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(Review) Claude Sterckx – La Neuvième vague et autres essais sur le légendaire celtique en Bretagne

Sterckx-9e-Vague-Couverture-1.1-B.jpgClaude Sterckx, La Neuvième vague et autres essais sur le légendaire celtique en Bretagne, 2019, Marseille, Terre de Promesse, 191 p.

Durant sa longue et active carrière au service des études celtiques, Claude Sterckx a publié un nombre impressionnant d’articles, dispersés dans diverses revues de taille et d’importance variées. Or Claude Sterckx est l’un des rares celtisants à avoir tenté, en utilisant comme d’autres avant lui le comparatisme, de donner un sens, philosophique et théologique, à la mythologie celtique. Bien souvent sous sa plume, les mythes et légendes celtiques cessent d’être de simples histoires plaisantes pour gagner en profondeur et en complexité.

La Neuvième vague regroupe des études portant au moins partiellement sur la Bretagne continentale.

La première étude, qui a donné son titre au recueil, revient sur la croyance bretonne – mais qui est largement attestée ailleurs en Eurasie – en la neuvième vague, une vague plus forte, plus dangereuse que les autres, dont il faut se méfier. Si l’on n’en trouve plus que quelques vestiges épars en Bretagne, les attestations galloises et irlandaises sont autrement plus nombreuses, et montrent cette vague en lien avec quelques divinités et personnages mythologiques. Complétant son corpus par les diverses attestations de cette croyance en Europe, de l’Antiquité à nos jours, Claude Sterckx s’attache à démontrer le lien qui existe entre cette croyance en ces neuf vagues, parfois assimilées à des moutons ou à des phoques, et le cycle de la gestation humaine. Il rappelle ainsi divers mythes montrant la survivance d’un enfant après la mort de huit autres, ce qui lui permet d’établir un rapprochement avec les mythes irlandais et gallois sur la naissance de Lugus (Lug / Lleu), dont le ou les frères reviennent à l’océan dès la naissance. Or la déesse galloise Gwenhidwy, maîtresse locale de la neuvième vague, est aussi identifiée à une épouse de Gwydion, lequel est très vraisemblablement le père de Lleu. Étude approfondie qui emmène le lecteur bien au-delà de la croyance qui est son sujet de base, « Lugus et la neuvième vague » est un modèle du genre.

L’étude suivante porte sur les «Survivances de la mythologie celtique dans quelques légendes bretonnes». S’intéressant d’abord brièvement à la figure indo-européenne du dieu de l’orage, aux épithètes qui lui sont accolées, et à ses attributs, notamment chez les Celtes la massue ou le marteau, Claude Sterckx en vient à s’intéresser à un saint breton, Goëznou, ce saint étonnant dont la fourche avait les mêmes propriétés que la massue fourchue du Dagda, et mort assassiné d’un coup de marteau. Il revient ensuite sur les cas d’autres saint bretons similaires, tels que saint Hernin et saint Goulven. L’ensemble du dossier a depuis été revu par l’auteur, accompagné de Valéry Raydon, dans le recueil Hagiographie bretonne et mythologie celtique1, mais la lecture de ce premier article, datant de 1985, reste toujours aussi stimulante.

Le troisième article, sobrement intitulé «Débris mythologiques en Basse-Bretagne», datant lui aussi des années 1980, s’intéresse à un conte merveilleux publié très tardivement, Jozebig ha Merlin. On trouve dans ce conte le don au héros d’une nappe merveilleuse fournissant nourriture à volonté, d’un bâton magique permettant de faire surgir quatre soldats, d’un marteau qui procure la richesse, et d’une bombarde qui permet de ressusciter les morts, tous ces instruments étant acquis par la ruse par Jozebig. Claude Sterckx a évidemment rapproché ce conte de la manière dont, selon un récit contenu dans le Livre de Leinster, le Dagda irlandais a acquis par la ruse des attributs tout à fait similaire. Hélas, les conclusions de ce court article sont partiellement caduques. Il s’agit en effet d’un motif populaire connu dans toute l’Europe2, et s’il convient de s’interroger sur l’association de ce motif au Dagda, il n’est pas du tout certain que le conte breton soit une survivance de l’antique mythologie celtique.

