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NMC - Page 2

  • (Review) Eugène Warmenbol et Julie Cae-Van (éd.) – Les Celtes et le Cheval

    Celtes-et-cheval_Page_1.jpgEugène Warmenbol et Julie Cae-Van (éd.), Les Celtes et le Cheval, Archéologie et mythologie (de l’âge du Bronze à l’époque contemporaine), actes des journées de Contact de la Société Belge d’Études Celtiques (SBEC), tenues à Bruxelles les 31 mars 2018 et 23 mars 2019, 2020, Bruxelles / Libramont, Société belge d’Études celtiques / Musée des Celtes.

     

    Le présent ouvrage de 171 pages est constitué de 14 articles de valeur inégale, auxquels s’ajoutent un avant-propos et une introduction. Le premier article, signé par Xavier Delamarre, «De l’indo-européen au celtique: les noms du cheval en gaulois et dans l’onomastique» (p. 9-18), donne une liste de noms du cheval en gaulois et dans les langues celtiques. L’intérêt de ce travail réside également dans l’aspect didactique, pour ne pas dire pédagogique, de son auteur, qui prend soin de restituer son processus d’identification et d’analyse, permettant ainsi aux non-initiés de mieux appréhender ce champ de la recherche.

    Le deuxième article, «Le rôle du cerf dans l’âge du Bronze européen. Le mythe et la réalité: une deuxième approche», d’Eugène Warmenbol, propose d’analyser les représentations des chevaux et cervidés depuis l’Âge du Bronze. Par comparatisme, l’auteur parvient à montrer une catégorisation tout à fait saisissante de ces animaux: le cheval étant cantonné à l’astre diurne, au Soleil, au lumineux, d’une certaine manière au monde «civilisé» compris comme anthropisé alors que le cerf, lui, est cantonné à l’astre nocturne, à la Lune, au monde sauvage. Il est intéressant de constater que les hommes, par certains artifices dans un cadre probablement religieux, ont cherché à travestir des chevaux en cervidés. Cette recherche, par ces comparaisons archéologiques, mythologiques, iconographiques voire astronomiques, ouvre des horizons très prometteurs.

    Le troisième article, écrit par Manon Vallée et intitulé «Métamorphoses et jeux de sens: analyses et réflexions autour des représentations du cheval et de l’oiseau», montre l’intérêt des démarches transdisciplinaires pour mieux appréhender le corpus symbolique des sociétés anépigraphiques. Ici, il est question d’archéologie, d’archéozoologie, d’ornithologie et d’éthologie. Ainsi, concernant le fourreau d’épée de Marin-Épargnier, les trois animaux présentés comme la fusion du cheval et de l’oiseau, au moins pour leur tête, peuvent aussi être vus comme des cervidés, au moins pour l’un d’entre eux, la ramure étant définie par des motifs curvilignes.

    Peter Halkon signe le quatrième article, «New light on the chariot burials of Eastern Yorkshire», dans lequel il propose un état de l’art concernant les tombes à char découvertes jusqu’à présent dans le Yorkshire. L’intérêt de cette contribution réside dans les questionnements de l’auteur sur les emplacements de ces tombes, dans leurs relations avec le paysage et leur intégration dans une économie du cheval et du fer. Bien évidemment, il conclut son étude par l’évocation de possibles connexions continentales comme l’avait déjà proposé Greta Anthoons1.

    Patrice Méniel, pour le cinquième article, «Les dépôts de chevaux sur le site du Mormont (Vaud, vers 100 av. notre ère)», tente de replacer le cheval dans le cadre de pratiques rituelles ou de consommation dans le cadre de l’étude du site du Mormont. Malgré la difficulté de la tâche, tant le corpus ostéologique est élevé, et dans l’attente de l’étude des autres mobiliers, comme la céramique, l’auteur montre que l’âge d’abattage des chevaux est deux fois plus élevé pour les mâles (11 ans) que pour les femelles (5,5 ans) et met au jour des pratiques d’hippophagie. Plus intéressantes encore sont les hypothèses interprétatives proposées pour ce site occupé durant un laps de temps très court, à savoir; un sanctuaire, avec des pratiques cultuelles donc sacrificielles, mais surtout celle du bivouac. La période d’occupation du site, qui s’arrête à l’extrême fin du IIe s. av. J.-C, voire le début du siècle suivant, pourrait correspondre au passage des Cimbres et des Teutons. En cela, ce site représenterait un intérêt majeur puisqu’illustrant une migration à travers une de ces étapes, un arrêt nécessaire, le bivouac.

