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NMC - Page 3

  • Roger D. Woodard - The Novilara Stele (PID 343) and Italic Warrior Ritual

    The Novilara Stele (PID 343) and Italic Warrior Ritual

     

    Roger D. Woodard

     

    Abstract : The Novilara Stele (PID 343) appears to be one of only two known documents to preserve the Iron-Age language of Italy that has been called North Picene.  Though this language has been long viewed as likely Indo-European (and possibly Italic), the inscription, which appears on the obverse side of the Novilara Stele, has proven notoriously difficult to interpret.  In this article I propose that the glyptic of the reverse side of the tablet is meant to illustrate (1) a local Italian expression of the ancestral Indo-European triple sacrifice and (2) an event of arranged combat, a phenomenon widely attested among early – including Italic – Indo-European peoples.  A proper reading of the two scenes, I further suggest, provides elegant guidance in interpretation of certain linguistic elements of the inscription of the obverse side and, in so doing, supports the authenticity of our evidence of North Picene language.

    Keywords : North Picene, Etruscan, Iguvium, Indo-European triple sacrifice, Indo-European triple fires, arranged combat, Horatii, Curiatii.

    Résumé : La stèle de Novilara (PID 343) semble être l’un des deux seuls documents connus à préserver le picène du Nord, langue de l’âge du Fer en Italie. Bien que cette langue ait longtemps été considérée comme probablement indo-européenne (et peut-être italique), l’inscription, qui apparaît au recto de la stèle de Novilara, s’est avérée notoirement difficile à interpréter. Dans cet article, je propose que la glyptique du verso de la tablette soit destinée à illustrer (1) une expression italienne locale du triple sacrifice ancestral indo-européen et (2) un événement de combat arrangé, un phénomène largement attesté parmi les premiers peuples indo-européens – y compris italiques. Je suggère en outre qu’une lecture correcte des deux scènes fournit des indications utiles à l’interprétation de certains éléments linguistiques de l’inscription au recto et, ce faisant, confirme l’authenticité de notre document en langue du picène du Nord.

    Mots-clés : Picène du Nord, Étrusque, Iguvium, triple sacrifice indo-européen, triple feu indo-européen, combat arrangé, Horaces, Curiaces.

     

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  • (Review) Jean-Louis Brunaux - La Cité des druides

    Brunaux.jpgJean-Louis Brunaux, La Cité des druides. Bâtisseurs de l’ancienne Gaule, 2024, Paris, Gallimard.

     

    Les druides sont un sujet qui fascine depuis longtemps. Ils ont fait l’objet de nombreux ouvrages, certains très sérieux, d’autres pas du tout. En 2006, l’archéologue Jean-Louis Brunaux avait publié un ouvrage sur ce thème1, lequel posait déjà de multiples problèmes. Aussi pouvait-on accueillir son nouvel ouvrage, La Cité des druides, avec une certaine appréhension. Malheureusement, cette appréhension est tout à fait justifiée.

    On dit ordinairement d’un bon historien qu’il doit, entre autres domaines, maîtriser la bibliographie, et donc l’historiographie de son sujet, et aussi faire preuve d’honnêteté en présentant ses hypothèses en employant le conditionnel ou des formules de précaution. Or on peut voir dès les premières pages que l’auteur ne maîtrise pas la bibliographie. Il assène en effet, dès l’introduction:

    «Ce qui importe est qu’au début du XVIIIsiècle les Gaulois ont à nouveau disparu de l’horizon des historiens et des philosophes» (p. 12).

    Or c’est précisément à cette époque, en 1727, qu’un mauriste, Dom Jacques Martin, fait paraître les deux forts volumes de son ouvrage La Religion des Gaulois2, et il y a déjà quelques années, Daniel Droixhe a montré que c’est à l’âge classique que l’intérêt pour la religion et la mythologie des Gaulois a ressurgi3, bien avant la création de l’Académie celtique en 1804, qui n’est finalement qu’une prolongation de cet intérêt.

    La bibliographie moderne n’est pas mieux traitée. Jean-Louis Brunaux a même l’audace d’écrire, toujours dans sa préface:

    «Jamais, depuis le temps des humanistes, on ne s'est interrogé en profondeur sur la signification d’un système politico-judiciaire [celui des druides] aussi original. L’intérêt pour les Gaulois était si faible que les découvertes, toujours plus nombreuses depuis la fin du XIXsiècle […], n’ont pas suffi à aller interroger cette civilisation capable de produire tant de richesses d’une si grande qualité. […] Tout aura changé avec la découverte en 1977 du premier sanctuaire gaulois […]» (p. 13).