Dans «De Fionntan au Tadig Kozh: figures mythiques d’Irlande et de Bretagne», Claude Sterckx revient en premier lieu sur la comparaison qu’il est possible d’établir entre la galloise Rhiannon et la bretonne Riwanon, mère de saint Hervé, montrant ainsi que l’on peuttrouver dans l’hagiographie des récits mythologiques christianisés, avant de s’attacher à l’étude de Fionntan mac Bóchra, c’est-à-dire Fintan, personnage protéen, appartenant à la première «invasion de l’Irlande» et échappant aux diverses destructions du monde jusqu’à l’arrivée du christianisme en Irlande. Ce personnage trouve un parallèle en Bretagne avec un certain Tadig Kozh. Le récit qui le mentionne, rapporté par Anatole Le Braz, est très christianisé et fait de lui un curé, mais un curé dont on disait qu’il était plus vieux que la terre, mort dix fois et dix fois ressuscité, et possédant tous les secrets de la vie et de la mort. La comparaison avec les différentes figures protéiformes insulaires (Fintan, Tuan, Taliesin) est ici tout à fait évidente.

Avec «Trace de mythes préchrétiens dans la légende de Locronan», Claude Sterckx reprend un dossier déjà ancien, abordé notamment par Donatien Laurent dans ses études sur la Troménie de Locronan. Cette troménie, une procession traditionnelle,pourrait en effet être une répétition microcosmique du cycle d’existence du monde, lequel est rythmé par unecréation et destruction périodique. L’un des événements importants de ce cycle cosmique est le vol du bétail, un motif attesté dans l’ensemble des mythologies indo-européennes. Ce rappel permet à l’auteur de s’intéresser au récit irlandais Táin bó Fhraoich, qui, dans un contexte de razzia de vaches appartenant à un dieu, met en action le héros Conall Cearnach.

C’est à ces mythes de vol de bovins que Claude Sterckx compare l’affrontement de saint Ronan (pour partie post-mortem, lors de la pérégrination de son corps sur un chariot tiré par des bœufs) avec la Keban, une sorcière qui pourrait être en partie comparable à la Morrigan.

«Rhiannon en Armorique» revient sur l’identification de cette déesse galloise avec la mère de saint Hervé, Riwanon. Cet article ajoute cependant un nouvel élément tendant à démontrer l’existence de la croyance en cette déesse chez les Bretons lorsqu’ils étaient encore païens: un passage d’une Viepopulaire de saint Efflamm collectée par Théodore Hersart de la Villemarqué, dans lequel il est aussi question de la poursuite impossible d’une belle demoiselle par un seigneur qui, même à cheval, ne peut la rattraper. Cette note très brève est on ne peut plus convaincante.

«Les deux bœufs du déluge et la submersion de la ville d’Is» s'intéresse aux traditions celtiques liées au déluge. Diverses sources galloises, dont hélas un passage des très douteux Iolo Manuscripts, mentionnent le cas de deux frères, Nynnio et Peibio, tous deux rois, de mauvaise vie, qui finissent métamorphosés en bœufs de labour. Tous deux alors, selon des traditions orales, se font une spécialité de tirer des monstres aquatiques de lacs, dont un, celui du Llyn Lliwan, est responsable d’une inondation qui a noyé toute la Grande-Bretagne. Après avoir établi l’ensemble du dossier, Claude Sterckx se livre à un examen des divers motifs folkloriques et personnages qu’on y retrouve, ce qui lui permet ensuite d’aborder les croyances cosmologiques des Celtes.

Dans «La fondation de Rome et celle de la Bretagne», Claude Sterckx examine les diverses traditions médiévales, pas toujours concordantes, sur la fondation de la (Petite-)Bretagne, laquelle aurait eu pour premier roi Conan Meriadec, ce qui lui permet ensuite de tenter une comparaison point par point avec les récits sur la fondation de Rome. L’auteur en conclut que même s’il s’y trouve quelques éléments d’origine locale, l’essentiel de la tradition bretonne n’est qu’un décalque savant de celle de Rome.

L’ouvrage se conclut par de très utiles index – un des personnages, un autre des auteurs anciens et textes cités – et par une impressionnante bibliographie qui montre toute l’érudition de Claude Sterckx.

Rassembler ces études, parfois difficiles à se procurer, pour les rendre accessibles au plus grand nombre était une nécessité, aussi faut-il se féliciter de l’entreprise de Valéry Raydon, pour les éditions Terre de Promesse, avec ce qui sera, je l’espère, le premier volume d’une série.

Patrice Lajoye

 

1André-Yves Bourgès et Valéry Raydon (dir.), Hagiographie bretonne et mythologie celtique, 2016, Marseille, Terre de Promesse.

2Patrice Lajoye, « Celto-Slavica. Essais de mythologie comparée », Études celtiques, XXXVIII, 2012, p. 197-228, notamment p. 223-224.

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