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NMC - Page 3

  • (Review) Julien d'Huy - Cosmogonies

    dHuy1.jpgJulien d’Huy, Cosmogonies. La Préhistoire des mythes, 2020, Paris, La Découverte.

     

    Voilà déjà quelques années que notre collègue Julien d’Huy s’est emparé des outils informatiques et des méthodes développées par les phylogénéticiens pour les appliquer aux corpus mythologiques. Nous avons déjà eu par le passé l’occasion de publier ses travaux, preuve s’il en est que la rédaction de Nouvelle Mythologie Comparée s’intéresse à cette approche encore nouvelle.

    En 2020, Julien d’Huy a publié un volumineux ouvrage qui est le premier à détailler en français cette méthode et quelques-uns de ses premiers résultats.

    Ce premier livre n’est pas tout à fait neuf pour les lecteurs attentifs : il regroupe en effet plusieurs sujets sur lesquels l’auteur a déjà eu à travailler par le passé : «Polyphème»1, le «Plongeon cosmogonique»2, le «Vol du feu», le «Matriarcat primitif»3, la «Maîtresse des animaux» et enfin la «Femme-oiseau» et la «Ménagère mystérieuse»4. Il ne s’agit cependant pas d’une simple compilation d’articles, et l’on perçoit rapidement que la recherche de Julien d’Huy suit un fil conducteur bien défini, ce qui le ramène, dans les dernières pages, au personnage abordé dans les premières, Polyphème, mais avec un apport nouveau puisqu’il démontre, tableau à l’appui, que le mythe de Polyphème et celui de la Ménagère mystérieuse sont d’un point de vue structurel tout à fait similaires.

    Cependant, le cœur de la démarche de Julien d’Huy n’est pas structuraliste à proprement parler, mais bien phylogénétique, à savoir qu’en bon continuateur de Claude Lévi-Strauss, il travaille sur la base d’un corpus, sans jamais choisir une version précise parmi l’ensemble, corpus dont il cherche à déterminer l’origine et si possible à reconstituer la forme du récit primitif qui en est la base. Pour cela, il emploie massivement la base de données construite depuis des années par les Russes Yuri Berezkin et Evgeny Duvakin et la typologie des motifs mythologiques qu’ils en ont tirée5, tout en y ajoutant le résultat de ses propres lectures. Partant de cela, il applique aux corpus sélectionnés divers logiciels statistiques qui lui permettent d’établir des arbres «généalogiques» construits sur une base statistiquement fiable.

    Il faut bien noter ici que même si l’auteur explique dans le détail sa méthode, de façon très pédagogique, il est tout de même nécessaire d’être soi-même familier des outils statistiques pour contrôler efficacement les résultats obtenus: ce n’est pas mon cas, je m’abstiendrai donc de suivre cette voie. Je me contenterai de dire que les résultats obtenus, confrontés aux informations livrées par les préhistoriens et les généticiens concernant les diverses migrations humaines à travers le monde depuis la sortie d’Afrique, sont tout à fait convaincants. On ne peut s’empêcher d’éprouver un certain vertige en constatant que les mythes, sujets d’étude encore considérés comme mineurs par beaucoup, mais dont on sait depuis longtemps que la structure peut faire preuve d’une stabilité qui lui permet de traverser les siècles6, peuvent finalement nous permettre de retracer ou d’aider à retracer des pans d’histoire – ou plutôt de préhistoire – dont la durée se compte en millénaires7.

    On achève ainsi la lecture du livre, parfois ardue mais l’auteur est toujours là pour expliquer quand il le faut les points délicats, en ayant le sentiment d’avoir eu affaire à quelque chose de brillant.

    Mais toute bonne critique d’un livre aussi foisonnant d’idées n’existe pas sans quelques remarques et compléments.

    Au sujet de Polyphème, je ne suis pas certain que l’on puisse suivre l’idée émise par Claude Calame (ici p. 95-96), faisant du cyclope une créature représentant un état culturel antérieur au Néolithique, donc «sauvage», opposé à Ulysse et à ses compagnons, représentant la cité, donc «civilisés». Le cyclope est un berger, et s’il vit dans une grotte, cela ne suffit pas à faire de lui un sauvage, car après tout, tous les bergers s’installent dans des abris précaires, mais ils n’en connaissent pas moins l’élevage: ce ne sont pas des chasseurs.

    P. 155-157, Julien d’Huy aborde la question des déluges provoqués par une maladresse ou un acte délibéré d’un humain. Il serait intéressant de voir comme le motif des «pierres bondes», tel qu’étudié en son temps par Jean Paul Lelu, pourrait modifier les résultats de l’analyse. La trame en est simple: si l’on soulève une certaine pierre, de l’eau s’échappe et inonde toute la contrée, voire la terre entière8. Le corpus rassemblé par Jean Paul Lelu est essentiellement français (mais la France était son champ de recherches), tandis que les mythes relevés par Julien d’Huy à titre d’exemple viennent d’Océanie et d’Amérique du Sud.

