Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

NMC - Page 33

  • (Review) Sources sur la religion des Slaves

    Les sources concernant la religion et la mythologie des Slaves païens sont peu connues. Elles le sont d’autant moins qu’elles ont été anciennement compilées dans deux ouvrages assez peu accessibles : Fontes historiae religionis slavicae, de G. H. Meyer (Berlin, 1931), pour les sources grecques, latines, noroises et arabes, et Die Religion der Ostslaven, de V. J. Mansikka (Helsinki, 1922), pour les sources des Slaves de l’Est. Mais bien des progrès ont été accomplis depuis, non seulement dans l’étude des textes déjà connus, mais aussi par la découverte de nouvelles sources. Il était donc temps de faire le point et de produire de nouveaux corpus. Or deux importants ouvrages sont parus en 2017 sur ce sujet.

     

    Fuentes.jpgJuan Antonio Álvarez-Pedrosa Núñez (dir.), Fuentes para el estudio de la religión eslava precristiana, 2017, Saragosse, Libros Pórtico, 505 p.

    Ce premier ouvrage n’a pas pour vocation d’éditer les sources elles-mêmes. En revanche, il offre une traduction dans une langue occidentale moderne, l’espagnol, de tous les textes connus au moment de la compilation du volume, et ce quelle que soit leur langue d’origine. L’ensemble est donc classé en fonction du domaine linguistique d’origine : grec, latin, slave du Sud, slave de l’Est, slave de l’Ouest, islandais ancien, et arabe. Il s’y ajoute une dernière catégorie regroupant des textes douteux en ce sens que nous ne sommes pas sûrs qu’ils parlent bien des Slaves. Chaque traduction est donnée avec indication de l’édition première du texte (mais les autres éditions et traductions sont aussi signalées), une bibliographie de base et un commentaire sommaire. Fuentes para el estudio de la religión eslava precristiana constitue donc un excellent outil de travail, même s’il faut garder à l’esprit que dans l’idéal, il vaut mieux consulter les textes dans leur langue d’origine, car les traductions peuvent parfois contenir des approximations. Ainsi, dans la traduction d’un passage de la Passion des martyrs d’Ebstorf (p. 198-199), le théonyme Suentebueck (sans doute pour *Svantobog : « Saint Dieu ») est rendu par Sventovit. Or il n’est pas certain qu’il s’agisse du même dieu.

     

    Slovanske_Page_01.jpgJiří Dynda, Slovanské pohanství ve středověkých pramenech, 2017, Prague, Scriptorium, 365 p.

    L’objectif de l’ouvrage de Jiří Dynda est à la fois plus limité et plus ambitieux. Plus limité en ce sens qu’il ne contient que les sources latines (à l’exception de deux sources grecques et d’une source noroise), mais donc plus ambitieux car l’auteur ne s’est pas contenté de compiler des éditions déjà anciennes pour la plupart : il a vérifié les textes, parfois même sur le manuscrit. C’est le cas notamment pour les sermons de l’Homiliaire d’Opatovice (XIIe siècle), pour lesquels Jiří Dynda a relevé des gloses, inédites, qui ne sont pas sans intérêt. De même, il a ajouté au corpus divers textes polonais tardifs, mais antérieurs à Jan Długosz (1455-1480), et qui donne des renseignements parfois très proches. Or on a souvent tendance à considérer les informations sur le paganisme slave transmises par Długosz comme fantaisistes : il se trouve donc qu’elles ne sont pas isolées. Certes, ces ajouts concernent une époque très tardive, durant laquelle, pour les régions concernées, le paganisme est déjà mort. Il se peut donc qu’elles ne décrivent qu’un folklore. Mais ce folklore ne sort pas de nulle part : ses racines peuvent voir été païennes. Chaque source est présentée de manière très complète, avec une description de l’auteur, du contexte de rédaction, la mention de l’édition de base, d’éditions secondaires, et d’études. Le texte est ensuite publié dans sa langue d’origine, accompagné d’une traduction en tchèque. L’ensemble est abondamment illustré, et l’ouvrage se conclut par un très utile index.

