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Marcel Meulder - Le « cheval de Troie » sous une autre forme

 

Le « cheval de Troie » sous une autre forme

Le guerrier déguisé en marchand: exemples antiques et médiévaux

Marcel Meulder

Université libre de Bruxelles

 

fa010174@skynet.be

 

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Abstract: The literature of some Indo-European peoples testify that soldiers disguised as merchants were able to assault deemed impregnable fortified cities, but by placing the event in a imprecise or mythical time. Thus in Greek and Latin literature Tegea is taken twice by Sparta, and Sicyon is conquered by Epaminondas of Thebes. In the Iranian literature (Book of Kings of Ferdowsi), fortresses of Touran, Sépand and Heftwad fall into the hands respectively of Isfendyar son of Gustasp king of Iran, Rustam, and Ardeschir. And in the French medieval literature (Le Charroi de Nîmes) with the fall of Nîmes under the attack of Guillaume Fierabras. However, the "myth" seems to have turned into historical reality when soldiers of Maurice of Nassau, hidden on a merchant ship, took over the Dutch city of Breda, in February-March 1590.

 

Keywords: Indo-european literature, warrior stratagem, disguise, mythical time, historical reality

 

Résumé: Que des soldats déguisés en marchands prennent des villes fortes réputées inexpugnables, la littérature de certains peuples indo-européens semble en témoigner, mais en plaçant l’événement dans un temps peu précis ou mythique. Ainsi en va-t-il de la littérature grecque et latine pour Tégée prise par deux fois par Sparte, et pour Sicyone conquise par les Thébains d’Épaminondas ; de la littérature iranienne (le Livre des Rois de Firdousi) pour des forteresses du Touran, du Sépand et d’Heftwad tombées dans les mains respectivement d’Isfendyar, fils de Guštasp, roi d’Iran, de Rustam, et d’Ardeschir ; ainsi que de la littérature médiévale française (Le Charroi de Nîmes) pour la prise de Nîmes par Guillaume Fierabras. Toutefois, le « mythe » semble s’être transformé en réalité historique quand des soldats de Maurice de Nassau, cachés sur un navire marchand, se sont emparés de la ville hollandaise de Breda, en février – mars 1590

 

Mots clés : littératures indo-européennes, stratagème guerrier, déguisement, temps mythique, réalité historique

 

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Cité par / quoted by:

Rafał Rutkowski, « Zwycięstwo bez walki i wojownicy udający kupców. Podstęp Olafa Świętego w Saudungssundzie », Kwartalnik Historyczny, CXXVIII, 2021, 4, p. 873-898

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Avant d’aborder notre sujet, à savoir qu’un ou plusieurs guerriers déguisés en marchands s’emparent d’une ville fortifiée considérée comme inexpugnable, il nous faut, pensons-nous, considérer la manière dont Sparte s’est rendue maître d’une cité jadis ennemie, à savoir Tégée. Car nous nous demandons si le mythème épique de la « Guerre de Troie », et plus particulièrement celui du « Cheval de Troie », ne se retrouve pas dans l’histoire (semi-légendaire, semi-historique1 ?) de Sparte ; il s’agit d’un épisode de la guerre que mène la cité lacédémonienne contre Tégée.

 

Selon Polyen (II, 26), un certain Sthénippos, citoyen de Lacédémone, fut condamné par les Éphores à payer une forte somme ; mais en fait, c’était une mise en scène ; il feignit passer comme déserteur aux Tégéates. Ceux-ci l’accueillirent à l’idée qu’il était victime d’une colère qui s’était traduite en jugement. Il corrompit les adversaires politiques d’Aristoclès, chef des Tégéates ; puis, avec leur concours, il assassina celui-ci, en se jetant sur lui, lorsqu’il allait accomplir un sacrifice lors d’une procession religieuse. Et c’est ainsi vraisemblablement (puisque Polyen ne le dit pas expressément) que Tégée passa au parti spartiate. Mais nous ne possédons aucun autre renseignement ni sur Sthénippos, ni sur Aristoclès, « archonte » des Tégéates. Aussi ne pouvons-nous que supposer l’époque où pareil événement s’est produit. Est-ce au VIe siècle avant J.-C. que ce fait s’est passé, quand Tégée s’opposait encore à Sparte et n’avait pas encore rallié la confédération péloponnésienne2 ? Ou vers 470, au moment où Tégée tentait de se libérer de l’emprise spartiate3 ?

 

Hérodote qui raconte les démêlés de Sparte avec Tégée (I, 67-68), affirme que c’est à l’époque de Crésus (561 – 546 av. J.-C.) que « les Lacédémoniens, délivrés de graves calamités, avaient désormais l’avantage dans leur lutte contre les Tégéates » (trad. A.Barguet, coll. La Pléiade). Il en explique la raison : « Comme (les Lacédémoniens) étaient toujours vaincus, ils envoyèrent demander à Delphes quel dieu ils devaient se concilier pour triompher des Tégéates. La Pythie déclara qu’il leur fallait transporter chez eux les ossements d’Oreste, le fils d’Agamemnon. Incapables de découvrir la tombe d’Oreste, ils envoyèrent une nouvelle députation consulter l’oracle, pour apprendre en quel lieu reposait le héros. A cette question la Pythie répondit : « Il est en Arcadie une Tégée, dans une plaine ; deux vents y soufflent sous une contrainte puissante, le coup répond au coup, le mal est sur le mal. Là, le sein fécond de la terre enferme le fils d’Agamemnon. Emporte-le, et tu seras le maître de Tégée ». Après cette seconde réponse, les Lacédémoniens, malgré toutes leurs recherches ne trouvaient pas davantage ce qu’ils souhaitaient, jusqu’au jour où Lichas, l’un de ceux que l’on appelle à Sparte les Bienfaiteurs, découvrit le tombeau (…) d’Oreste à Tégée, grâce au hasard et grâce à sa propre perspicacité. Les relations avaient alors repris entre Sparte et Tégée, et Lichas, entré chez un forgeron, regardait en s’émerveillant le travail du fer. Le forgeron, qui le vit surpris, interrompit son ouvrage et lui dit : « Ah ! Lacédémonien ! Si tu avais vu ce que j’ai vu, tu aurais été bien étonné, toi qui es tellement surpris de me voir travailler le fer : quand j’ai voulu me faire un puits dans cette cour, j’ai trouvé en creusant le sol un cercueil long de sept coudées. Je ne pouvais croire qu’il eût jamais existé des hommes plus grands que ceux d’aujourd’hui ; alors je l’ai ouvert, et j’ai vu que le corps était aussi long que le cercueil. Je l’ai mesuré, puis j’ai remis la terre en place ». L’homme lui raconta ce qu’il avait vu, et Lichas, à la réflexion, conclut de cette histoire que c’était le corps d’Oreste, ainsi que l’oracle l’avait indiqué ; il raisonnait ainsi : les deux soufflets du forgeron étaient « les vents », le marteau et l’enclume, « le coup et le contrecoup », le fer qu’il battait « le mal placé sur le mal », interprétation qu’il justifiait par cette idée que le fer a été trouvé pour le malheur de l’homme. Avec ceci en tête, il revint à Sparte exposer toute l’affaire. Les Lacédémoniens, sur une accusation fictive, lui firent un procès et le bannirent ; il revint alors à Tégée, conta son infortune au forgeron, et entreprit de lui louer sa cour. L’homme refusa d’abord et mit longtemps à changer d’avis ; enfin Lichas s’y installa, ouvrit la tombe et recueillit les ossements qu’il rapporta à Sparte. Dès lors dans toutes les rencontres les Lacédémoniens avaient nettement l’avantage sur les Tégéates ; et déjà la majeure partie du Péloponnèse leur était également soumise ».

 

Si nous comparons les narrations d’Hérodote et de Polyen, nous voyons qu’il y a deux points communs : le procès fictif qui produit l’éloignement du condamné de Sparte et la conquête de Tégée ; tout le reste paraît totalement différent. Pourtant, ces deux narrations nous semblent parallèles et proches aussi de l’histoire de la prise de Troie. Au sujet de celle-ci, couraient de nombreux récits dont il nous a fallu mettre trois en exergue : l’un raconte le prétendu abandon de Sinon sur les rivages troyens4 ; le deuxième rapporte que Troie ne peut être prise que si l’on ramène les cendres de Pélops sur la terre asiatique5 ; le troisième traite du vol du Palladion troyen par Diomède et Ulysse6. En ce qui concerne les récits spartiates, nous pensons que celui, transmis par Hérodote, a fondu en un thème ceux du vol du Palladion et de la translation des cendres de Pélops, tandis que le récit de Polyen s’apparente en quelque sorte au thème de l’homme apparemment maltraité et laissé à l’ennemi, mais en réalité envoyé avec la mission de détruire cet ennemi, comme ce furent le cas de Sinon (cf. n. 4), de Zôpyre7 et de Sextus Tarquin8.

