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NMC - Page 21

  • Éric Pirart - Narcisse en Inde et en Iran

    Narcisse en Inde et en Iran

     

    Éric Pirart

     

    Abstract : The Vedic myth of Yama and the Zoroastrian myth of Yima can be compared to the Boeotian myth of Narcissus.

    Keywords : Indo-Iranian mythology, Greek mythology, Narcissus, Yama.

    Résumé : Le mythe védique de Yama et le mythe zoroastrien de Yima sont à rapprocher du mythe béotien de Narcisse.

    Mots-clés : mythologie indo-iranienne, mythologie grecque, Narcisse, Yama.

     

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  • Valéry Raydon - Philippe Walter et Le cortège du graal

    Philippe Walter et Le cortège du graal :

    retour sur un naufrage scientifique

     

    Valéry Raydon

    Résumé : Droit de réponse à un compte rendu du médiéviste Philippe Walter à propos de notre ouvrage Le cortège du graal. Du mythe celtique au roman arthurien, paru récemment dans la revue Iris. Nous voudrions montrer que l’auteur dudit compte rendu loin de fournir une analyse critique objective de l’ouvrage recensé, ne propose qu’une série de critiques erronées sur le contenu de notre étude et volontairement calomnieuses.

     

    Mots-clés : graal, romans arthuriens, Chrétien de Troyes, mythologie celtique, comparatisme structural, Dumézil.

     

    Les observations critiques émises par des pairs sont grandement appréciables et offrent souvent une opportunité pour un chercheur d’enrichir, de rectifier ou d’affiner sa propre réflexion sur un sujet de recherche. Encore faut-il qu’elles soient fondées et objectives. Nous voudrions donc revenir ici sur le compte rendu qu’a récemment consacré Philippe Walter, professeur émérite de littérature médiévale française, à notre ouvrage Le cortège du graal. Du mythe celtique au roman arthurien (2019)[1]. Il se démarque notablement des recensions très favorables obtenues jusque-là par l’ouvrage dans les revues académiques[2]. Sans se donner la peine de présenter en préalable au lecteur l’objet du livre – l’énoncé introductif du seul titre des dix chapitres semble y surseoir –, la méthode suivie et les hypothèses défendues, avant de discuter de leur validité et d’exposer l’intérêt de certains résultats et les éventuels points d’achoppement ou les problèmes de méthode rencontrés, Philippe Walter se lance sur l’espace de 882 mots dans une suite de critiques acerbes qui constituent un véritable réquisitoire à charge contre une étude qu’il rejette de manière catégorique en intégralité. Nous voudrions dans les lignes qui suivent exercer un droit de réponse[3] en montrant que les critiques émises, en dépit de leur nombre et de leur gravité, ne sont dans leur totalité ni pertinentes ni fondées scientifiquement. Ce tour de force réalisé par ce romaniste nous a plongé dans une stupéfaction pantoise, laquelle n’a malheureusement pas tenu de l’émerveillement de Perceval contemplant le graal à la table du Roi Pêcheur.

     

    1. La fabrication d’un amateurisme philologique

     

    Les critiques émises peuvent être classées en deux groupes, selon la gravité de leur manquement aux plus élémentaires des principes scientifiques, et nous les réfuterons donc en suivant un ordre hiérarchique décroissant.

    Le premier groupe est composé de critiques à la fois erronées et calomnieuses visant à jeter le discrédit sur le livre et son auteur. Celles-ci reposent sur des restitutions partiales de notre travail comportant des inexactitudes et des déformations du contenu, mais aussi, à l’occasion, des falsifications volontaires. Les critiques peuvent être soutenues le cas échéant par des considérations inexactes sur le texte de Chrétien de Troyes, qui entrent souvent en contradiction avec les propres conclusions publiées ailleurs par l’auteur. Leur réfutation occupera les points 1 à 6.

    Le premier cas intervient en préambule où Philippe Walter fait le reproche suivant en guise de mise en bouche : « Pour la philologie, le constat est navrant d’amateurisme : l’auteur dit utiliser l’édition de Roach (1959) publiée d’après le manuscrit BnF fr. (voir p. 11, note 2) mais se fonde sur une traduction publiée douze ans auparavant : celle de Foulet (1947) qui suivait lui-même les éditions de Hilka (1932) et de Baist (1909), fondées sur le manuscrit de Mons, n° 331/206. C’est incohérent et cela n’augure pas d’un grand respect du récit français ». Nous suivrions volontiers ce verdict s’il en allait comme il le prétend. En réalité, le recours à la traduction en français moderne de Lucien Foulet (un usage spécifié dans la même note 2 p. 11, ce que le recenseur omet de préciser) n’intervient qu’en une occasion en introduction à l’analyse de l’épisode de l’apparition du cortège du graal dans le roman du Conte de graal (p. 76, où l’emploi n’est nullement caché, mais dûment signalé en n.4), pour permettre au lecteur de prendre connaissance de la séquence narrative où Perceval contemple le passage du cortège du graal. L’étude analytique de la scène, et d’autres épisodes du même roman, a bien été faite avec l’édition réalisée par Roach d’un manuscrit de collection française de la BnF dont Philippe Walter oublie dans sa précipitation de spécifier le numéro (n° 12576) : ce qui est facilement vérifiable puisque l’ensemble des citations ou renvois intégrés au corps du texte ou dans les notes infrapaginales des 400 pages qui suivent est faite en ancien français et l’ensemble des références suit la numérotation des vers de l’édition de Roach. Or Foulet n’offre ni le texte du ms. fr. 12576 ni celui du ms. n° 331/206 de la bibliothèque UMH de Mons, pas plus qu’il n’intègre le numéro des vers à sa traduction en prose.

    L’amateurisme philologique dénoncé n’est donc pas avéré sur ce point et sa dénonciation tient de l’attaque malveillante, diffamante, indigne de tout chercheur. Nous sommes face ici à l’emploi d’un procédé rhétorique de dialectique éristique : l’auteur n’hésite pas à manipuler et combiner des données partielles tirées de l’ouvrage dont il assure la recension pour en retirer une fausse preuve scientifique disqualifiante, lui permettant d’une part de nous discréditer sur le plan philologique, tout en faisant valoir ses propres compétences en la matière en la révélant, et d’autre part d’apposer une connotation négative à notre travail. Si l’argument fallacieux avancé n’est pas recevable, il a un double mérite. Il permet de comprendre immédiatement que l’auteur ne se place pas dans une volonté de délivrer une analyse impartiale de notre travail et qu’il n’hésite pas à mettre de côté tout souci de vérité et de déontologie scientifique pour le décrédibiliser. Il nous ouvre ensuite à la pensée waltérienne et à la manière dont il doit évaluer lui-même les travaux comparatistes qu’il a menés au cours de sa carrière entre la littérature française et les littératures celtiques insulaires dont il n’a connaissance que par des traductions françaises ou anglaises.

     

    1. L’art de tirer parti d’un propos de quatrième de couverture falsifié

     

    L’emploi de ce procédé trompeur consistant à prêter à ce travail des défauts qu’il n’a pas n’est pas isolé dans cette recension et en constitue même la norme, ce qui est révélateur de la volonté de nuisance qui y est déployée. On retrouve cette méthode à l’œuvre lorsque le recenseur affirme un peu plus loin : « La modestie de l’auteur prétend « mettre fin à l’énigme du graal vieille de plus de 800 ans » (4e de couverture). Chaque médiéviste digne de ce nom sait pourtant qu’il n’y a pas d’« énigme du graal », puisque la définition précise du mot a été donnée dès la fin du xiie siècle par le moine Hélinand de Froidmont (…) ». Le romaniste tire parti ici d’une citation pour dénoncer la prétention ridicule de l’auteur à vouloir résoudre une question futile (« l’énigme du graal ») censée occuper une place majeure dans son étude d’après ce qui est dit en 4e de couverture, question qu’il n’y a pas lieu de se poser puisqu’il n’y pas d’énigme du graal, la réalité matérielle de l’objet appelé graal étant connu de chaque médiéviste compétent. L’argument lui permet de dévaluer le caractère scientifique de l’ouvrage et de se placer au passage une nouvelle fois du côté des chercheurs accomplis tandis que l’auteur du livre, à niveau de diplôme égal sanctionnant un même degré de compétences, se voit relégué du côté des amateurs peu éclairés. Sauf que notre détracteur a contrefait la citation pour l’exploiter à sa convenance : il n’est nullement fait état sur la quatrième de couverture que l’auteur entend « mettre fin à l’énigme du graal vieille de plus de 800 ans ». Dans ce texte, il est d’abord brièvement retracé l’épisode central dans le Conte du Gaal qu’est la contemplation du cortège d’objets merveilleux – incluant le graal – par Perceval chez le Roi Pêcheur, où le jeune chevalier, bien qu’intrigué par les objets, refuse de s’informer à leur sujet par souci de discrétion. Puis il est rappelé que Perceval apprend par la suite qu’une demande à leur propos aurait rendu la santé au Roi Pêcheur impotent et que de son silence découleront des maux sans nombre pour ce souverain, son royaume et l’île de Bretagne toute entière, et qu’il décide alors de se lancer dans une quête réparatrice pour tenter de retrouver le Château du Graal et poser les questions salvatrices. C’est alors qu’il est dit : « Le roman de Chrétien, malheureusement inachevé, a laissé irrésolu le mystère de cet étrange cortège. Cet essai a pour ambition assumée de mettre fin à cette énigme vieille de plus de 800 ans et à un débat scientifique de plus d’un siècle quant à la signification et à la genèse du motif du cortège du graal… ». Comme on le voit, il n’a jamais été question de consacrer un livre à l’élucidation de la typologie du vase appelé graal – nous avons néanmoins concédé cinq pages à la question à partir du recoupement des sources administratives, juridiques, littéraires et iconographiques médiévales à disposition (p. 85-89) ; statuer sur le seul témoignage du chroniqueur Hélinand (dont la rédaction est à replacer plutôt entre 1204 et 1227 qu’à la fin du XIIe s.) nous aurait pour notre part paru bien aventureux –. L’énigme que nous prétendions vouloir éclaircir était celle regardant le groupe de trésors auquel est prêté un pouvoir guérisseur qui pouvait s’appliquer à un roi et à son royaume, et même s’étendre au monde arthurien tout entier. Une question sur laquelle il a paru légitime de se pencher à des générations de médiévistes et de celtisants « dignes de ce nom ». Philippe Walter nous reprochait plus tôt notre dilettantisme philologique, nous nous demandons où il situe sur l’échelle de la philologie ce genre d’agissement consistant à contrefaire une source textuelle en ajoutant un complément du nom impropre à un terme pour changer le sens de la phrase, avec une finalité de détraction manifeste à l’encontre d’un livre dont on est censé assurer un compte rendu objectif. Selon notre propre grille d’évaluation, cela se situe assurément hors du cadre d’une démarche scientifique véritable, et au-delà de toute éthique.

    À côté de cela, on trouvera bien dérisoire le fait d’avoir cherché à tirer un argument d’une quatrième de couverture à visée promotionnelle plutôt que dans le corps du texte où s’exprime habituellement plus pleinement la réflexion de l’auteur. Nous ne savons pas s’il y a un précédent en la matière chez un recenseur académique, mais on saluera l’esprit pionnier qui anime le romaniste, fut-ce dans les coups bas. Quant au reproche du manque de modestie, dont le recenseur faisant feu de tout bois n’a pas cru bon de s’abstenir et qu’il exprime en maniant l’antithèse dans une tournure de phrase assez bancale laissant croire que nous disposerions d’une modestie animée et intelligente capable de s’exprimer (« la modestie prétend »), Philippe Walter aurait sans doute lui-même jugé indécent à juste titre qu’on lui fît reproche d’une quelconque vanité au prétexte que le derrière de couverture de son propre ouvrage graalien[4], évoquait l’opus en terme de « magistrale étude » éclairant la véritable dimension du Conte du Graal et répondant aux nombreuses interrogations suscitées par ce roman, ou présentait son auteur comme un « éminent spécialiste de littérature médiévale », mais aussi, ce qui surprendra davantage, comme un « grand connaisseur du monde celtique ».

     

    1. L’erreur évitée d’une focalisation exclusive sur le cortège du graal

     

    Concernant l’étude spécifique du roman graalien de Chrétien de Troyes, Philippe Walter pointe une série d’écueils. Il présente les deux premiers ainsi : « D’abord la focalisation exclusive sur le « cortège » du graal est une méprise fatale : réduire l’interprétation « mythique » à ce seul épisode pour mieux lui trouver des analogues celtiques, c’est caricaturer et mutiler le récit de Chrétien. Procuste était un mauvais comparatiste, criminel de surcroît. Ensuite, il faut le répéter : il n’y a ni « défilé », ni « procession », ni « cortège du graal » (ces mots sont des pièges féroces pour exégètes). Lorsqu’un roi invite à sa table un jeune chevalier égaré, ce n’est pas pour lui montrer sa vaisselle, mais pour le nourrir ! Le graal apparaît lors d’un service de bouche qui doit conduire Perceval à s’interroger sur les nourritures terrestres et spirituelles (puisque ce graal contient une hostie), ce qui prouverait son charisme royal et thaumaturgique (voir l’ouvrage de Marc Bloch) ».

    Le premier reproche stigmatise une « focalisation exclusive » sur l’épisode du cortège. Elle nous amènerait à limiter le Conte du graal à ce dernier. La dénonciation de cette concentration dommageable sur la scène du cortège réapparaît une seconde fois dans une autre critique où Philippe Walter mentionne « les quelques vers de l’œuvre retenus pour la présente enquête » (voir infra). La critique émise ici a de quoi surprendre puisque notre ouvrage ne se cantonne nullement à l’étude exclusive de la scène où apparaît le cortège du graal, scène ô combien fondamentale et charnière dans les aventures de Perceval puisqu’elle marque la seule immersion du surnaturel dans l’œuvre et détermine le destin du héros et de toute l’île de Bretagne pour la suite de l’histoire. Une bonne part de notre travail a porté sur l’ensemble dont l’épisode est partie prenante, c’est-à-dire ce qui constitue la partie Perceval du Conte du Graal [CdG pour les prochaines mentions]. Et ce, pas seulement pour des questions d’éclairage de la scène par la critique interne de l’œuvre, puisque nous avons traité de la majorité des scènes relatives au chevalier gallois.