    Le «premier sanctuaire gaulois» en question est celui de Gournay-sur-Aronde, à la fouille duquel l’auteur a participé. Mais il en oublie allègrement celui de Roquepertuse et de son agglomération, connu et fouillé depuis le début du XXsiècle. Ce paragraphe est une manière de dire qu’avant Jean-Louis Brunaux, personne n’a travaillé sérieusement. Voire que personne n’a travaillé du tout. Alors même que la bibliographie sur la religion des Gaulois, et celle des Celtes en général, depuis plus de deux siècles, est immense. Cette bibliographie est précisément inexistante dans le présent ouvrage. On sait bien que l’auteur n’admet pas les thèses de certains auteurs, tels que Christian-J. Guyonvarc’h et Françoise Le Roux4. Mais est-ce là une raison valable pour masquer tous les autres? Seul Camille Jullian finalement trouve grâce à ses yeux et est mentionné plusieurs fois.

    Ces deux défauts, l’absence de précautions scripturales et celle de maîtrise de la bibliographie, permettent à l’auteur de développer sur un peu plus de deux cents pages un récit dans lequel tout est présenté comme la vérité vraie. On découvre ainsi petit à petit une chronologie pour le moins étonnante. Les druides, pour Jean-Louis Brunaux, sont similaires aux pythagoriciens grecs, aux mages perses, aux brahmanes hindous. Il suit en cela quelques sources antiques tardives bien connues, telles que Diogène Laërce ou Clément d’Alexandrie. Il en tire donc l’idée que:

    «Les druides, on l’a dit, ne présentent que la version gauloise des sages apparus à la même époque, au cours du Ier millénaire avant notre ère, dans les différentes régions du monde antique, principalement sur les pourtours de la Méditerranée» (p. 58).

    Mais aucune source écrite ne permet réellement de dire quand ces «sages» sont réellement apparus. Une fois apparus, quelque part en Gaule, les druides se répandent:

    «Les peuples de ces vastes régions [la Celtique, l’Aquitaine et la Belgique] avaient tous fini par s’adjoindre des druides. Plusieurs siècles avaient été nécessaires pour qu’ils fussent chacun représentés par au moins un druide et pour que ces premiers sages répandissent leurs doctrines sur un territoire aussi étendu» (p. 80).

    Là encore, aucun texte ancien ne mentionne cela. L’auteur précise néanmoins:

    «Aux VIIe-Vsiècles avant notre ère, les druides ne pratiquaient pas encore pleinement la religion. Très tôt cependant, on l’a vu, ils avaient développé une forme de divination qui les fit connaître des puissants; mais ils ne réussirent pas à s’imposer face à des devins qui tenaient plus des sorciers que des prêtres» (p. 95).

    Jean-Louis Brunaux pense en effet que devins et druides se sont mené une longue lutte d’influence. Ce n’est qu’à la fin de cette période que: «À cette époque (VIe-Vsiècle avant notre ère), les druides se livrèrent à un véritable travail de théologie: montrer que les dieux ne possédaient rien de la nature des hommes et que les représenter sous forme humaine constituait la pire injure qu’on pût leur adresser» (p. 101).

    Enfin, les druides auraient fini par créer un nouveau panthéon, à la suite de quoi:

    «Enfin, les druides, dès le IVsiècle, réussirent à instaurer une authentique religion avec ses dogmes et un culte public omniprésent» (p. 132).

    Ce ne serait, selon Jean-Louis Brunaux, qu’au IIIsiècle avant J.-C. que les Gaulois auraient bâti leur premier grand sanctuaire: «Au moment même, en -278, où des Gaulois, venus des bords de la Manche, atteignaient Delphes, leurs frères restés au pays y construisaient le premier grand sanctuaire de la Gaule, à Gournay-sur-Aronde, dans la cité des Bellovaques – à ce jour le mieux conservé, par bonheur.» (p. 143)

    Par bonheur, évidemment, puisque c’est lui qui l’a fouillé. Il en oublie les fouilles des autres, et donc Roquepertuse, cette agglomération des Celtes de la Méditerranée et son sanctuaire, détruits précisément au IIIsiècle avant J.-C., mais donc antérieurs à Gournay.