    Le sixième article, proposé par Charlotte Van Eetvelde, «La question de l’hippophagie en Gaule à l’âge du Fer», permet un utile état d’une question qui semble polarisée entre tabou alimentaire et pratique autorisée. L’hippophagie est attestée sur des sites du second âge du Fer en Gaule Belgique, dans des contextes d’habitat, avec une dissociation proposée pertinemment par l’auteur, entre producteurs chevalins (présence d’ossements de poulains) et consommateur (présence d’ossements d’individus matures avec traces de découpes, absence de jeunes). Mais elle reste surreprésentée dans le contexte de sanctuaires avec deux catégorisations majeures: sacrifice suivi de la consommation de la viande et sacrifice sans consommation de la viande. Enfin, ces données sont mises en dialogues avec les textes insulaires permettant d’évoquer les tabous alimentaires et les mythes liant l’hippophagie avec l’intronisation d’un roi.

    Alexis Stockebrand, pour le septième article, «Au-delà de l’épigraphie : le culte d’Epona à Entrains-sur-Nohain (Nièvre)» revient sur l’étymologie d’Epona et avance un parallèle avec la déesse Rhiannon, toutes deux ayant un aspect chevalin. Le corpus rassemblé par l’autrice, 69 inscriptions latines, permet de distinguer les origines géographiques, sociales des dédicants et montre la pleine intégration d’Epona dans le panthéon romain. La bibliographie actualisée et les nombreuses notes permettent également d’évoquer le calendrier de Guidizzolo et sa mention d’une fête à Epona le 18 décembre mais également de rappeler que l’unique temple dédié à cette divinité en Gaule se trouve à Entrains-sur-Nohains.

    L’article de Julie Cao-Van, «Sur la piste d’Épona, d’après les travaux de Claude Sterckx. Réflexions sur plusieurs vestiges de la déesse depuis l’époque celtique jusqu’à l’époque contemporaine», ne renouvelle pas nos connaissances sur le sujet mais a le mérite de dépoussiérer la bibliographie. Les descriptions monétaires proposées semblent lacunaires et oublient que les motifs interagissent toujours dans le cadre de la composition induite par le champ monétaire. Parmi les parallèles d’Epona proposées avec des sources plus contemporaines, il pourrait être pertinent d’intégrer la figuration de certaines Vierge, dans l’épisode de la «Fuite en Égypte» comme à Saint-Benoît-sur-Loire, où elle est représentée sur un chapiteau, non loin d’un Ogmios et d’une Épona (dénommés ainsi par les moines eux-mêmes!)2.

    «Les chevaux des Rèmes selon Lengyel: une approche structuraliste d’une image monétaire» est un article proposé par Jean-Marc Doyen pour la partie I et Charlotte Van Eetvelde pour la partie II. C’est un réel soulagement de constater que le travail si novateur de Lancelot Lengyel a été repris. En effet, ce chercheur, peut-être trop précurseur, a cherché à isoler les motifs, les unités graphiques en quelque sorte, présents sur le monnayage gaulois afin de constater des interactions récurrentes. De ces interactions, il proposait alors des interprétations en convoquant d’autres objets connus à l’époque. Il est donc intéressant de replacer ce chercheur encore trop méconnu, dans le milieu intellectuel de son époque, composé à la fois d’artistes surréalistes mais aussi d’archéologues de génie. Il manque à ce paysage reconstitué, les échanges entre cet esprit et Paul-Marie Duval. Ce dernier avait, en effet, repris l’idée d’une grammaire des motifs issue des monnaies gauloises (Fonds Paul-Marie Duval). Charlotte Van Eetvelde, pour la partie II, propose quelques pistes interprétatives en s’aidant des motifs mis en exergue par Lancelot Lengyel. Bien qu’intéressantes, on regrettera l’aspect trop segmenté de certaines lectures. Ainsi, diviser la monnaie en quatre champs (haut, bas, avant, arrière), nous paraît incongru dans la mesure où le champ monétaire est circulaire et mobile. Dans ce cadre, quid des monnaies incomplètes? La division des motifs est intéressante pour comprendre les interactions après avoir effectué l’analyse formelle. Il nous semble que l’image monétaire gauloise, dans la majorité des cas, ne doit pas être comprise comme une addition de motifs mais bien comme un ensemble réfléchi interagissant entre eux. Pour le schéma quinaire, il peut aussi renvoyer au concept d’idéal spatio-temporel (le territoire divisé en 4 parties plus un centre comme en Irlande, ou chez les Galates – voir les travaux de Philippe Jouët, Rythmes et Nombres, 2012 – mais aussi à la division de l’année en quatre fêtes plus le moment présent) qui représente d’une certaine manière l’Unité.