    Le chapitre 9 qui s’étend sur plus de quarante de ces pages « à la typographie tassée » (dixit le recenseur) est consacré dans son intégralité à des épisodes qui ne sont pas celui de la réception de Perceval par le Roi Pêcheur : y sont analysés tour à tour la thérapie navale du Roi Pêcheur, le premier duel de Perceval contre le Chevalier Vermeil, le revêtement de l’armure vermeille par Perceval qui devient sa panoplie identifiante, la rencontre avec Blancheflor, mais aussi l’épisode inaugural des Enfances Perceval où nous traitons des jeux guerriers du héros avec ses javelots lors de ses déplacements pédestres, de sa chasse aux cerfs et aux oiseaux, et de l’identité sociale du héros proscrite par sa mère. Il y a également dans le chapitre 6 rien moins qu’une vingtaine de feuillets consacrés au seul aition sur la blessure du Roi Pêcheur. Dans les autres chapitres nous revenons à plusieurs reprises sur ces épisodes et bien d’autres thèmes percevaliens y sont abordés et y ont droit à de larges développements : les chevauchées fantastiques de Perceval, le nom et le surnom de Perceval, les Rempognes, l’extase du héros dans la neige, la description de la Demoiselle Hideuse, la venue de Clamadeu à Disnadaron, la rencontre de Perceval avec l’Hermite, etc.

    Nous avons également produit nombre d’analyses montrant l’interdépendance de certains épisodes qui se répondent qui témoignent selon nous de la grande unité narrative à l’œuvre dans la partie Perceval. On pense à l’habileté innée du jeune Perceval au lancer du javelot dont il est fait part au début de l’histoire et qui se vérifiera par son coup décisif qui terrassera le Chevalier Vermeil ; à l’art consommé et là encore instinctif de Perceval pour la monte équestre dont il se vante au prudhomme Gornemant et qui s’illustre dans sa capacité à chevaucher la meilleure monture militaire du monde (le cheval du Chevalier Vermeil) et dans les chevauchées fantastiques qu’il accomplit sur son dos ; à la position du Roi Pêcheur à moitié couché dans sa barque lorsqu’il fait son apparition dans le roman, position qui sera reproduite lors du banquet et se révèlera la posture identifiante de ce souverain, découlant d’un singulier handicap dont l’origine sera dévoilée plus tard par la cousine de Perceval (une blessure empêchant le Roi de se maintenir dans aucune des stations humaines). Il y a aussi la passion dévorante de Perceval pour la couleur vermeille qui est le mobile de l’affrontement avec le Chevalier Vermeil pour obtenir son armure, laquelle passion explique la fascination qu’éprouvera plus tard le chevalier pour le graal irradiant une semblable couleur. Il y a également la mort de la mère de Perceval lorsque débute l’histoire, causée par le départ de son fils voulant devenir chevalier : elle se révèlera un péché responsable de l’échec de Perceval à l’épreuve du cortège lors de sa première visite chez le Roi Pêcheur. On citera encore, en faveur de cette grande unité, la multiplication des scènes formant des diptyques comme celles du duel de Perceval et de l’Orgueilleux de la Lande, ou encore l’outrage du sénéchal Keu à Perceval lorsque ce dernier se rend pour la première fois à la Cour d’Arthur, et la vengeance annoncée qui trouvera sa réalisation bien plus tard, etc. La duplication de scènes constituant des sortes de pendants participe également de cette facture unitaire du récit : les rempognes successives, les réceptions initiatiques de Perceval chez des Prud’hommes accomplis avec banquets fabuleux (Gornemant et le Roi Pêcheur), ou celles des adversaires vaincus par Perceval chez le Roi Arthur ; le parallèle établi entre les tables du Roi Pêcheur et d’Arthur au moment de la Pentecôte.

    L’attitude vilipendée de « focalisation exclusive » sur l’épisode du cortège conduisant à une mutilation coupable du texte champenois et à une méprise fatale dans son approche est donc totalement irrecevable car infondée : une place consistante a été accordée à l’œuvre, à la fois par des micro-analyses spécifiques et par un souci répété d’éclairage de la méta-structure d’ensemble. Tout cela semble participer d’une volonté manifeste de compréhension de l’histoire entière. Que certaines des propositions puissent être discutées est un autre débat sur lequel le médiéviste n’a visiblement pas souhaité s’engager. Nous avons également tenté d’identifier pour nombre des épisodes des mythèmes correspondants dans les littératures médiévales des sociétés celtiques insulaires et avons défendu au moyen du comparatisme structural que ces schémas mythologiques celtiques puissent avoir servi de matrices et avoir été empruntés à une seule source unitaire mythologique galloise sur laquelle nous aurons l’occasion de revenir. On conviendra qu’en cela nous sommes loin de « réduire l’interprétation ‘mythique’ du roman » à la seule séquence du cortège pour lui trouver commodément des analogues celtiques.

    Cette accusation injustifiée participe de la même démarche de détraction malveillante déjà constatée et orchestrée en conscience par Philippe Walter, car ces pans entiers de notre livre volontairement passés sous silence lui permettent de produire une attaque critique envers notre étude dénonçant un défaut inventé de toutes pièces, le troisième déjà. Dans la continuité de cette démarche, la dénonciation de cette tendance à la reductio ad cortegium Gradalis du roman de Chrétien de Troyes est l’occasion pour Walter d’une association peu flatteuse de notre personne au personnage du brigand grec du cycle mythologique de Thésée, Polypémon surnommé Procuste, personnifiant à ses yeux la figure métaphorique du « mauvais comparatiste ». Notre identification à ce repoussoir scientifique est l’occasion pour le médiéviste de se faire valoir par contraste en héros philologue théséen protecteur du CdG et en bon comparatiste à même par son approche méthodique globalisante et respectueuse de pouvoir décrypter ce qu’il considère plus loin être « un Everest de 9234 vers ». Ainsi émerge à nouveau en arrière-plan ce qu’on peut tenir pour un des axes discursifs de ce compte rendu : le médiéviste cherche en permanence à positionner l’auteur recensé et lui-même au sein d’une représentation du monde scientifique binaire et manichéenne où il se place au pinacle du côté des chercheurs compétents et où il nous situe à l’extrémité opposée. Philippe Walter livre un affrontement extrêmement personnalisé au travers de cette recension où il se veut à la fois juge et partie, ce qui n’est pas gage de neutralité ni d’impartialité objective dans les sentences prononcées comme nous avons déjà pu l’apprécier.

    Après avoir souligné l’erreur de la focalisation, il entend montrer que la manière d’aborder l’épisode du cortège contient elle-même un vice de fond la rendant caduque puisque parler de cortège serait un abus de langage et qu’il n’y aurait pas d’entité pouvant répondre à l’appellation de « cortège du graal ». Affirmer qu’il n’y a pas de cortège du graal, c’est là faire une grande violence au texte de Chrétien de Troyes. Le trouvère champenois met en avant un ensemble d’objets merveilleux et luxueux qui sont propriétés du Roi Pêcheur et qui sont portés par des jeunes gens masculins et féminins de haute naissance faisant partie de la domesticité de ce même souverain et procédant à des passages répétés d’ordre ritualiste dans la grand-salle. À ce titre, l’usage du nom moderne cortège (1622), emprunté à l’italien corteggio (attesté dès 1526 sous une forme latinisée cortegium ; corteggio est un substantif verbal de corteggiare, dér. corte < lat. curtis « cour ») et évoquant un groupe de personnes faisant partie de la suite d’un personnage important, de sa cour (terme renvoyant à l’unité domestique d’un seigneur féodal), et marchant avec cérémonie, est donc la plus en adéquation, en tout cas la moins imparfaite qu’il soit pour désigner l’ensemble constitué. De grands romanistes et bons connaisseurs du CdG tels Jean Frappier ou Jean Marx, Lucien Foulet et Joël H. Grisward, ne se sont pas faits défaut d’y recourir eux aussi, de même que les éditeurs et traducteurs du texte. La mise en garde de la part de Philippe Walter contre l’emploi abusif du mot « cortège » pour le groupe graalien surprend d’ailleurs, d’autant plus qu’il l’introduit en déclarant le besoin de répéter la chose, comme s’il s’agissait d’un point connu et admis. Philippe Walter est le premier à formuler une telle opinion ici même, alors qu’elle ne figure pas même dans son livre sur le graal précédemment nommé (2004). Il retient dans ce dernier cet unique terme de cortège pour dénommer le groupe en trois occasions fort distantes, ce qui démontre une conception alors bien installée dans son esprit, parlant d’ « un étrange cortège » (p. 16) et du « cortège du Graal » (p. 163 et 203), et cite également la traduction d’un extrait du CdG par Daniel Poirion (Gallimard, 1994, d’après BnF Ms. fr. 794) qui utilise ce terme anachronique (p. 17), sans jamais sourciller ni mettre en garde contre l’usage inapproprié. Notre premier de cordée était lui-même tombé dans la crevasse exégétique. Peut-être sa pensée a-t-elle évolué sur ce point, il n’apporte en tout cas aucun argument en soutien à ce virage théorique. Car en l’état, marteler comme un mantra et sur l’air des lampions qu’il n’existe pas de cortège n’est pas suffisant pour remettre en cause la réalité factuelle qui ressort du texte. Il a, par contre, raison de mettre en garde contre l’emploi du mot « procession » pour caractériser notre groupe, mais il n’y a pas lieu de nous reprocher cet emploi puisque nous avons consacré les pages 63 à 66 à rappeler le contexte profane dans lequel évolue le graal dans le roman, les proscriptions ecclésiastiques du temps et les représentations des processions religieuses, pénitentielles et funèbres dans les différents textes de Chrétien de Troyes qui font que le cortège du graal ne pouvait s’apparenter pour lui à une procession religieuse.

    Philippe Walter va plus loin que récuser des appellations impropres pour parler du groupe de trésors merveilleux transportés sous les yeux de Perceval : il nie l’existence même du groupe puisqu’il livre en suivant son explication du ‘cortège’ réduite au seul graal. Il effectuerait un service de bouche durant le banquet servi à Perceval par le Roi Pêcheur et il délivrerait au jeune chevalier une initiation aux nourritures terrestres et spirituelles. Cette reductio ad Gradalem est là une interprétation inacceptable du texte de Chrétien puisque le cortège ne saurait se limiter à la seule écuelle du graal : en plus du graal, il y a un second vaissel de table appelé tailloir, mais aussi une lance dont le fer goutte en permanence du sang et investie d’une puissance militaire fabuleuse, laquelle lance ouvre la marche et n’a pas de rôle particulier à tenir dans un office de table. Cet ensemble singulier d’objets vu par Perceval chez le Roi Pêcheur est rappelé en deux autres occasions (vv.3548-3569 ; 4652-4661), ce qui montre la solidarité de ses composants : ils sont compris dans l’esprit du romancier comme formant une entité-groupe. Entité-groupe auquel Chrétien prête un pouvoir dont la finalité est la régénération de la souveraineté : interroger sur les trésors du cortège, c’est dans son récit permettre la restauration de la santé du roi et de son royaume. Parmi les questions salvatrices à poser au sujet du cortège, une concerne le graal – connaître le destinataire de son service ; celle sur son contenu alimentaire n’est jamais verbalisée – et une autre se rapporte à la lance apprendre pourquoi la lance saigne . Il n’est donc pas permis de « focaliser exclusivement » sur le seul graal pour tenter d’expliquer le groupe de trésors merveilleux ni d’extrapoler l’épreuve initiatique qui s’y rapporte à une prise de conscience par le jeune chevalier des nourritures matérielles et spirituelles. Traiter convenablement du cortège du graal exige de prendre en considération les différents éléments solidaires et complémentaires qui le composent : Philippe Walter en convenait dans son propre livre où il parlait du cortège du graal comme d’une série significative de trésors qui demande à être envisagée globalement (p. 160). Il semble depuis avoir révisé sa position et s’être radicalisé, mais cela s’avère en contradiction avec la lettre du texte.

     

    1. L’existence avérée d’un proto-roman percevalien gallois

     

    Philippe Walter poursuit sa charge en écrivant : « En fait, l’auteur ne s’intéresse pas au Conte du Graal. Il s’en sert plus qu’il ne le sert pour un objectif vain et naïf : démontrer l’existence d’un texte gallois qui n’a jamais existé et qui, à supposer qu’il existât, n’expliquerait en rien le moindre passage du Conte du Graal, encore moins les quelques vers de l’œuvre retenus pour la présente enquête ».

    Après donc avoir dénoncé une reductio ad cortegium Gradalis du texte de Chrétien, le médiéviste nous accuse de lui faire subir cette fois une reductio ad fabulam cambrianam, ce qui a au moins le mérite d’offrir une reconnaissance explicite de sa part que notre approche jivarienne du texte champenois dépasse les limites de la seule scène du cortège du graal. Il nous prête une instrumentalisation du texte au seul prétexte de vouloir démontrer l’existence d’un « texte gallois ». Philippe Walter ne semble guère soucieux ici d’être intelligible auprès de ses lecteurs. Tentons donc une explicitation de son propos cryptique : nous mettons en avant dans notre ouvrage – c’est un point important de ce travail, mais qui est loin de pouvoir le résumer dans son entier – des indices factuels qui plaident en faveur de l’existence d’un texte arthurien gallois perdu qui, d’après nous, serait la source unique d’inspiration du roman graalien de Chrétien de Troyes. Philippe Walter récuse cet écrit d’une simple affirmation péremptoire : selon lui, il n’a jamais existé. Son allégation se heurte malheureusement à la réalité des faits qui corroborent l’existence de cette source galloise, véritable proto-roman graalien.

