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NMC - Page 24

  • (Review) Comparative Mythology 5

    Comparative Mythology, 5, 2019, 82 p., Cambridge, International Association of Comparative Mythology, http://compmyth.org/journal/ ISSN 2409-9899.

     

    Attendu depuis près de trois ans, le nouveau numéro de Comparative Mythology vient de paraître. Les éditeurs de cette revue ont choisi de faire de ce volume le cinquième et non le troisième, en vertu du millésime : 2019 est la cinquième année depuis la fondation de la revue. Cependant, il ne s’agit que d’un détail bibliographique insolite que la qualité du contenu de ce numéro fait rapidement oublier.

    Ainsi, ce volume s’ouvre par «The Legacy of the Berserker» de John Colarusso. Prenant comme point de départ la caractérisation du berserker dans la Hrólfs saga kraka, il en analyse les principaux attributs: le fait qu’il se tienne à l’écart des autres combattants – sans doute à cause de sa transe guerrière; sa proximité avec le roi; le port de la fourrure de l’animal qu’il a tué; et un comportement insultant et provoquant envers tout nouvel arrivant quel que soit son statut. De telles caractéristiques semblent, selon l’auteur, avoir influencé la figure indo-européenne du héros, à travers la figure du combattant solitaire, par choix ou abandonné par ses camarades, à l’animosité inexpliquée desquels il doit faire face. Selon lui, une telle influence est visible dans le cas d’Achille, dont la colère injurieuse vis à vis d’Agamemnon, entraînant sa réclusion, fait suite une véritable furie meurtrière sur le champs de bataille, digne d’un berserker nordique. De même, la rage homicide et psychotique de ces guerriers se retrouve dans celle d’Héraclès tuant sa femme et ses fils. Les excès de ce type de comportement sont stigmatisés dans des cultures qui ne les comprennent plus, comme en Grèce, lorsque Tydée dévore le cerveau de Mélanippe ou quand Ajax décime les troupeaux des Achéens et leurs gardiens en croyant, dans une rage vengeresse, qu’il s’agit des guerriers grecs. De même, la chaleur dégagée par certains héros dans leurs exploits guerriers et son apaisement semblent aussi être le souvenir de la transe guerrière de ce type de combattants. Celle-ci pouvant amener à des contorsions permettant de lancer le mauvais œil sur l’ennemi. Notre auteur termine sur le caractère sacré, mais aussi psychotique, de ces guerriers. Les propositions de Colarusso nous semblent tout à fait séduisantes, mais elles auraient été d’autant plus intéressantes s’il les avait mis en parallèle avec d’autres études portant sur la colère d’un héros comme Achille ou sur la nature et l’apaisement de la furie guerrière1.

    Dans «Cultic Calendar and Psychology of Time: Elements of Common Semantics in Explanatory and Astrological Texts of Ancient Mesopotamia», Vladimir Emelianov se penche sur les textes calendaires et astrologiques assyriens et babyloniens, qu’il analyse par le biais de la chronopsychologie. Il montre que les rituels et les prescriptions conseillés entre la partie sombre et celle lumineuse de l’année correspondent aux états psychologiques favorisés par le cycle psychobiologique annuel. Mettant en parallèles ces conseils mais aussi d’autres concernant les actes magiques et la correspondance microcosmique de chaque signe zodiacal, il en déduit que les érudits mésopotamiens ont relié le contenu mythologique et rituel de chaque mois aux prescriptions médicales et aux prévisions astrologiques, selon la logique du rapport macrocosme-microsme. De manière particulièrement intéressante et originale, il relie ses conclusions aux recherches récentes sur les rythmes biologiques saisonniers chez l’être humain, dont les résultats auraient pu être également observé par les médecins et astrologues mésopotamiens. L’utilisation de la psychologie et de la biologie dans ce cadre interprétatif nous semble tout à fait pertinent, en complément éventuel d’autres méthodes.

    Retour à la mythologie indo-européenne avec «“Nine Nights” in Indo-European Myth» de Signe Cohen. Celle-ci avance que l’intervalle temporel de neuf nuits qui est fréquemment cité dans la mythologie et les rituels des cultures indo-européennes connote à la fois l’existence d’une semaine de neuf jours, dans le système calendaire ancien de celles-ci, mais aussi une symbolique liée aux forces de l’Autre Monde, aux idées de transformations, de mort et de renaissance. Ce système remontant aux temps proto-indo-européens serait basé sur le fait qu’une période de trois fois neuf jours est égal à la durée d’un mois lunaire. Cette étude tout à fait pertinente mériterait d’être mise en parallèle avec celle de Claude Sterckx concernant la neuvième vague, un intervalle spatial nautique qui possède le même type de symbolisme2.