    Le dixième article proposé par Marike Van der Horst, «Rhiannon à la Saint-Michel», analyse la Saint-Michel, qui marque la fin de la saison d’été aux Hébrides avec certains passages du texte gallois du Mabinogi de Pwyll. Les correspondances sont saisissantes avec le découpage de l’année (saison sombre/saison claire) et permettent d’enrichir certains dossiers comme celui de Lug: si Rhiannon est bien la déesse appelée Épona, alors Gwri, aux cheveux blonds comme le soleil pourrait lui être associé.

    Bernard Sergent propose un large panorama des «Métamorphoses en cheval dans le domaine indo-européen» avec l’histoire de Saraṇyu en Inde, le combat de Tištrya et d’Apaoša en Iran, Déméter et Poséïdon pour la Grèce ou le Mabinogi de Pwyll pour le domaine celtique. L’auteur, excellent compilateur, et fin connaisseur des mythes indo-européens montre que les mythes de métamorphoses en cheval représentent des élaborations à la fois variées et indépendantes. Il parvient à la conclusion que ce type de mythes de métamorphose équine renvoie à un ensemble de rite ET de mythe, ensemble qui paraît avoir été à dominante guerrière en Iran, mais royale en Inde et chez les Celtes, et peut-être aussi en Grèce ancienne.

    Le douzième article, «Le Dagda et l’aśvamedha : mythe irlandais, numismatique gauloise et rituel indien», écrit par Guillaume Oudaer, propose d’analyser le rite royal d’aśvamedha avec un passage tiré du Cath Maige Tuired, le récit de la seconde bataille de Mag Tured. Ce rituel indien avait déjà fait l’objet d’une comparaison avec le rituel du couronnement des rois du Cenél Conaill. Ce dialogue entre le rituel et le texte irlandais est fécond puisque l’auteur montre de nombreux parallèles entre: sens du rite, divinité dédicataire, le cheval et son attelage, la sécurisation du cheval, la reine principale, la copulation et le tissu, la castration, l’obscénité, le chien et l’eau, le contenu du ventre ou les piliers du sacrifice. Ainsi, l’auteur montre bien que cet épisode irlandais est bien une version mythique d’une tradition rituelle apparentée à l’aśvamedha. En revanche, les parallèles proposés avec les monnaies gauloises nous semblent fragiles: on note problème dans la numérotation des figures et leur renvoi, et un manque de descriptions analogiques.

    Gaël Hily, pour le treizième article, «Les chevaux, les assemblées et la figure de Lug», montre l’importance du cheval dans la société médiévale irlandaise. Les assemblées étaient l’occasion de courses de chevaux, à Tara pour Samain, à Tailtiu et Carman pour Lugnasad ou Uisnech pour Beltaine. L’assemblée de Tailtiu, mythiquement fondée par Lug, montre que le cheval est aussi associé au principe d’autorité, d’où son importance pour la société irlandaise, importance perçue à travers l’étude des nombreuses chroniques et législation lui afférant.

    Le dernier article, «Ambiorix et le cheval Bayard», écrit par Serge de Foestraets propose un rapprochement entre l’action du roi Ambiorix, qui inflige au début de l’hiver 54/53, une défaite à César et la geste des Quatre fils Aymon, révoltés contre Charlemagne. Un motif d’imperator qui poursuit quatre cavaliers dans la forêt des Ardennes pourrait bien lier les deux histoires… à la condition de proposer au lecteur, une étude analytique et catégorielle plus poussée.

     

    Romain Ravignot

    1Greta Anthoons, Contacts between the Arras Culture and the Continent, PhD Thesis, University of Bangor, 2011.

    2Les Chapiteaux de la basilique, Renaissance de Fleury, 222, 2007). Retenons également la thèse d’Audrey Ferlut, soutenue en 2011, Le Culte des divinités féminines en Gaule Belgique et dans les Germanies sous le Haut-Empire romain et publiée en 2022 (Bordeaux, Ausonius).