    Mieux encore: pour l’auteur, les druides en viennent à connaître parfaitement leur pays et à établir une carte de la Gaule. Il précise:

    «La réalisation d’une carte de la Gaule fut une obligation pour les druides dès qu’ils décidèrent de constituer une seule confrérie et de l’étendre à un territoire idéal, jusqu’aux frontières naturelles» (p. 172).

    Rien de tout cela ne repose sur une quelconque argumentation étayée par des sources anciennes. Ce sont là des idées de Jean-Louis Brunaux, présentées comme des vérités.

    Cette façon de faire est présente à chaque page du livre. On pourrait multiplier les exemples, je me contenterai d’un seul. Aux pages 38-39, l’auteur écrit:

    «À la fin du VIe siècle avant notre ère, des armées se constituent en Gaule, dont la renommée s’étend hors du territoire. Ce sont des groupes cohérents, où règne une certaine forme d’égalité. Cette isonomia (égalité des droits civils et politiques), pour reprendre un terme du vocabulaire politique grec mais qui est aussi adapté à la situation gauloise, figure un premier pas vers la cité, en attendant le moment où les premiers ‘intellectuels’, les druides, l’auront inscrite durablement dans les règles de vie entre les membres de la communauté.»

    Cette fois-ci, pour étayer son propos, l’auteur donne deux sources antiques: Hérodote, Histoires, III, 80, et Platon, Ménexène, 239a. Le souci­­ est qu’Hérodote ne parle qu’une seule fois des Celtes, mais ne dit évidemment rien sur cette supposée isonomia en Gaule. Quant à Platon, il ne parle que de l’isonomia chez les Grecs, et de rien d’autre. Nous avons affaire là encore à une hypothèse de l’auteur présentée comme un fait avéré.

    Bien entendu, tout n’est pas faux, dans ce livre. Mais même les parties qui auraient pu être intéressantes sont manquées. Le propos de l’auteur est de montrer que les druides ont été au cœur de la cité, et donc au cœur des institutions publiques et politiques, dont ils auraient été les animateurs et les réformateurs. Tout cela est fort probable, mais méritait ici aussi une véritable argumentation. Or, même dans le court passage qu’il leur consacre (p. 192-195), pas une seule fois il ne mentionne les magistratures gauloises attestées durant la conquête romaine ou dans les décennies qui ont suivi, magistratures qui n’ont rien de romain. Le mot gutuater, pourtant mentionné par Hirtius au livre VIII de la Guerre des Gaules, n’est jamais écrit: il s’agit là pourtant d’une forme de prêtrise remarquable, qui a perduré à l’époque augustéenne. On possède une inscription qui parle de l’un d’entre eux, à Mâcon: Caius Sulpicius Marcus aurait ainsi été gutuater de Mars, prêtre de Moltinus, mais aussi duumvir et flamen d’Auguste5. Autant dire que cet homme a été précisément au cœur de la vie de sa cité. L’existence d’un tel personnage allait pourtant dans le sens du propos de l’auteur, que l’on ne verra pas plus citer l’argantodannos (monétaire) mentionné par des monnaies tardives des Lexoviens, des Meldes et des Médiomatrices, le platiodannus d’un vicus mentionné par une inscription de Mayence6, ou encore le cassidannos des comptes de potiers de La Graufesenque, terme pourtant traduit sur ces mêmes inscriptions par flamen7.

    Tout ce qu’on obtient au final est un ouvrage raté, dans lequel l’auteur tente de créer son propre roman national. Ce n’est pas un problème en soi de poser des hypothèses: c’est même le travail essentiel de l’historien. Mais il est malhonnête de les présenter ainsi au grand public comme des vérités établies et sans alternatives.

     

    Patrice Lajoye

    1Jean-Louis Brunaux, Les Druides. Des philosophes chez les barbares, 2006, Paris, Seuil.

    2Dom ***, La Religion des Gaulois tirée des plus pures sources, 1727, Paris, Saugrin fils.

    3Daniel Droixhe, L'Étymon des dieux. Mythologie gauloise, linguistique et archéologie à l'âge classique, 2002, Genève, Droz.