    D’abord parce que Chrétien avoue dans le préambule n’avoir fait que versifier un conte arthurien en prose préexistant que lui a remis son commanditaire le comte de Flandre, et qu’il rappelle à plusieurs reprises au cours de la partie percevalienne suivre cette œuvre, tant et si bien qu’aucun épisode ne semble avoir été absent de l’histoire. On admet généralement que cette source n’est pas fictive puisque Chrétien prend soin de préciser que c’est son puissant mécène qui la lui a fournie et cette entrée en matière rendrait un fort mauvais hommage à Philippe d’Alsace si cela était inexact. Ce à quoi on peut rajouter les brèves allusions que Chrétien consacre à Perceval dans deux romans précédents, Erec et Enide (c. 1160/1170) et Cligès (1176), qui sont suffisantes à démontrer l’ancienneté du personnage et des thèmes majeurs le concernant que l’on retrouve dans le CdG : Chrétien y met déjà en scène une confrontation de Perceval avec un chevalier à l’armure vermeille et fait référence au surnom ethnique de Percevax li Galois indissociable de la scène de son arrivée à la Cour d’Arthur dans son accoutrement rustique à la mode de Galles et de la scène de révélation de son nom par sa cousine. Cela valide la préexistence des aventures percevaliennes ou partie d’entre-elles dont Chrétien a eu vent dès les décennies 1160-1170 et rend compte de leur pénétration dans les lieux cultivés de Champagne.

    Ce roman en prose suivi par Chrétien était composé dans son idiome puisqu’il en donne le titre en langue vulgaire exploitant le nom du graal - Li Contes del Graal – lequel laisse admettre que le vaissel y jouait déjà un rôle central et que l’histoire contée comportait déjà la scène du cortège, ce que confirme Chrétien de Troyes qui signale suivre sa source à la fois dans la scène du banquet chez le Roi Pêcheur où apparaît le cortège, mais aussi au début de l’épisode de l’ermite où est levée l’identité du bénéficiaire du service du graal. Mais, comme nous le rappelons dans une des notes qui ponctuent notre étude et qui sont tenues par Philippe Walter pour tragiquement inutiles (voir § 7), la mode pour les romans en prose dans la littérature française ne se fait pas jour avant le début du XIIIe siècle et les premiers romans en prose ont consisté dans le dérimage d’anciennes romances versifiées. Au temps de Chrétien de Troyes, c’est la forme en vers octosyllabiques qui domine l’art littéraire en langue vulgaire, la forme-prose reste cantonnée à des écrits religieux, plus rarement à des textes historiques et à des actes juridiques, et recourt principalement au latin[5]. Il a pu y avoir bien sûr quelques cas précurseurs (peut-être la chantefable prosométrique Aucassin et Nicolette dont la datation discutée pourrait remonter au dernier quart du XIIe siècle selon l’estimation la plus haute), mais ils ne concernent pas le genre romanesque arthurien. Nous nous trouverions avec ce conte devant un cas pour le moins original avec la création d’un récit conçu initialement en prose qui a fait l’objet d’une adaptation en vers postérieure. Peut-être tenons-nous donc là un indice suggestif que le livre baillé à Chrétien ait pu être une translation d’une œuvre arthurienne brittonique en prose, la forme-prose étant monnaie courante dans les littératures moyen-irlandaise et moyen-galloise : nous disposons avec le Conte de Kulhwch et Olwen d’un magnifique exemple de ces textes arthuriens en prose produits dans le foyer culturel cymrique dès le début du XIIe siècle.

    L’existence d’un proto-conte gallois percevalien est encore appuyée par le contenu du roman arthurien gallois composite de lHistoria Peredur ab Evrawc, dont la tradition manuscrite démarre au début du XIVe siècle. La première partie de cette œuvre, celle dont l’histoire est très proche de celle percevalienne racontée par Chrétien de Troyes et qui lui est potentiellement antérieure puisqu’elle reprend un texte dont la langue a été rafraîchie, mais dont les archaïsmes font estimer la rédaction par les éditeurs au courant du XIIe siècle, restitue certains des schémas mythologiques autour desquels la trame a été élaborée – lesquels appartiennent aux anciennes traditions poétiques des Celtes insulaires – de manière bien plus conventionnelle et plus complète que ne le fait le CdG. Nous pensons, entre autres, à la chasse-poursuite à pied de cervidés par un jeune héros, ou encore au portrait tripartite et tricolore de la bien-aimée (cheveux noirs comme le corbeau, joues rouges comme le sang, et corps blanc comme la neige). Ou encore au traitement réservé au motif du cortège lui-même : il est dépeint sous un jour entièrement non christianisé[6]. La forme archaïque de ces schémas exclut qu’ils puissent avoir été empruntés au conte champenois : ils remontent manifestement à un texte gallois qui véhiculait un état plus ancien de l’histoire.

    Par ailleurs, en confrontant les deux plus anciens contes graaliens continentaux, le CdG et le Parzival en moyen haut-allemand, il est apparu que Wolfram von Eschenbach, l’auteur du second, dispense des mythèmes celtiques qui sont soit plus complets que ceux proposés par le trouvère champenois (blessure du Roi Pêcheur ; cavalcade féérique), soit inédits (naissance de Parzival aux bras hypertrophiés), et que certains des éléments narratifs propres au déroulement de l’histoire percevalienne y sont également mieux traités (nous pensons à la restitution explicite par Wolfram du pouvoir alimentaire du graal et à la reconnaissance du caractère hyperbolique du ‘tailloir’ dans la scène du cortège ; ainsi qu’à la référence de Wolfram au refus du valet gallois du don d’une armure par Arthur lors de sa première venue à la cour, une péripétie absente de la même scène dans le Conte du Graal, mais dont il est fait un rappel maladroit par Chrétien dans un second temps). Ces faits de composition montrent que Wolfram ne suivait pas le trouvère troyen en dépit des nombreuses correspondances formulaires pointées par Jean Fourquet en son temps, mais dépendait d’une source percevalienne très proche qui exploitait une tradition préchampenoise. Et le constat d’une différence d’appellation chez Chrétien et Wolfram à propos de la lance du cortège (blanche lance pour le premier, gelüpten sper « lance empoisonnée » pour le second), seule différence notable dans leur codification de l’arme résultant plausiblement d’une divergence de traduction à propos du m.-gall. gwenwynwayw désignant habituellement la lance merveilleuse de l’imaginaire celtique gallois, permet de soutenir favorablement l’hypothèse que les romans percevaliens a.-fr. consultés par le trouvère champenois et le poète bavarois s’appuyaient sur des translations indépendantes d’une même histoire galloise ou de versions très proches de cette même histoire.

    La critique interne du CdG et la confrontation de ce roman à d’autres textes arthuriens permettent donc bien d’établir factuellement l’existence de cette source même si elle ne nous est pas parvenue. Dire cela ne procède pas d’une manipulation arbitraire du CdG, mais d’une honnête exposition de faits textuels – lesquels ne se limitent pas du reste audit roman – qui appelle à tirer les enseignements qui s’imposent. Le recenseur ne prend nullement la peine de discuter et de réfuter le moindre des éléments qui étayent de manière concluante l’hypothèse de l’existence de la source galloise. Il se contente de les passer commodément sous silence, car ils ne sont guère récusables. Et il rejette catégoriquement l’hypothèse et la taxe de vaine et de candide, en prétextant une pseudo-instrumentalisation du texte de Chrétien de notre part et en décrétant dogmatiquement l’inexistence de cette source. Au regard des faits, sa posture tient plus du dénialisme scientifique que de la démonstration convaincante. Il faut rajouter que « l’existence du texte gallois » n’est un mirage hypothétique que pour le Philippe Walter de ce compte rendu, le Philippe Walter auteur du livre « Perceval : le pêcheur et le graal » admettait lui l’existence de l’ « opuscule » fourni par Philippe d’Alsace à Chrétien et reconnaissait qu’il s’agissait d’une œuvre britannique, écrite « dans une langue celte, probablement en gallois si l’on en croit certains détails onomastiques ou toponymiques », dont Chrétien avait reçu une transcription et dont il réalisa une adaptation (p. 36 et 57-59). Philippe Walter semble soit avoir des positions très évolutives pour ne pas dire versatiles sur les questions graaliennes, soit souffrir de quelque trouble dissociatif de l’identité scientifique.

    Il affirme ensuite qu’ « identifier un tel texte, à supposer qu’il existât, ne permettrait pas pour autant d’expliquer une seule ligne de l’œuvre de Chrétien ». Ne déduisons pas trop hâtivement du propos que le reviewer puisse commettre l’erreur commune à beaucoup de romanistes actuels de juger accessoire la question des sources pour comprendre l’apport d’un romancier à une histoire arthurienne, évacuant ainsi le problème inhérent à cette question qu’elle demeure le plus souvent impossible à résoudre en raison de nos corpus extrêmement fragmentaires des textes des sociétés de l’Europe médiévale. En dépit de nos piètres aptitudes en philologie, l’explication du propos nous semble résider ailleurs : Philippe Walter arrive à minimiser l’importance de cette source, dans l’éventualité où elle existerait, car il est partisan d’attribuer toute l’histoire au génie créatif de Chrétien de Troyes qui aurait remodelé à sa guise quelques schémas folkloriques ou celtiques pour en retirer un récit profondément original, et part de ce présupposé épistémologique pour analyser l’œuvre, comme il le déclare dans son Perceval : « Le premier ‘roman’ du Graal, c’est-à-dire le premier texte qui pose véritablement les bases du mythe, est dû à Chrétien de Troyes » (p. 12 ; voir aussi p. 21 « De l’inexistence d’un « mythe du Graal » avant Chrétien de Troyes »). Dans son livre, il minimise l’œuvre en possession de Chrétien, ce « conte d’origine brittonique (galloise probablement puisque Perceval est gallois) si l’on suit les travaux de Jean Marx », dans laquelle il ne voit pas un roman arthurien, mais un conte de tradition populaire mis par écrit qu’il identifie à une version brittonique du Conte du Roi des Poissons (conte type n° 303 dans la classification de Antii Aarne et Stith Thompson) : ce conte selon lui n’aurait fourni que l’un des principaux canevas narratifs de l’histoire, que l’auteur aurait adapté et profondément remanié, puisqu’emporté par son sujet, il en aurait tiré un récit d’initiation chrétienne de dimension hermétique (p. 36, 58-59). C’est ce même postulat qui sous-tend vraisemblablement ici son jugement puisqu’il exprime un peu plus loin la même conviction qui en est à l’origine : « Redisons clairement qu’il n’y a pas de « mythe du graal » avant Chrétien ». Cette position n’est cependant pas soutenable au regard des faits textuels puisqu’il est acté :

     

    • que Chrétien de Troyes a réalisé avec le CdG une transposition versifiée consciencieuse d’un roman arthurien préexistant qu’il admet suivre pas à pas. Les nombreux rappels à cette œuvre en témoignent et montrent qu’il ne s’est pas écarté de la trame héritée ;

     

    • que la plupart des épisodes percevaliens incluent une référence à cette source entérinant leur préexistence, scène du cortège du graal y comprise ;

     

    • que Chrétien atteste lui-même dans des œuvres précédentes de l’antériorité du nom et du surnom de Perceval et d’épisodes fameux de sa jeunesse sauvageonne et de son combat contre le Chevalier Vermeil ;

     

    • que le choix du nom ancien français accolé au vase ne doit rien à Chrétien et figure déjà chez son devancier français dont le récit en prose s’apparentait à une translation d’un conte arthurien gallois.

     

    L’apport du poète champenois tant dans la création de la fiction graalienne que du découpage de l’histoire, demande donc à être relativisé. Être au service d’un texte, c’est essayer de comprendre ce qu’il est, mais aussi ce qu’il n’est pas : il convient de rendre justice à l’inventivité (relative) de l’auteur anonyme gallois qui a composé le conte avant Chrétien de Troyes et de rendre au Champenois ce qui lui appartient, la réalisation d’une œuvre de commande qui est loin d’être l’aboutissement de son art comme certains ont cru l’entrevoir et où son apport créatif doit être minoré et situé plutôt à la marge, à l’exception du prologue. Et puisque Chrétien s’appuie largement sur une source préexistante, elle explique forcément beaucoup de son texte et des clés de lecture sont nécessairement à retirer du foyer culturel gallois où elle a été élaborée. Ne pas en tenir compte c’est forcément commettre une erreur philologique de taille quant à l’étude du texte.

    Ce constat appelle évidemment à s’interroger sur l’apport réel de Chrétien de Troyes à cette histoire dont il n’est certes pas l’inventeur, mais dont la version a fait date en raison de son talent et de sa réputation, et a eu sur le succès de cette histoire et sa postérité un rôle considérable. Ce d’autant plus que l’usage est connu de la part des romanciers effectuant des reprises – la littérature graalienne française le manifeste fort bien – de procéder à des modifications, des réappropriations des thèmes, etc. Nous l’avons fait dans la sixième partie du chapitre 10 intitulée « l’apport réel de Chrétien de Troyes » (p. 352-355). Nous y faisons valoir que Chrétien n’est non seulement pas l’inventeur de la trame percevalienne, mais qu’il n’est pas même sûr que l’entrecroisement des aventures de Perceval et de Gauvain, dans lequel on a voulu reconnaître la marque de son art consommé de la belle conjointure, soit de son fait : par deux fois il y fait part de la dépendance au conte de son prédécesseur. De même, dans la partie ‘perceval’, Chrétien déclare que la parenthèse de la visite de Clamadeu à la Cour d’Arthur figurait déjà dans la source qu’il suit, ce qui témoigne donc d’un goût effectif de son prédécesseur français (ou de la source que ce dernier traduit) pour le procédé de la double narration, goût dont on dénombre d’autres illustrations dans la même partie (scène des reproches entre l’Orgueilleux de la Lande et sa Bonne Amie, ou le dialogue entre Arthur et Keu, puis celui d’Arthur et d’Yonet, lorsque le jeune valet gallois sort de la scène après avoir remporté son premier duel à Carduel).