    De son côté, Kazuo Matsumura contribue épistémologiquement à ce numéro avec «Theories of Diffusionism: Myth and/or Science?», où, après avoir retracé l’historiographie de la théorie diffusioniste et de ses égarements initiaux qui tendirent à construire un mythe scientifique, il montre que la version actuelle de la théorie diffusioniste, à travers les travaux de Michael Witzel et de Yuri Berezkin, est basée sur des bases scientifiques plus solide, notamment grâce aux données culturelles et biologiques des migrations humaines, tout en se dépouillant des a priori idéologique de la période coloniale. La démonstration qu’il fait et convaincante et montre bien l’intérêt de ce nouveau modèle théorique qui, comme il le dit au début de cet article, n’est pas la vérité, mais un élément d’explication de la mythogénèse mondiale.

    Épistémologie de notre discipline encore dans «Comparative Mythology Synchronic and Diachronic: Structure and History for Taryo Obayashi and Claude Lévi-Strauss», de Hitoshi Yamada, qui s’attache à comparer l’utilisation du structuralisme par l’ethnologue japonais Taryo Obayashi, dont la méthodologie semble, au premier abord, plutôt historique, avec l’utilisation de la science historique et de la théorie diffusioniste par Claude Lévi-Strauss. L’auteur montre également l’influence de la méthode d’analyse mythologique de Georges Dumézil sur l’œuvre d’Obayashi. Cette étude, nous montre là aussi, l’importance de la confrontation et de l’utilisation de différentes théories et méthodes dans le champs d’étude de la mythologie comparée qui, du fait de la complexité de l’esprit humain et des cultures qui en sont dérivées, ne peut reposer sur une unique théorie unificatrice des mythes.

    Nicholas J. Allen termine les études de ce volume avec «Chronicle and Epic, or the Introductions to the Mahāvaṃsa and the Mahābhārata: Selected Comparisons». L’auteur étudie les schémas narratifs communs existant entre deux textes de natures différentes: le premier est une chronique bouddhiste Sri Lankaise, tandis que le second est une épopée hindou. Les parallèles qu’il dégage suscitent l’adhésion du lecteur. En conclusion, il se pose naturellement la question de l’origine de cette structure : la réponse la plus simple serait une influence de l’épopée sur la chronique oul’inverse. Cependant, l’auteur laisse la porte ouverte à une possible origine proto-indo-européenne de ce type de schéma narratif qu’il serait possible de déceler dans les textes épiques grecs ou la pseudo-histoire romaine. Comme il l’annonce d’emblée, cet article n’est que le début d’une plus longue étude comparative. Dans cette optique, il serait également intéressant d’étudier la structure des textes celtiques insulaires ou scandinaves, épiques ou pseudo-historiques : même si ceux-ci ont été influencé par le christianisme, il se pourrait que de telles similarités puissent être découverte, si l’hypothèse de départ de notre auteur est juste. De même, la tradition littéraire iranienne, encore plus proche du monde indien que la Grèce ou Rome, devrait aussi être prise en considération dans le cadre d’un tel projet.

    Enfin, ce numéro se termine par la notice de nécrologique de Vyacheslav Vsevolodovich Ivanov rédigée par Boris Oguibénine.

    Guillaume Oudaer

     

    1Nous pensons, en particulier, aux travaux de Nick Allen («The King-Priest Quarrel in the Ādiparvan and the Iliad », Journal of Indo-European Studies, 44, p. 422-440, 2017), de Roger Woodard (Myth, Ritual, and the Warrior in Roman and Indo-European Antiquity, Cambridge University Press, 2013ou de Peter Grossardt (Achilleus, Coriolan und ihre Weggefährten, Tubingen, G. Narr, 2009).

    2Claude Sterckx, La Neuvième vague et autres essais sur le légendaire celtique en Bretagne, Marseille, Terre de Promesse, 2019. Le chapitre concernant ce sujet est le premier, intitulé «Lugus et la neuvième vague».