 

En effet, Sthénippos, qui joue, semble-t-il, au juste condamné injustement, est l’ennemi qui s’introduit dans la cité pour en tuer le chef et la livrer à la patrie ; il agit par ruse pour y pénétrer et par corruption pour arriver à ses fins. Aussi Sthénippos et Aristoclès qui auraient vécu au milieu du VIe siècle, appartiennent, pensons-nous, à cette période de l’histoire de Sparte, où la cité péloponnésienne se fige dans son évolution. La mention des Éphores pourrait dater l’anecdote de l’époque où l’éphore Chilon commence à avoir autant de pouvoir que les rois, notamment l’Héraclide Anaxandride9 ; mais, d’un autre côté, nous savons que Tégée et Sparte ont conclu un traité vers 560 / 55010. Le nom même de Sthénippos, qui signifie « cheval vigoureux » pourrait en fait être une sorte de transposition historicisante du « Cheval de bois » à l’épisode tégéate, Tégée jouant le rôle de Troie, et son coup de force se situerait vaguement avant 560, soit après 550, c’est-à-dire à une époque où les Éphores auraient commencé à prendre une certaine importance ( ?)11. Mais il se pourrait aussi que cette « réfection » lacédémonienne de la prise d’une « Troie » tégéate date du Ve siècle av. J.-C. quand les éphores dirigeaient la politique extérieure spartiate.

 

La narration hérodotéenne nous apparaît plus favorable aux Lacédémoniens que la notice de Polyen12, puisque, selon la première, l’un d’entre eux perce le sens de l’oracle delphique13, tandis que dans la seconde ils apparaissent user de la ruse14, de la corruption et de la force armée. Mais dans les deux relations, il n’est nullement question de femme(s) dérobée(s)15, comme dans les prises de Babylone, de Gabies, de Rome, de Luna, de Duna et de Nîmes respectivement par Darius / Xerxès16, Tarquin le Superbe17, Alaric18, Hasting19, Frotho (cf. n. 19) et Guillaume Fierabras20. Il y a en effet dans cette prise de Tégée une alternative, comme dans la prise de Troie : d’une part, une prise par ruse (la version de Polyen et de certains auteurs post-homériques) ; d’autre part, une prise en comprenant le sens d’un oracle (la version d’Hérodote et de certains écrivains post-homériques)21.

 

 

 

2. La prise de Tégée par Sparte à l’époque hellénistique.

 

 

 

Frontin parle d’un autre épisode de la guerre entre Sparte et Tégée dans ses Stratagèmes (III, 2, 8) :  « Le Spartiate Aristippos, lors d’un jour de fête des Tégéens, où toute la foule des habitants était sortie de la ville pour célébrer le culte de Minerve, fit charger des bêtes de somme de sacs à blé remplis de paille et les fit envoyer à Tégée, sous la conduite de soldats déguisés en marchands ; ces derniers purent ainsi entrer sans être repérés, et ouvrirent les portes à leurs compagnons »22.

 

Dans cette anecdote, l’assiégé commet une faute, en se fiant au respect du temps sacré qu’est la fête23, et l’assiégeant déguise ses soldats en marchands qui s’introduisent sans contrôle dans la cité24 ; ce déguisement en marchands se retrouve, rappelons-le, dans l’épopée iranienne25, dans quelques récits irlandais26 et dans certaines chansons de geste françaises27, comme nous le verrons par la suite dans cet article.

 

Cette anecdote a-t-elle un fondement historique ? Selon B. Niese28, suivi par G. Benz29, cet événement se serait passé en 240-23030. Ces années ont vu à Sparte triompher d’abord le roi Agiade Léonidas II contre les réformes sociales de son collègue Eurypontide Agis IV, après avoir dû fuir en exil à Tégée31, puis le fils de Léonidas II, à savoir Cléomène III qui appliqua après 235, date de la mort de son père, les réformes sociales d’Agis IV32 ! Pour ce qui est de la politique extérieure lacédémonienne, c’est l’époque où Sparte combat la ligue étolienne à laquelle a adhéré Tégée depuis environ 240 ; c’est pourquoi, Tégée sera en butte aux attaques spartiates et sera notamment prise par Cléomène III en 22633. C’est donc à ce moment-là que Tégée a peut-être été victime de la ruse de ce Lacédémonien Aristippus, dont le nom signifie le bon cheval (!) et sur lequel nous n’avons aucun renseignement34. Nous ne mettons nullement en doute la conquête de Tégée, mais la manière dont elle s’est faite. Depuis Épaminondas, semble-t-il, la ruse classique consiste à se déguiser en marchand(s) ; Polybe dit simplement que Cléomène « s’était joué des Étoliens, en enlevant Tégée, Mantinée et Orchomène », mais l’historien n’ajoute aucune précision35.

 

 

 

3. Les guerres de Thèbes contre Sicyone : une ruse d’Épaminondas ?

 

 

 

Nous venons d’écrire en effet que depuis Épaminondas une des ruses classiques pour s’emparer d’une cité consiste à déguiser les soldats en marchands. C’est le cas de la prise de Sicyone par les Thébains d’Épaminondas. En effet, Frontin dans ses Stratagèmes (III, 2, 10) cite cette ruse des Thébains à l’encontre de Sicyone : « Les Thébains ne parvenaient pas à soumettre à leur puissance, par la force, le port de Sicyone : ils remplirent d’hommes en armes un grand vaisseau, sur le pont duquel ils étalèrent des marchandises, pour tromper l’ennemi en passant pour des commerçants ; ensuite, ils postèrent, au point des fortifications qui se trouvait le plus éloigné de la mer, quelques hommes avec lesquels d’autres, débarqués sans armes, devaient venir aux mains en simulant une rixe ; les habitants de Sicyone furent appelés à l’aide pour mettre un terme à cette altercation, ce qui permit aux soldats des vaisseaux thébains de s’emparer à la fois du port, resté sans défense, et de la ville »36.

 

Le navire thébain entré dans le port de Sicyone fait figure de Cheval de Troie, puisque d’apparence marchand il contient des hommes armés, comme le Cheval de Troie ; la fête où l’on enivre le peuple ou lors de laquelle il s’enivre, célébrant le départ de l’ennemi, est remplacée ici par la prétendue rixe qui distrait les habitants de Sicyone de la garde du port et de la ville.

 

Cet épisode qui fait partie d’une guerre entre Thèbes et Sicyone, peut, nous semble-t-il, s’être passé soit sous Euphron, tyran de Sicyone en 369 / 36837 – 366, soit en 369 précisément après la bataille de Leuctres. Dans la première hypothèse, il s’agirait de la part de Frontin ou de sa source d’une confusion. Nous savons en effet qu’Euphron, chef des oligarques pro-lacédémoniens, avait renversé la démocratie sicyonienne avec l’aide de troupes arcadiennes et argiennes, et établi grâce ses soldats une tyrannie très dure, tentant d’éliminer ses adversaires politiques, au point de déclencher une guerre civile dans lesquelles s’immiscèrent tous les États grecs de quelque importance ; Euphron se rendit à Thèbes pour recevoir de l’appui, mais il y fut assassiné par des opposants38. Mais nous savons aussi par Xénophon et surtout par Diodore de Sicile que ce sont les Arcadiens, et non les Thébains « qui en 366 / 365 s’emparèrent du port et de la ville de Sicyone. (Qu’) Euphron, qui était resté maître de la ville basse, courut à Thèbes pour tenter de convaincre les démocrates thébains que l’intervention arcadienne favorisait l’aristocratie laconophile. Mais les Arcadiens, également venus à Thèbes, y firent égorger Euphrôn en plein conseil. Les Thébains firent son procès à l’assassin, qui se défendit en faisant l’apologie du tyrannicide et fut acquitté… »39. Frontin aurait donc substitué aux Arcadiens les Thébains d’Épaminondas et fait l’économie de l’assassinat d’Euphron à Thèbes et de l’acquittement de son meurtrier par les mêmes Thébains : cela se serait déroulé par conséquent en 366 av. J.-C.