  • Roger D. Woodard - The Novilara Stele (PID 343) and Italic Warrior Ritual

    The Novilara Stele (PID 343) and Italic Warrior Ritual

     

    Roger D. Woodard

     

    Abstract : The Novilara Stele (PID 343) appears to be one of only two known documents to preserve the Iron-Age language of Italy that has been called North Picene.  Though this language has been long viewed as likely Indo-European (and possibly Italic), the inscription, which appears on the obverse side of the Novilara Stele, has proven notoriously difficult to interpret.  In this article I propose that the glyptic of the reverse side of the tablet is meant to illustrate (1) a local Italian expression of the ancestral Indo-European triple sacrifice and (2) an event of arranged combat, a phenomenon widely attested among early – including Italic – Indo-European peoples.  A proper reading of the two scenes, I further suggest, provides elegant guidance in interpretation of certain linguistic elements of the inscription of the obverse side and, in so doing, supports the authenticity of our evidence of North Picene language.

    Keywords : North Picene, Etruscan, Iguvium, Indo-European triple sacrifice, Indo-European triple fires, arranged combat, Horatii, Curiatii.

    Résumé : La stèle de Novilara (PID 343) semble être l’un des deux seuls documents connus à préserver le picène du Nord, langue de l’âge du Fer en Italie. Bien que cette langue ait longtemps été considérée comme probablement indo-européenne (et peut-être italique), l’inscription, qui apparaît au recto de la stèle de Novilara, s’est avérée notoirement difficile à interpréter. Dans cet article, je propose que la glyptique du verso de la tablette soit destinée à illustrer (1) une expression italienne locale du triple sacrifice ancestral indo-européen et (2) un événement de combat arrangé, un phénomène largement attesté parmi les premiers peuples indo-européens – y compris italiques. Je suggère en outre qu’une lecture correcte des deux scènes fournit des indications utiles à l’interprétation de certains éléments linguistiques de l’inscription au recto et, ce faisant, confirme l’authenticité de notre document en langue du picène du Nord.

    Mots-clés : Picène du Nord, Étrusque, Iguvium, triple sacrifice indo-européen, triple feu indo-européen, combat arrangé, Horaces, Curiaces.

     

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  • (Review) Jean-Louis Brunaux - La Cité des druides

    Brunaux.jpgJean-Louis Brunaux, La Cité des druides. Bâtisseurs de l’ancienne Gaule, 2024, Paris, Gallimard.

     

    Les druides sont un sujet qui fascine depuis longtemps. Ils ont fait l’objet de nombreux ouvrages, certains très sérieux, d’autres pas du tout. En 2006, l’archéologue Jean-Louis Brunaux avait publié un ouvrage sur ce thème1, lequel posait déjà de multiples problèmes. Aussi pouvait-on accueillir son nouvel ouvrage, La Cité des druides, avec une certaine appréhension. Malheureusement, cette appréhension est tout à fait justifiée.

    On dit ordinairement d’un bon historien qu’il doit, entre autres domaines, maîtriser la bibliographie, et donc l’historiographie de son sujet, et aussi faire preuve d’honnêteté en présentant ses hypothèses en employant le conditionnel ou des formules de précaution. Or on peut voir dès les premières pages que l’auteur ne maîtrise pas la bibliographie. Il assène en effet, dès l’introduction:

    «Ce qui importe est qu’au début du XVIIIsiècle les Gaulois ont à nouveau disparu de l’horizon des historiens et des philosophes» (p. 12).

    Or c’est précisément à cette époque, en 1727, qu’un mauriste, Dom Jacques Martin, fait paraître les deux forts volumes de son ouvrage La Religion des Gaulois2, et il y a déjà quelques années, Daniel Droixhe a montré que c’est à l’âge classique que l’intérêt pour la religion et la mythologie des Gaulois a ressurgi3, bien avant la création de l’Académie celtique en 1804, qui n’est finalement qu’une prolongation de cet intérêt.

    La bibliographie moderne n’est pas mieux traitée. Jean-Louis Brunaux a même l’audace d’écrire, toujours dans sa préface:

    «Jamais, depuis le temps des humanistes, on ne s'est interrogé en profondeur sur la signification d’un système politico-judiciaire [celui des druides] aussi original. L’intérêt pour les Gaulois était si faible que les découvertes, toujours plus nombreuses depuis la fin du XIXsiècle […], n’ont pas suffi à aller interroger cette civilisation capable de produire tant de richesses d’une si grande qualité. […] Tout aura changé avec la découverte en 1977 du premier sanctuaire gaulois […]» (p. 13).