    Ces précédentes remarques ne changent pas grand-chose au fond. En revanche, lorsque l’auteur aborde la question du mythe de la «Ménagère mystérieuse» et de ses rapports avec celui de la «Femme-oiseau», on ne peut qu’être surpris de ne pas voir apparaître l’immense corpus «mélusinien», qui pourtant entretient des rapports étroits et évidents avec les deux mythes en question9. Cette lacune, dont le comblement aurait sans doute beaucoup complexifié les choses car il aurait fallu faire appel à un corpus abondant de textes pour certains populaires, pour d’autres savants et qui ont connu une large diffusion, ne peut qu’étonner, car au final, elle introduit un biais important qui fait que l’arbre reconstruit par Julien d’Huy concernant la «Ménagère mystérieuse» (p. 279), ne contient plus que des versions africaines, asiatiques et américaines: l’Europe est totalement absente alors que cela ne devrait pas.

    Mais au-delà de ces quelques remarques, Cosmogonies reste un livre marquant, et profondément stimulant. Il ouvre une porte qui, je l’espère, ne se refermera pas de sitôt, pourvu que d’autres chercheurs, plus compétents que je ne le suis, puissent s’emparer des mêmes méthodes et nourrir un débat prometteur.

     

    Patrice Lajoye

    2Par exemple : Julien d’Huy, « Un récit de plongeon cosmogonique au Paléolithique supérieur ? », Préhistoire du Sud-Ouest, 2017, 25-1, p. 109-117.

    4Par exemple : Julien d’Huy, « Le motif de la femme-oiseau (T111.2.) et ses origines paléolithiques », Mythologie française, 2016, 265, p. 4-11.

    6Voir déjà Michel Bréal, « Hercule et Cacus », in Mélanges de mythologie et de linguistique, 1882, Paris, Hachette, p. 132-133.

    7Je m’inscris ici à l’opposé de Philippe Walter qui, dans son compte rendu du même ouvrage, montre qu’il n’a pas compris la méthode ici appliquée et qu’il n’a pas tenu compte des précautions prises par Julien d’Huy, et pourtant clairement exprimées, pour présenter ses résultats. Il en arrive ainsi à penser que l’auteur croit en une matriachie primitive, alors que précisément Julien d’Huy montre qu’il ne s’agit que d’un mythe.

    8Jean Paul Lelu, « La pierre couvretière d’Ancenis et les ‘pierres bondes’ », Mythologie française, 212, 2003, p. 2-9.

    9L’auteur ne mentionne le corpus mélusinien que dans une note p. 251.

  • (Review) Frédéric Armao - Uisneach or The Center of Ireland

    Armao.jpgFrédéric Armao, Uisneach or The Center of Ireland, New York and London, Routledge, 2023, 323 p.

     

    Le présent essai est consacré à l’étude de la colline d’Uisneach, le point central traditionnel de l’Irlande. Après une rapide présentation du cadre historique et géographique, ainsi que des sources historiques de son étude, l’auteur se penche tout d’abord sur la centralité d’Uisneach, telle qu’elle apparaît dans les différentes sources. Il le fait en définissant en premier lieu le concept de la division de l’Irlande, où chacune des quatre principales provinces contribue, en sa partie la plus proche du centre de l’île, à la formation d’une cinquième province, le Mide, qui contient Uisneach en son centre.

    Il poursuit par l’étude des relations entre le Mide et Uisneach, en particulier au niveau toponymique et étymologique, tout en questionnant l’idée d’une souveraineté gagnée en relation avec cette colline et l’un de ses lieux remarquables, l’Ail na Mireann, la pierre marquant symboliquement le centre de l’Irlande, laquelle étant le point de rencontre des cinq provinces dans le contexte d’une division alternative de l’île. Il en profite pour explorer le lien entre Uisneach et les concepts d’axis mundi et d’omphalos, qu’il rapproche des traditions attestant de la présence d’un arbre sacré à Uisneach, le Bile/Craeb Uisnig.

    La souveraineté associée à Uisneach et à la dynastie des Uí Néill est aussi abordée, puisque certains des membres de cette dynastie se définiront comme roi d’Uisneach. De même, le rapport entre Uisneach et la légende patricienne est étudié, ainsi que celui entre des pierres ayant prétendument existé sur cette colline et qui auraient été transportées en Grande-Bretagne, pour construire Stonehenge, selon les auteurs anglais médiévaux.

