Julien d’Huy, L’Aube des mythes. Quand les premiers Sapiens parlaient de l’au-delà, 2023, Paris, La Découverte.
À peine trois ans après la parution d’un ouvrage remarquable et remarqué, Julien d’Huy revient avec un nouvel essai consacré cette fois-ci à un thème unique : les mythes liés à la mort. Pour ce nouvel essai, l’auteur s’appuie une fois encore sur la monumentale base de données des Russes Yuri Berezkin et Evgeny Duvakin1, dont il partage la typologie des motifs mythologiques, ainsi que sur un nombre considérable d’études issues de champs disciplinaires variés. Il a donc sélectionné au sein de tout cela une série de motifs liés à la mythologie de la mort, de façon à voir s’il est possible d’en tirer des enseignements concernant l’histoire des pensées eschatologiques dans le monde.
Disons-le d’emblée: ce nouvel ouvrage est bien plus abordable que le précédent, car la méthode phylogénétique, si elle est toujours présente et employée à bon escient, s’appuie sur des analyses aréologiques et structuralistes plus classiques, mais toujours aussi nécessaires.
L’auteur revient d’abord sur sa méthode, montrant qu’elle est aussi employée dans d’autres disciplines, aussi diverses que sont la codicologie ou, surtout, l’étude des chants d’oiseaux. Puis il s’intéresse aux différents mythes étiologiques expliquant l’origine de la mort, ou plutôt l’origine du caractère mortel de l’être humain. De fil en aiguille, il aborde alors d’autres thèmes associés, tels que où vont les morts? quelle voie suivent-ils? quel est le rôle du chien dans ce parcours? On constate ainsi que si l’homme est mortel, c’est bien souvent par contraste avec la Lune, ou bien des reptiles ou des insectes, qu’on croit immortels du fait de leur faculté présumée à rajeunir en changeant de peau. Julien d’Huy nous emmène donc dans un récit presque linéaire, faisant le lien entre la mortalité et le chien, le chien avec le chasseur, le chasseur avec le soleil captif puis libéré.
Il s’agit là une fois encore d’un travail solide et argumenté, d’autant plus que l’auteur ajoute à son argumentation des éléments provenant d’autres disciplines. Il devient ainsi tour à tour préhistorien, théologien, philosophe : son travail est ainsi celui d’un mythologue accompli.
Là encore toutefois, je me permettrai quelques remarques et compléments, pour la plupart mineurs. P. 117 et suiv., l’auteur mentionne un rite d’incubation qui prend place, en Afrique du Nord, sur des tombeaux: ne pourrait-on pas songer que ces tombeaux puissent être considérés comme des sanctuaires, et donc opérer un rapprochement avec les rites d’incubation connus en Europe dès l’Antiquité (par exemple en Grèce au sanctuaire d’Amphiaraos, où l’incubation se faisait en dormant dans une peau de mouton)?
P. 135, l’auteur note que les habitants de l’Australie ne connaissent pas le motif de la «cruche brisée», ce qui est tout à fait normal, puisqu’il aurait pour cela que les Aborigènes connaissent l’usage de la céramique.
Julien d’Huy aborde longuement les mythes orphiques et leur distribution à travers le monde. Il faut toutefois noter que la datation des Argonautiques orphiques est toujours débattue : leur fond semble du Ve siècle avant J.-C., mais leur forme, proche de celle des Dionysiaques de Nonnos de Panopolis, se rapporte au Ve siècle après. J’avoue aussi être assez peu convaincu par le rapprochement fait entre le mythe d’Orphée et un mythe australien présenté p. 218-219: il manque à ce dernier le personnage de la disparue qu’il faut aller chercher dans l’Autre Monde.
Mais le point qui manque le plus est finalement le rapport à faire entre le mythe de la capture du soleil, pourtant largement étudié dans la partie finale de l’ouvrage, et les diverses croyances en la métempsychose ou en la réincarnation, voire, pour élargir le champ, en l’idée d’un monde lui-même cyclique et soumis à un renouvellement régulier (c’était après tout en Grèce même le fond de la croyance des Orphiques et des Stoïciens). Il m’est difficile de penser qu’il n’y ait pas eu un lien entre les deux. Or Julien d’Huy ne semble, dans cette partie-là, n’aborder la mort que sous l’angle corporel, sans prêter attention à l’âme et à son devenir. Mais peut-être s’agit-il là d’un sujet qu’il abordera dans de futurs travaux.
Patrice Lajoye
1Base de données consultable ici.