    Il n’est rien moins sûr non plus que l’esprit courtois et la teinte chrétienne propre à une société féodale qui règne dans le conte lui soit imputable et procède d’une inflexion personnelle. Il ne s’agit pas de nier qu’il ait pu contribuer au renforcement des valeurs socio-culturelles et chrétiennes de la société féodale continentale qui imprègnent l’histoire. Cet apport est cependant sans nul doute à minimiser également, car il semble acquis que la scène où Perceval se rend chez l’ermite ait préexisté, de l’aveu de Chrétien en personne qui se place sous l’autorité de sa source pour la raconter. Et c’est au cours de cet épisode que Perceval achève sa formation chrétienne, un Vendredi Saint, découvre la pénitence et la rédemption salvatrice, accède à certains mystères chrétiens, et prend conscience des devoirs chrétiens qui incombent au chevalier. C’est en cette occasion aussi que la sainteté du graal est notifiée, que Perceval apprend que son échec à l’épreuve du cortège a été causé par un péché et qu’il n’a pu retrouver le chemin de la demeure du Roi Pêcheur durant les cinq dernières années parce qu’il s’est détourné de Dieu. Cet épisode dispense un plaidoyer en faveur de l’esprit chrétien qui doit animer la chevalerie : il est affirmé et validé que le meilleur chevalier du monde ne se caractérise pas seulement par ses exploits militaires et sa courtoisie, ou par sa recherche constante d’aventures et de merveilles : il doit aussi être paré des plus hautes vertus chrétiennes pour réussir la quête graalienne. Prenons en considération également que la partie la plus ancienne de l’Historia Peredur préservant les schémas empruntés à la mythologie celtique sous une forme plus archaïque que celle retransmise dans le Conte du Graal, baigne, quant à elle, déjà dans une atmosphère courtoise. Cela laisse croire que la version du conte pérédurien reprise par l’auteur de l’Historia Peredur dans sa première partie, version écrite dans une langue moyen-galloise du XIIe siècle et possiblement antérieure au CdG, adoptait déjà un ton courtois comparable à celui que l’on trouve dans le roman de Chrétien de Troyes. La forme d’expression courtoise ne doit pas surprendre chez des lettrés gallois du temps puisqu’on peut la voir également déployée dans les Mabinogion contemporains.

    Puisque Chrétien paraît s’être appliqué à suivre sa source et à exécuter la mise en rimes pour laquelle on l’avait engagé en ouvrier du vers besogneux – en réalité plutôt en maître-artisan dans l’art de la versification octosyllabique, capable de dominer tout à la fois la forme rythmique, la structure syntactique et la musicalité de l’expression –, c’est sans doute plus sur la forme, sur le rendu des scènes, qu’il faut valoriser la contribution du Champenois. Certains éléments narratifs et tournures laissent entrevoir sa patte et ses artifices littéraires, et le travail de réécriture et de réélaboration qu’il a pu mener à l’intérieur du cadre narratif fourni. Nous en avons signalé quelques cas manifestes dans les pages précitées. Ainsi certains formulaires usuels dans les romans du Champenois comme le traitement du rayonnement merveilleux dans la description du graal, ou certaines inflexions qui laissent transparaître le talent poétique comme dans la scène de chasse aérienne dans le tableau de l’Extase ‘celtique’ de Perceval devant une nature morte lui rappelant sa bien-aimée Blancheflor. Le savoir-faire de Chrétien de Troyes n’est peut-être pas pour rien encore dans la finesse du rendu du profil psychologique évolutif du personnage de Perceval – les textes littéraires celtiques médiévaux, encore fortement liés aux conventions narratives de la tradition orale, ne font pas la part belle aux portraits psychologiques des personnages  –, ou dans la qualité des dialogues des personnages tourmentés par les souffrances de l’amour.

    Parmi les remaniements opérés par Chrétien de Troyes plus flagrants, on peut encore porter à son crédit une entreprise d’amenuisements menée à l’encontre de bon nombre des séquences offrant une transposition arthurienne d’épisodes mythologiques celtiques. Chrétien de Troyes a réadapté ces séquences à sa sensibilité, en phase avec les schémas de pensée de son époque. Les thèmes mythologiques ramènent à un référentiel culturel allogène sans doute relativement hermétique à la sensibilité du Champenois. Il est évident que c’est moins en raison du relent de paganisme de cette matière mythologique – le conte est fabula, rien de plus pour le romancier pétri de culture cléricale –, que par l’incompréhension ou le désintérêt éprouvé(e) devant l’étrangeté du merveilleux celtique qui dépasse les limites de son propre sens du surnaturel, ô combien raisonnable. Chrétien a ainsi opéré un rabotage, une édulcoration, une rationalisation de la plupart des motifs (nous renvoyons pour le détail aux pages signalées). Nous incriminons Chrétien de cet exercice de gauchissement puisque, à l’inverse, Wolfram, qui semble avoir travaillé à partir d’une source française exploitant une version extrêmement proche de celle manipulée par le Champenois, a incontestablement mieux préservé la facture mythologique des mêmes motifs, trahissant une tolérance plus grande envers les éléments fantastiques.

    Il nous semble que chercher à évaluer objectivement, comme les propos qui précèdent peuvent en témoigner, l’apport réel de Chrétien à l’histoire de Perceval et la part de ses emprunts, en ne cédant pas à l’idolâtrie pour le trouvère troyen, c’est placer la compréhension du récit (dans son entier) au cœur de notre démarche.

    Philippe Walter rejette tout, en bloc, de la proposition que nous défendons, valable au regard de la vérité factuelle. Il estime suffisant d’y objecter des spéculations gratuites (il n’y a pas de texte gallois préexistant, et s’il y en avait un, il n’expliquerait rien de l’histoire) comme si elles avaient la valeur de connaissances acquises alors qu’elles ne supportent pas la confrontation avec les faits textuels. Il est important de constater que ces spéculations sont du propre cru du médiéviste et reposent sur une conception toute personnelle du CdG considérant Chrétien comme le génial inventeur de l’histoire. Cela pourrait expliquer l’affrontement frontal qu’il nous livre dans ce compte rendu. Admettre la réalité d’un proto-roman graalien gallois dont Chrétien n’aurait fait que reprendre la trame et les scènes, serait reconnaître qu’il s’est trompé, que l’éclairage qu’il a proposé du CdG n’était pas valable. Tout chercheur est appelé un jour ou l’autre à réévaluer ses théories à l’aune de l’évolution des connaissances ou de sa maturation personnelle. Le fait que Philippe Walter s’arc-boute sur des convictions personnelles au détriment des faits, et qu’à défaut de pouvoir les défendre par un argumentaire scientifique recevable, il cherche à discréditer notre étude par de bas procédés de rhétoriques éristiques, montre qu’il n’est pas prêt à se remettre en cause. Il est pour l’instant à un stade de dénégation de la réalité, mécanisme psychologique qui le conduit à adopter un comportement ascientifique. Cette attitude manifeste qu’il est moins au service du texte champenois, comme il le croit, que de sa propre hypothèse.

     

    1. Du recours inexistant à la trifonctionnalité du cortège du graal pour identifier la source mythologique lugienne des aventures de Perceval

     

    Philippe Walter avance ensuite que « Le recours au gadget (dumézilien) des trois fonctions permet de reconstituer, à peu de frais, un archétype fantôme de Chrétien : un conte gallois retraçant les enfances du dieu Lleu (Lug) Llaw Gyffes. Le problème est qu’aucun texte celtique (irlandais ou gallois) relatif à Lug ne présente solidairement les trois objets graal, lance et tailloir interprétés « trifonctionnellement ». Le vain projet s’effondre de lui-même ». Notre recenseur ici encore déroge à la règle première que devrait s’appliquer tout chercheur s’adonnant à un exercice de compte rendu d’ouvrage : accomplir une présentation objective et critique de ce dernier. Outre qu’il produit une description caricaturale indigente et péjorative de deux parties de notre recherche, son résumé est volontairement controuvé puisqu’il établit un lien de cause à effet entre les deux parties qui est totalement absent de notre recherche : l’usage du « gadget (dumézilien) des trois fonctions » n’a aucun rapport dans notre travail avec l’identification d’un conte gallois sur les enfances du dieu Lleu Llaw Gyffes qui pourrait avoir servi de matrice au proto-récit graalien[7].

    En effet, et pour le dire sur un mode moins synthétique et donc plus compréhensible pour le lectorat, nous recourons à l’idéologie indo-européenne des trois fonctions dans le chapitre 4 de notre étude lorsque nous procédons à la confrontation structurale entre le motif arthurien du cortège du graal et le motif des insignes merveilleux de la souveraineté celtique que l’on retrouve exploité de façon pérenne au sein des productions littéraires médiévales des sociétés insulaires des Gaëls et des Gallois et qui offre une représentation mythifiée d’une institution archaïque de regalia commune aux sociétés celtiques dont on a conservé la trace en Irlande dans les lois alto-médiévales.

    Nous y rappelons pour commencer la définition de cette représentation mythique des insignes royaux que partagent les Irlandais et les Gallois :

     

    - ces insignes sont formés par un ensemble d’objets indissociables et complémentaires afférents aux devoirs fondamentaux que le souverain doit remplir. Ils sont admis être les emblèmes de son statut royal, mais aussi de véritables talismans garants de son pouvoir ;

     

    - s’ils sont variables dans leur nombre et déclinés sous forme de triades, de tétrades, de pentades ou encore d’heptades, etc., ces objets sont porteurs d’une valeur symbolique différentielle qui détermine leur organisation à partir de l’idéologie trifonctionnelle indo-européenne. Chaque objet est représentatif symboliquement d’une des trois fonctions qui organisent théoriquement l’univers et la société – à savoir une première fonction concernant les aspects magiques et juridico-sacerdotaux de la souveraineté, une seconde fonction consacrée à la force guerrière et une troisième fonction d’abondance incluant tout ce qui a trait à la fertilité, la production des biens, la santé, la sexualité – selon un système de représentation dont les travaux menés par le comparatiste Georges Dumézil entre 1938 et 1986 ont révélé qu’il était partagé par de nombreux peuples historiques d’ascendance linguistique et culturelle indo-européenne et remontait vraisemblablement à un héritage culturel commun ;

     

    - les propriétés magiques dont sont investis ces objets leur confèrent une nature animée et en font les meilleurs objets de leur catégorie ;

     

    - ces objets hyperboliques qui incarnent l’essence parfaite d’une des trois fonctions, permettent donc au roi qui les détient de remplir de la meilleure des manières les devoirs sociaux qui lui incombent dans le champ des trois fonctions qui organisent théoriquement la société, et d’assurer l’équilibre et l’harmonie de ces fonctions. Le pouvoir royal, tel qu’il apparaît ainsi codifié à travers ce programme idéal de gouvernement commun aux sociétés gaélique et galloise, s’avère répondre à une conception de la souveraineté héritée du berceau culturel indo-européen de ces populations celtophones.

     

    Nous mettons ensuite en évidence que le cortège du graal reproduit un identique schéma, approfondissant et confortant en cela une interprétation développée par le médiéviste Joël H. Grisward (1979)[8] à partir d’une suggestion de Dumézil (1941)[9]. Le cortège du graal met lui aussi en scène un ensemble triple d’objets civilisationnels rattachés à un domaine mobilier royal. Ces objets répondent à une codification de trésors hors du commun, à la fois de par leur valeur économique intrinsèque exceptionnelle et l’excellence artistique déployée pour leur réalisation qui en font d’inégalables chefs-d’œuvre, mais aussi de par leurs propriétés fabuleuses. Chaque objet dispose en propre de qualités merveilleuses spécifiques, lui permettant de remplir sa vocation naturelle d’objet de manière hyperbolique. La valeur symbolique différentielle de chacun d’eux permet de vérifier que leur articulation a été opérée au moyen de l’idéologie indo-européenne des trois fonctions : il comprend une lance qui saigne investie d’un pouvoir de destruction extraordinaire (incarnant la fonction guerrière), une sorte d’écuelle en or et gemmée dont la très grande sainteté est notifiée (le graal, incarnant la fonction sacrée), et un plateau en argent dont est simplement retenu le registre alimentaire (le tailloir incarnant la fonction nourricière, dont la dimension hyperbolique et le pouvoir merveilleux sont tus chez Chrétien, mais ressortent chez Wolfram). Chacun d’eux est donc appelé à incarner l’essence parfaite d’une des trois fonctions cosmico-sociales autour desquelles le pouvoir royal était organisé, selon l’ancienne conception indo-européenne de la royauté. Leur caractère de talismans de souveraineté est clairement établi par la capacité qui est prêtée à cette entité-groupe d’objets magiques de pouvoir accomplir une thérapie permettant la restauration de la santé d’un roi (le Roi Pêcheur) et la régénération de son royaume. Rajoutons que ce groupe est partie prenante d’un épisode qui exploite le ressort d’un très ancien thème indo-européen, celui d’une initiation à la souveraineté d’un jeune héros déterminée par une épreuve engageant un groupe trifonctionnel de talismans royaux – notre cortège – dont il doit prendre la mesure. Ici, il s’agit pour Perceval de manifester une reconnaissance instinctive des regalia par la formulation d’une demande, afin d’accéder au savoir qui leur est relatif.

    Le comparatisme structural permet donc d’établir le constat factuel que le motif du cortège avait été élaboré à partir du même modèle qui façonnait le motif des regalia fabuleux commun aux imaginaires des sociétés celtiques insulaires, et qu’il constituait donc une reprise de ce schéma traditionnel tripartite et trifonctionnel dont il offrait une énième déclinaison. L’analyse structurale délivrée dans les trois chapitres suivants du portrait individuel de chacun des objets met en évidence qu’ils reprennent, de par le choix des objets et les propriétés merveilleuses spécifiques qui s’y rattachent, des matrices de regalia mythologiques gallois et que le motif du cortège a probablement vu le jour dans un foyer culturel cymrique.

    Rappelons avant de poursuivre que Philippe Philippe Walter lui-même avait accepté cette théorie en 2004. Il reconnaissait alors les objets de ce ‘cortège’ dont il ne niait pas alors l’existence – il en restituait toutefois fautivement les composants, en raccordant l’épée merveilleuse donnée à Perceval par le Roi Pêcheur à l’ensemble formé par le graal, la lance et le tailloir, ce au prix d’une grossière erreur philologique puisque l’épisode de la donation de l’épée précède le banquet et l’apparition du cortège où elle n’est pas intégrée –, comme une série significative qui demandait à être envisagé globalement. Et il l’expliquait comme un ensemble de talismans royaux légitimant un souverain, ce en se plaçant sous l’autorité de Dumézil et de l’idéologie des trois fonctions, et admettait que chacun des objets correspondait symboliquement à l’une des trois fonctions théoriques organisant la société et en était le patron ou le garant (p. 160-161). Constatons que le médiéviste se montre beaucoup mieux disposé et respectueux à l’égard de l’idéologie trifonctionnelle indo-européenne quand il la manipule lui-même que lorsqu’il rend compte de notre usage : il omettait alors de la rabaisser au rang de « gadget dumézilien » et n’hésitait pas à placer la réalisation de son ouvrage pour saisir le « mythe graalien » à son lever sous la houlette notamment de Dumézil qu’il qualifie de grand mythologue français et tient à préciser que ses ouvrages sur la mythologie indo-européenne ont déjà inspiré ses recherches par le passé (p. 7).

