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(Review) Patrice Lajoye, Nick J. Allen et Aleksandr Koptev (éd.) – Mélanges en l'honneur de Dean A. Miller

Ollodagos.jpgPatrice Lajoye, avec la collaboration de Nick J. Allen et d’Aleksandr Koptev (éd.), Mélanges en l’honneur de Dean A. Miller,Ollodagos, t. XXXIV, 2019, Société belge d’Études celtiques, Bruxelles, 312 p.

 

Dean A. Miller nous a quittés le 28 février 2019. C’était un historien des religions, à l’origine spécialiste de la culture byzantine, mais aussi un comparatiste, membre de la section mythologique du comité de rédaction du Journal of Indo-European Studies et il avait marqué notre discipline à travers une étude importante de la figure du héros épique1. C’est pour ces raisons que la Société belge d’Études celtiques, dont la revue Ollodagos a accueilli dans ses pages quatre de ses articles, et certains chercheurs qui l’ont connu ont décidé de publier un recueil d’études en son honneur. La rédaction de Nouvelle Mythologie Comparée est aussi redevable envers Dean A. Miller d’avoir, le premier, publié un compte rendu, certes critique mais encourageant, de notre premier numéro2.

Après une rapide présentation biographique du dédicataire de ce recueil par son éditeur principal, l’ouvrage s’ouvre sur une première étude de Nick J. Allen qui, comme son titre l’indique («Śakuntalā and Œdipus»), s’attache à analyser les correspondances entre l’histoire de cette héroïne indienne et de ce héros grec, preuves d’une origine commune. Nous avouerons que nous étions, a priori, plus que circonspect vis-à-vis d’une mise en parallèle de ces deux récits dont les points communs nous semblaient superficiels: Śakuntalā et Œdipe sont, tous les deux, des enfants abandonnés à la naissance, qui survivent et sont adoptés; arrivés à l’âge adulte, ils épousent un roi ou une reine déjà en place et le climax de chaque histoire est une scène de confrontation dramatique. Cependant, la rigueur des arguments de l’auteur et son analyse structurale poussée emportent finalement l’adhésion quant à sa thèse de départ.

Jörg Füllgräbe, quant à lui, s’intéresse aux rapports conceptuels existant entre les stèles de l’Âge du Fer celtique et deux héros épiques – CúChulainn l’Irlandais et Dietrich von Bern l’Allemand – dans «Vom Glauberg zu CúChulainn und Dietrich von Bern?». Le rapport entre ces deux héros, en tant que figures ayant une origine surnaturelle et présentant des caractéristiques extraordinaires est intéressant, mais nous sommes moins convaincus par l’inspiration de ces dernières par le style des statues de l’Âge du Fer: la représentation de guerriers/rois de ces stèles a pu être conçue en s’inspirant de motifs épiques telles que les déformations des deux héros dont parle notre auteur.

La troisième étude est l’œuvre de Marco V. García Quintela, qui se penche sur les liens entre «Viriathe, chef lusitanien, et l’idéologie trifonctionnelle indo-européenne». Utilisant les écrits des ethnographes gréco-romains, il établit l’existence de plusieurs motifs trifonctionnels : la tripartition fonctionnelle des peuples hispaniques; les trois péchés du guerrier chez Viriathe; le dénigrement de la troisième fonction lors du mariage de ce dernier ; ses caractéristiques royales. Ces motifs proviendraient de l’idéologie lusitanienne, interprétée par les auteurs classiques, et, plus précisément d’un ensemble de traits qui pourraient être rattachés à une divinité varunienne attestée chez les Lusitaniens.

Autre comparaison entre deux figures légendaires, mais au sein de la tradition des Slaves orientaux, avec Aleksandr Koptev et son «‘Ferryman’ and prince in the myth of Kiev’s foundation». Il y discute des rapports entre les princes de Kiev et les volkhvy – prêtres-magiciens de la tradition russe – particulièrement attachés au dieu varunien Veles/Volos, tout en montrant que les traditions qui les décrivent en font les équivalents du pontifex romain, en tant qu’intermédiaire entre ce monde et l’autre.

Emily Lyle, de son côté, étudie un ensemble de représentations triadiques scandinaves, dans «Pillars, and the Völsunga saga ‘Barnstok’: a possible descent sequence». Dans cette étude, elle fait le lien entre la triade Odin-Thor-Freyr d’Adam de Brême et les piliers des hauts-sièges des chefs familiaux islandais. Pour elle, une interprétation triadique autre que dumézilienne est possible: les trois dieux et l’ensemble formé par les deux piliers du haut-siège et le chef de famille assis entre les deux formeraient deux séquences temporelles: le passé ancestral, le présent du chef de famille et la future descendance potentielle. Cette interprétation est tout à fait séduisante, mais nous ne pensons pas qu’il faille exclure pour autant l’interprétation trifonctionnelle des trois divinités d’Adam de Brême: la pensée mythologique est suffisamment complexe pour autoriser plusieurs interprétations complémentaires: c’est cela qui fait sa richesse.

