Jean-Loïc Le Quellec, Jung et les archétypes. Un mythe contemporain, 2013, éditions Sciences Humaines, Auxerre (France)
Nous sommes quelques-uns ici, participant à Nouvelle Mythologie Comparée, à ne pas admettre la notion d'archétypes, qui nous semble non-démontrée. J'ai pu mettre en évidence que le mythe de l'homme cosmique, par exemple, n'en est pas un : il est d'origine indo-européenne et s'est répandu par la suite en Asie, jusqu'à atteindre des régions parfois fort éloignées. De même, Jean-Loïc Le Quellec a accompli le même travail sur l'ouroboros, travail qui a par ailleurs intégré le présent ouvrage sous la forme d'un chapitre particulier.
Si cette notion a été particulièrement mise en avant par des mythologues comme Joseph Campbell ou Mircea Eliade, son principal promoteur -souvent considéré comme son inventeur – est Carl Gustav Jung. Autant dire qu'une étude sur ce personnage, axée sur les archétypes, s'avère nécessaire.
Jean-Loïc Le Quellec commence par interroger la notion d'archétype elle-même, par en chercher la définition exacte – laquelle s'avère particulièrement fluctuante d'un auteur à l'autre, y compris chez Jung lui-même. Il remonte à l'Antiquité grecque, où le terme apparaît déjà, notamment chez Platon, qui en fut le premier vrai théoricien – un théoricien singulièrement absent de l'oeuvre de Jung. Malgré le fait qu'elle ne soit pas le moins du monde démontrée, cette notion est malgré tout rapidement devenue comme une sorte de credo (chapitre 5), qu'il n'est justement plus nécessaire de démontrer. Pourtant, très tôt des voix se sont élevées, notamment chez les ethnologues, mais aussi dans d'autres branches des sciences : ainsi l'éthologue Konrad Lorenz, pourtant invoqué parfois par les jungiens, a dès 1950 montré que « sa théorie de l' 'archétype' se révèle à l'expérience inexacte ».
Malgré ces réserves, jamais Jung ni ses continuateurs ne se remettront en cause, au contraire, le psychanalyste continuera sans cesse à creuser dans cette voie, invoquant de nouveaux archétypes, tentant une expédition « ethnologique » au Kenya dont la description fait plus penser à Tartarin de Tarascon chassant le lion plutôt qu'à une vraie expédition scientifique. Mais il y a pire : il apparaît au fil des pages que Jung a sciemment déformé certaines informations qu'il a mises à son profit. Jean-Loïc Le Quellec, à ce sujet, est prudent, s'étant attaqué d'abord à l'œuvre avant d'essayer de comprendre l'auteur, le mot « mensonge » n'apparaît clairement sous sa plume qu'à la page 177. Car mensonges il y a. Notamment lorsque Jung raconte, à plusieurs reprises durant sa carrière, le rêve qui lui aurait permis d'élaborer sa théorie des archétypes : un rêve qui n'apparaît jamais de la même manière d'une version à l'autre. C'est alors qu'il faut s'intéresser à la personnalité de Jung elle-même, essayer de comprendre pourquoi et comment a-t-il pu soutenir coûte que coûte cette théorie. Si Jean-Loïc Le Quellec s'adresse finalement peu aux années de jeunesse de Jung, à sa relation avec Freud – et on peut parfois le regretter, car il y a peut-être là une clé de compréhension de son antisémitisme –, il montre cependant que ses positions sur l'inconscient collectif et les archétypes l'ont amené à avoir un comportement pour le moins ambigu lors de la monté du nazisme. Jung semble avoir vécu Hitler et les nazis comme une résurgence d'un « archétype de Wotan », archétype construit sur rien de scientifique, mais au contraire élaboré en tordant les connaissance d'alors sur la mythologie germanique de façon pour le moins surprenante, voire irrationnelle. Si Jung s'est par la suite défendu de toute connivence avec le nazisme, il n'en reste pas moins que l'épisode est intéressant pour montrer, une fois encore, la nullité de la théorie des archétypes.
On pourra regretter alors quelques petites erreurs qui émaillent le livre de Jean-Loïc Le Quellec. Dès la première page, il n'est pas question du centenaire de la mort de Jung, mais de son cinquantenaire. P. 182, il fait de Camille Flammarion un proche de la Société théosophique (la théosophie, autre fléau de la mythologie comparée) : ça n'est pas du tout certain, même si cela est écrit partout. Selon Vsevolod Soloviev, qui fut membre de la société, Flammarion ne serait venu qu'une seule fois chez Mme Blavatsky et en serait reparti sans éprouver le moindre intérêt.
Autre erreur, plus importante : p. 232 et 327, Jean-Loïc Le Quellec inverse la deuxième et et la troisième fonction dumézilienne. Ce n'est pas la troisième fonction qui est liée à la guerre, mais la deuxième.
Mais ce ne sont-là que broutilles, tant à côté de cela l'ouvrage est salutaire. Il vient en effet à point, après les critiques de Campbell par divers ethnologues et anthropologues (Northup, Cosentino, Crespi, Dundes, etc.), puis d'Eliade notamment par Dubuisson : il était temps de remonter à l'une des sources de ces errances, Jung lui-même, dont le travail concernant les mythes n'avait finalement rien de scientifique.
Patrice Lajoye