  • (Review) Patrice Lajoye (ed.) – New Researches on the Religion and Mythology of the Pagan Slavs

    Mythes-couverture.jpgPatrice Lajoye (ed.), New Researches on the Religion and Mythology of the Pagan Slavs2019, Lisieux, Lingva, 224 p.

     

    Constatant, dans son introduction, que rien de sérieux n’est paru depuis longtemps en langue anglaise sur la religion et la mythologie des Slaves païens, l’anthologiste du présent recueil a réuni plusieurs études tournant autour de cette thématique.

    Cet ouvrage s’ouvre par un article de Jiří Dynda sur les «Slavic Anthropogony Myths. Body and Corporeality in the Slavic Narratives about the Creation of Man». Du fait de l’absence de mythes anthropogoniques slaves remontant directement aux temps pré-chrétiens, l’auteur a examiné les traditions apocryphes et folkloriques à la recherche de la strate païenne de ce type de mythème, en utilisant la comparaison mythologique1. Il en tire comme conclusion que la version pré-chrétienne de l’anthropogonie slave devait mettre en jeu la chute sur terre d’un élément corporel ou un objet ayant été en contact avec le corps de la divinité créatrice.

    Alexander V. Ivanenko se penche, dans  Towards the PSl. *Stribogъ origin», sur le dossier de ce théonyme. Après avoir présenté l’ensemble de ses attestations, les différentes étymologies précédemment proposées et leurs interprétations théo-mythologiques, il propose de voir dans *Stribogъ un emprunt à l’iranien oriental *S(t)rī-baγa dont la signification serait celle de «Seigneur des vents» et qui aurait été non seulement le contrôleur des vents, mais également une divinité tonnante, à la manière du Papay révéré par les Scythes, d’après Hérodote. Ivanenko évoque l’adoption de cette divinité par les proto-Slaves vers le Iersiècle de notre ère, à une époque où ceux-ci étaient en contact avec les Scythes, sur les bords septentrionaux de la Mer noire. On peut se poser la question du caractère tonnant de cette divinité et du rapprochement fait avec l’équivalent scythe du Zeus grec, car une telle divinité, adoptée par le prince rus’ Vladimir Ier parmi les cinq principaux dieux du début de son règne, fait double emploi avec Perun, le dieu panslave de la foudre. On peut néanmoins se demander si ce théonyme d’origine iranienne n’a pas pu recouvrir un nom antérieur d’un dieu des vents slaves équivalent au Vayu-Vata indo-iranien.

    C’est au dossier d’autres divinités que s’intéresse Oleg V. Kuratev dans «Description of Rod and Rožanicy in Slavic mythology. B. A. Rybakov and his predecessor’s interpretations». Comme le titre de cette contribution l’indique, l’auteur rappelle l’interprétation de Rybakov de Rod, en tant que divinité suprême du paganisme slave ancien – véritable fondement du l’actuel mouvement néo-païen slave, pour mieux la critiquer. Il montre, en se basant sur la comparaison avec des figures équivalentes, existant chez des peuples slaves autre que ceux de l’Est, et sur l’étude étymologique du nom de ces divinités que Rod est sans doute un dieu ancestral lié à l’idée de destin que semblent incarner ses partenaires féminines, les Rožanicy.

    C’est le versant matériel du thème de ce recueil qui est exploré par Kamil Kajkowski, dans «Idols of the Western Slavs in the Early Medieval period. The example of Pomerania (northern Poland)». Il en tire comme bilan que, sur la vingtaine de sculptures poméraniennes traditionnellement identifiées comme étant des idoles, aucune ne peut être véritablement relié à un contexte archéologique permettant ainsi de les associer avec une époque et/ou une culture particulière. De plus, l’authenticité de certaines est douteuse.

    De son côté, la contribution de Stamatis Zochios porte sur «Slavic deities of death. Looking for a needle in the haystack». L’auteur y analyse les différentes mentions de divinités en lien avec la mort dans les textes parlant des Slaves pré-chrétiens, tout en distinguant bien leur relation à la dimension funéraire. Il en conclue que même si ces divinités sont en lien avec la mort ou plus exactement le cycle naturel, on ne peut pas identifier de seigneur du monde des morts dans les sources mythologiques slaves.

    Marina M. Valentsova, quant à elle, étudie le «Slovak mythological vocabulary on the Common Slavic background. Ethno-linguistic aspect». Du fait de la position centrale de cette langue vis-à-vis des langues slaves, elle montre les liens existant entre les différentes strates constitutives de l’onomastique légendaire slovaque et celui des autres cultures slaves.