    Dans une autre partie de notre étude (chapitre 6.3 et 4 et chapitre 9), nous mettons en avant, toujours grâce à l’approche comparative et structurale, que plusieurs épisodes fondamentaux qui séquencent la trame de la partie Perceval du CdG et dont il est acté qu’ils appartiennent au roman arthurien en prose dont Chrétien assure la versification, transposent de manière rigoureuse une ancienne matière mythologique celtique unitaire et cohérente concernant les exploits de jeunesse du dieu panceltique Lugus, matière qui était partagée des deux côtés de la mer d’Irlande où elle donnait lieu à des récits thématiques et qui remontait à un héritage religieux et mythologique commun. L’adaptation de mythèmes empruntés à un cycle des ‘Enfances Lugus’ est actée pour la séquence initiale de la jeunesse passée cachée du héros dans la Gaste Forêt où son identité sociale nominale et équestre lui est niée par sa mère, et où sa personnalité de javelotier-né s’affirme à travers ses jeux guerriers exécutés lors de ses déplacements pédestres et ses deux talents cynégétiques couplés (chasse aux cerfs coursés à pied et chasse aux oiseaux pratiquée au javelot). La reprise est également vérifiée pour l’épisode de la première visite de Perceval à la Cour d’Arthur à Carduel où le valet gallois se révèle le sauveur du roi en livrant et remportant son premier duel contre le fléau de la société arthurienne, le Chevalier Vermeil – adversaire qu’il abat d’un coup parfait et puissant de javelot dans l’œil –, puis acquiert en suivant l’identité guerrière de ses rêves en revêtant l’armure étincelante du vaincu. L’emprunt est encore palpable dans la rencontre amoureuse du héros avec la reine Blancheflor, mais aussi pour le récit de la blessure du Roi Pêcheur (décalquant l’épisode de l’acquisition par le dieu de sa lance emblématique lorsqu’il se voit infliger une blessure incurable par cette dernière lui interdisant de demeurer dans aucune des stations humaines) et la thérapie navale qui s’y rattache.

    L’unité thématique des mythèmes recyclés pour élaborer la colonne vertébrale de l’histoire percevalienne amène à supposer qu’ils appartiennent à une seule et même strate de la composition narrative, possiblement originelle, et qu’ils ont été empruntés par le créateur gallois de l’histoire à une seule et même source. Cette présomption est confortée par le constat que ces épisodes lugiens s’enchaînent dans le roman selon un ordre chronologique idoine d’après les recoupements permis par les littératures gaélique et cymrique (jeux guerriers enfantins lors de déplacements, premiers exploits cynégétiques et premier duel, rencontre avec Blancheflor, puis ‘Passion’ de Lugus qui s’inscrivait en clôture de sa jeunesse), ce qui semble trahir une transcription littéraire des plus linéaires d’un seul et unique texte mythologique. Le foyer gallois présumé du récit percevalien incite à envisager l’usage d’un texte mythologique gallois pour réaliser cette adaptation arthurienne du cycle de la jeunesse du dieu Lugus. Plusieurs indices corroborent cette piste. Pour commencer, les affinités décelables entre les épisodes lugiens mis en scène dans le CdG et la partie du récit m.-gall. Mabinogi de Math fils de Mathonwy consacrée aux ‘Enfances du dieu Lleu Llaw Gyffes’ à la fois au niveau de la structure d’ensemble (la quatrième branche des Mabinogion raconte l’histoire de Lleu de sa naissance jusqu’à son arrivée à l’âge adulte et l’ultime épisode concerne la ‘Passion’ de celui-ci), mais aussi dans le détail de plusieurs motifs – nous pensons à la blessure du Roi Pêcheur, au nom floral de Blancheflor la bien-aimée du héros (l’épouse de Lleu se nomme Blodeuwedd « Visage de fleurs »), à la description de la lance également, ou encore à l’identité sociale (nom, statut équestre [et statut marital ?]) du jeune valet niée par sa mère –.

    On le voit bien, ce n’est nullement l’exploitation de la trifonctionnalité charpentant le schéma du cortège qui nous permet de « reconstituer » un conte gallois qui a servi de squelette à la trame du roman percevalien, mais la confrontation structurale de certains épisodes percevaliens avec des schémas narratifs appartenant à la matière mythologique lugienne, et c’est la pertinence des recoupements constatés qui permet de mettre en lumière l’ossature mythologique qui a servi à construire l’histoire percevalienne. On constate donc un mensonge supplémentaire avancé par notre recenseur dans la restitution de notre travail qui en déforme le contenu : il échafaude une relation inexistante entre deux points indépendants de notre recherche. Et cette invention est produite là encore pour servir le même dessein argumentatif de discréditer notre étude : notre détracteur l’avance, l’instrumentalise, pour y opposer un argument censé mettre à bas notre démonstration (« Le problème est qu’aucun texte celtique (irlandais ou gallois) relatif à Lug ne présente solidairement les trois objets graal, lance et tailloir interprétés « trifonctionnellement » ») et entériner l’échec de notre postulat (« Le vain projet s’effondre de lui-même »).

    Le modus operandi suivi, qui inclut dans le cahier des charges l’usage des inévitables formulaires dépréciatifs (« gadget trifonctionnel », « à peu de frais », « archétype fantôme », « vain projet »), rejoint celui des attaques calomnieuses précédemment signalées. On appréciera le caractère rhétorique unitaire qui se dégage dans l’élaboration de ce compte rendu.

    Relevons que c’est la seconde version que Philippe Walter donne en peu de lignes de la façon dont nous aurions procédé pour identifier le substrat celtique du conte. La première restitution n’était pas plus heureuse, mais ne faisait pas appel à la trifonctionnalité du cortège. Il prétendait cette fois que nous réduisions l’interprétation mythique du CdG au seul épisode du cortège « pour mieux lui trouver des analogues celtiques » (sous-entendu les exploits de Jeunesse de Lugus). Procès d’intention erroné là encore puisque c’est à partir de la confrontation d’autres épisodes que nous avons tenté de dégager l’arrière-plan mythologique du récit. Et la méthode prêtée pour y parvenir n’est pas la nôtre : nous ne pratiquons pas le comparatisme analogique, mais le comparatisme structural entre des schémas narratifs, contrairement à Philippe Walter qui en use tout en osant se réclamer de Dumézil – beau paradoxe – : pour tenter de trouver le conte gallois qui a inspiré la scène du cortège, il part de quelques analogies – celles qui l’arrangent et qui n’ont rien de décisives – que semble présenter le Conte du Roi des Poissons auquel il prête sans convaincre une circulation médiévale dans les Celtiques insulaires (p. 61-64), de la même manière qu’il procède pour envisager une filiation entre le Roi Pêcheur et quelque dieu irlandais (Manannán mac Lir, ou encore Nuada, p. 203 et p. 221 n. 18).

    Nous avons limité notre enquête à l’identification des épisodes du CdG dont on peut démontrer de manière irréfutable et immédiate la construction à partir de la reprise de schémas mythologiques d’anciennes aventures propres au dieu panceltique Lugus. Nous avons préféré rester prudent quant à l’origine à attribuer aux autres épisodes mettant en scène Perceval qui ne présentent pas suffisamment de recoupements structurels avec des mythèmes enregistrés dans les cycles gaélique et gallois relatant les exploits de jeunesse du dieu Lugus. L’épisode du cortège du graal et de son épreuve fait partie de cette catégorie et nous signalons dûment que nous n’avons pu identifier de mythème lugien correspondant (p. 337). Cela n’empêche nullement de s’interroger à son propos sur la possibilité que la scène du cortège soit à raccorder à un ancien mythe lugien perdu : nous l’avons fait en fin d’ouvrage sans pouvoir trancher la question (chapitre 10.2 « Un ressort lugien derrière l’épreuve du cortège du graal ? », p. 337-339). Le fait que cet épisode-clé de la trame du roman s’avère partie prenante de cette matière mythologique lugienne – la lance merveilleuse du cortège et l’identité de son propriétaire y puisent leur codification – et interdépendant des autres épisodes percevaliens, obligeait à se poser la question s’il n’avait pas existé un épisode mythique du dieu confronté à une semblable épreuve. Un argument comme celui de Philippe Walter (aucun texte celtique sur Lug ne montre ce dieu investi d’une triade trifonctionnelle d’objets comparables aux trésors du cortège), produit à peu de frais – pour lui retourner le compliment – puisque puisé au fond rhétorique des détracteurs de l’origine celtique des aventures de Perceval le Gallois, n’a en soi rien de dirimant, tant peu des anciens mythes celtiques nous sont préservés, et que le dossier irlandais de Lug met en exergue la relation du dieu aux épreuves trifonctionnelles qualifiantes avec des regalia et que son association aux insignes merveilleux et notamment à la vaisselle rituelle royale revient avec insistance dans les textes.

    L’antagonisme radical manifesté une nouvelle fois par Philippe Walter envers une de nos hypothèses doit être apprécié en prenant en compte que la validation des résultats qu’elle apporte mettrait à mal ses propres théories sur la genèse du CdG. Il est partisan d’une invention de Chrétien, créant grâce à son génie mytho-poétique, une trame romanesque originale à partir de l’assemblage et la revisite subtile de thèmes narratifs hétéroclites issus de diverses traditions folkloriques, remaniant elles-mêmes d’anciens mythes celtiques et plus lointainement indo-européens. La thèse poïetique waltérienne expliquant la composition du CdG se trouve contredite par notre étude qui entend parvenir à démontrer que le roman percevalien préexiste à Chrétien de Troyes et que l’invention d’un thème majeur de la littérature médiévale de l’Europe occidentale, celui de la quête du graal, est à mettre au crédit d’un lettré gallois anonyme dont nous replaçons l’existence au début du XIIe siècle. Étude qui soutient en sus le postulat que ce lettré a bâti la trame graalienne en s’inspirant non d’un patchwork de motifs celtico-folkloriques mais d’un modèle littéraire celtique unique, à savoir un conte mythologique gallois consacré aux ‘Enfances Lleu’. Ce dernier était semblable à celui fourni par le Mabinogi de Math qui circulait à l’époque en Galles mais plus complet : il retraçait la naissance et le parcours de jeunesse du dieu consistant en un chemin d’accession à la souveraineté – souveraineté cosmique, mais qui se voyait sans doute résumée selon l’habitude à quelque microcosme territorial gallois – par l’accomplissement d’une série d’exploits. Le processus créatif du conteur gallois, on le voit, n’était pas basé sur la pure invention mytho-poétique vagabonde, mais perpétuait un procédé de composition courant des anciennes traditions orales épiques des sociétés celtiques insulaires et plus largement des peuples historiques parlant une langue d’origine indo-européenne : cette praxis consiste à construire une séquence ou une histoire entière à partir d’épisodes mythologiques, et à façonner des personnages sur le modèle de prototypes divins.

    Philippe Walter refuse d’engager avec nous un débat scientifique qui aurait consisté à discuter telle ou telle des correspondances soulevées entre tel épisode percevalien et tel mythème lugien. Il tente de renverser la thèse contraire à ses positions sans l’affronter, par un stratagème éristique bâti sur une malversation de nos propos. Une tentative bien illusoire qui témoigne à la fois de son incapacité à remettre ses vues en cause et un terrible aveu d’impuissance scientifique face aux arguments soulevés.

     

    1. La surprenante attribution d’une thèse qui n’est pas nôtre : le chaudron merveilleux du Dagda, matrice celtique du graal

     

    Enfin, avec la dernière des critiques calomnieuses, nous touchons au graal, au sens propre comme au figuré. Philippe Walter rapporte qu’ « au terme d’une improbable trituration de textes celtiques divers et d’un aveuglement assez inexplicable sur la lettre du texte français, il [= l’auteur] veut nous convaincre, par une corrélation illusoire, que ledit graal est en réalité un chaudron celtique : celui du Dagda, auquel l’auteur a consacré un précédent ouvrage (2015) et qui, malheureusement, n’a aucun rapport avec Lug ».

    La présentation rédigée en ces mots peu amènes semble vouloir offrir une synthèse du chapitre 5. Elle ne saurait cependant restituer son contenu dans sa réalité puisque nous n’y avons jamais identifié la matrice du graal au chaudron du Dagda !

    Après avoir procédé au chapitre 4 à la démonstration que l’entité-groupe du cortège du graal avait été codifié à partir de l’application d’un schéma bien connu des littératures celtiques, celui de la représentation mythique des insignes de la souveraineté trifonctionnelle, nous nous sommes proposé dans les trois chapitres suivants de procéder à une analyse structurale et comparative individuelle de chaque trésor du cortège avec des regalia merveilleux des littératures celtiques insulaires médiévales présentant des équivalences, et ainsi évaluer si la codification de chacun des éléments du cortège remontait à un prototype mythologique de regale merveilleux procédant des anciennes traditions orales celtiques en prise avec l’ancien paganisme, ou si elle était le fruit d’un imaginaire distinct.

    Nous avons commencé par le graal au chapitre 5. Nous y avons confronté le portrait qu’en offre Chrétien de Troyes au motif des vases d’abondance nourricière qui connaît de multiples déclinaisons dans les littératures des sociétés celtiques insulaires tout en reproduisant un schéma complexe identique. Nous avons choisi de restituer ce schéma à partir de la représentation la plus complète et la plus fréquente qui en est donnée, celle attenante au chaudron d’abondance, vase merveilleux par excellence des imaginaires médiévaux des Gaëls et des Gallois qui en promeuvent une même codification.

    Le chaudron d’abondance celtique, dont celui du dieu Dagda est en Irlande le prototype mythologique, ne dispose pas seulement d’un pouvoir nourricier inexhaustible, mais de toute une série d’autres caractéristiques connexes et inséparables. C’est un insigne de souveraineté en même temps qu’un vase religieux dévolu à assurer la réussite des banquets d’hospitalité royale intervenant aux grandes dates de l’ancien festiaire païen. C’est un vase animé capable de générer spontanément de la nourriture pour satisfaire tous les convives, mais qui est aussi investi d’une omniscience sociétale lui permettant d’assurer une distribution alimentaire adaptée en fonction de l’identité sociale de chacun et de refuser la nourriture aux hommes sacrilèges. Et un des aspects de son pouvoir génésique concerne la résurrection des êtres vivants.