 

Dans la seconde hypothèse, c’est-à-dire d’un événement datant précisément de 369, c’est-à-dire dans la foulée de la victoire de Thèbes à Leuctres sur Sparte, nous pouvons faire valoir, à la suite de G. Benz et P. Laederich40, le témoignage de Polyen41 selon qui « Pamménès désirait avec l’aide des Thébains s’emparer du port de Sicyone. Lui-même se préparait du côté de la terre à faire l’assaut ; d’autre part, il remplit de fantassins un navire marchand qu’il envoya dans le port. Mais ceux qui étaient montés sur le navire accostèrent au port ; le soir, descendirent du bateau parmi eux quelques-uns, sans armes, comme s’ils étaient des marchands, et se rendirent à l’agora. Pamménès, pour sa part, puisque son navire bloquait le port et que c’était le soir, s’approcha de la cité avec grand tumulte, tandis que ceux qui étaient au port, en contribuant au tumulte, tentèrent de l’aider. Pendant ce temps-là, débarquant du navire, les fantassins, sans que personne ne les en empêchât, s’emparèrent du port ».

 

Ce texte de Polyen est un parallèle à celui de Frontin42, et précise même celui qui serait à l’origine de la ruse, à savoir le Thébain Pamménès, un fidèle d’Épaminondas43. Aussi devrions-nous choisir la seconde hypothèse, c’est-à-dire la date de 36944, d’autant plus que le recours à un navire marchand indiquerait que Thèbes ne dispose pas encore d’une flotte navale militaire, comme ce sera le cas sous l’impulsion d’Épaminondas vers 365-36345 ; toutefois, l’entrée dans le port de Sicyone d’un navire militaire thébain aurait annihilé la ruse de Pamménès46 ! Le texte de Frontin fait passer Épaminondas comme un homme de guerre non seulement courageux, mais aussi rusé47. Mais l’on a fait d’autre part la constatation qu’ « Épaminondas qui ne s’illustra pas dans la guerre des sièges, n’était guère réputé pour ses ή »48, car comme l’ont dit deux philologues britanniques : « his singleness of purpose and heroic atterance are typical rather of the fifth century than of the fourth »49. Aussi ne faudrait-il mettre au crédit que du seul Pamménès le stratagème qui permit de s’emparer de Sicyone50 ; c’est pourquoi il compterait au nombre de ces chefs militaires de la première moitié du IVe siècle qui passaient pour recourir à des ί, comme le Spartiate Dercylidas et l’Athénien Iphicrate51.

 

La diversion qu’entreprend Pamménès, semble une ruse classique au IVe siècle, puisque Énée le Tacticien, auteur contemporain d’un ouvrage sur la Poliorcétique, narre la prise de Parion en ces termes : « Iphiadès d’Abydos sur l’Hellespont, lors de la prise de Parion, entre autres préparatifs secrets pour l’escalade nocturne des remparts, fit aussi conduire auprès des murs, quand les portes étaient déjà fermées, des voitures chargées de broussailles et de ronces, laissant croire qu’elles appartenaient aux gens de la ville ; ces chariots, arrivés devant une porte, y passèrent la nuit, comme par peur des ennemis : c’étaient eux qu’on devait faire brûler à un certain moment pour que cette porte prît feu et que lui-même entrât par un autre endroit tandis que les gens de Parion se précipiteraient pour éteindre l’incendie »52 ; mais ce qui manque à ce général abydien, ennemi des Athéniens53, c’est d’avoir introduit auparavant des hommes à l’intérieur de la place forte de Parion. L’exemple donné ici par Énée le Tacticien ne correspond pas à notre « mythème »54.

 

 

 

4. Solon conquiert Salamine : une ruse parallèle ?

 

 

 

La façon dont procèdent Épaminondas et Pamménès, n’est pas sans rappeler celle par laquelle Solon se serait emparé de l’île de Salamine55. Plutarque dit que pour la conquérir le futur archonte athénien de 594-593 av. J.-C. se rendit à Côlias, promontoire de l’Attique au sud de Phalère, « où il trouva toutes les femmes en train d’offrir à Déméter leur sacrifice traditionnel. De là il envoya à Salamine un homme de confiance, qui se donna pour transfuge, et engagea les Mégariens (qui tenaient Salamine), s’ils voulaient enlever des femmes athéniennes du plus haut rang, à prendre la mer au plus vite avec lui pour Côlias. Les Mégariens le crurent et envoyèrent des hommes en armes. Dès qu’il vit le vaisseau partir de l’île, Solon ordonna aux femmes de s’éloigner, il affubla ceux des jeunes gens qui n’avaient pas encore de barbe des robes, des mitres et des chaussures de ces femmes, leur fit prendre et cacher des poignards et leur ordonna de jouer et de danser au bord de la mer, jusqu’à ce que les ennemis fussent débarqués et que le navire fût à leur portée. Tandis que ces ordres étaient exécutés, les Mégariens, trompés par ce qu’ils voyaient, s’approchèrent et sautèrent de leur navire à l’envi les uns des autres, persuadés qu’ils marchaient contre des femmes, si bien qu’aucun d’eux n’échappa, qu’ils furent tous tués, et que les Athéniens, s’embarquant sur-le-champ pour l’île de Salamine, s’en rendirent maîtres. D’après d’autres (historiens), ce ne fut pas ainsi qu’eut lieu cette conquête (…Solon) prit parmi les Athéniens cinq cents volontaires auxquels un décret garantit la domination de l’île, s’ils s’en rendaient maîtres ; il les fit monter sur un grand nombre de barques de pêche escortées par un vaisseau à trente rames, et il jeta l’ancre à l’une des pointes de Salamine qui regarde (l’Eubée). Vaguement informés de son approche par une rumeur, les Mégariens qui étaient à Salamine coururent aux armes en désordre et dépêchèrent un vaisseau pour observer l’ennemi. Quand ce navire fut approché, Solon s’en empara et fit prisonniers les Mégariens, puis il y embarqua l’élite de ses gens et leur ordonna de cingler vers la ville en se dissimulant le plus possible, tandis que, prenant avec lui le reste des Athéniens, il en venait aux mains sur terre avec les Mégariens. Le combat durait encore lorsque ceux du vaisseau, devançant les soldats de Solon, s’emparèrent de la ville. Ce récit semble confirmé », ajoute Plutarque, « par la commémoration qu’on faisait de l’événement : un vaisseau athénien s’approchait d’abord sans bruit, puis des gens se portaient à sa rencontre bruyamment en poussant le cri de guerre ; un homme en armes sautait alors du vaisseau et courait en criant au promontoire de Skiradion vers cette troupe qui venait de la terre. Près de là se trouve le sanctuaire d’Ényalios, fondé par Solon parce qu’il avait vaincu les Mégariens »56.

 

Ce second récit semble plus proche de celui de Frontin et surtout de Polyen, puisqu’il y a deux manœuvres, l’une par la terre accompagnée de combats, l’autre par la mer57 où est employée la ruse. Mais se pose une fois de plus la question de l’historicité de l’événement, puisque Salamine semble avoir été reprise à la fin de la vie de Solon58 pour finalement revenir sous domination athénienne grâce à Pisistrate59.

 

C’est d’ailleurs à ce dernier qu’un écrivain militaire du IVe siècle av. J.-C. du nom d’Enée le Tacticien et auteur d’un ouvrage intitulé Poliorcétique attribue une partie de la ruse solonienne. Il témoigne en effet qu’ « au temps où Pisistrate était général à Athènes, on lui annonça que des Mégariens arrivés par bateaux tenteraient d’attaquer, de nuit, les femmes athéniennes qui célébraient les Thesmophories à Eleusis. Ce qu’entendant, Pisistrate leur dressa le premier une embuscade. Quand les Mégariens, croyant que personne n’était au courant, eurent débarqué et quitté le voisinage de la mer, Pisistrate, se levant de l’embuscade où il avait attiré leurs hommes, les vainquit, en détruisit le plus grand nombre, et se rendit maître des navires sur lesquels ils étaient venus. Les ayant, immédiatement, remplis de ses propres soldats, il prit avec lui les femmes les plus propres à accompagner cette expédition navale et arriva sur le tard dans le port de Mégare, mais à quelque distance de la ville. Lorsqu'ils aperçurent les bateaux faisant voile vers eux, beaucoup de Mégariens se portèrent à leur rencontre, les autorités comme les autres citoyens, voyant là, comme c’était naturel, une arrivée de captives en très grand nombre. {Alors Pisistrate ordonna à ses hommes…} et, après avoir débarqué avec des poignards, d’en abattre une partie, mais d’enlever sur leurs navires autant de notables qu’ils pourraient. Ainsi fut fait »60.