Jacques Merceron étudie – comme le titre de sa contribution l’indique («Le cheval, l’arbre et la circulation de l’énergie vitale : du folklore à la mythologie indo-européenne») – la relation entre le cheval et l’arbre dans le folklore et mythologie indo-européenne, mais aussi de certains peuples eurasiatiques pratiquant le chamanisme, où le cheval est le véhicule pour le héros/initié sur la route (l’arbre) de l’Autre Monde. La prégnance de ce double motif en Europe indiquerait une phase chamanique préhistorique qui aurait perduré dans les cultures lui ayant succédé.

Dans sa contribution, Marcel Meulder se demande s’il n’y a pas «Une ‛Préhistoire’ aux trois péchés d’Héraclès» à travers la séquence événementielle qui va de l’élimination du lion du Cithéron jusqu’au meurtre de ses enfants. Il analyse ses moments de la carrière héroïque de ce héros selon la grille interprétative de la quatrième fonction3; ce qui serait tout à fait logique puisque la quatrième fonction connote également la phase initiatique des guerriers avant qu’ils ne soient pleinement intégrés à la société des guerriers adultes.

Alain Meurant s’intéresse à l’utilisation de la parole rapportée et du discours direct dans «La version livienne de l’épisode de la fondation de Rome: histoire avec ou sans parole?». Il observe que la parole d’un protagoniste n’est directement retranscrite que lorsque Romulus tue Rémus, soit au moment de la fondation de Rome, faisant ainsi surgir, selon une perspective lacanienne, l’altérité de l’identité entre les deux jumeaux. Il en conclut que ces paroles, dans la bouche de Romulus, sont démiurgiques et équivalentes au tracé de sa charrue délimitant les limites de Rome et les soustrayant à la nature sauvage.

Éric Pirart, de son côté, se penche sur le problème de «L’élasticité des derniers millénaires dans la tradition zoroastrienne». Il présente, tout d’abord, de manière très claire les conceptions chronologiques zoroastriennes, avant d’essayer d’apporter une réponse au paradoxe suivant : pour quelle raison le dernier millénaire avant l’eschatologie générale n’est-il que de cinquante-sept ans?

Pierre et André Sauzeau, dans «L’Atlantide et l’hypothèse de la quatrième fonction» reprennent quant à eux le dossier de l’origine de ce mythe en se démarquant des propositions de Luc Brisson et de Bernard Sergent4: la guerre entre Athènes et l’Atlantide n’aurait pas été élaborée par Platon5sur le modèle d’une guerre fonctionnelle6, la troisième fonction s’oppose aux deux autres. Pour les auteurs de la présente étude, ce mythe littéraire tire davantage son inspiration de la «Bataille finale», un conflit eschatologique qu’ils ont défini comme opposant les trois fonctions duméziliennes à la quatrième7; l’Empire atlante représentant cette dernière. Les arguments qu’ils avancent sont tout à fait convaincants, pour peu que l’on accepte – là encore – l’extension du paradigme fonctionnel indo-européen à un quatrième terme. Notons au passage que cette contribution reprend pour une grande part le chapitre xvide leur ouvrage sur la «Bataille finale».

Enfin, Roger Woodard s’intéresse quant à lui à «The sins and sufferings of Agamemnon». Il s’agit d’une reprise du dossier de la mort d’Agamemnon, selon le mythème indo-européen des trois pêchés du guerrier et celui de la triple mort. Il en donne sa propre interprétation. Cependant, il est dommage qu’il ne semble pas connaître l’étude de Frédéric Blaive et de Claude Sterckx sur le même sujet et qui s’accorde avec notre auteur sur deux des trois pêchés qui mènent Agamemnon à la mort8.

Les études réunies ici forment un bel hommage à Dean Miller qui intéressera les amateurs de comparatisme indo-européen.

Guillaume Oudaer

1The Epic Hero, 2000, Baltimore, Johns Hopkins University Press.

2Journal of Indo-European Studies, 2014, t. 42, p. 553-560.

3Rappelons que la quatrième fonction est censée être un terme additionnel censé combler les apories du modèle trifonctionnel indo-européen. Elle symbolise ce qui est extérieur à l’ordre social ou ce qui le transcende.

4Luc Brisson, Platon : Timée, Critias, 1992, Paris, Garnier-Flammarion.

5Bernard Sergent, L’Atlantide et la mythologie grecque, 2006, Paris, L’Harmattan.

6C’est-à-dire un conflit où la première et la seconde fonction affrontent la troisième, comme dans la guerre des Ases et des Vanes en Scandinavie ou celle entre les Sabins et Romains.

7Le mythème de la «Bataille finale» a été défini par Steven O’Brien («Indo-European Eschatology: a Model», 1976, Journal of Indo-European Studies, t. 4, p. 295-230). Son étude a été récemment approfondie par Pierre et André Sauzeau (La Bataille finale, Mythes et épopées des derniers temps dans les traditions indo-européennes, 2017, Paris, Les Belles Lettres).

8Frédéric Blaive et Claude Sterckx, «Les trois péchés d'Agamemnon», 1988, L'Antiquité classique, t. 57, p. 31-39.

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