    Il ressort de l’analyse comparative menée entre le graal de Chrétien de Troyes et le principal vase d’abondance celtique paninsulaire qu’il y a concordance sur presque l’entier éventail de leurs propriétés (à l’exception du pouvoir de résurrection qui n’est pas ouvertement spécifié pour le graal chez Chrétien). Ce recoupement structural ne peut s’expliquer que par l’usage d’un même modèle : le graal reproduit un prototype celtique païen de vase alimentaire magique en l’infléchissant aux normes symboliques chrétiennes et féodales. Nous renvoyons aux pages du chapitre 5 pour plus de détails. Mais nous avons bien pris soin de souligner dans le troisième et dernier point de ce chapitre, à l’intitulé évocateur (« Quel vase merveilleux a servi au prototype du graal ? », p. 160-162) qu’il ne fallait pas chercher le prototype du graal directement dans le chaudron d’abondance des anciens mythes et épopées celtiques insulaires, hypothèse qui fut parfois caressée par les sympathisants de l’origine celtique du graal. La distance existant entre les deux types de vases rend le décalque peu concevable : le graal n’est pas en effet un vase destiné à la cuisson de la nourriture et n’occupe pas une place fixe sur le feu de l’âtre, il effectue un service mobile autour de la table et il est apparemment de faibles dimensions et d’un poids raisonnable puisque porté par une pucelle. L’écart est trop grand pour y voir le reflet du chaudron d’abondance lui-même, et il ne serait pas satisfaisant de le résoudre en invoquant un rajeunissement du motif qui aurait conduit à remplacer le chaudron originel par un plat de banquet plus moderne. Et nous y avons exprimé l’avis que le graal avait plus sûrement été inspiré par une autre des déclinaisons variées des vases d’abondance qui sont enregistrées dans les littératures médiévales irlandaise et galloise et qui appartiennent également à la catégorie des mobiliers-regalia mythiques dévolus au service de table des banquets d’hospitalité royale. Et nous avons identifié très précisément le modèle du graal plus loin, aux pages 259-261 du chapitre 7, lorsque nous traitons de son association avec le tailloir (partie 3.2 : « Un correspondant gallois au duo du graal et du tailleor : la gren et le desgyl de Rhygenydd Ysgolhaid ») : cette association est déterminante et permet de proposer un recoupement structural probant avec un duo de vaissels de table participant de la représentation mythique des regalia de la littérature galloise : la paire composée par la gren et le dyscyl de Rhygenydd Ysgolhaid dans la fameuse notice des Treize trésors de l’île de Bretagne – une brève compilation d’anciennes traditions bardiques attestées pour certaines dès le XIIe siècle –, répond trait pour trait au couple formé par le graal et le tailloir, à la fois dans la typologie des plats (il est composé d’une sorte d’écuelle et d’un plateau), dans leur nature (les deux pièces sont complémentaires et synthétisent le service à viande d’une table princière), dans leur office (ce duo est dévolu au service de l’hospitalité alimentaire royale), et dans leur pouvoir merveilleux (capacité à offrir à chaque convive les mets désirés). Graal et tailloir semblent reproduire le même schéma que celui appliqué à ces deux vaissels.

    Comment toutes ces pages ont-elles pu échapper à notre recenseur et l’amener à affirmer que nous identifions le graal au chaudron du Dagda ? Cette restitution d’un de nos résultats, toujours proposée avec l’intention de déconsidérer ce dernier, ici en tançant la méthode suivie pour l’obtenir et en apportant un argument contradictoire censé l’annihiler, est donc une nouvelle fois volontairement fallacieuse. Plus condamnable encore, on surprend Philippe Walter à contrefaire de nouveau le texte de notre livre à sa convenance lorsqu’il transmet l’intitulé du chapitre 5 dans son listing introductif des titres des chapitres de notre livre : ce qui s’appelait chez nous « Des regalia forgés à partir d’un merveilleux celtique, 1 : la sainte écuelle d’abondance nourricière », devient dans sa retranscription compilant les titres des chapitres 5 à 7 « Des regalia forgés à partir d’un merveilleux celtique : chaudron nourricier, lance sanglante, tailloir ». Une malversation qui est loin d’être anodine puisqu’elle donne en amont corps et crédit chez les lecteurs au propos critique qu’il tiendra plus loin. Ce brillant donneur de leçon philologique ne respecte pas la lettre de notre texte et le rectifie à sa volonté pour lui faire dire ce qu’il voudrait qu’il dise : un tissu d’âneries.

    À côté, les autres erreurs contenues dans cette même critique sembleront des peccadilles, mais le Diable se cachant souvent dans les détails, il est bon de ne pas les négliger. Ainsi pour l’accusation que nous fait notre détracteur de réaliser le portrait du chaudron d’abondance celtique à partir d’une improbable trituration des textes celtiques, nous avons du mal à la comprendre, puisqu’elle vient contredire l’aval donné par le médiéviste à ce que nous disions dans les mêmes termes à propos du chaudron d’abondance gaélique dans notre livre Le chaudron du Dagda (2015), dont il fit une recension très positive dans la même revue[10].

    Et pour ce qui est de l’aveuglement philologique qu’il nous reproche ici une énième fois de faire preuve vis-à-vis du roman de Chrétien, Philippe Walter a l’amabilité de livrer dans ce compte rendu une lecture sur le graal du Champenois à laquelle peut arriver un exégète de sa trempe en pesant bien les mots du romancier. Cette lecture est la même que celle délivrée dans son livre aux pages 181-182, et qui a le mérite de montrer qu’une nouvelle fois l’opposition qu’il témoigne envers une de nos interprétations est motivée au premier chef par le fait qu’elle contrarie sa propre vision. Cette leçon profitable est construite autour de deux points dont on appréciera la pertinence :

     

    1) On apprend ainsi que la nature du vase ne compte pour rien, « puisque c’est le contenu du graal « trestot descovert » et non le contenant qui est important : une nourriture spirituelle (hostie en version chrétienne, saumon en version celte) ». Assez curieusement Chrétien s’échine lors de l’entrée en scène du graal dans l’histoire à donner un portrait matériel conséquent de ce vase « trestot descovert », mettant en avant la richesse extraordinaire des matériaux avec lesquels il a été réalisé : il en fait un somptueux vaissel d’apparat en or massif et serti des pierres précieuses les plus chères du monde dont sont précisés le très grand nombre et la variété (CdG [BnF Ms. fr. 12576], v. 3232-3239). L’autre aspect mis alors en avant, c’est le rayonnement astral particulier émis par le graal : le vaissel est décrit irradiant une lumière éclatante qui le fait resplendir plus que la lumière émise par les vingt bougies des deux chandeliers qui l’entourent et lui vaut une comparaison, à son avantage, avec le rayonnement céleste de l’astre solaire et de la lune aux v. 3226-3229 (Une si granz clartez i vint / qu’ausi perdirent les chandoiles / lor clarté come les estoiles / quant li solauz lieve, ou la lune). Cette brillance, dans l’esprit de Chrétien, est imputable aux « pierres de vertu » extraordinaires dont est serti le vaissel, puisqu’il s’agit là d’un poncif que l’on rencontre à maintes reprises dans ses romans et qui permet d’affirmer que l’éclat radiant est chez lui la marque distinctive de la nature merveilleuse d’une chose. C’est donc bien l’objet-graal qui importe et qui est investi d’un caractère surnaturel, non son contenu qui, du reste, est le résultat de son pouvoir fabuleux de génération alimentaire, nous allons y revenir.

    L’expression trestot descovert à laquelle il faut donner le sens d’exposition « à la vue de tous » dans la façon de parler de la fin du XIIe et du début XIIIe siècle, comme l’ont montré les démonstrations convaincantes de Jean Frappier dans une série d’articles parus dans les années 1950, s’applique d’ailleurs à l’objet-graal et non à son contenu comme le croit fautivement Philippe Walter ici, et déjà dans son livre de 2004 (p. 181 : « Le graal est pourtant, au dire de Chrétien, tot descouvert (v. 3301), c’est-à-dire que son contenu est parfaitement évident »). L’expression est employée lorsque Perceval voit passer et repasser devant lui le graal durant le banquet, et qu’il se demande où on le porte (v. 3300-3302), et ne peut se rapporter qu’à l’éclat du graal gemmé, seul aspect visuel que Chrétien choisit de mettre en avant dans la scène. L’intérêt pour son contenu n’interviendra que dans une scène postérieure du roman, lors de la rencontre de Peceval avec l’ermite : le besoin de révéler au chevalier la nourriture qu’il transporte dans la chambre du père du Roi Pêcheur n’aurait aucun sens s’il avait pu l’admirer de visu et il n’aurait pas été nécessaire de rectifier la supputation qu’il transportait alors un plat de poissons de rivière.

     

    2) « Le graal apparaît lors d’un service de bouche qui doit conduire Perceval à s’interroger sur les nourritures terrestres et spirituelles (puisque ce graal contient une hostie), ce qui prouverait son charisme royal et thaumaturgique ». Philippe Walter bâtit son interprétation du graal initiatique en « focalisant exclusivement » sur l’hostie que ce dernier génère pour le repas du père du Roi Pesceour. Le pouvoir nourricier ne s’arrête toutefois pas à ce service qu’il remplit solennellement sous les yeux de Perceval durant le banquet, comme il le fait chaque soir depuis douze années, nous apprend l’ermite, à l’attention d’un vieillard alité vivant reclus dans sa chambre (v. 6422-6431). Il s’exprime aussi simultanément sur un plan très différent et regarde le festin servi à Perceval et au Roi Pêcheur dans la grand-salle au soir de la date de Pentecôte. Une relation semble en effet unir le vaissel à la profusion de mangeaille dispensée à la table du Roi Pêcheur : chaque passage du cortège se déroule en effet durant le repas d’hospitalité offert en l’honneur de Perceval. Les allées et venues du somptueux vase coïncident avec le moment du service où la table se charge « à profusion de tous les mets qui font l’ordinaire des rois, des comtes et des empereurs, et les vins sont des plus choisis et des plus plaisants ». Chrétien rapporte qu’ « à chaque nouveau mets qu’on place devant eux, il [Perceval] voit repasser devant lui le graal tout découvert », depuis un cuissot de cerf cuit dans la graisse et poivré en entrée jusqu’au dessert comprenant dattes, figues et noix muscades, girofles et grenades, électuaire, et encore pâte de gingembre d’Alexandrie, gelée aux aromates, ainsi que des gourmandises accompagnées de « maints breuvages, vin au piment où il n’y avait ni miel ni poivre, et bon vin de mûre, et clair sirop ». Par ce synchronisme marqué entre les passages du graal et les changements de plats où la table partagée par le Roi Pêcheur et son invité se couvre à profusion de nouvelles victuailles, Chrétien semble suggérer que le graal participe à la prodigieuse abondance de la réception et qu’il distribue de la nourriture aux commensaux. Car comment sinon expliquer cette prodigalité de nourriture raffinée qui règne à table dans ce château injoignable pour le commun des mortels et donc inravitaillable notamment en fruits et en épices exotiques, et dans un royaume moribond dépeint comme un désert humain ? L’étrange ballet du graal effectuant des allers et retours à de multiples reprises entre chaque changement de plats est par ailleurs injustifiable au vu de la seule hostie qu’il était chargé de convoyer jusqu’aux appartements du vieillard. Cela incite donc à suivre après bien d’autres la piste qui suggère que Chrétien a opéré dans la scène du festin une rationalisation du motif du talisman pourvoyeur alimentaire, remplaçant volontairement la relation de causalité qui prévaut dans un discours mythologique entre le vase et l’abondance régnant, par une relation de juxtaposition et de simultanéité.

    L’hypothèse – que Philippe Walter de manière très paradoxale admet lui-même à demi-mot dans son ouvrage (p. 161 : « Perceval voit sans cesse le graal passer devant lui et, sans que cet objet ne soit jamais décrit comme un chaudron d’abondance ou un vase de vie, son apparition semble directement liée à la profusion des nourritures terrestres ») – se trouve validée par la confrontation du CdG et des romans graaliens postchampenois les plus anciens à propos de la scène du banquet chez le Roi Pêcheur. Il n’est pas pensable que l’auteur de la Continuation-Gauvain RC, Wolfram von Eschenbach dans son Parzival et Robert de Boron dans son Estoire dou Graal, dont les œuvres sont textuellement indépendantes, aient pu inventer tous le pouvoir fabuleux du graal de dispenser spontanément et de manière infinie de la nourriture (durant ce festin du Roi Pêcheur, ou à la Table de Joseph d’Arimathie pour Robert de Boron) en s’inspirant du seul tableau énigmatique de Chrétien de Troyes. Le CdG n’a pu constituer l’hypotexte de référence en la matière. Un ou d’autres romans graaliens plus explicites sur le thème du banquet devaient circuler et mettre clairement en avant le pouvoir alimentaire du vaissel et engager sa responsabilité dans la réalisation d’un festin dépeint comme étant le meilleur du monde. Et ce(s) roman(s) étai(en)t soit antérieur(s) au CdG, soit s’abreuvai(en)t à une tradition préchampenoise proche de celle du récit en prose dont Chrétien semble avoir passablement édulcoré la matière : seul ce pouvoir est en mesure d’apporter une explication logique à ces allées et venues et de les légitimer.