 

Dans cette narration d’Énée le Tacticien nous n’avons pas à proprement parler le « mythème du Cheval de Troie » ; mais il nous paraît important de souligner l’incertitude qu’avaient les écrivains de l’Antiquité sur le responsable de la prise de Salamine par Athènes. Les historiens modernes, depuis Toepffer, évoquent un transfert à Solon, accompagné même d’un changement de lieu, à savoir Salamine au lieu de Nisaia61 ; tout récemment d’ailleurs, Louise-Marie L’Homme-Wéry a émis l’opinion suivante : « Comme ce n’est pas avant la fin du VIe siècle qu’une clérouquie fut fondée par Athènes à Salamine, après que les juges spartiates eurent arbitré le conflit entre Athènes et Mégare pour la possession de l’île, il est peu vraisemblable que Solon ait promis à cinq cents volontaires athéniens de s’y installer, s’ils y remportaient la victoire. Cet anachronisme se conçoit cependant si l’on songe que les arguments défendus par les Athéniens devant les arbitres spartiates, notamment celui de l'appartenance de l'île à Athènes en fonction de son caractère ionien, remontaient très probablement à l'époque de Solon. Dès lors la tradition ultérieure tendit à lui attribuer tous les faits saillants dans la conquête de l’île, d’autant plus que le processus qui en faisait le seul et unique vainqueur de Salamine, masquait le fait qu’au cours de la même bataille, il avait été aussi et d’abord le libérateur d’Éleusis. C’est pourtant ce que le récit de Plutarque, qui relie la bataille à la fondation du sanctuaire du Skiradion par Solon, permet de montrer même si la désignation de la ville qui y est prise, comme polis – et non comme Éleusis – a empêché Plutarque et peut-être déjà ses sources, sans doute atthidographiques, d’en comprendre le déroulement »62.

 

 

 

5. Le lacédémonien Anéristos s’empare d’Halieis avec un navire de commerce.

 

 

 

Enfin, un exemple « discret » du stratagème que nous appelons « Cheval de Troie » et qui use du prétexte du commerce pour s’emparer d’un lieu fortifié, se lit peut-être dans l’Enquête d’Hérodote, au livre VII (137). L’historien d’Halicarnasse y cite un Spartiate du nom d’Anéristos, fils de Sperthias, « qui s’était emparé d’Halieis, refuge des Tirynthiens, en y abordant avec un vaisseau de commerce chargé d’hommes » (trad. Ph.-E. Legrand, C.U.F.). L’historien n’est pas davantage explicite, mais nous pouvons supposer que c’est le déguisement, du moins sur le pont, de certains Lacédémoniens en commerçants, qui a permis à Anéristos d’entrer dans ce petit port de l’Argolide63, de tromper les « esclaves » de Tirynthe qui s’y étaient réfugiés64, et de prendre Haliée ; mais rien n’indique que cette cité était inexpugnable. Elle se trouvait vraisemblablement sur la route de la flotte ou d’une flottille lacédémonienne lors d’un conflit entre Sparte et Argos, dans les années 465 – 459, si nous interprétons bien ce que dit Bilte65.

 

D’autre part, Anéristos fait partie de ces ambassadeurs chargés par Sparte de négocier avec le Grand Roi de Perse peu avant le déclenchement de la guerre du Péloponnèse, mais arrêtés et livrés par des alliés d’Athènes aux Athéniens, ils furent mis à mort par ceux-ci ; qui plus est, cet Anéristos était le fils d’un ambassadeur lacédémonien envoyé en Perse à la veille de la seconde guerre médique, pour expier en compagnie d’un autre, du nom de Boulis, l’assassinat par les Lacédémoniens – et les Athéniens - de hérauts mandés par Darius, à la veille de la première guerre médique66. Cette expiation ne put se faire, Xerxès, le successeur de Darius, s’y opposant67. Pour Hérodote, l’exécution par les Athéniens des ambassadeurs, et notamment d’Anéristos et de Nicolaos, ce dernier étant le fils de Boulis, témoigne d’une vengeance divine (tardive – elle s’abat sur les fils)68, mais pour l’historien, la prise d’Haliée par un stratagème – un navire marchand portant des soldats – ni n’ajoute à la sera numinis vindicta, comme eût dit Plutarque69, ni à la gloire du Lacédémonien. Il se peut qu’Hérodote ne parle pas davantage de cette prise d’Haliée, parce qu’elle est anecdotique, qu’elle résulte d’un « coup de main », quelque peu semblable à celui de Sphodrias contre Athènes70, que cette cité d’Argolide n’est peut-être pas imprenable (manque de fortifications ?)71, et que l’entreprise d’Anéristos vise des « esclaves », et non des hommes libres. Il nous reste cependant un élément certain, c’est qu’au milieu du Ve siècle av. J.-C., la marine marchande, détournée de son but, pouvait servir à investir une cité portuaire, comme cela sera le cas au IVe.

 

 

 

6. Un exemple historique : la prise de Breda par Maurice de Nassau.

 

 

 

Comme exemple, assurément historique, de l’emploi de la marine marchande à des fins militaires et notamment pour investir une cité fortement gardée, nous pouvons alléguer la prise de Breda par Maurice de Nassau, pour laquelle nous dirions : “l’exception confirme la règle”.

 

J.G. Frazer, dans une note à son édition de la Bibliothèque d’Apollodore72, a rapproché le stratagème du Cheval de bois de celui qui fut employé lors de la guerre d’indépendance des Provinces – Unies (des Pays-Bas) contre l’occupant espagnol et qui consistait à dissimuler des soldats dans un navire marchand. Cela se passait au mois de février (vers le 2573) ou la nuit du 3 au 4 mars 159074, lors du siège de Breda ; la ville était alors tenue par une garnison espagnole, qui devait recevoir sa provision de tourbe séchée qui lui servirait de combustible. L’armateur d’un de ces bateaux, un certain Adrien Vandenberg (ou van Bergen), avait remarqué que pendant l’absence du gouverneur, l’inspection des navires qui entraient dans la ville se faisait avec beaucoup de négligence par la soldatesque75 ; cette incurie inspira au batelier hollandais un plan pour prendre la citadelle par surprise, et ce patriote hollandais le communiqua au prince Maurice d’Orange, qui l’accepta aussitôt. C’est ainsi qu’un navire fut chargé de tourbe séchée comme d’habitude, mais au lieu d’en être rempli jusqu’à la cale, l’embarcation se vit dotée d’un plancher sur lequel était déposée la tourbe, et sous lequel furent dissimulés une septantaine de soldats en armes commandés par un officier. Le bateau n’avait que quelques lieues à parcourir, mais un tas d’accidents faillirent compromettre l’entreprise : vents contraires, glaces fondantes, échouage sur un banc de terre (ou de sable), eau dans la cale mouillant les soldats embusqués jusqu’aux genoux, nourriture gâtée par les eaux, refroidissement des hommes dont certains se mirent à tousser, si bien que l’un d’entre d’eux, craignant par sa toux trahir ses compagnons, leur proposa de le tuer – ce qu’ils refusèrent. Le navire approcha des fortifications, mais fut superficiellement inspecté ; toutefois le danger persistait, puisque peu après les soldats espagnols se mirent à décharger la cargaison, si bien que le faux-plancher risquait d’apparaître. Le capitaine du navire eut le réflexe à ce moment-là de distraire les Espagnols soit par des paroles, soit en leur offrant à boire. La beuverie se prolongea jusqu’à la tombée de la nuit, si bien que la garnison ennemie ivre morte s’endormit. Ce dont profitèrent les hommes d’Orange-Nassau pour sortir de leur cachette, se diviser en deux groupes, attaquer les gardes et se rendre maîtres des deux portes. Prise de panique, la garnison s’enfuit de la ville, et Maurice de Nassau pénétra dans Breda et prit possession de la forteresse76.

 

La comparaison que Frazer vient de faire avec un événement de l’histoire moderne, nous conforte à rapprocher du « mythème du Cheval de Troie » la prise de Sicyone par Épaminondas et par Pamménès. J.G. Kikkert, dans sa biographie sur le prince Maurice de Nassau77, apporte à ce récit quelques modifications : le stratagème semblerait provenir des bateliers eux-mêmes, qui, en raison de la guerre, étaient sans ressources, et le biographe princier moderne ajoute qu’ils n’avaient sans doute jamais entendu parler du cheval de Troie ; le feu vert leur fut donné pour leur entreprise, non par le prince, mais par Johan van Oldenbarnevelt, dûment mandaté par les États-Généraux (il en était le porte-parole, et même le chef) ; la garnison, bien que relevant de l’autorité du roi d’Espagne, était composée de mercenaires italiens, et elle fêtait, selon J.G. Kikkert, le carnaval ; enfin, la bourgeoise de Breda ne semblait pas acquise à la cause hollandaise, mais la fuite de la garnison le dissuada de résister ; la victoire des hommes de Oldenbarnevelt et de Nassau se traduisit par une contribution de la ville de 100.000 florins à verser aux vainqueurs, ce qui donne l’impression que la prise de la ville fut commandée moins par le désir de libérer une ville du Brabant hollandais que par la cupidité des militaires.

