Comparative Mythology, Cambridge, International Association of Comparative Mythology, 1 (2015, 80 p.) et 2 (2016, 114 p.).
Comparative Mythology est une revue ayant une finalité similaire à celle de Nouvelle Mythologie Comparée : présenter des études de mythologie comparée concernant l’ensemble des aires culturelles mondiales. Son éditeur, Michael Witzel nous cite d’ailleurs, dans l’introduction du premier numéro, tout en pointant du doigt le fait que la plupart de nos contributions ne concerneraient que le domaine indo-européen. Il s’agit là d’une approximation due au fait que la majorité des membres de notre comité rédactionnel sont des indo-européanistes. Cependant, si l’on prend en compte nos articles jusqu’au troisième numéro, seul un peu plus de la moitié ne concerne que des comparaisons intra-indo-européennes. De plus, nous pouvons retourner la politesse à Michael Witzel, puisque, sur les onze articles de ces deux numéros, cinq sont des comparaisons intra-indo-européennes ; ce qui représente une distribution similaire à celle de NMC.
La première étude (« The Hero Who Releases the Waters and Defeats the Flood Dragon ») est due à Emily Lyle. Suivant les séquences constitutives de la cosmogonie laurasienne, établies par Michael Witzel1, et sa propre théorie sur la constitution d’un panthéon indo-européen de dix divinités2, l’auteure voit en la victoire d’un jeune héros/dieu sur un dragon aquatique, la fin du processus cosmogonique, parallèle à la victoire de la jeune génération divine sur la précédente. Cette étude, qui reste profondément attachée aux théories de l’auteure tout en n’apportant pas grand-chose de neuf à l’étude des dracomachies indo-européennes, aurait gagné à être un peu plus développée et moins elliptique.
L’article signé par Nick Allen (« Cyavana Helps Aśvins, Prometheus Helps Humans : a Myth about Sacrifice ») compare le sacrifice somique, accompli par Cyavana au bénéfice des Aśvins qui lui ont rendu sa jeunesse, à celui de Prométhée, dont la rouerie, face à Zeus, est au bénéfice de l’humanité. Les différents points comparés sont solides et montrent une réelle parenté entre ces deux épisodes.
Dans « The Defeat of the Great Bird in Myth and Royal Pageantry : A Mesoamerican Myth in a Comparative Perspective », Christophe Helmke et Jesper Nielsen explorent, tout d’abord, la figure mésoaméricaine du grand oiseau associé à l’arbre cosmique, sa déchéance et la signification étiologique de ce mythe en tant que justification du pouvoir des souverains mésoaméricains. Ils en déduisent que la mort de cet oiseau surnaturel des mains d’un héros culturel doit permettre d’éliminer les forces chaotiques primordiales dans le but d’établir la civilisation humaine. Les auteurs comparent ceci à l’élimination de différents monstres par Héraklès lors de ses travaux – en particulier celle des oiseaux du lac Stymphale, au mythe chinois de l’élimination des oiseaux-soleils surnuméraires par l’archer Yi et à un relief khmer montrant une scène de chasse aux oiseaux, pouvant potentiellement être issu de la mythologie locale pré-hindouiste. Ces comparaisons avec le matériel eurasiatique sont trop rapides et hypothétiques pour être probantes, mais elles mériteraient un approfondissement.
Klaus Antoni se penche sur un personnage mineur de la mythologie japonaise dans « On the Religious Meaning of a Japanese Myth : The White Hare of Inaba ». L’auteur considère que le récit concernant le lièvre en question est un reliquat d’une tradition culturelle commune au Japon et à l’Indonésie, comparable à des motifs iconographiques chinois et mésoaméricains, où un petit animal terrestre au pelage clair, incarnant la lune, est mortellement blessé par un crocodile, représentant les ténèbres, mais est guéri, ce qui symbolise l’éternel recommencement du cycle lunaire.
Enfin, le premier numéro se termine par une autre étude du matériel japonais : « The God Okuninushi and the Trifunctional System of the Indo-Europeans » d’Atsuhiko Yoshida. L’auteur y revient sur ses recherches concernant les éléments d’origine indo-européenne ayant participé à la genèse de la mythologie japonaise3 et, plus, particulièrement, sur le dieu Okuninushi – qui semble représenter la troisième fonction productrice au sein de la tradition nippone – et les différents talismans de souveraineté auxquels il est associé.
Le second numéro de Comparative Mythology s’ouvre sur « Of Dice and Divination », de Gregory Haynes et Michael Witzel, dans lequel ceux-ci comparent trois rituels divinatoires (un jeu de dés rituel pratiqué par la Männerbünde védique des Vrātya, le I Ching chinois, le vara des Mayas Quichés) entre eux et avec des rituels indo-européens équivalents ayant existé chez les groupes apparentés aux Vrātya, mais qui ne sont que très peu attestés par nos sources, du fait de la marginalité de ces groupes. Ils en concluent que ces trois traditions divinatoires dérivent d’une source commune dont l’élaboration doit remonter à la précédente période interglaciaire.