    Le «premier sanctuaire gaulois» en question est celui de Gournay-sur-Aronde, à la fouille duquel l’auteur a participé. Mais il en oublie allègrement celui de Roquepertuse et de son agglomération, connu et fouillé depuis le début du XXsiècle. Ce paragraphe est une manière de dire qu’avant Jean-Louis Brunaux, personne n’a travaillé sérieusement. Voire que personne n’a travaillé du tout. Alors même que la bibliographie sur la religion des Gaulois, et celle des Celtes en général, depuis plus de deux siècles, est immense. Cette bibliographie est précisément inexistante dans le présent ouvrage. On sait bien que l’auteur n’admet pas les thèses de certains auteurs, tels que Christian-J. Guyonvarc’h et Françoise Le Roux4. Mais est-ce là une raison valable pour masquer tous les autres? Seul Camille Jullian finalement trouve grâce à ses yeux et est mentionné plusieurs fois.

    Ces deux défauts, l’absence de précautions scripturales et celle de maîtrise de la bibliographie, permettent à l’auteur de développer sur un peu plus de deux cents pages un récit dans lequel tout est présenté comme la vérité vraie. On découvre ainsi petit à petit une chronologie pour le moins étonnante. Les druides, pour Jean-Louis Brunaux, sont similaires aux pythagoriciens grecs, aux mages perses, aux brahmanes hindous. Il suit en cela quelques sources antiques tardives bien connues, telles que Diogène Laërce ou Clément d’Alexandrie. Il en tire donc l’idée que:

    «Les druides, on l’a dit, ne présentent que la version gauloise des sages apparus à la même époque, au cours du Ier millénaire avant notre ère, dans les différentes régions du monde antique, principalement sur les pourtours de la Méditerranée» (p. 58).

    Mais aucune source écrite ne permet réellement de dire quand ces «sages» sont réellement apparus. Une fois apparus, quelque part en Gaule, les druides se répandent:

    «Les peuples de ces vastes régions [la Celtique, l’Aquitaine et la Belgique] avaient tous fini par s’adjoindre des druides. Plusieurs siècles avaient été nécessaires pour qu’ils fussent chacun représentés par au moins un druide et pour que ces premiers sages répandissent leurs doctrines sur un territoire aussi étendu» (p. 80).

    Là encore, aucun texte ancien ne mentionne cela. L’auteur précise néanmoins:

    «Aux VIIe-Vsiècles avant notre ère, les druides ne pratiquaient pas encore pleinement la religion. Très tôt cependant, on l’a vu, ils avaient développé une forme de divination qui les fit connaître des puissants; mais ils ne réussirent pas à s’imposer face à des devins qui tenaient plus des sorciers que des prêtres» (p. 95).

    Jean-Louis Brunaux pense en effet que devins et druides se sont mené une longue lutte d’influence. Ce n’est qu’à la fin de cette période que: «À cette époque (VIe-Vsiècle avant notre ère), les druides se livrèrent à un véritable travail de théologie: montrer que les dieux ne possédaient rien de la nature des hommes et que les représenter sous forme humaine constituait la pire injure qu’on pût leur adresser» (p. 101).

    Enfin, les druides auraient fini par créer un nouveau panthéon, à la suite de quoi:

    «Enfin, les druides, dès le IVsiècle, réussirent à instaurer une authentique religion avec ses dogmes et un culte public omniprésent» (p. 132).

    Ce ne serait, selon Jean-Louis Brunaux, qu’au IIIsiècle avant J.-C. que les Gaulois auraient bâti leur premier grand sanctuaire: «Au moment même, en -278, où des Gaulois, venus des bords de la Manche, atteignaient Delphes, leurs frères restés au pays y construisaient le premier grand sanctuaire de la Gaule, à Gournay-sur-Aronde, dans la cité des Bellovaques – à ce jour le mieux conservé, par bonheur.» (p. 143)

    Par bonheur, évidemment, puisque c’est lui qui l’a fouillé. Il en oublie les fouilles des autres, et donc Roquepertuse, cette agglomération des Celtes de la Méditerranée et son sanctuaire, détruits précisément au IIIsiècle avant J.-C., mais donc antérieurs à Gournay.

    Mieux encore: pour l’auteur, les druides en viennent à connaître parfaitement leur pays et à établir une carte de la Gaule. Il précise:

    «La réalisation d’une carte de la Gaule fut une obligation pour les druides dès qu’ils décidèrent de constituer une seule confrérie et de l’étendre à un territoire idéal, jusqu’aux frontières naturelles» (p. 172).