 

Dans ces événements, nous avons un fait qui se rencontrait déjà dans l’Antiquité grecque : une ville ou une forteresse est prenable lors d’une fête, et les festivités engendrant l’insouciance permettent à l’ennemi de s’introduire discrètement à l’intérieur de la ville forte ou de la cité. Nous aurions dans le cas de la prise de Breda en février - mars 1590 peut-être le seul exemple où le « stratagème mythique du Cheval de Troie » s’est réellement effectué. Qu’il n’ait réussi qu’une seule fois dans l’histoire réelle, semble prouver, du moins pour le cas de la Hollande, par ce que dit van Deursen78. Selon lui, les Espagnols essayèrent d’imiter le stratagème par deux fois : en premier, au cours de l’été 1590, ils tentèrent d’attaquer la petite ville de Lochem en cachant des soldats dans des chars à foin, mais la ruse fut éventée quand des gamins dérobèrent du foin et mirent ainsi au jour les soldats cachés ; cinq ans plus tard, les Hollandais prévinrent l’attaque contre Schenkenschans, quand ils furent avertis que des soldats espagnols se dissimulaient entre des tonneaux de vin dont étaient chargés les bateaux venus approvisionner la petite ville.

 

 

 

7. Un usage similaire de navires dans la Gesta Danorum de Saxo Grammaticus.

 

 

 

L’emploi de bateaux s’est déjà retrouvé dans les Gesta Danorum de Saxo Grammaticus (II, 7, 1-2), mais dans le passage où il en est question, il n’y a absolument pas de ville forte inexpugnable, il n’y a pas d’hommes déguisés ou cachés, mais seulement une réception du roi vassal Hiarwarthus de Suède par le roi du Danemark Rolpho et des armes cachées. La lecture des quelques lignes convaincra qu’il ne s’agit pas ici du « mythème du Cheval de Troie ».

 

« Entretemps, Sculda, indignée de devoir verser un impôt, échafauda un plan maléfique. Dénonçant l’iniquité de la situation, elle incita son mari à rejeter son état de servitude et l’engagea à tramer des pièges contre Rolpho en l’accablant jusqu’à saturation de ses bons conseils, tout à fait horribles et propres à pousser à la révolte, dans la mesure où, se fondant sur la justice, elle assurait que chaque être avait le droit d’être plutôt libre que tributaire de sa parenté. Elle donna alors des ordres pour qu’un important contingent d’armes fût caché sous des couvertures et transporté par Hiarwardus au Danemark, comme s’il s’agissait de leur redevance, afin que, dotés de ces moyens insoupçonnés, les Suédois pussent tuer de nuit le roi qui les assujettissait. Quand les bateaux furent remplis de leurs drôles d’impôts, les rebelles gagnèrent Lethra avec leur cargaison fallacieuse. Lethra était une cité construite par Rolpho, qui l’avait ornée des plus beaux trésors du royaume. Elle en imposait et surpassait en célébrité les autres villes des provinces voisines, puisque le roi l’avait fondée et en avait fait son lieu de résidence. Le roi fêta l’arrivée de Hiarwarthus en offrant à son beau-frère un festin somptueux et délicieux, pendant lequel il but beaucoup tandis que ses hôtes, contrairement à leur habitude, se forcèrent à la sobriété. Les Suédois purent ainsi profiter du profond sommeil où sombrèrent les autres convives. Toujours poussés par leur projet criminel, ils ne prirent qu’un demi-repos et s’échappèrent furtivement de leurs chambres. Ce fut pour ouvrir aussitôt leur riche cache d’armes ! Et chacun s’équipa en silence… » (trad. J.-P. Troadec).

 

Pour en revenir au déguisement du héros guerrier en marchand dans le but de s’introduire dans une ville fortifiée et de s’en emparer, nous pourrions citer comme exemples ceux que raconte Firdousi, et celui de Guillaume Fierabras dans la chanson de geste médiévale française.

 

 

 

8. L’épopée iranienne du Livre des Rois de Firdousi.

 

 

 

Nous avons découvert79, également dans les traditions iraniennes, des parallèles à ces histoires de prise, grâce à la ruse, de villes dont le seigneur a parfois enlevé des femmes, comme dans le Ramayana et dans l’Iliade. Ils se trouvent dans le Livre des Rois du persan Abu’l – Kâsim Mansûr, connu sous le pseudonyme de Firdousi. Cette œuvre, même si elle est rédigée au Xe (ou XIe) siècle de notre ère80, emploie, selon son auteur, des documents anciens, affirmation que confirment ses exégètes81, mais aussi, semble-t-il de traditions orales82 ; aussi pouvons-nous l’utiliser pour notre thème, et notamment les pages qui parlent des suites de la défaite du roi d’Iran Gochtasp devant Ardjasp, le roi du Touran83.

 

 

 

8a. Isfendyar, fils de Gochtasp, face au roi du Touran.

 

 

 

Cerné sur une montagne, le souverain iranien dépêche un astrologue auprès de son fils Isfendyar84, qu’il avait malencontreusement emprisonné ; celui-ci, ébranlé par les supplications pathétiques du messager consent à oublier son ressentiment ; il brise ses chaînes, court au combat et demande à Dieu la grâce de venger son grand-père et ses frères ; il traverse les lignes ennemies et rend courage aux assiégés ; dans une furieuse bataille, il décime et disperse les Touraniens. Mais ses sœurs restent prisonnières et le roi l’invite à laver ce déshonneur. Isfendyar prend la route du Touran où l’attendent sept aventures à moitié fantastiques, analogues à celles de Rostem : finalement il aperçoit le château d’airain de Rôyîndiz ; quatre cavaliers pourraient avancer de front sur un mur d’enceinte. Il se déguise en marchand, fait revêtir à vingt guerriers le costume des chameliers, en enferme d’autres dans des caisses, pénètre dans la forteresse avec sa caravane et vend à bas prix sa marchandise (comme Rostem lors de son premier exploit)85. Ses deux sœurs, tête et pieds nus, viennent lui demander en pleurant des nouvelles de Gochtasp et d’Isfendyar ; le héros feint la mauvaise humeur, mais frère et sœurs ne s’en reconnaissent pas moins. Sous prétexte d’une fête, il enivre la garnison et allume sur le rempart un grand feu pour avertir ses troupes qui attaquent aussitôt ; lui-même ouvre les caisses où sont cachés ses guerriers, rejoint Arjasp, roi de Touran, le tue et extermine son armée86.

 

Nous trouvons donc là un héros apparenté au roi, comme Sinon le serait à Ulysse, dans certaines versions de la prise de Troie (cf. n. 4) ; il l’est également aux femmes retenues captives comme quelque peu Ulysse, qui a organisé le serment des prétendants d’Hélène87, serment qui les engageait à poursuivre tout ravisseur de la belle Tyndaride.

 

Le héros iranien est face à une ville fortifiée, apparemment imprenable ; il a l’intelligence rusée de se déguiser en marchand, comme Ulysse selon une comédie d’Épicharme88, et d’amener avec lui d’autres guerriers également déguisés ou cachés (comme ceux du Cheval de Troie qu’Ulysse amène avec lui !) ; il se fait bien voir de la population, en vendant à bas prix sa marchandise, comme Sinon tente d’apitoyer – avec succès !- les Troyens.

 

Il rencontre les femmes enlevées par le souverain de cette forteresse (en l’occurrence ses sœurs ; donc il y a un lien de parenté entre le héros et les femmes), et finalement se fait reconnaître, du moins par elles, comme Hanumat et Ulysse le font, l’un par Sîta, l’autre par Hélène.

 

Il trompe la garnison grâce à du vin, et l’endort89. Il donne le signal à ses troupes qui l’attendent à l’extérieur, comme Sinon le fait avec les Grecs stationnés à Ténédos ; l’attaque commence et lui-même ouvre les caisses qui correspondent parfaitement au Cheval de Troie ; il tue le méchant roi et extermine l’ennemi, comme Râma le fait avec Râvana et les Râkshasas et comme le font les Grecs avec Pâris (son meurtrier est Philoctète) et Troie.

 

Se déguiser en marchand(s) pour investir une ville ou un camp, c’est une ruse que nous trouvons dans d’autres pages du Livre des Rois, comme nous l’avons trouvé dans l’histoire grecque de l’époque hellénistique, dans les récits épiques irlandais et français du Moyen Âge, comme nous le verrons par la suite pour ces derniers.

 

 

 

8b. Rostam, fils de Zâl face au seigneur du Sépand.