    Ces deux types de nourriture distribués par le graal posent le principe dans le CdG que le vaissel est capable d’opérer des choix dans l’alimentation spontanée qu’il fournit en fonction de l’identité sociale des convives : il prodigue les meilleurs mets gastronomiques du monde incarné du type de ce cuissot de cerf, au Roi Pêcheur et à son invité, un prud’homme reconnu de même rang social puisqu’invité à partager la même banquette pour festoyer (v. 3115-3118 ; v. 3545-3546 ; Perceval appartient d’ailleurs par ses parents aux deux plus anciens et meilleurs lignages de l’île de Bretagne et on apprendra plus tard sa parenté avec le souverain), soit la part qui convient socialement aux souverains, ce que le texte exprime en mode clair : de toz les mes que rois ne quens / ne empereres doive avoir / fu li preudom servis le soir, / e li vallés ensamble od lui (v. 3316-3318) ; et il génère une simple hostie, supposée eucharistique, un pain de vie chrétien, c’est-à-dire une nourriture ascétique, spirituelle, pour combler et conforter le père du Roi Pêcheur qui n’est plus un chevalier vivant dans le monde, mais qui est décrit comme étant un sainz hon qualifié de si esperitaus et vivant reclus dans sa chambre. Cette faculté du graal d’opérer un service alimentaire distinctif en fonction d’une différentiation sociale des individus qui se fonde non seulement sur le statut juridique, mais également sur le commandement évangélique de la séparation entre ceux qui vivent de la chair et ceux qui vivent de l’esprit, tel qu’on le trouve énoncé dans l’Épitre de Paul aux Romains, VIII, 1-14, semble à interpréter comme le décalque christianisé de l’omniscience sociétale des vases d’abondance celtiques capables de générer l’alimentation qui convient à chacun en fonction de son rang social.

    Il faut revenir encore sur l’argument contradictoire avancé par notre recenseur que le « chaudron d’abondance » n’appartient pas au dieu Lug : cela ne saurait invalider en rien le fait que le graal procède du même modèle structural que les vases merveilleux des littératures celtiques. Cette référence à Lug manifeste ici encore une nouvelle affirmation de la conviction erronée que nous partons du cortège pour statuer sur l’arrière-plan mythique lugien du roman percevalien.

    Enfin, il nous faut répondre à une ultime récrimination injustifiée et calomnieuse que nous fait Philippe Walter plus loin à propos du graal, celle de vouloir expliquer « tous les récits médiévaux et modernes du graal de Chrétien de Troyes à Richard Wagner » à partir d’ « un objet supposé magique et archétypal » provenant d’ « un nébuleux passé celtique ». Nous faire reproche de cela, c’est ignorer les amples développements que nous proposons dans les chapitres 4 à 7 à l’analyse de l’évolution du schéma du cortège et ceux de ses différents composants dans la littérature graalienne depuis Chrétien jusqu’au Cycle Lancelot-Graal[11]. C’est ignorer aussi les parties consacrées à la postérité déclinante des schémas mythologiques lugiens (chapitre 10.7 : « La poursuite de la dégradation du substrat mythologique gallois dans les romans graaliens », p. 356-360) et à l’évolution de l’histoire graalienne (chapitre 8.5 : « Un thème qui évolue profondément avec sa réinterprétation chrétienne », p. 282-285). À aucun moment nous n’avons prétendu pouvoir expliquer les différents textes graaliens à partir d’un motif originel figé. La prise en compte des resémantisations successives des motifs et mythèmes par les romanciers ‘graaliens’ a été au contraire au cœur de notre démarche.

    L’explication que nous délivrons du graal et du cortège dans notre travail est uniquement valable pour les deux plus anciens romans continentaux qui le mettent en scène – le Conte du Graal de Chrétien de Troyes et le Parzival de Wolfram von Eschenbach –, et qui fournissent une version de l’histoire graalienne « à son lever » ou tout au moins pas trop éloignée de ce dernier. Les motifs et les mythèmes mythologiques qui la composent y étant encore identifiables, même si à un niveau largement résiduel et édulcoré par l’exercice d’adaptation romanesque galloise d’un mythe fossilisé devenu fable littéraire. Ces derniers finiront d’être mis à bas par les remaniements romanesques successifs apportés par les auteurs français.

    Le cortège du graal, tel qu’il s’y présente dans les deux plus anciens romans continentaux qui le mettent en scène, perpétue encore assez fidèlement le motif de la représentation mythique de l’institution des insignes de souveraineté, telle que l’ancienne théologie païenne panceltique l’avait élaborée et telle que la promouvaient les traditions poétiques des sociétés celtiques insulaires. L’adaptatio christiana du graal sans doute intervenue dans le foyer gallois puisqu’elle préexiste à la réception du récit par Chrétien de Troyes est pleinement cohérente avec le schéma indo-européen (seul l’élément F1 a été sanctifié). La retouche chrétienne apportée se montre respectueuse de l’équilibre du schéma trifonctionnel indo-européen du motif, conservant l’association d’un insigne religieux, d’un insigne guerrier et d’un insigne de troisième fonction nourricière. Elle est aussi subtile (se fondant sur l’équivalence symbolique entre un des vases sacrés des demeures royales préposés au service des banquets publics donnés à l’occasion des grandes fêtes du calendrier préchrétien et un vase sacré chrétien servant de réceptacle au repas eucharistique) et se révèle celtique dans sa conception (des parallèles existent en contexte culturel celtophone insulaire avec d’anciens vaissels merveilleux de l’imaginaire préchrétien qui sont investis d’une sacralité chrétienne leur conférant le statut potentiel de reliques, mais qui restent néanmoins la propriété d’un souverain)[12].

    Et le cortège s’y affirme encore le motif-clé d’un conte arthurien traitant sous une forme évoluée romanesque, chrétienne et courtoise, du parcours d’initiation d’un jeune noble à la royauté reposant sur une conception celtique archaïque de la souveraineté, elle-même héritière d’un lointain passé culturel et institutionnel indo-européen. Il est évident que Chrétien et les romanciers graaliens français suivants ne pouvaient être sensibles et réceptifs à cette représentation mythique d’une ancienne institution allogène qui survivait en leur temps seulement à l’état dégradé de motif littéraire en terre galloise. Et leur culture ne leur permettait pas de pénétrer l’ancien cadre référentiel de croyances et de symboles païens qui structurait le groupement cohérent des talismans royaux et le portrait merveilleux individuel de chacun d’eux. Cela justifie la mutation rapide qu’allait subir le motif du cortège dans la littérature romanesque française postchampenoise. Les reprises du thème du conte graalien vont entraîner une extension progressive de la christianisation du motif du cortège : toutes les composantes du cortège finissent par être assimilées à des reliques sanglantes de la Passion au cours des trois premières décennies du XIIIe siècle. Le vaissel eucharistique merveilleux et la lance sanglante du cortège offraient prise à des recoupements analogiques avec des éléments en vogue de l’imaginaire chrétien de la culture contemporaine, ce qui a permis d’insuffler au cortège un sens plus en syntonie avec la sensibilité du temps. Et de revivifier la signification d’un motif archaïque vide de substance signifiante pour l’auditoire du temps.

    La mutation du sen du cortège a profondément bouleversé en parallèle la compréhension du récit dont il était la pièce maîtresse. Les objets, en n’étant plus compris comme des talismans de souveraineté, mais comme des emblèmes du christianisme reliés à la symbolique des principaux mystères de l’Église (Eucharistie, Transsubstantiation, résurrection du Christ), ont entraîné une profonde réinterprétation de l’histoire. Ce qui était à l’origine un conte initiatique inscrit dans une tradition celtique qui concernait un jeune héros appartenant à la classe équestre, a vu son thème subir un remodelage à partir des valeurs chevaleresques et de la piété propres aux cours aristocratiques contemporaines. La quête entreprise par le jeune noble destiné à devenir l’exemple abouti en matière de chevalerie ne cherche plus désormais à percer le mystère des insignes de la souveraineté d’une maison royale apte à assurer la sauvegarde de cette dernière et celle de la collectivité, mais à comprendre le mystère de reliques christiques ouvrant à la révélation du secret du Saint-Sacrement eucharistique qui renouvelle en permanence la promesse de rédemption de l’humanité par le sacrifice du Christ. L’histoire graalienne devient le véhicule promotionnel d’un message à destination des élites laïques s’accordant au credo de la chevalerie féodale : le salut ne réside plus désormais pour le noble et la société qu’il administre dans l’équilibre des trois fonctions sociales et leur sauvegarde, mais consiste à se faire le garant et protecteur de l’institution eucharistique dans le monde.

     

    1. Des critiques généralisantes

     

    Au vu des cas que nous venons de passer en revue, on conviendra que l’auteur du compte rendu n’est pas très bien disposé envers notre étude et que sa recension comporte une part de subjectivité manifeste à l’égard de notre travail, laquelle n’est pas orientée en sa faveur. Le reste de son texte est composé d’un second type de critiques qui s’entremêlent aux premières. Elles ne sortent pas d’un meilleur tonneau scientifique et contribuent à donner un bel aspect unitaire à l’ensemble. Ces critiques sont d’ordre généralisantes : elles mettent en avant des défauts rédhibitoires, notamment de type méthodologique, qui laissent à penser ou spécifient qu’elles sont étendues au livre entier.

    Les défaillances que Philippe Walter énonce s’avèrent assez accablantes et sans appel et font douter qu’il puisse y avoir quelques lignes ou pages sauvables et susceptibles d’apporter quelque écot aux études arthuriennes, graaliennes ou celtiques. Il pointe des erreurs de méthode flagrantes et constantes pour l’étude du récit ; ou encore une érudition celtique écrasante et pédante qui perd le lecteur en raison de trop de disgression, de dispersion, de confusion, de rapprochements hasardeux ; il parle de maltraitance et d’aveuglement sur le texte du Conte du Graal ; il blâme un manque de raisonnement en particulier sur les rapports entre littérature médiévale, philologie romane et mythe « celtique », mais vitupère aussi contre une incompréhension et inexploitation des sources celtiques, et un déluge de notes et de références bibliographiques sans objet.

    L’ordre général de ces critiques amplifie leur force d’action et étend la dépréciation et la condamnation à l’ensemble du contenu. Et l’assaut systématique de ces opinions hyperbolisées exclusivement dépréciatives, associant continuellement dans le champ du discours nos résultats au vocabulaire de l’erreur, de la vanité (au sens de caractère vain), de l’illusoire, de l’inutilité ou de la naïveté, participe en cohérence avec le groupe de critiques précédentes d’une stratégie argumentaire de base axée sur la rhétorique de la dévalorisation qui cherche à inscrire l’ouvrage dans une dimension scientifique négative le discréditant aux yeux du lecteur. Le fait que Philippe Walter ponctue ces allégations dans son dernier paragraphe par une série d’aphorismes empruntés à Chrétien de Troyes (« Qui trop par(o)le, il se méfait ! ») ou à la tradition populaire (« qui trop embrasse mal étreint »), ou de son cru (« Le Conte du Graal se mérite ; il ne se soumet pas »), censés dispenser un conseil profitable de sagesse scientifique à notre attention, est révélateur de deux choses. Cela montre d’abord qu’avec ces récriminations, comme avec les précédentes, Walter a la velléité de s’affirmer là encore dans une posture dominante et valorisante de chercheur alpha – l’insistance à le répéter laisse transparaître toutefois un besoin de s’en convaincre comme dans son panégyrique wikipédien – tandis qu’il veut nous reléguer dans la catégorie oméga moins enviable. Le médiéviste avoue ainsi tacitement poursuivre un affrontement personnel. Cela montre ensuite qu’il accorde aux critiques qu’il exprime une valeur d’argument d’autorité. En cela, son évaluation est surestimée et les critiques exprimées ne témoignent pas véritablement de la superbe de son épistémè.

    Certaines d’entre elles font l’objet de développements circonstanciés louables visant à les motiver, mais qui se révèlent désastreux puisque les reproches spécifiques avancés s’avèrent infondés et captieux : c’est le cas, nous l’avons vu, pour notre désintérêt supposé pour le Conte du Graal et son instrumentalisation (voir § 4), ou concernant les erreurs de méthode « flagrantes et constantes » pour l’étude du récit (voir § 3).

    Les autres consistent en des remarques péremptoires à ranger dans le registre des opinions personnelles, puisque leur auteur ne prend à aucun moment la peine de confirmer la validité scientifique de ses lourdes accusations qui entachent la crédibilité d’un travail en les étayant d’un exemple illustratif révélateur de tel ou tel manquement dénoncé et donc capable de démontrer de manière indubitable la véracité du jugement. Dans le champ de la recherche, il ne suffit pas d’exprimer un avis pour qu’il soit avéré et entériné, nous ne sommes ni au café du commerce ni sur les réseaux sociaux. Et l’opinion avancée, le jugement de valeur, on le sait, n’est pas du registre de la science et ne constitue pas un savoir constitué. Il y a un abîme entre l’épistémè et la doxa. Philippe Walter, il est vrai, se montre plus sensible à la sophistique qu’à la doctrine platonicienne, et a tendance à confondre les deux, nous l’avons vu, prenant ses convictions pour des résultats acquis et désormais inclus dans la somme des connaissances scientifiques validées et avérées sur le CdG.

    En outre, il est facile de prouver que certaines d’entre elles procèdent d’une généralisation abusive et sont donc incapables de restituer fidèlement la réalité du contenu de l’ouvrage.

    Ainsi ce qui est dit des notes : « Il [L’auteur] s’épuise dans un déluge de notes et de références bibliographiques sans objet ; la plupart sont d’une inutilité tragique (style fiches de lecture), car l’auteur n’en tire rien ». Philippe Walter révoque avec un verbe acrimonieux les notes, trop nombreuses à son goût, en affirmant qu’elles sont non motivées et que « la plupart », terme vague, mais commodément généralisant, s’apparentent à des fiches de lecture sans pertinence pour l’étude. L’ensemble de l’appareil critique se trouve ainsi condamné et répudié sans pour autant qu’un seul exemple éloquent vienne entériner ce jugement. Ce constat mérite de figurer aux côtés des allégations calomnieuses précédemment signalées : la très large majorité des notes renvoie aux éditions des textes cités et analysés et aux références bibliographiques compulsées pour construire notre réflexion ou dont nous discutons une hypothèse – soit des notes pleinement motivées pour un travail scientifique et potentiellement appréciables pour un chercheur –, les autres offrent des développements secondaires par rapport au discours principal. La « plupart » ne peuvent donc s’apparenter à des fiches de lecture. Et aucune du reste ne répond à une telle description.