    Rien de tout cela ne repose sur une quelconque argumentation étayée par des sources anciennes. Ce sont là des idées de Jean-Louis Brunaux, présentées comme des vérités.

    Cette façon de faire est présente à chaque page du livre. On pourrait multiplier les exemples, je me contenterai d’un seul. Aux pages 38-39, l’auteur écrit:

    «À la fin du VIe siècle avant notre ère, des armées se constituent en Gaule, dont la renommée s’étend hors du territoire. Ce sont des groupes cohérents, où règne une certaine forme d’égalité. Cette isonomia (égalité des droits civils et politiques), pour reprendre un terme du vocabulaire politique grec mais qui est aussi adapté à la situation gauloise, figure un premier pas vers la cité, en attendant le moment où les premiers ‘intellectuels’, les druides, l’auront inscrite durablement dans les règles de vie entre les membres de la communauté.»

    Cette fois-ci, pour étayer son propos, l’auteur donne deux sources antiques: Hérodote, Histoires, III, 80, et Platon, Ménexène, 239a. Le souci­­ est qu’Hérodote ne parle qu’une seule fois des Celtes, mais ne dit évidemment rien sur cette supposée isonomia en Gaule. Quant à Platon, il ne parle que de l’isonomia chez les Grecs, et de rien d’autre. Nous avons affaire là encore à une hypothèse de l’auteur présentée comme un fait avéré.

    Bien entendu, tout n’est pas faux, dans ce livre. Mais même les parties qui auraient pu être intéressantes sont manquées. Le propos de l’auteur est de montrer que les druides ont été au cœur de la cité, et donc au cœur des institutions publiques et politiques, dont ils auraient été les animateurs et les réformateurs. Tout cela est fort probable, mais méritait ici aussi une véritable argumentation. Or, même dans le court passage qu’il leur consacre (p. 192-195), pas une seule fois il ne mentionne les magistratures gauloises attestées durant la conquête romaine ou dans les décennies qui ont suivi, magistratures qui n’ont rien de romain. Le mot gutuater, pourtant mentionné par Hirtius au livre VIII de la Guerre des Gaules, n’est jamais écrit: il s’agit là pourtant d’une forme de prêtrise remarquable, qui a perduré à l’époque augustéenne. On possède une inscription qui parle de l’un d’entre eux, à Mâcon: Caius Sulpicius Marcus aurait ainsi été gutuater de Mars, prêtre de Moltinus, mais aussi duumvir et flamen d’Auguste5. Autant dire que cet homme a été précisément au cœur de la vie de sa cité. L’existence d’un tel personnage allait pourtant dans le sens du propos de l’auteur, que l’on ne verra pas plus citer l’argantodannos (monétaire) mentionné par des monnaies tardives des Lexoviens, des Meldes et des Médiomatrices, le platiodannus d’un vicus mentionné par une inscription de Mayence6, ou encore le cassidannos des comptes de potiers de La Graufesenque, terme pourtant traduit sur ces mêmes inscriptions par flamen7.

    Tout ce qu’on obtient au final est un ouvrage raté, dans lequel l’auteur tente de créer son propre roman national. Ce n’est pas un problème en soi de poser des hypothèses: c’est même le travail essentiel de l’historien. Mais il est malhonnête de les présenter ainsi au grand public comme des vérités établies et sans alternatives.

     

    Patrice Lajoye

    1Jean-Louis Brunaux, Les Druides. Des philosophes chez les barbares, 2006, Paris, Seuil.

    2Dom ***, La Religion des Gaulois tirée des plus pures sources, 1727, Paris, Saugrin fils.

    3Daniel Droixhe, L'Étymon des dieux. Mythologie gauloise, linguistique et archéologie à l'âge classique, 2002, Genève, Droz.

    4Jean-Louis Brunaux, Les Druides…, 2006, p. 93-94 : « Car la méthode des auteurs est simple : elle consiste à pallier l’insuffisance mythologique gauloise par la richesse de la mythologie irlandaise et, inversement, à demander à la Gaule une description sociale qui manque aux légendes irlandaises. Il en va de même pour la description des figures divines et des compétences des druides. [...] La méthode est justifiée par une scientificité qui n’en a que le vocabulaire. »

    5CIL 13, 02583 = CIL 13, 02585.

    6CIL 13, 06776.

    7Robert Marichal, Les Graffites de La Graufesenque, 1988, Paris, CNRS.