 

 

 

Ainsi, dans l’histoire légendaire des rois de Perse que raconte Firdousi, se distingue un jeune héros du nom de Rostam. Un jour, son père Zâl lui adressa les paroles suivantes : « Mon jeune lion, tu as montré tes griffes et tu es devenu un brave. Avant que ta réputation ne grandisse et ne te crée des problèmes, prépare-toi à venger le sang de Narimân, le père de ton grand-père. Sur le sommet du mont Sépand, se trouve une grande forteresse dont la cime se perd dans les nuages. Même les aigles n’arrivent pas à le survoler. Un paradis se cache dans ce lieu. Toutes les richesses et les beautés du monde y sont enfermées. Un unique chemin conduit vers la seule porte, très solide et infranchissable. Mon grand-père, un brave parmi les braves, reçut le farmân du grand roi Freidoun de conquérir cette forteresse. C’est au cours de cette mission que sa place dans le monde est devenue vide. Il y combattit pendant des années, jour et nuit. Finalement, à cause d’une grosse pierre lancée par les assiégés, le monde fut privé de ce grand Pahlawân. Mon père Sâm apprit la nouvelle avec beaucoup de tristesse. Il essaya à son tour de conquérir la forteresse, mais il ne trouva personne à combattre. Nul n’entre ou ne sort de cet endroit car les habitants n’ont même pas besoin d’un brin de paille venant de l’extérieur. À la fin, du fait d’autres responsabilités que le roi lui donna, Sâm dut lever le siège sans venger son père. Quant à moi, j'ai la responsabilité du Zaboléstân et je dois protéger la couronne d'Iran. Maintenant c’est à toi de tenter ta chance, mon fils, avec ton intelligence et ton courage. Tu es privilégié car le monde ne connaît pas encore ton nom. Déguise-toi avec ton armée en caravane de commerçants. Je t’obéirai, Père, {répondit le fils} et sois sûr que je vengerai le sang de mon grand-père. » Rostam {continue Firdousi} se prépara pour un combat dur et long. Il choisit des hommes prudents et courageux. Quand il arriva au mont Sépand, le gardien de la porte avertit le chef de la forteresse de l’arrivée d’une caravane de nombreux chameliers et dit : « Je pense qu’ils sont chargés de sel. » Le chef envoya un de ses hommes pour vérifier le contenu du convoi. L’homme descendit près de Rostam et lui demanda de quoi étaient chargés les chameaux et pourquoi les charges étaient fermées. Rostam lui dit : « Dis à ton illustre maître que nous n’avons que du sel. » Quand le chef entendit le message, heureux d’avoir bientôt du sel, il ordonna d’ouvrir la porte. Une fois dans la ville, Rostam se présenta devant le grand chef et lui fit toutes les politesses et grâces requises, puis lui présenta ses charges de sel. Le maître lui dit : « J’accepte ton sel et te rends ton salut. » Le beau jeune homme descendit ensuite au bazar avec ses chameliers. De toutes parts les hommes, les femmes et les enfants de la forteresse se rassemblèrent autour de Rostam qui leur vendit des habits, ou leur donna de l’or ou de l’argent. Il discuta de sujets variés avec eux en usant de tous ses charmes. Dès que l’univers fut plongé dans le noir, Rostam commença l’attaque avec ses braves. Le grand chef en fut averti mais n’eut pas le temps d’agir. La bataille entre Rostam et lui se termina par sa mort sous la lourde masse de Rostam. La guerre entre les deux groupes se poursuivit jusque tard le matin, transformant la terre en rubis de Badakhshan. En parcourant tout le domaine, Rostam aperçut un édifice de pierre avec une porte dans une grande salle ouverte d’une large coupole. À l’intérieur, ils trouvèrent de l’or et des joyaux. Rostam s’étonna : « Il me semble que toutes les mines d’or et toutes les perles des mers du monde sont amassées ici. » Rostam écrivit une lettre à son père (dans laquelle) il racontait la conquête de la forteresse… »90.

 

Les ruses de Rostam et d’Isfendyar se ressemblent : pour pénétrer dans une forteresse « impénétrable », ils se déguisent en chameliers, apportant aux gens de la forteresse ce qui leur manque (ici, le sel), les mettant en confiance ; quant à Rostam, il fait rentrer pour ainsi dire une armée dans la place forte ! Mais au lieu de délivrer des femmes liées à la souveraineté, Rostam s’approprie uniquement des richesses91.

 

 

 

8c. Ardeschir imitateur d’Isfendyar.

 

 

 

Le Livre des Rois raconte aussi la ruse dont usa Ardeschir pour venir à bout du fameux ver d’Heftwad. Ce ver qu’une fille d’Heftwad avait trouvé dans une pomme en la croquant et qu’elle n’avait pas avalée, porta bonheur tout d’abord à la « croqueuse de pomme », puis à sa famille et surtout à son père Heftwad qui acquit, grâce à cet invertébré, une puissance tyrannique92. Pour se débarrasser de ce ver et de sa domination, « Ardeschir partit pour faire la guerre au ver, et toute son armée était décidée à cette lutte ; il emmena un corps de douze mille hommes, des cavaliers expérimentés et ayant fait la guerre. Lorsque son armée dispersée fut réunie, il la conduisit dans un lieu entre deux montagnes. Il y avait là un homme, du nom de Schehriguir, homme intelligent et commandant de l’armée du roi ; Ardeschir dit à ce Pehlewan : « Reste ici tranquillement, envoie jour et nuit des rondes de cavaliers prudents et habiles à reconnaître les routes, établis des guetteurs et des gardes de nuit, pour qu’ils veillent à la sécurité de l’armée, jour et nuit. Je vais maintenant tenter une ruse, à l’exemple d’Isfendiar, mon ancêtre, et quand tes guetteurs verront le jour une fumée, ou la nuit un feu semblable au soleil qui éclaire le monde, vous saurez que le ver est mort, que son étoile, ses jours et ses ruses son passées. Il choisit sept hommes parmi les grands, des hommes vaillants, des lions dans le combat ; il ne confia son secret à aucun de ses confidents, ni même au vent de l’air ; il choisit dans son trésor beaucoup de pierreries, des draps d’or, des pièces d’argent et toute sorte de choses, et n’hésita pas à prendre ce qu’il avait de plus précieux ; puis il remplit de plomb et d’étain deux caisses, plaça dans ses bagages un chaudron de bronze qui lui était indispensable pour son plan. Ayant ainsi préparé l’exécution de ses ruses, il demanda au chef de ses écuries dix ânes, et mit un vêtement en laine grossière comme celui des âniers ; mais sa charge était de l’or et de l’argent. Il partit, le cœur inquiet, et méditant des moyens de réussite, et se dirigea de son camp vers le château (où résidait le ver d’Heftwad), accompagné des deux jeunes paysans qui lui avaient donné l’hospitalité (et qui lui avaient conseillé l’emploi de la fraude, car le ver, disaient-ils, est de l’essence d’Ahriman93). Il les choisit parmi sa cour et les prit avec lui, car ils étaient ses amis et ses conseillers. Lorsqu’ils furent arrivés devant le château, ils s’arrêtèrent sur la hauteur pour respirer. Or, il y avait soixante hommes chargés du service du ver, dont pas un ne négligeait sa besogne ; un d’eux aperçut Ardeschir et dit à haute voix : « Qu’est-ce que contiennent ces caisses ? ». Le roi lui répondit : « J’apporte toute espèce de marchandises, des ornements, des vêtements, des objets d’or et d’argent, du brocart, de la monnaie, des soieries et des pierres fines ; je suis un marchand de Khorasan, je me donne de la peine et ne me repose jamais. Par la grâce du ver, j’ai de belles choses, je suis heureux d’être arrivé devant son trône, et ne saurais trop lui témoigner ma vénération, car j’ai prospéré par son influence heureuse ». Le serviteur du ver fit part aux autres de ce secret ; ils arrivent à l’instant la porte du château ; Ardeschir entra avec ses ânes et leurs charges, forma un magasin, s’empressa d’ouvrir un des paquets et offrit les présents indispensables. Il plaça devant les serviteurs du ver une nappe en cuir telle que les âniers s’en servent, défit les cordes des caisses, apporta les clefs et remplit de vin une coupe ; mais tous ceux qui avaient à préparer le dîner du ver et à le nourrir de lait et de riz, détournèrent la tête de la coupe de vin, disant que c’était leur tour de service et qu’ils ne devaient pas s’enivrer. À ces paroles, Ardeschir se leva vivement, disant : « J’ai beaucoup de lait et de riz, et si le chef des serviteurs du ver veut le permettre, je serai heureux de le nourrir pendant trois jours, car j’espère que cela me rendra célèbre dans le monde, et que je profiterai de la bonne étoile du ver. Buvez donc pendant trois jours du vin avec moi, et le quatrième, lorsque le soleil qui illumine le monde, aura paru, j’établirai un grand magasin dont le toit sera plus élevé que les murs du palais ; car je suis marchand et cherche des acheteurs, et je veux me faire honneur aux yeux du ver ». Ce discours lui fit atteindre l’objet de ses désirs ; ils lui répondirent : « Eh bien ! Charge-toi du service ». L’ânier se rendit agréable de toutes les manières, il fit asseoir ces hommes, la coupe en main, ils burent et s’enivrèrent, et de serviteurs du ver ils devinrent serviteurs du vin. Lorsque les coupes de vin eurent rendu paresseuses leurs langues, le roi alla avec ses anciens hôtes, chercha l’étain et le chaudron en bronze, alluma du feu au grand jour, et lorsque l’homme du dîner était arrivé, on lui préparait pour nourriture de l’étain en fusion. Il fit sortir de sa bouche une langue qui ressemblait à une cymbale, comme il avait l’habitude de faire quand il mangeait du riz ; le jeune homme lui versa l’étain dans le gosier, et le ver s’évanouit dans son réservoir, puis il sortit de son gosier un bruit tel, que sa fosse et tout autour de lui en fut ébranlé. Ardeschir et les jeunes gens s’élancèrent comme le vent, armés d’épées, de massues et de flèches, et aucun des serviteurs ivres du ver n’échappa en vie de leurs mains. Puis le roi fit naître une fumée noire sur la terrasse du château, pour donner au chef de son armée le signal de sa réussite…»94.