    Aleksandr Koptev s’intéresse, pour sa part, au «Mythological triadism as the paradigm of princely succession in early Rus’ according to the Primary Chronicle». En effet, les sources slaves, que se soit les chroniques ou les contes, parlent souvent de trois princes fondateurs. Il relie ce motif au mythème indo-européen du troisième frère, le plus jeune, qui doit vaincre le triple adversaire et qui , parfois, entre en conflit avec ses aînés. Ce thème symbolise aussi une triple division du temps et de l’espace. Dans ce dernier, cas une présentation triadique des peuples ou des principales cités apparaît également. Cependant, notre auteur montre aussi qu’un fonctionnement triadique du royaume des Rus’ devait effectivement exister. Par la suite, ce motif triadique a été étendu aux règnes plus ou moins légendaires des premiers souverains rus’ dans le Récit des temps passés; questionnant par là-même la logique d’écriture à l’œuvre dans ce texte pseudo-historique.C’est un article dense, en particulier dans son analyse historique des différents règnes triadiques: un tableau généalogique aurait pu aider à la compréhension générale de son propos.

    Le sujet de la contribution de Patrice Lajoye concerne l’aspect sacré et mythique de la souveraineté dans «Sovereigns and sovereignty among pagan Slavs». Après avoir rapidement rappelé l’historiographie de la notion de souverains chez les Slaves, notre auteur fait la liste des différents titres par lesquels les auteurs, Slaves ou non, appelaient ceux-ci.Ces termes apparaissent souvent emprunté à des langues voisines, mais il pourrait exister un nom local du souverain, *Samovit, qu’il compare au sanskrit samrāj et au gaulois Samorix, deux désignations du roi suprême. Il poursuit par un examen de trois mythèmes expliquant l’origine des lignages royaux chez les Slaves: celui du roi-laboureur, celui des trois frères étrangers et, pour finir, celui des trois frères et de la sœur incarnant la souveraineté. Ces traditions permettant à notre auteur certaines comparaisons avec le matériel iranien, arménien et surtout celte.

    Enfin, cet ouvrage se termine par «Some aspects of pre-Christian Baltic religion» de Roman Zaroff. Contrairement aux autres études de ce recueil, il ne concerne pas les traditions des Slaves pré-chrétiens – sauf d’un point de vu comparatif – mais les croyances des peuples Baltes, les derniers païens d’Europe, et, en particulier, des Vieux-Prussiens, les habitants pré-germaniques de la Prusse. Dans une première partie, Zaroff décrit l’organisation socio-politique des peuples baltes et leur conversion au christianisme, tout en présentant les sources et la méthodologie utilisée dans cette étude. C’est une mise au point tout à fait utile, du fait du manque de connaissances, en Europe occidentale, de ces notions. Au passage, l’auteur se permet une critique pertinente des velléités reconstructives des mouvements néo-païens baltes. Dans un second temps, notre auteur étudie le panthéon des Vieux-Prussiens, par comparaison avec celui du reste des populations baltes et des autres cultures indo-européennes. Concernant la divinité solaire des Vieux-Prussiens, le fait qu’elle soit masculine alors que les peuples baltes actuels ont une déesse-soleil est interprété comme une évolution du sexe de la divinité solaire dans un sens ou dans l’autre. Une solution alternative est de considérerqu’il a existé une variation régionale sur le sexe de la divinité solaire, entre les Baltes occidentaux (Vieux-Prussiens) et orientaux (Lithuaniens, Lettons). Enfin, cette étude se conclutpar une analyse des lieux de cultes, du clergé et des idoles des Baltes.

    Toutes les contributions du présent recueil sont intéressantes pour qui veut approfondir, de manière scientifique, sa connaissance de la religion des Slaves et des Baltes pré-chrétiens.

    Guillaume Oudaer

    1Mais parfois avec des approximations fâcheuses. Ainsi, Erichthonius n’est pas l’ancêtre et le premier roi des Athéniens, même s’il est bien né de la Terre et qu’il deviendra roi de la capitale de l’Attique par la suite.

  • (Review) Claude Sterckx – La Neuvième vague et autres essais sur le légendaire celtique en Bretagne

    Sterckx-9e-Vague-Couverture-1.1-B.jpgClaude Sterckx, La Neuvième vague et autres essais sur le légendaire celtique en Bretagne, 2019, Marseille, Terre de Promesse, 191 p.

