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NMC - Page 34

  • Jacques E. Merceron - Le cheval Bayart, l’enchanteur Maugis et la fée Oriande

    Le cheval Bayart, l'enchanteur Maugis et la fée Oriande 

    De la médecine par le secret à la chanson de geste
    et retour par la mythologie celto-hellénique

    Jacques E. Merceron

    Indiana University (Bloomington, IN, USA) 

     

    Abstract : Beginning with magical charms involving the fairy horse Bayart, this essay first focuses on folk traditions associated with this supernatural creature, namely his limping and the loss of one of his horseshoes. These elements are examined in the light of the medieval epic poem de Renaud de Montauban (RdM). The enquiry then shifts towards the craftman’s circles that have kept the memory of Bayart alive (blacksmiths farriers, shoemakers). Finally, the bulk of the essay turns towards a comparison between two scenes that revolve around Bayart: 1) a horse race in RdM and a scene from the Mabinogi of Math; 2) the conquest of Bayart on a Sicilian volcanic island in the epic poeme Maugis d’Aigremont and the fights of Apollo against Delphunè at Delphi, and of Perseus against Medusa, as well as Lugh’s fight in the Second Battle of Mag Tured. This examination concludes that these scenes adapt old Indo-european narrative patterns. The demonstration makes the following points:  the fairy Oriande of Mongibel (Etna) is the equivalent of Morgan le Fay; Oriande is also the female serpent who gave birth to Bayart; Maugis the magician and Bayart are “lughian” and apollinian twin figures.

    Keywords : Horse Bayart, horseshoe, limping, Maugis the magician, fairy Oriande, Morgan le Fay, Renaud de Montauban, Maugis d’Aigremont, Sicily, Lugh, Apollo, solar twins.

    Résumé : Partant de conjurations magiques impliquant le cheval Bayart, cette étude se concentre d’abord sur les traditions populaires liées à cette créature féerique, notamment le codage ferrage-déferrage et la boiterie de Bayart. Ces éléments sont mis en rapport avec la chanson de geste de Renaud de Montauban (RdM). L’enquête se déplace ensuite vers les milieux artisanaux ayant conservé vivant le souvenir de Bayart (maréchaux-ferrants, cordonniers). Enfin, la partie principale de l’étude établit une comparaison entre deux scènes épiques impliquant le cheval Bayart et des récits mythologiques celto-helléniques : 1) la course de chevaux dans RdM et une scène du Mabinogi de Math ; 2) la conquête de Bayart sur une île volcanique sicilienne dans la geste de Maugis d’Aigremont et les combats d’Apollon contre Delphunè à Delphes et de Persée contre Méduse, ainsi que la Seconde Bataille de Mag Tured. Cet examen débouche sur la démonstration que ces scènes prolongent et adaptent de vieux schémas mythologiques indo-européens. La démonstration passe par la reconnaissance que la fée Oriande de Mongibel (Etna) est l’équivalent de la fée Morgane, qu’Oriande est aussi la dragonne génitrice de Bayart, tandis que l’enchanteur Maugis et Bayart apparaissent comme des jumeaux solaires (lughiens / apolliniens).

    Mots-clés : cheval Bayart, fer à cheval, boiterie, enchanteur Maugis, fée Oriande, Morgane, Renaud de Montauban, Maugis d’Aigremont, Sicile, Lugh, Apollon, jumeaux solaires.

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  • (Review) Guillaume Ducœur et Claire Muckensturm-Poulle (dir.), La Transmigration des âmes en Grèce et en Inde anciennes

    1000px-transmigration.jpgGuillaume Ducœur et Claire Muckensturm-Poulle (dir.), La Transmigration des âmes en Grèce et en Inde anciennes, 2016, Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté.

     

    Ce bref (mais dense) ouvrage de 127 p. est issu d’une journée d’étude tenue à l’Institut des Sciences et Techniques de l’Antiquité, de l’Université de Franche-Comté.

    Passé un bref avant-propos de Claire Muckensturm-Poulle, présentant la journée d’étude, le livre s’ouvre par une introduction de Guillaume Ducœur faisant le point sur les conceptions que l’on se faisait en Inde et en Grèce (du moins chez Platon) du cycle des âmes, à l’aide notamment de schémas remarquablement clairs (p. 20-21), qui permettent de percevoir rapidement les points communs et les différences entre les deux doctrines. Mais, concernant les points communs, l’auteur refuse toute possibilité d’héritage commun. «Ainsi, ces théories sur la transmigration des âmes virent le jour dans des milieux intellectuels tout autant grecs qu'indiens au cours des VIIe-VIe s. av. J.-C., c'est-à-dire plus d'un millénaire après la séparation de clans parlant le proto-indo-européen […].»