Dans « Building Laomedon’s Troy : A Northern Parallel », Dmitri Panchenko, essaie de démontrer que l’épisode de Poséidon et d’Apollon édifiant les murs de Troie pour le compte de Laomedon est la transposition épique d’un mythe dans lequel ceux-ci édifiaient la résidence des dieux grecs. Cette transformation s’étant opéré par le mélange avec le motif d’un maître et de son disciple travaillant pour un roi malhonnête. Il considère que l’histoire de Dédale et d’Icare emprisonnés par Minos dans le Labyrinthe doit être considérée comme une version grecque de ce motif. Cette hypothèse est intéressante, mais les arguments qu’il avance reposent sur trop de suppositions invérifiables pour être prouvés. Encore moins vraisemblable est son interprétation des connexions de Poséidon et d’Apollon avec l’Hélikon : elles seraient le souvenir céleste et polaire de la forteresse divine construite par ces deux dieux. Même si certaines réflexions de cet article sont intéressantes, on lui préférera, concernant l’origine de la servitude troyenne de ces deux dieux, l’étude de Pierre et André Sauzeau4 ou celle d’Andrew Porter5.
Dans « Iarl and Iormun- ; Arya- and Aryaman- : a Study in Indo-European Comparative Mythology », John Bengtson, suivant la proposition de Martin Haug et de Jan De Vries de rapprocher le théonyme germanique Irmin de l’indien Aryaman, propose de voir dans Irmin et son équivalent scandinave Iormun, les vestiges d’une divinité indo-européenne similaire à l’indien Aryaman et à l’Irlandais Éremón/Airem. L’hypothèse est argumentée par de nombreux éléments linguistiques et mythologiques et est convaincante. Cependant, l’auteur ne tire pas pleinement toutes les conséquences de celles-ci, puisque les équivalents germaniques d’Aryaman ont été identifiés par Georges Dumézil comme étant Baldr et Idunn. On peut donc ce demander quelle est l’identité de la divinité qui a remplacé Irmin/Iormun : s’agit-il d’un cognomen primitif de Baldr, d’un autre dieu connu ou les ultimes vestiges d’une divinité disparue dans les limbes de l’histoire ?
« Biblical Mt. Ararat : Two Identifications » d’Armen Petrosyan se penche sur la localisation de cette montagne biblique. Par la même occasion, il passe en revue les différentes traditions mythologiques en relation avec les deux montagnes proposées comme identification du Mont Ararat et, plus particulièrement, celle appelée ainsi en Occident (le Mont Masis, en Arménie) qui n’est devenue que secondairement le lieu d’accostage de Noé.
« The Motif of ‘the Ill-Willed Nursing Woman Who is Armed’ in the Mythologies of Herakles and Krishna » d’Arjan Sterken étudie, dans les biographies héroïques de ces deux héros, le rôle de cette nourrice surnaturelle involontaire et blessée, tenues par la déesse Héra, en Grèce, et la démone Pūtanā, en Inde. L’auteur en tire comme conclusion que ce motif est helléno-indien et invite à un approfondissement des comparaisons entre Herakles et Krishna, tout en élargissant ces recherches aux traditions arméniennes et iraniennes. Nous ne pouvons qu’abonder dans son sens.
Ce second numéro s’achève avec « The Dojoji Tale and Ancient Bronze Mettalurgical Traditions » de Reinier Hesselink, dans lequel celui-ci étudie un conte japonais, dans lequel une veuve, amoureuse d’un jeune moine bouddhiste, le poursuit sous la forme d’un serpent monstrueux, jusqu’au temple où il s’est réfugié sous une cloche en bronze. Là, son souffle brûlant chauffe la cloche tant et si bien que le jeune prêtre est réduit en cendre. L’auteur, après avoir étudié les différentes variantes de cette histoire, sa relation avec certains motifs du folklore japonais et deux contes taoistes chinois, considère qu’il s’agirait de la ré-élaboration bouddhiste de traditions concernant les relations intimes entre des mortels et des serpents, d’une part, et, d’autre part, celles entourant des pratiques de type chamaniques attachées à des confréries de bronziers. Ces traditions seraient originaire des Yue du sud-est de la Chine. Ceux-ci auraient eu une influence prépondérante dans l’émergence de la culture Yayoi des premiers siècles de l’ère commune, en particulier dans le travail du bronze. Cette théorie est bien argumentée et laisse entrevoir des pistes de recherches intéressantes concernant les multiples origines de la mythologie japonaise.
Ces deux premiers volumes contiennent des études de qualité inégales, mais la grande majorité d’entre-elles se révèlent particulièrement intéressantes et augurent une lecture stimulante des prochains numéros. À ce sujet, nous déplorerons que, en quatre – bientôt cinq – ans d’existence, seuls les deux premiers numéros soient parus. Nous ne pouvons qu’encourager les responsables de cette revue à rattraper leur retard en la matière.
Guillaume Oudaer
1 E. J. Michael Witzel, The Origins of the World's Mythologies, 2013, Oxford, Oxford University Press.
2EmilyLyle, Ten Gods : A New Approach to Defining the Mythological Structures of the Indo-Europeans, 2012, Cambridge Scholars Publishing, Cambridge.
3Atsuhiko Yoshida, « La mythologie japonaise. Essai d'interprétation structurale », Revue de l’Histoire des Religion, CLX, 1961, p. 47-66, CLXI, 1962, p. 25-44, CLXII, 1963, p. 225-248.
4Pierre Sauzeau et André Sauzeau, « Des dieux au service d’un tyran : dossier grec et comparaisons », Ollodagos, XXXII, 2016, p. 113-151.
5Andrew Porter, « Reconstructing Laomedon’s Reign in Homer : Olympiomachia, Poseidon’s Wall, and the Earlier Trojan War », Greek, Roman, and Byzantine Studies, LIV, 2014, p. 507-526.