    Durant sa longue et active carrière au service des études celtiques, Claude Sterckx a publié un nombre impressionnant d’articles, dispersés dans diverses revues de taille et d’importance variées. Or Claude Sterckx est l’un des rares celtisants à avoir tenté, en utilisant comme d’autres avant lui le comparatisme, de donner un sens, philosophique et théologique, à la mythologie celtique. Bien souvent sous sa plume, les mythes et légendes celtiques cessent d’être de simples histoires plaisantes pour gagner en profondeur et en complexité.

    La Neuvième vague regroupe des études portant au moins partiellement sur la Bretagne continentale.

    La première étude, qui a donné son titre au recueil, revient sur la croyance bretonne – mais qui est largement attestée ailleurs en Eurasie – en la neuvième vague, une vague plus forte, plus dangereuse que les autres, dont il faut se méfier. Si l’on n’en trouve plus que quelques vestiges épars en Bretagne, les attestations galloises et irlandaises sont autrement plus nombreuses, et montrent cette vague en lien avec quelques divinités et personnages mythologiques. Complétant son corpus par les diverses attestations de cette croyance en Europe, de l’Antiquité à nos jours, Claude Sterckx s’attache à démontrer le lien qui existe entre cette croyance en ces neuf vagues, parfois assimilées à des moutons ou à des phoques, et le cycle de la gestation humaine. Il rappelle ainsi divers mythes montrant la survivance d’un enfant après la mort de huit autres, ce qui lui permet d’établir un rapprochement avec les mythes irlandais et gallois sur la naissance de Lugus (Lug / Lleu), dont le ou les frères reviennent à l’océan dès la naissance. Or la déesse galloise Gwenhidwy, maîtresse locale de la neuvième vague, est aussi identifiée à une épouse de Gwydion, lequel est très vraisemblablement le père de Lleu. Étude approfondie qui emmène le lecteur bien au-delà de la croyance qui est son sujet de base, « Lugus et la neuvième vague » est un modèle du genre.

    L’étude suivante porte sur les «Survivances de la mythologie celtique dans quelques légendes bretonnes». S’intéressant d’abord brièvement à la figure indo-européenne du dieu de l’orage, aux épithètes qui lui sont accolées, et à ses attributs, notamment chez les Celtes la massue ou le marteau, Claude Sterckx en vient à s’intéresser à un saint breton, Goëznou, ce saint étonnant dont la fourche avait les mêmes propriétés que la massue fourchue du Dagda, et mort assassiné d’un coup de marteau. Il revient ensuite sur les cas d’autres saint bretons similaires, tels que saint Hernin et saint Goulven. L’ensemble du dossier a depuis été revu par l’auteur, accompagné de Valéry Raydon, dans le recueil Hagiographie bretonne et mythologie celtique1, mais la lecture de ce premier article, datant de 1985, reste toujours aussi stimulante.

    Le troisième article, sobrement intitulé «Débris mythologiques en Basse-Bretagne», datant lui aussi des années 1980, s’intéresse à un conte merveilleux publié très tardivement, Jozebig ha Merlin. On trouve dans ce conte le don au héros d’une nappe merveilleuse fournissant nourriture à volonté, d’un bâton magique permettant de faire surgir quatre soldats, d’un marteau qui procure la richesse, et d’une bombarde qui permet de ressusciter les morts, tous ces instruments étant acquis par la ruse par Jozebig. Claude Sterckx a évidemment rapproché ce conte de la manière dont, selon un récit contenu dans le Livre de Leinster, le Dagda irlandais a acquis par la ruse des attributs tout à fait similaire. Hélas, les conclusions de ce court article sont partiellement caduques. Il s’agit en effet d’un motif populaire connu dans toute l’Europe2, et s’il convient de s’interroger sur l’association de ce motif au Dagda, il n’est pas du tout certain que le conte breton soit une survivance de l’antique mythologie celtique.