    4Jean-Louis Brunaux, Les Druides…, 2006, p. 93-94 : « Car la méthode des auteurs est simple : elle consiste à pallier l’insuffisance mythologique gauloise par la richesse de la mythologie irlandaise et, inversement, à demander à la Gaule une description sociale qui manque aux légendes irlandaises. Il en va de même pour la description des figures divines et des compétences des druides. [...] La méthode est justifiée par une scientificité qui n’en a que le vocabulaire. »

    5CIL 13, 02583 = CIL 13, 02585.

    6CIL 13, 06776.

    7Robert Marichal, Les Graffites de La Graufesenque, 1988, Paris, CNRS.

  • (Review) Mark Norman - The Folklore of Devon

    Devon.jpgMark Norman, The Folklore of Devon, 2023, Exeter, University of Exeter Press.

     

    Depuis quelques années, les presses de l’Université d’Exeter éditent une collection dédiée au folklore, ce qui n’est pas chose courante de nos jours. Notre collègue Guillaume Oudaer a ainsi pu dire ici même tout le bien qu’il pensait d’un des premiers ouvrages parus, The Boggart, de Simon Young.

    C’est en 2023 qu’a été publié The Folklore of Devon, de Mark Norman. L’auteur n’est pas un enquêteur de terrain, mais il est membre de la Folklore Society, dont il est l’archiviste et le bibliothécaire. Autant dire qu’il avait sous la main une documentation abondante, de qualité, et parfois encore inédite.

    The Folklore of Devon n’est pas une anthologie de légendes, mais bien une synthèse sur les particularités de ce comté du sud-ouest de l’Angleterre, juste à l’est de la Cornwall, ce qui explique sans doute sa brièveté. Il s’ouvre par un chapitre historiographique intéressant, car il nous indique la valeur du travail de chacun des anciens folkloristes, notamment du XIXe siècle. C’est là un modèle de prudence.

    Les neufs chapitres suivants sont thématiques. Le premier, «Stories from the Moors», s’intéresse à une zone géographique précise, les environs d’Exmoor et de Dartmoor, avec là encore une approche historiographique forte. Le second, «The Calendar Year», nous donne un aperçu des chansons, rites et autres croyances mises en œuvre au rythme des saisons. Le chapitre suivant, «Farming and the Weather», lui est d’ailleurs intimement lié.

    C’est avec le chapitre 5 que l’on passe à l’étude de types légendaires. Le 5, «The Devil in Devon», traite donc des légendes et croyances concernant le diable; le chapitre 6, «Fairies in Devon», aborde le cas des fées et lutins; le chapitre 7, «Some Devon Hauntings», parle de quelques cas particuliers de hantise; parmi celles-ci, le cas du chien noir («The Black Dog») est détaché pour former le chapitre 8 .

    Les chapitres 9 et 10 sont quant à eux consacrés à des faits à caractère plus social: le 9, «Witchcraft», traite en effet de la sorcellerie, et le 10, «Modern Folklore», du folklore contemporain. Car c’est là quelque chose que Mark Norman garde sans cesse à l’esprit: le folklore n’est pas constitué que d’archaïsmes: il évolue dans le temps, au point que de nouvelles légendes, de nouvelles coutumes peuvent apparaître.

    On peut constater quelques absences dans ce sommaire: on n’y trouve pas de monstre ou de dragons, pas de légendes de trésors, sauf quand elles sont associées au diable, pas de légendes hagiographiques sur les saints locaux. Mais en contrepartie, la bibliographie fournie par l’auteur est impressionnante et permet d’aller bien au-delà du propos du livre. The Folklore of Devon est en effet aussi bien une synthèse qu’un outil de travail précieux.

    Occupant une ancienne terre celtique, le Devon connaît quelques légendes qui ne sont pas sans rappeler celles du Pays de Galles voisin. Ainsi dans la région de Dartmoor a été enregistré l’apparition, («à certains moments particuliers de l’année», mais l’enquête ne dit pas lesquels) d’une truie fantôme, accompagnée de ses marcassins affamés, qui ne pourront être rassasiés qu’en un lieu où se trouve un cheval mort (p. 33). On pense aussitôt au Twrch Trwyth gallois, dont on sait maintenant qu’il a eu des homologues ailleurs. Le Normand que je suis n’a par ailleurs guère été dépaysé à la lecture des légendes du Devon: on sent bien qu’il existe une certaine communauté culturelle de part et d’autre de la Manche.

     

    Patrice Lajoye