    Autre cas édifiant, ce qui est dit de l’érudition celtique dans la première phrase de la recension. Philippe Walter blâme une érudition celtique considérable tenue pour le trait principal du livre, mais réprouvable à ses yeux car elle se révèle rapidement écrasante et pédante, car générant « trop de digressions, de dispersion, de confusion, de rapprochements hasardeux » et pas assez de raisonnement. Mais ladite érudition ne pointe pas son nez avant la page 117 et se déploie seulement sur quatre des dix chapitres (5, 6, 7 et 9), pour occuper au total une grosse moitié de l’ouvrage (212 pages sur 406). Par ailleurs elle n’intervient que dans un but de comparatisme structural extrêmement ciblé, cherchant à démontrer soit le recoupement entre l’armature conceptuelle de tel objet du cortège chez Chrétien de Troyes et de tel talisman royal merveilleux des littératures médiévales gaéliques et galloises démontrant l’emploi d’un identique modèle traditionnel celtique, soit le recoupement entre un épisode des aventures de Perceval et un schéma narratif de la mythologie lugienne montrant l’exploitation d’un même mythème, ce qui permet d’envisager l’héritage celtique servant de socle à l’histoire percevalienne. Il n’y a rien là-dedans qui ne soit en rapport avec l’objet de l’étude et qui puisse s’apparenter à de la disgression inappropriée, de la dispersion, encore moins à des rapprochements hasardeux si les recoupements structuraux proposés s’avèrent concluants. Nous aurions eu plaisir à ce que notre recenseur pointe avec précision ces manquements qui nous échappent et qui apparaissent inexcusables pour un chercheur comme nous qui se réclame d’appartenir à la branche dure du comparatisme mythologique, cela nous aurait permis de prendre acte de leur existence et tenter de nous parfaire à l’avenir. En l’état, nous ne pouvons donc convenir de leur présence dans notre travail, ce d’autant moins que nous avons pu apprécier chez Walter des signes palpables d’altérations de faculté de discernement et de probité intellectuelle dans ses échecs répétés à restituer notre travail. Ces erreurs vilipendées, orphelines de preuves circonstanciées, ne nous semblent pas pour l’heure en mesure de justifier le ressenti d’écrasement et de pédantisme du médiéviste devant notre érudition celtique. Nous émettrons une toute autre hypothèse sur ce qui a pu générer chez lui une telle perception, en mettant en perspective son propre traitement de la question de la celticité des objets du cortège dans son étude graalienne. Il ne s’est intéressé qu’à l’origine celtique du motif du graal le raccordement de la lance et du tailloir à l’un ou l’autre des imaginaires celtiques ne semble pas l’avoir préoccupé et il parvient à statuer sur la question en seulement trois lignes d’une belle concision (p. 162). Cet « éminent spécialiste du monde celtique » y met en avant que « dans la tradition celte » (sic), il existe « de nombreuses légendes, mythes ou récits, qui mettent en scène vases et récits d’abondance toujours présentés comme des objets merveilleux de l’Autre Monde », et admet que le graal relève « sans doute » de la catégorie des récipients magiques producteurs de nourriture des Celtes. Sa rigueur scientifique lui commande d’étayer le propos avancé sur la matière celtique et il renvoie aux pages 108 à 139 d’un chapitre de La légende arthurienne et le Graal de Jean Marx (1952) dont la lecture est certes toujours profitable même si le propos date un peu du fait qu’il s’appuie sur un comparatisme analogique et non structural qui n’a rien de décisif, mais qui n’offre aucun accès aux textes gaéliques et gallois ni à leurs traductions, et où les vases générateurs de nourriture n’occupent que quatre pages pleines à la typographie et à la mise en page bien aérées. Il est compréhensible que Philippe Walter puisse être pris de vertige ou de saturation quand un autre chercheur propose de traiter la question en profondeur sur presque une cinquantaine pages afin de confronter le portrait du vase chez Chrétien de Troyes à son éventuel modèle celtique dont est déterminée la définition complexe entremêlant plusieurs caractéristiques (il ne se limite pas à la génération alimentaire, voir § 6) et dont est montrée la pérennité du schéma sur plusieurs siècles dans les littératures médiévales des sociétés celtiques insulaires.

     

    CONCLUSIONS

     

    Philippe Walter a réalisé un compte rendu qui n’a de scientifique que le nom. Sa recension repose intégralement sur un dispositif discursif mettant en œuvre une rhétorique éristique visant à délégitimer le caractère scientifique de l’ouvrage et les compétences en matière de philologie et de comparatisme de son auteur.

    On constate que le médiéviste ne se soucie pas d’informer de manière claire et objective sur le contenu du livre recensé ni de faire valoir les arguments qui y sont défendus. Tout ce qui est rapporté sur l’ouvrage (résultats, postulats, intentions, méthode) est présenté sur un mode péjoratif dépréciatif et est retranscrit de manière déformée (au moyen de résumés bâclés et caricaturaux comportant des inexactitudes flagrantes) et volontairement mensongère (en recourant si besoin à des falsifications des propos), et ce, à seule fin de produire ce qui est estimé être des fautes disqualifiantes afin d’avoir le loisir de les dénoncer et de décrédibiliser la valeur scientifique des propos.

    Dans ce réquisitoire à charge de dénigrement, on retiendra également qu’il n’engage à aucun moment de débat sur telle ou telle hypothèse comme cela devrait se faire dans le cadre de la discussion raisonnée pratiquée dans la recherche. Il n’affronte aucune des thèses produites, mais entend les renverser d’un revers de main à partir non de la somme des connaissances déjà validées sur le texte champenois, mais d’opinions personnelles péremptoires assenées comme des vérités acquises alors qu’elles sont dépourvues d’assise scientifique.

    La finalité de cette diatribe est la défense de théories personnelles qui se révèlent elles-mêmes être des spéculations intenables au regard des faits textuels, mais que leur auteur entend défendre jusqu’au déni scientifique.

    Tout cela est déjà fort accablant et contrevient fondamentalement à l’intérêt supérieur des études arthuriennes et graaliennes, et plus largement celtiques, et dessert l’amélioration des connaissances dans ces domaines. L’infamie ne s’arrête pas. Une approximation est évidemment humaine et pardonnable dans une recension. Mais quand les retranscriptions fautives de la teneur d’un ouvrage se multiplient au point de devenir la règle à chaque tentative de synthèse des hypothèses ou résultats dont on entend dénoncer le bien-fondé, cela s’avère déjà extrêmement contre-productif puisqu’invalidant les critiques apportées à l’encontre d’un contenu inexistant. Ensuite, cette succession de remarques erronées sur le contenu, jointes au fait que Philippe Walter ne rentre jamais dans le spécifique du livre en décortiquant et réfutant la moindre des analyses produites, permet de déduire que le médiéviste n’a jamais lu cet ouvrage de manière sérieuse, mais qu’il l’a tout au mieux survolé dans un réflexe pavlovien d’agrégé. Les seules certitudes qui se dégagent de sa recension est qu’il a parcouru la quatrième de couverture dont il falsifie un extrait et la table des matières qu’il retouche également lorsqu’il liste le nom des chapitres, qu’il a vaguement parcouru le chapitre 1 (il signale sa lecture d’une note p. 11, mais ne retranscrit aucun des thèmes qui y sont abordés) et les chapitres 4 (au moins la partie traitant du graal dont il montre connaissance de la p. 76 et dont il cite la p. 86) et 5. La matière des chapitres 2-3, 6-8 et 10 est entièrement passée sous silence, soit la plus grande partie de l’étude ; quant au chapitre 9 en rapport avec le conte gallois des Enfances Lleu, la connaissance qu’il en a ne dépasse pas ce qui en est dit sur la quatrième de couverture. Ce constat de non-lecture permet d’abaisser encore la valeur des critiques généralisantes formulées et explique sans doute en partie pourquoi il a inventé tant de défauts imaginaires plutôt que de chercher à recenser ceux existants. Dire que la faute est inqualifiable de la part d’un recenseur est un euphémisme.

    On est en droit de se demander ce qui a pu produire l’hostilité de Philippe Walter envers notre travail, au point de vouloir le massacrer publiquement aux yeux de nos pairs en rédigeant à l’attention de la communauté scientifique une recension diffamante où il met en œuvre un arsenal rhétorique malveillant et des procédés qui bafouent les plus élémentaires principes d’éthique et d’intégrité scientifiques et qui manifestent une malhonnêteté intellectuelle crasse. Peu importe du reste l’objet de ses états d’âme, qu’il s’agisse d’une jalousie, d’un besoin de démontrer qu’il pesait encore dans les études graaliennes, ou de défendre ses théories ébranlées sur le Conte du Graal, cela a conduit le médiéviste à dévoyer ses compétences scientifiques dans une revue académique et à entacher de manière indélébile sa fin de carrière universitaire d’un compte rendu indigne qui offre le miroir de ses propres défaillances plus que de celles qu’il entendait dénoncer chez l’autre chercheur. Philippe Walter pensait démontrer avec cette recension qu’il avait sa place à la Table du Graal, ou tout au moins à celle de Chrétien de Troyes, à l’arrivée il fait plutôt l’effet au lecteur de s’être invité à celle de François Pignon.

     

     

    [1] Ph. Walter, « Valéry Raydon, Le Cortège du Graal. Du mythe celtique au roman arthurien », Iris, 40, 2020, non paginé, mis en ligne le 15 12 2020.

    [2] G. Oudaer, Nouvelle Mythologie Comparée, 5, 2019-2020, revue électronique non paginée ; B. Robreau, Bulletin de la Société de Mythologie Française, 276, 2019, p. 11-13 ; X.-L. Salvador, Wekwos, 5, 2020, p. 422-427.

    [3] Note retirée le 11 juillet 2022 à la demande de l'Université de Grenoble Alpes.

    [4] Ph. Walter, Perceval : le pêcheur et le Gaal, Paris, Imago, 2004.

    [5] A. Combes, « Approche littéraire. Inventions du Graal », in A. Combes et A. Bertin, Écritures du Graal, Paris, PUF, 2001, p. 55-58.

    [6] Le cortège diverge sur un élément, une tête coupée remplace le graal – l’équivalence symbolique des éléments tête et récipient d’abondance est acté dans l’imaginaire celtique (cf. C. Sterckx, « Perceval le Gallois, Brân le Méhaigné et le symbolisme du Graal », Revue Belge de Philologie et d’Histoire, 62, 3, 1984, p. 469-470) –. Le graal ne saurait être identifié dans le cortège pérédurien avec le dyscyl – erreur fréquente chez les chercheurs, dont Ph. Walter, op. cit., 2004, p. 112 – : ce dernier était considéré comme une sorte de plateau par l’auteur du Peredur et correspond donc au tailloir du cortège percevalien.

    [7] Insistons sur le fait que le conte gallois sur la jeunesse du Lugus gallois n’est pas pour nous la source du CdG, mais bien celle du proto-roman arthurien gallois dont Chrétien de Troyes a réalisé une versification. Walter en parlant de ce conte comme « l’archétype fantôme de Chrétien » commet un raccourci fautif dans la restitution de notre propos.

    [8] J. H. Grisward, « Des talismans fonctionnels des Scythes au cortège du Graal », in J.-C. Rivière (dir.), Georges Dumézil. À la découverte des Indo-Européens, Paris, Copernic, 1979, p. 208-209 et « Des Scythes aux Celtes. Le Graal et les talismans royaux des Indo-Européens », Artus, 14, 1983, p. 20.

    [9] G. Dumézil, Jupiter, Mars, Quirinus, I, Paris, Gallimard, 1941, p. 227-228 et 231-232.

    [10] Philippe Walter, « Valéry Raydon, Le chaudron du Dagda », Iris, 38, 2017, p. 124-125.

    [11] Précisons en outre que le tableau que nous brossons ne prend pas en compte les adaptations ultérieures, notamment celles contemporaines comme la pièce d’opéra de Richard Wagner.

    [12] La forme celto-chrétienne du cortège a-t-elle été la forme initiale ? L’interrogation est légitime au vu de la leçon du roman gallois de l’Historia Peredur – dont il n’est pas exclu que la première partie de l’histoire intégrant le cortège reprenne un texte du XIIe siècle antérieur au Conte du Graal – qui restitue le tableau du cortège le plus archaïque, dépourvu de toute coloration chrétienne, où une tête coupée se tient en lieu et place du vase auréolé d’une dimension eucharistique.

  • Dominique Briquel - Sur le traitement post mortem infligé à Crassus

    Sur le traitement post mortem infligé à Crassus

     

    Dominique Briquel

     

    Abstract : After his defeat at Carrhes where the triumvir Crassus, had died, in 53 BC. J.-C., his corpse would have undergone a treatment which had struck the ancient authors. The victorious Parthians had poured molten gold into the mouth of the Roman general. The ancient authors put this treatment in relation to his well-known «hunger for gold» and draw from it a moral lesson. Already previously an other Roman general would have suffered the same fate for the same reasons: Manius Aquilius, after being captured by Mithridates. But we can ask if, from an Iranian perspective, this behaviour could not have another meaning. In the Zoroastian tradition, sinners, those who rise up against the cosmic and moral order and are liars, are treated in this way, whether from an ordeal and judicial perspective or from an eschatological perspective. Aquilius and Crassus appear to have undergone this type of punishment also made themselves the agents of the Evil Spirit against the Holy Spirit.

    Keywords : Crassus, battle of Carrhae, auri sacra fames, Zoroastrism.

    Résumé : Après sa défaite à Carrhes où le triumvir Crassus, avait trouvé la mort, en 53 av. J.-C., son cadavre aurait subi un traitement qui avait frappé les auteurs antiques. Les Parthes vainqueurs avaient versé de l’or en fusion dans la bouche du chef romain. Ils mettent ce traitement en relation avec la «faim de l’or» bien connue du personnage et en tirent une leçon morale. Déjà auparavant, le même sort serait advenu pour les mêmes raisons, mais cette fois alors qu’il était vivant et prisonnier de Mithtridate, à un autre Romain, Manius Aquilius. Mais on peut se demander si, dans une perspective iranienne, le geste ne pouvait pas avoir un autre sens. Dans la tradition zoroastienne, les pécheurs, ceux qui s’élèvent contre l’ordre cosmique et moral et sont des menteurs, sont traités de la sorte, que ce soit dans une perspective ordalique et judiciaire ou dans une perspective eschatologique. Aquilius et Crassus paraissent avoir subi ce type de châtiment également parce qu’ils s’étaient fait les agents de l’Esprit Mauvais contre l’Esprit Saint.

    Mots-clés : Crassus, Bataille de Carrhes, auri sacra fames, zoroastrisme.

     

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