 

Ardeschir Babekan, fils de Sasan, l’homme à qui le xvarenah royal se présenta sous la forme d’un bélier d’or95, fait explicitement référence au stratagème que nous avons vu employé par Isfendyar : recours au déguisement et à l’identité de marchand (âniers au lieu de chameliers) – ainsi que pour ses compagnons -, riches marchandises et vin présentés en appât (mais absence de fêtes), gain de la confiance par des paroles appropriées, lesquelles sont à double entente, avantage tiré de l’ivresse des protecteurs de l’ennemi, dissimulation des moyens servant à tuer l’adversaire (ici, pas de compagnons d’armes dissimulés sous les marchandises) ; délivrance d’un ennemi, mais il n’est point question de femmes enlevées. Cet épisode se passe dans un temps un peu fantastique (un ver extraordinaire !), que nous pourrions considérer assurément comme légendaire ou mythique, donc en dehors du temps historique.

 

Le déguisement en marchand est, nous l’avons plus haut, aussi employé, selon Frontin, par le Lacédémonien Aristippe pour ses soldats qui assiégeaient Tégée et par les Irlandais dans l’histoire narrée par le Boroma de Leinster (cf. n. 27), ainsi que, nous le verrons plus bas, par Guillaume d’Orange, le héros du Charroi de Nîmes, lors du siège de Nîmes.

 

 

 

8d. Gharoun, bras droit deMinu-Chèhr, contre Salm le riche.

 

 

 

Le déguisement est encore employé par le héros iranien Rostam du Livre des Rois ; ainsi, lors d’un des nombreux conflits qui opposent Iraniens et Turcs et leurs souverains respectifs, en l’occurrence ici Key Kâwous et Afrâsyâb, « Rostam demanda au roi la permission de se déguiser en Turc : « Je veux m’informer sur leurs capacités. – Fais donc le nécessaire et que Dieu te garde ». Arrivant auprès du Déj {la forteresse}, il entendit le bruit de la fête des Turcs. Il franchit le mur du Déj, puis passant devant des gardes et des guerriers se rendit au lieu de la fête. Il vit Sohrâb assis sur un trône et fut très impressionné par sa beauté, son allure, sa jeunesse et surtout par sa fière apparence. Au même moment, Jendéh-Razm, l’oncle de Sohrâb, qui l’accompagnait sur l’ordre de sa sœur Tahmineh, quitta le banquet. Quand il aperçut Rostam dont la stature lui était inconnue dans l’armée turque, il s’écria : « Qui es-tu ? Viens vers la lumière que je puisse te voir ». Mais Rostam le frappa à la gorge et fit sortir l’âme de ce guerrier, dont le nom signifiait « Terrible au combat ». L’absence de Jendéh-Razm se prolongeant, Sohrâb demanda où était allé son oncle. Quelqu’un partit à sa recherche et le trouva à terre, mort. À son cri, Sohrâb se précipita près de son oncle et dit à ses Grands : « Mes braves, le loup est entré dans notre troupeau pour essayer d’examiner nos chiens de garde et la puissance de nos hommes. Soyez sur vos gardes ce soir, demain je vengerai mon oncle aux dépens des Iraniens ». Sur le chemin du retour, Rostam rencontra Guive qui surveillait les vigies et tous deux allèrent auprès du roi l’informer de ce qui était arrivé »96. Rostam agit donc comme Hanumat et Ulysse (qui vont espionner, l’un, Lankâ, l’autre, Troie) et revient dans son camp ; mais si nous avons ici le motif du déguisement, nous ne rencontrons pas celui du « Cheval de Troie ».

 

En fait, ce dernier se rencontre aussi lors de « la guerre (qui eut lieu) entre Minu-Chèhr et ses oncles Salm et Tour. Tour fut le premier tué au combat. Salm se retira dans la forteresse impénétrable d’Alanan. Minu-Chèhr connaissait le secret de cette forteresse et le confia à Gharoun en lui demandant conseil. Gharoun lui dit que la bague de Tour, qu’il avait recueillie après la mort de ce dernier, pouvait à l’aider à entrer dans la forteresse si le roi la lui confiait. Minu-Chèhr lui confia la bague. Avec l’aide de Schirouyé et de Gocht-Asp et avec six mille hommes choisis parmi les plus renommés de son armée, Gharoun se mit à l’œuvre. Il confia le commandement de tous ses hommes à Schirouyé en lui disant : « Je vais me déguiser et me présenter comme un messager devant le commandant de la forteresse. En lui montrant le sceau de la bague de Tour, je demanderai à voir Salm qui ne sait pas encore que Tour est tombé. Aussitôt dans la forteresse, je vous donnerai le signal avec mon étendard hissé sur mon épée. Vous avancerez en toute hâte car je connaîtrai le secret de la forteresse et la porte sera ouverte ». C’est ainsi que la forteresse fut prise. Salm put s’enfuir, mais Minu-Chèhr le suivit et le tua lors d’un combat à l’épée »97.

 

Cet épisode de l’histoire légendaire iranienne commence en fait par un crime : fils du roi Freidoun, Tour qui a reçu de son père « le Tourân, situé à l’est de l’Iran d’alors et incluant les Turcs d’Asie centrale et une partie de la Chine d’aujourd’hui »98, et Salm, qui a reçu Roum et tout l’Occident dont il était le roi, tuèrent leur frère cadet Iradj ; celui-ci, en raison de sa dignité et de son courage, avait reçu l’Iran, couronne de la suprématie des héros. La motivation de leur crime était la haine et la jalousie, car « le partage effectué par leur père leur avait déplu, et ils considéraient avoir été lésés par lui ». Le roi Freidoun eut un arrière-petit-fils, auquel il donna le nom de Minu-Chèhr « visage divin », et le pouvoir, une fois devenu bel homme. Ce jeune roi décida de venger le meurtre de son père ; ses oncles, par leur fratricide, se sont, nous semble-t-il, comportés en ennemis, et donc en étrangers. Il fait appel à Gharoun ; celui-ci, comme Hanumat et Zôpyre, n’appartient pas à la famille royale, mais est un allié d’importance, puisqu’il fait partie des Grands du pays ; ce n’est donc pas le roi, ni un membre de la famille qui accomplit la mission dangereuse99. Gharoun recourt également au déguisement, ici en messager, car la bague du roi Tour, qui vient d’être tué, peut l’aider à monter ce stratagème. De plus il profite de l’ignorance de Salm, comme Sinon le Grec, le Lacédémonien Sthénippos, le roi romain Tarquin le Superbe, le wisigoth Alaric et Hasting le Viking profiteront respectivement de celle, un peu naïve ( !), des Troyens qui croient les Grecs partis, des Tégéates et de leur naïveté, des Gabiens, des Romains (cf. n. 18), et des habitants de la ville italienne de Luna100.La ruse de Gharoun correspond parfaitement au motif du « Cheval de Troie » ; si la forteresse d’Alanan ne paraît pas être détruite, Salm, le meurtrier survivant est tué par Minu-Chèhr, et le royaume reste entre les mains d’un dynaste juste101

 