    La partie suivante concerne les occurrences d’Uisneach dans la mythologie irlandaise, en tant qu’attestations de l’importance de ce lieu aux temps préchrétiens. Ce panorama mythique lui permet d’étudier l’idée de triplicité et donc de totalité associée à la colline et à certains des dieux qui y agissent. Autre idée intéressante, qui nous semble inédite cette fois: celle du lien entre Uisneach et la légende de Deirdre et des Fils d’Uisneach. Frédéric Armao évoque le fait qu’ils pourraient être des fils de Lugh, le dieu suprême du panthéon irlandais. Il en conclut que ce lieu est marqué par la sacralité druidique, en tant que point central hors du monde où se rencontrent la dimension humaine et celle des dieux.

    Le troisième chapitre se penche sur les liens existant entre Uisneach et les assemblées anciennes. En effet, différents textes mentionnent trois voire quatre grandes réunions, chacune ayant lieu sur une colline différente liée au Mide et à l’une des autres provinces le constituant. Frédéric Armao étudie les témoignages (pseudo-)historiques et mythologiques concernant ces assemblées, en général, et celle d’Uisneach en particulier, tout en critiquant, à raison, la méthodologie de D. A. Binchy et ses conclusions. Il se propose d’en donner les contre-arguments en commençant, dans ce chapitre, par comparer l’assemblée de d’Uisneach à d’autres rassemblements connectés à des points centraux d’autres terres celtiques (Armorique, Grande-Bretagne, Gaule).

    Le chapitre suivant est une étude du festival de Beltaine, fortement associé à Uisneach dans les textes. Il montre, par comparaison avec des traditions européennes équivalentes, la spécificité de Beltaine et le lien cohérent qui peut être fait entre ce temps sacré, ses pratiques et ses croyances, en particulier celles tournant autour du feu, et Uisneach.

    L’étude des vestiges archéologiques présents sur cette colline montre une occupation funéraire, cultuelle voire royale du lieu faisant écho aux pratiques et aux traditions attestées par les sources présentées précédemment. Même si l’interprétation de ces restes est ambivalente, elle démontre une dimension sacrée du site remontant à la préhistoire et qui semble se poursuivre jusqu’en pleine époque médiévale.

    La dernière partie de cet ouvrage, intitulée «Modern and Contemporary Aspects of Uisneach» se penche sur différentes thématiques liées à cette colline pour ce qui concerne son histoire récente. Ainsi, il s’agit du rapport entre Uisneach et le Gaelic Revival, c’est-à-dire le regain d’intérêt, au tournant des XIXe-XXe siècles, pour la composante celtique de la culture irlandaise, mais aussi de l’étude des sources folkloriques modernes concernant ce site et ses monuments et leur rapport avec les traditions déjà évoquées. Enfin, la description de la réutilisation, depuis la fin du XXe siècle, de cette colline comme lieu de rassemblement populaire, à la fois profane et néo-païen, prenant place durant la temporalité de Beltaine et dont le point culminant est l’allumage d’un grand feu, clôt cet ouvrage en montrant le renouvellement de la symbolique de cette colline – conçue originellement comme un axis mundi et un omphalos selon les mots même de l’auteur – accompagnant les évolutions de la société irlandaise contemporaine.

    Il s’agit là d’une monographie fondamentale sur le site d’Uisneach et la fête de Bealtaine. C’est là un exemple à suivre pour d’autres sites irlandais ayant une histoire aussi riche. Le propos de l’auteur est accompagné d’annexes et d’une bibliographie particulièrement fournies. Le seul bémol que nous pourrions émettre serait que cet ouvrage n’utilise pas le livre de Proinsias Mac Cana, The Cult of the Sacred Center (Dublin Institute for Advanced Studies, 2011), qui partage avec lui le même thème.

     

    Guillaume Oudaer

  • Stamatis Zochios - Caïn sur la Lune

    Deuxième volume de notre collection "Bibliothèque de Nouvelle Mythologie Comparée", Caïn sur la Lune de Stamatis Zochios, est maintenant paru!

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    La mythologie grecque antique est bien connue. En revanche, les légendes grecques modernes sont singulièrement ignorées du grand public francophone. Et pourtant, depuis le XIXe siècle, de nombreuses enquêtes de terrain ont eu lieu, permettant la collecte d’une multitude de récits. Ce sont ici plus de cent cinquante légendes qui sont traduites en français et racontent la genèse des animaux, des plantes, mais aussi des montagnes, des lacs, des créatures féériques et des êtres humains.
    Docteur de l’université de Grenoble, auteur d’une thèse sur le mythe du cauchemar, Stamatis Zochios est actuellement enseignant au sein du Département de langue et littérature russe et d’études slaves de l’université d’Athènes.
     
    Le prix est de 24€.
    Pour recevoir cet ouvrage, vous pouvez nous faire un virement via Paypal, à l'adresse lviktoriya@aol.fr , ou bien nous envoyer un chèque du même montant à l'ordre de Viktoriya Lajoye (22A rue de la Gare, 14100 Lisieux).