    L’article suivant, de Daniele Maggi («Perspectives sur la transmigration des âmes dans l’aire indo-européenne: l’histoire indienne d’Urvaśī et Purūravas et ses horizons comparatifs»), se place quant à lui bien dans une perspective de recherche d’héritage commun, en comparant l’histoire indienne avec le récit irlandais médiéval Torchmarc Étaíne (La Courtise d’Étain). L’article lui-même est très documenté (mais on aurait aimé que les deux histoires, supposées connues des lecteurs, soient résumées). Cependant, on peut se demander si les deux récits sont bien comparables. L’histoire d’Urvaśī est un récit de type mélusinien classique, tandis que celle d’Étain relève d’un tout autre motif: celui, très répandu dans le monde, de la conception par ingestion.

    L’article de Françoise Dunand, «Anthropologie égyptienne. Les voyages du ba», s’ouvre sur une utile mise au point sur la conception égyptienne de l’âme. L’étude, cependant, s’achève sur une affirmation surprenant: «Le thème de la réincarnation est pratiquement absent des textes égyptiens, qu’ils soient littéraires ou théologiques. Un cas peut-être unique figure cependant dans l’histoire de Setné» (p. 59). Or l’histoire de Setné, présentée ensuite, est un roman connu par deux versions, l’une époque ptolémaïque, et l’autre d’époque romaine, dont la trame est singulièrement proche du fameux Conte des deux frères, lequel date du XIIe siècle av. J.-C., un conte que Françoise Dunand ne mentionne pas.

    Arnaud Macé, avec «La circulation cosmique des âmes. Platon, le Mythe d’Er», revient en détail sur la conception platonicienne du cycle des âmes. Jean-Marie Verpooten, quant à lui («Quelques remarques sur le vocabulaire de la transmigration dans le bouddhisme des origines»), fait le point sur les termes employés dans les textes concernant la migration de l’âme et la conception du Bouddha.

    Les deux articles suivant, de Guillaume Ducœur («Palingénésie indienne et métensomatose basilidienne chez Clément d’Alexandrie (Stromates 3.7 et 4.12)») et de Claire Muckensturm-Poulle («Désincarnation et réincarnation des âmes dans la Vie d’Apollonios de Tyane»), nous ramènent au cœur de l’aire hellénistique, et nous invitent à nous poser la question de pourquoi l’Inde, pourtant entrée en contact avec le monde grec depuis les conquêtes d’Alexandre le Grand, est si mal connue des auteurs postérieurs. Or à plusieurs reprises, Clément d’Alexandrie condamne la théorie du cycle des âmes, qu’il attribue une fois aux brahmanes de l’Inde. En étudiant ces extraits, Guillaume Ducœur nous livre une riche étude sur les notions qu’avaient les philosophes et historiens grecs des doctrines indiennes, qu’elles soient brahmaniques ou bouddhistes. Et, comme le montre Claire Muckensturm-Poulle, on note une influence sensible des idées brahmaniques sur l’âme dans la Vie d’Apollonios de Tyane.

     

    Patrice Lajoye

  • (Review) Bernard Chouvier - Le Pouvoir des contes

    9782100772926-001-X.jpgBernard Chouvier, Le Pouvoir des contes, 2018, Paris, Dunod.

    La psychanalyse, depuis ses débuts, use et abuse de la mythologie, qui lui a fourni des noms à quelques-uns de ses principaux concepts. Mais depuis Marie-Louise von Franz et son Interprétation des contes de fées (Interpretation of Fairytales – 1970) ou Bruno Bettelheim et son trop fameux Psychanalyse des contes de fées (The Uses of Enchantment: The Meaning and Importance of Fairy Tales – 1976), les publications visant à donner une interprétation psychanalytique des contes sont légion. Elles sont la plupart du temps le fait de continuateurs de Carl Gustav Jung.

    Ces travaux sont en général critiquables en raison des mêmes défauts : absence de réflexion sur la base d’un corpus, étude totalement anhistorique du sujet (alors même que les contes évoluent dans le temps), assurance que les contes ont une valeur universelle (ce qui n'est jamais le cas: les contes ont toujours une aire de répartition bien précise). Tous, bien souvent, ont aussi pour volonté de donner une utilité thérapeutique ou éducative au conte.

    Le dernier ouvrage en date, Le Pouvoir des contes, par Bernard Chouvier, professeur émérite de psychopathologie clinique à l’Université de Lyon, n’échappe pas à ces défauts. On peut même dire qu’il les aggrave.

    Ainsi, en à peine 201 pages très aérées et en gros caractères, l’auteur entend « présenter mes coups de cœur, [...] partager mon plaisir à savourer la langueur d’un récit ou au contraire, sa raideur ou sa brutalité. Au bout du compte, mon but est de faire connaître et comprendre les contes qui m’ont troublé, étonné ou enthousiasmé et de donner à chacun l’irrésistible envie d’aller lui-même, à la rencontre des histoires capables de le faire rêver » (p. 4).

    Mes, mon, me, je, moi, moi-même. Ce travers est déjà présent dans l’ensemble du livre : l’auteur parle avant tout de ses goûts. Ce sont eux qui guident ses choix.

