’évoquer le calendrier de Guidizzolo et sa mention d’une fête à Epona le 18 décembre mais également de rappeler que l’unique temple dédié à cette divinité en Gaule se trouve à Entrains-sur-Nohains.

L’article de Julie Cao-Van, «Sur la piste d’Épona, d’après les travaux de Claude Sterckx. Réflexions sur plusieurs vestiges de la déesse depuis l’époque celtique jusqu’à l’époque contemporaine», ne renouvelle pas nos connaissances sur le sujet mais a le mérite de dépoussiérer la bibliographie. Les descriptions monétaires proposées semblent lacunaires et oublient que les motifs interagissent toujours dans le cadre de la composition induite par le champ monétaire. Parmi les parallèles d’Epona proposées avec des sources plus contemporaines, il pourrait être pertinent d’intégrer la figuration de certaines Vierge, dans l’épisode de la «Fuite en Égypte» comme à Saint-Benoît-sur-Loire, où elle est représentée sur un chapiteau, non loin d’un Ogmios et d’une Épona (dénommés ainsi par les moines eux-mêmes!)2.

«Les chevaux des Rèmes selon Lengyel: une approche structuraliste d’une image monétaire» est un article proposé par Jean-Marc Doyen pour la partie I et Charlotte Van Eetvelde pour la partie II. C’est un réel soulagement de constater que le travail si novateur de Lancelot Lengyel a été repris. En effet, ce chercheur, peut-être trop précurseur, a cherché à isoler les motifs, les unités graphiques en quelque sorte, présents sur le monnayage gaulois afin de constater des interactions récurrentes. De ces interactions, il proposait alors des interprétations en convoquant d’autres objets connus à l’époque. Il est donc intéressant de replacer ce chercheur encore trop méconnu, dans le milieu intellectuel de son époque, composé à la fois d’artistes surréalistes mais aussi d’archéologues de génie. Il manque à ce paysage reconstitué, les échanges entre cet esprit et Paul-Marie Duval. Ce dernier avait, en effet, repris l’idée d’une grammaire des motifs issue des monnaies gauloises (Fonds Paul-Marie Duval). Charlotte Van Eetvelde, pour la partie II, propose quelques pistes interprétatives en s’aidant des motifs mis en exergue par Lancelot Lengyel. Bien qu’intéressantes, on regrettera l’aspect trop segmenté de certaines lectures. Ainsi, diviser la monnaie en quatre champs (haut, bas, avant, arrière), nous paraît incongru dans la mesure où le champ monétaire est circulaire et mobile. Dans ce cadre, quid des monnaies incomplètes? La division des motifs est intéressante pour comprendre les interactions après avoir effectué l’analyse formelle. Il nous semble que l’image monétaire gauloise, dans la majorité des cas, ne doit pas être comprise comme une addition de motifs mais bien comme un ensemble réfléchi interagissant entre eux. Pour le schéma quinaire, il peut aussi renvoyer au concept d’idéal spatio-temporel (le territoire divisé en 4 parties plus un centre comme en Irlande, ou chez les Galates – voir les travaux de Philippe Jouët, Rythmes et Nombres, 2012 – mais aussi à la division de l’année en quatre fêtes plus le moment présent) qui représente d’une certaine manière l’Unité.

Le dixième article proposé par Marike Van der Horst, «Rhiannon à la Saint-Michel», analyse la Saint-Michel, qui marque la fin de la saison d’été aux Hébrides avec certains passages du texte gallois du Mabinogi de Pwyll. Les correspondances sont saisissantes avec le découpage de l’année (saison sombre/saison claire) et permettent d’enrichir certains dossiers comme celui de Lug: si Rhiannon est bien la déesse appelée Épona, alors Gwri, aux cheveux blonds comme le soleil pourrait lui être associé.

Bernard Sergent propose un large panorama des «Métamorphoses en cheval dans le domaine indo-européen» avec l’histoire de Saraṇyu en Inde, le combat de Tištrya et d’Apaoša en Iran, Déméter et Poséïdon pour la Grèce ou le Mabinogi de Pwyll pour le domaine celtique. L’auteur, excellent compilateur, et fin connaisseur des mythes indo-européens montre que les mythes de métamorphoses en cheval représentent des élaborations à la fois variées et indépendantes. Il parvient à la conclusion que ce type de mythes de métamorphose équine renvoie à un ensemble de rite ET de mythe, ensemble qui paraît avoir été à dominante guerrière en Iran, mais royale en Inde et chez les Celtes, et peut-être aussi en Grèce ancienne.

Le douzième article, «Le Dagda et l’aśvamedha : mythe irlandais, numismatique gauloise et rituel indien», écrit par Guillaume Oudaer, propose d’analyser le rite royal d’aśvamedha avec un passage tiré du Cath Maige Tuired, le récit de la seconde bataille de Mag Tured. Ce rituel indien avait déjà fait l’objet d’une comparaison avec le rituel du couronnement des rois du Cenél Conaill. Ce dialogue entre le rituel et le texte irlandais est fécond puisque l’auteur montre de nombreux parallèles entre: sens du rite, divinité dédicataire, le cheval et son attelage, la sécurisation du cheval, la reine principale, la copulation et le tissu, la castration, l’obscénité, le chien et l’eau, le contenu du ventre ou les piliers du sacrifice. Ainsi, l’auteur montre bien que cet épisode irlandais est bien une version mythique d’une tradition rituelle apparentée à l’aśvamedha. En revanche, les parallèles proposés avec les monnaies gauloises nous semblent fragiles: on note problème dans la numérotation des figures et leur renvoi, et un manque de descriptions analogiques.

Gaël Hily, pour le treizième article, «Les chevaux, les assemblées et la figure de Lug», montre l’importance du cheval dans la société médiévale irlandaise. Les assemblées étaient l’occasion de courses de chevaux, à Tara pour Samain, à Tailtiu et Carman pour Lugnasad ou Uisnech pour Beltaine. L’assemblée de Tailtiu, mythiquement fondée par Lug, montre que le cheval est aussi associé au principe d’autorité, d’où son importance pour la société irlandaise, importance perçue à travers l’étude des nombreuses chroniques et législation lui afférant.

Le dernier article, «Ambiorix et le cheval Bayard», écrit par Serge de Foestraets propose un rapprochement entre l’action du roi Ambiorix, qui inflige au début de l’hiver 54/53, une défaite à César et la geste des Quatre fils Aymon, révoltés contre Charlemagne. Un motif d’imperator qui poursuit quatre cavaliers dans la forêt des Ardennes pourrait bien lier les deux histoires… à la condition de proposer au lecteur, une étude analytique et catégorielle plus poussée.

 

Romain Ravignot

1Greta Anthoons, Contacts between the Arras Culture and the Continent, PhD Thesis, University of Bangor, 2011.

2Les Chapiteaux de la basilique, Renaissance de Fleury, 222, 2007). Retenons également la thèse d’Audrey Ferlut, soutenue en 2011, Le Culte des divinités féminines en Gaule Belgique et dans les Germanies sous le Haut-Empire romain et publiée en 2022 (Bordeaux, Ausonius).

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