     

    Patrice Lajoye

  • Jacques E. Merceron - Le cheval Bayart, l’enchanteur Maugis et la fée Oriande

    Le cheval Bayart, l'enchanteur Maugis et la fée Oriande 

    De la médecine par le secret à la chanson de geste
    et retour par la mythologie celto-hellénique

    Jacques E. Merceron

    Indiana University (Bloomington, IN, USA) 

     

    Abstract : Beginning with magical charms involving the fairy horse Bayart, this essay first focuses on folk traditions associated with this supernatural creature, namely his limping and the loss of one of his horseshoes. These elements are examined in the light of the medieval epic poem de Renaud de Montauban (RdM). The enquiry then shifts towards the craftman’s circles that have kept the memory of Bayart alive (blacksmiths farriers, shoemakers). Finally, the bulk of the essay turns towards a comparison between two scenes that revolve around Bayart: 1) a horse race in RdM and a scene from the Mabinogi of Math; 2) the conquest of Bayart on a Sicilian volcanic island in the epic poeme Maugis d’Aigremont and the fights of Apollo against Delphunè at Delphi, and of Perseus against Medusa, as well as Lugh’s fight in the Second Battle of Mag Tured. This examination concludes that these scenes adapt old Indo-european narrative patterns. The demonstration makes the following points:  the fairy Oriande of Mongibel (Etna) is the equivalent of Morgan le Fay; Oriande is also the female serpent who gave birth to Bayart; Maugis the magician and Bayart are “lughian” and apollinian twin figures.

    Keywords : Horse Bayart, horseshoe, limping, Maugis the magician, fairy Oriande, Morgan le Fay, Renaud de Montauban, Maugis d’Aigremont, Sicily, Lugh, Apollo, solar twins.

    Résumé : Partant de conjurations magiques impliquant le cheval Bayart, cette étude se concentre d’abord sur les traditions populaires liées à cette créature féerique, notamment le codage ferrage-déferrage et la boiterie de Bayart. Ces éléments sont mis en rapport avec la chanson de geste de Renaud de Montauban (RdM). L’enquête se déplace ensuite vers les milieux artisanaux ayant conservé vivant le souvenir de Bayart (maréchaux-ferrants, cordonniers). Enfin, la partie principale de l’étude établit une comparaison entre deux scènes épiques impliquant le cheval Bayart et des récits mythologiques celto-helléniques : 1) la course de chevaux dans RdM et une scène du Mabinogi de Math ; 2) la conquête de Bayart sur une île volcanique sicilienne dans la geste de Maugis d’Aigremont et les combats d’Apollon contre Delphunè à Delphes et de Persée contre Méduse, ainsi que la Seconde Bataille de Mag Tured. Cet examen débouche sur la démonstration que ces scènes prolongent et adaptent de vieux schémas mythologiques indo-européens. La démonstration passe par la reconnaissance que la fée Oriande de Mongibel (Etna) est l’équivalent de la fée Morgane, qu’Oriande est aussi la dragonne génitrice de Bayart, tandis que l’enchanteur Maugis et Bayart apparaissent comme des jumeaux solaires (lughiens / apolliniens).

    Mots-clés : cheval Bayart, fer à cheval, boiterie, enchanteur Maugis, fée Oriande, Morgane, Renaud de Montauban, Maugis d’Aigremont, Sicile, Lugh, Apollon, jumeaux solaires.

    Télécharger le fichier en pdf / download in pdf: 5-Merceron.pdf

  • (Review) Guillaume Ducœur et Claire Muckensturm-Poulle (dir.), La Transmigration des âmes en Grèce et en Inde anciennes

    1000px-transmigration.jpgGuillaume Ducœur et Claire Muckensturm-Poulle (dir.), La Transmigration des âmes en Grèce et en Inde anciennes, 2016, Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté.