    L’exemple suivant est emblématique. L’auteur, comme tant d’autres avant lui, s’intéresse au Petit Chaperon Rouge. Et, comme tant d’autres avant lui, il s’attarde essentiellement sur les versions de Perrault et des frères Grimm. Cependant, il s’est aussi procuré Le Conte populaire français de Paul Delarue et Marie-Louis Tenèze : il a donc eu connaissance d’une version nivernaise qui a attiré son attention :

    « On dénombre encore beaucoup d'autres variantes du Petit Chaperon Rouge. En France, il n'en existe pas moins d'une centaine. Les différences sont parfois minimes, ce ne sont que des détails qui changent. Tout se passe comme si chaque région, chaque conteur avait voulu donner une couleur locale ou une tournure nouvelle à l'histoire commune dont la richesse symbolique est en partage à tous. Toutes ces nuances intéressent plus particulièrement les spécialistes du langage et du folklore. […] Pour ma part, la version que je trouve le plus digne d'intérêt, sur le plan psychologique, est la version dite "cannibalique" » (p. 37-38).

    Analysons nous-même ce passage.

    « En France, il n’en existe pas moins d’une centaine. »

    Le corpus de Paul Delarue et Marie-Louise Tenèze, encore à ce jour le plus complet, recense seulement 32 versions francophones. Il faut donc supposer que Bernard Chouvier a procédé à un nouvel inventaire, et a découvert de nouvelles versions… ou bien qu’il a inclus dans son décompte les innombrables versions parues chez des éditeurs pour la jeunesse, lesquelles ne relèvent pas du conte populaire de tradition orale.

    « Les différences sont parfois minimes, ce ne sont que des détails qui changent. »

    Lorsque, d’une version à l’autre, l’héroïne peut être sauvée, ou bien finir dans le ventre du loup, peut-on parler de différence minime, relevant du détail ?

    « Tout se passe comme si chaque région, chaque conteur avait voulu donner une couleur locale ou une tournure nouvelle à l'histoire commune dont la richesse symbolique est en partage à tous. »

    De toute évidence ici, Bernard Chouvier n’a lu aucun des travaux, notamment des folkloristes et des ethnologues, sur l’art de conter (ou de chanter) devant un public. Un bon conteur ne conte jamais deux fois de la même manière : il le fait en fonction du public qu’il a en face de lui, modifiant la trame et le contenu de son récit en fonction de celui-ci et de sa réception. Il ne s’agit donc pas que de donner une « couleur locale ».

    « Pour ma part, la version que je trouve le plus digne d'intérêt. »

    On touche ici au plus gros défaut du livre, et de l’ensemble de la démarche psychanalytique appliquée aux contes en général : en mythologie (ce qui inclut l’étude des contes), on sait bien, depuis les travaux fondateurs de Claude Lévi-Strauss, qu’on ne peut pas privilégier une version par rapport aux autres, que ce soit en raison de critères qui pourraient paraître logiques, ou, comme ici, de critères de goût. Si toutes ces versions existent, c’est qu’elles ont leur raison d’être : il convient donc de les étudier ensemble. En se focalisant sur une version, on en apprend plus sur le conteur lui-même (ou son public), que sur le conte. Qui plus est, Bernard Chouvier s’intéresse plus à cette version, « sur le plan psychanalytique », en raison de « la richesse de ses contenus fantasmatiques ». Pour lui, les autres versions ont « chacune son originalité et sa saveur propre, même si elles n’ont pas toutes la même portée symbolique » (p. 42). Qu’en sait-il ? A-t-il analysé les autres versions ? Nous ne le savons pas. Qui plus est, la version nivernaise semble choisie parce qu’elle est la plus choquante : le Petit Chaperon Rouge consomme le corps et le sang de sa grand-mère, avant de se livrer à un véritable strip-tease devant le loup. Est-ce à dire que la seule version intéressante aux yeux du psychanalyste est celle qui propose de plus de déviances par rapport à la morale commune ?

    L’ensemble du livre est ainsi constitué d’affirmations et de postulats non démontrés.

    On pourra ajouter à ces critiques déjà sévères le fait que l’auteur ne mentionne en référence que des corpus de contes : on n’y trouvera presqu'aucune étude, aucun essai sur le sujet… en dehors des siens. Pire, on trouve dans cette brève liste de corpus des ouvrages tout public, comme les Contes des sages de Mongolie de Patrick Fischmann et G. Mend-ooyo (2012) ou les Contes des sages de Papouasie-Nouvelle-Guinée, de Céline Ripoll (2015), qui ne sont en rien des collectes originales, issues de la tradition orale, mais des réécritures.

    On regrettera alors que les éditions Dunod, qui s’adressent à un public universitaire, et notamment aux étudiants, aient jugé opportun de publier un tel essai, qui ne relève pas de la science.

     

    Patrice Lajoye