    Dans «De Fionntan au Tadig Kozh: figures mythiques d’Irlande et de Bretagne», Claude Sterckx revient en premier lieu sur la comparaison qu’il est possible d’établir entre la galloise Rhiannon et la bretonne Riwanon, mère de saint Hervé, montrant ainsi que l’on peuttrouver dans l’hagiographie des récits mythologiques christianisés, avant de s’attacher à l’étude de Fionntan mac Bóchra, c’est-à-dire Fintan, personnage protéen, appartenant à la première «invasion de l’Irlande» et échappant aux diverses destructions du monde jusqu’à l’arrivée du christianisme en Irlande. Ce personnage trouve un parallèle en Bretagne avec un certain Tadig Kozh. Le récit qui le mentionne, rapporté par Anatole Le Braz, est très christianisé et fait de lui un curé, mais un curé dont on disait qu’il était plus vieux que la terre, mort dix fois et dix fois ressuscité, et possédant tous les secrets de la vie et de la mort. La comparaison avec les différentes figures protéiformes insulaires (Fintan, Tuan, Taliesin) est ici tout à fait évidente.

    Avec «Trace de mythes préchrétiens dans la légende de Locronan», Claude Sterckx reprend un dossier déjà ancien, abordé notamment par Donatien Laurent dans ses études sur la Troménie de Locronan. Cette troménie, une procession traditionnelle,pourrait en effet être une répétition microcosmique du cycle d’existence du monde, lequel est rythmé par unecréation et destruction périodique. L’un des événements importants de ce cycle cosmique est le vol du bétail, un motif attesté dans l’ensemble des mythologies indo-européennes. Ce rappel permet à l’auteur de s’intéresser au récit irlandais Táin bó Fhraoich, qui, dans un contexte de razzia de vaches appartenant à un dieu, met en action le héros Conall Cearnach.

    C’est à ces mythes de vol de bovins que Claude Sterckx compare l’affrontement de saint Ronan (pour partie post-mortem, lors de la pérégrination de son corps sur un chariot tiré par des bœufs) avec la Keban, une sorcière qui pourrait être en partie comparable à la Morrigan.

    «Rhiannon en Armorique» revient sur l’identification de cette déesse galloise avec la mère de saint Hervé, Riwanon. Cet article ajoute cependant un nouvel élément tendant à démontrer l’existence de la croyance en cette déesse chez les Bretons lorsqu’ils étaient encore païens: un passage d’une Viepopulaire de saint Efflamm collectée par Théodore Hersart de la Villemarqué, dans lequel il est aussi question de la poursuite impossible d’une belle demoiselle par un seigneur qui, même à cheval, ne peut la rattraper. Cette note très brève est on ne peut plus convaincante.

    «Les deux bœufs du déluge et la submersion de la ville d’Is» s'intéresse aux traditions celtiques liées au déluge. Diverses sources galloises, dont hélas un passage des très douteux Iolo Manuscripts, mentionnent le cas de deux frères, Nynnio et Peibio, tous deux rois, de mauvaise vie, qui finissent métamorphosés en bœufs de labour. Tous deux alors, selon des traditions orales, se font une spécialité de tirer des monstres aquatiques de lacs, dont un, celui du Llyn Lliwan, est responsable d’une inondation qui a noyé toute la Grande-Bretagne. Après avoir établi l’ensemble du dossier, Claude Sterckx se livre à un examen des divers motifs folkloriques et personnages qu’on y retrouve, ce qui lui permet ensuite d’aborder les croyances cosmologiques des Celtes.

    Dans «La fondation de Rome et celle de la Bretagne», Claude Sterckx examine les diverses traditions médiévales, pas toujours concordantes, sur la fondation de la (Petite-)Bretagne, laquelle aurait eu pour premier roi Conan Meriadec, ce qui lui permet ensuite de tenter une comparaison point par point avec les récits sur la fondation de Rome. L’auteur en conclut que même s’il s’y trouve quelques éléments d’origine locale, l’essentiel de la tradition bretonne n’est qu’un décalque savant de celle de Rome.

    L’ouvrage se conclut par de très utiles index – un des personnages, un autre des auteurs anciens et textes cités – et par une impressionnante bibliographie qui montre toute l’érudition de Claude Sterckx.

    Rassembler ces études, parfois difficiles à se procurer, pour les rendre accessibles au plus grand nombre était une nécessité, aussi faut-il se féliciter de l’entreprise de Valéry Raydon, pour les éditions Terre de Promesse, avec ce qui sera, je l’espère, le premier volume d’une série.

    Patrice Lajoye

     

    1André-Yves Bourgès et Valéry Raydon (dir.), Hagiographie bretonne et mythologie celtique, 2016, Marseille, Terre de Promesse.

    2Patrice Lajoye, « Celto-Slavica. Essais de mythologie comparée », Études celtiques, XXXVIII, 2012, p. 197-228, notamment p. 223-224.