     

    Ce bref (mais dense) ouvrage de 127 p. est issu d’une journée d’étude tenue à l’Institut des Sciences et Techniques de l’Antiquité, de l’Université de Franche-Comté.

    Passé un bref avant-propos de Claire Muckensturm-Poulle, présentant la journée d’étude, le livre s’ouvre par une introduction de Guillaume Ducœur faisant le point sur les conceptions que l’on se faisait en Inde et en Grèce (du moins chez Platon) du cycle des âmes, à l’aide notamment de schémas remarquablement clairs (p. 20-21), qui permettent de percevoir rapidement les points communs et les différences entre les deux doctrines. Mais, concernant les points communs, l’auteur refuse toute possibilité d’héritage commun. «Ainsi, ces théories sur la transmigration des âmes virent le jour dans des milieux intellectuels tout autant grecs qu'indiens au cours des VIIe-VIe s. av. J.-C., c'est-à-dire plus d'un millénaire après la séparation de clans parlant le proto-indo-européen […].»

    L’article suivant, de Daniele Maggi («Perspectives sur la transmigration des âmes dans l’aire indo-européenne: l’histoire indienne d’Urvaśī et Purūravas et ses horizons comparatifs»), se place quant à lui bien dans une perspective de recherche d’héritage commun, en comparant l’histoire indienne avec le récit irlandais médiéval Torchmarc Étaíne (La Courtise d’Étain). L’article lui-même est très documenté (mais on aurait aimé que les deux histoires, supposées connues des lecteurs, soient résumées). Cependant, on peut se demander si les deux récits sont bien comparables. L’histoire d’Urvaśī est un récit de type mélusinien classique, tandis que celle d’Étain relève d’un tout autre motif: celui, très répandu dans le monde, de la conception par ingestion.

    L’article de Françoise Dunand, «Anthropologie égyptienne. Les voyages du ba», s’ouvre sur une utile mise au point sur la conception égyptienne de l’âme. L’étude, cependant, s’achève sur une affirmation surprenant: «Le thème de la réincarnation est pratiquement absent des textes égyptiens, qu’ils soient littéraires ou théologiques. Un cas peut-être unique figure cependant dans l’histoire de Setné» (p. 59). Or l’histoire de Setné, présentée ensuite, est un roman connu par deux versions, l’une époque ptolémaïque, et l’autre d’époque romaine, dont la trame est singulièrement proche du fameux Conte des deux frères, lequel date du XIIe siècle av. J.-C., un conte que Françoise Dunand ne mentionne pas.

    Arnaud Macé, avec «La circulation cosmique des âmes. Platon, le Mythe d’Er», revient en détail sur la conception platonicienne du cycle des âmes. Jean-Marie Verpooten, quant à lui («Quelques remarques sur le vocabulaire de la transmigration dans le bouddhisme des origines»), fait le point sur les termes employés dans les textes concernant la migration de l’âme et la conception du Bouddha.

    Les deux articles suivant, de Guillaume Ducœur («Palingénésie indienne et métensomatose basilidienne chez Clément d’Alexandrie (Stromates 3.7 et 4.12)») et de Claire Muckensturm-Poulle («Désincarnation et réincarnation des âmes dans la Vie d’Apollonios de Tyane»), nous ramènent au cœur de l’aire hellénistique, et nous invitent à nous poser la question de pourquoi l’Inde, pourtant entrée en contact avec le monde grec depuis les conquêtes d’Alexandre le Grand, est si mal connue des auteurs postérieurs. Or à plusieurs reprises, Clément d’Alexandrie condamne la théorie du cycle des âmes, qu’il attribue une fois aux brahmanes de l’Inde. En étudiant ces extraits, Guillaume Ducœur nous livre une riche étude sur les notions qu’avaient les philosophes et historiens grecs des doctrines indiennes, qu’elles soient brahmaniques ou bouddhistes. Et, comme le montre Claire Muckensturm-Poulle, on note une influence sensible des idées brahmaniques sur l’âme dans la Vie d’Apollonios de Tyane.

     

    Patrice Lajoye