La ruse de Gharoun nous semble s’imposer d’autant plus avec le personnage du riche qu’est Salm. Il faut savoir que, lors de la division de monde par Ferīdūn entre ses fils, ceux-ci avaient reçu, chacun, un tiers de l’Empire en raison du choix des valeurs qu’ils avaient fait. Ce choix, mentionné brièvement par la plupart des écrits pehlevis comme le Dēnkart ou le Bundahišn, est détaillé par l’Āyātkār i Ĵāmāspik dont nous possédons maintenant le texte pehlevi reconstitué, à partir de la transcription parsie, par Messina. Voici le passage relatif aux trois fils de Ferīdūn ; nous y lisons : « De Frētōn naquirent trois fils : Salm, Tōz, et Ērič étaient leurs noms. Il les convoqua tous les trois pour dire à chacun d’eux : « Je vais partager le monde entier entre vous, que chacun de vous me dise ce qui lui semble bon, pour que je le lui donne ». Salm demanda de grandes richesses (vas-hērīh), Tōz la vaillance (takīkīh), et Ērič, sur qui était la Gloire kavienne (xvarrēh i kayān), la loi et la religion (dāt u dēn). Frētōn dit : Qu’à chacun de vous advienne ce qu’il a demandé ». Il donna la terre de Rome (zamīk i Hrōm) jusqu’au bord de la mer à Salm ; et le Turkestan et le désert, jusqu’au bord de la mer, il les donna à Tōz ; et l’Erānšaθr (l’empire d’Iran) et l’Inde, jusqu’au bord de la mer, échurent à Ērič. À un moment [inopportun ?], Frētōn enleva de sa tête la couronne et la posa sur la tête d’Ērič en disant : « Ma Gloire est assise sur la tête d’ Ērič, jusqu’au matin de la Rénovation de tout le monde vivant ; ô toi, que la royauté et la souveraineté sur les enfants de Tōz et de Salm appartiennent à tes enfants ! ». Voyant comment les choses se passaient, Salm et Tōz dirent : « Qu’a fait Frētōn notre père qui n’a pas donné le commandement à son fils aîné, ni à son fils puîné, mais à son fils cadet ? Et ils cherchèrent un moment favorable et tuèrent leur frère Ērič … ». On ne saurait exprimer la répartition fonctionnelle d’une manière plus claire. Salm incarne la richesse, Tōz est guerrier, Ērič choisit la loi et la religion. Il sera roi et ses descendants règneront sur les descendants de Tōz et de Salm102.

 

De plus, le Livre des Rois103 introduit ce « partage du monde autrement, par une épreuve au cours de laquelle chaque personnage se définit par une attitude caractéristique devant un péril, attitude qui correspond, psychologiquement, au choix de la variante précédente. Voici le résumé qu’a donné Molé de ce texte abondant : « Ayant envoyé ses trois fils dans le Yémen, Ferīdūn attend impatiemment leur retour. Pour les éprouver, il se change en dragon et va à leur rencontre. Voyant le dragon, l’aîné de trois frères n’attend pas longtemps pour se sauver. Le second, intrépide, veut engager le combat sans tarder. Quand il faut combattre, qu’importe que ce soit un lion furieux ou un cavalier plein de bravoure ? Mais c’est le plus jeune qui adopte la conduite la plus digne. Les fils du roi Ferīdūn s’abaisseraient-ils jusqu’à combattre un dragon ? Si celui-ci avait entendu parler de lui, il aurait dû se retirer sans tarder. Un crocodile ne doit pas se mettre dans la voie des lions. Content de ses fils, Ferīdūn se retire. À leur arrivée, il leur dévoile le secret et leur donne des noms en accord avec l’attitude qu’ils avaient adoptée. L’aîné qui s’était sauvé reçoit le nom de Salm ; le second, ardent et vaillant, celui de Tūr, le lion courageux qu’un éléphant furieux ne saurait vaincre. Mais c’est au plus jeune, hardi et prudent, que va toute la gloire et Īraĵ est un nom digne de lui… ». Cet extrait de Firdousi104 met en valeur notamment la troisième fonction caractéristique de Salm – richesse et lâcheté105 ; comme celui-ci « se dérobe » devant les armes notamment, il n’y a aucun autre moyen pour le surprendre que la ruse.

 

Cette constatation rejoint ce que nous voyons avec Hanumat et Râma preneurs de la riche Lankâ106, avec Isfendyar preneur de Rôyîndiz et libérateur de ses sœurs, avec Rustam preneur de la riche Sépand, avec Ulysse destructeur de la riche Troie et libérateur d’Hélène, avec Alaric conquérant de la riche Rome (cf. n. 18) et avec Hasting preneur de la marmoréenne Luna (cf. n. 19).

 

 

 

9. Guillaume Fierabras s’empare de Nîmes aux mains des Sarrasins.

 

 

 

Dans sa monumentale Histoire de la Poésie Française, R. Sabatier écrit dans le tome premier consacré à La Poésie du Moyen Age107 : « Anonyme, le Charroi de Nîmes (milieu du XIIe siècle) évoque le cheval de Troie. Guillaume, pour enlever la cité aux Sarrasins, y introduit par surprise mille chariots contenant des tonneaux où le sel est remplacé par des guerriers. Tandis qu’il charme le roi ennemi par ses propos, les soldats se préparent. Guillaume assomme le païen, sonne du cor et la bataille commence. Nîmes sera prise »108 ; puis il ajoute : « Dans les parties héroïques de la Prise d’Orange109, on retrouve le Guillaume rusé du Charroi de Nîmes : il pénètre déguisé dans la ville. Il en est ainsi dans la plupart des branches : siège de Barbastre, avec pour héros le frère de Guillaume, Beuve ; dans Guibert d’Andrenas, le fils d’Aimeri assiège Andrenas ; dans la Mort d’Aimeri, il s’agit du siège de Narbonne ; Foulque de Candie se joue autour de la conquête de Cadix »110.

 

La ruse de Guillaume de se déguiser en marchand111 et de s’introduire dans Nîmes occupée, amenant des tonneaux remplis d’hommes armés, ressemble à celle où Isfendyar dans le Livre des Rois de Firdousi s’introduit aussi comme marchand dans la citadelle touranienne, accompagné de soldats cachés dans des caisses, mais il n’y a ni femmes enlevées par les Sarrasins, ni enjôlement fallacieux du roi maître de la ville. Qui plus est, Guillaume, comme p. ex. Ulysse débarquant à Ithaque, se donne un autre nom, à savoir Tiacre, qu’Otrans le roi sarrasin considère être « de pute gent »112, c’est-à-dire de personne infâme. Toutefois le déguisement en marchand et le pseudonyme n’abusent pas longtemps le Sarrazin, puisque ce dernier croit reconnaître Guillaume au court nez, fils d’Aimeri de Narbonne113 ; effectivement, Guillaume sera reconnu par le sarrasin Harpins, le frère d’Otrans. S’en suivra d’abord l’assassinat d’Harpins, puis un combat « homérique » où les preux barons français sortiront de leurs tonneaux et répandront la mort parmi les rangs des « Infidèles »114.

 

Cette prise de Nîmes par ruse est-elle un fait historique ou mythique ? Le Guillaume d’Orange des chansons de geste française a eu en fait comme prototype historique un certain Guillaume, comte de Toulouse, cousin de Charlemagne, qui mourut en 812, deux ans avant l’empereur à la barbe fleurie115 ; d’autre part, nous savons parfaitement que Charles Martel chassa définitivement grâce à sa victoire à Poitiers en 737 les Arabes de France116. C’est pourquoi, le personnage historique n’a pu accomplir l’exploit du héros épique117 ; et l’on a remarqué depuis longtemps qu’entre les événements « attribués par les auteurs du Couronnement de Louis et du Charroi de Nîmes au couronnement de Louis le Pieux » et ceux, « très réels, qui ont marqué en 1131 l’association du futur Louis VII à la couronne » de France existe un parallélisme qui prouvent le caractère fictif des premiers118. Les auteurs ou les sources du Charroi de Nîmes et de la Prise d’Orange ont pu reprendre aux Maures chassés du Midi, l’histoire de la prise d’une ville par un héros rusé déguisé en marchand et transportant des tonneaux remplis…de soldats, comme l’avaient fait dans l’Antiquité les Romains, qui avaient repris aux Gaulois qu’ils avaient affrontés à Rome même et en Italie du Nord aux IVe et IIIe siècles av. J.-C. certains thèmes religieux119. Quant à la Prise d’Orange, Cl. Lachet a démontré qu’elle était une parodie courtoise d’une épopée120, et cette chanson de geste sans geste n’apporte rien de plus au thème que nous pensons avoir découvert dans certaines épopées indo-européennes ou narrations historiques inspirées de celles-ci.

 

Toutefois, le Charroi de Nîmes permet de préciser le sens du déguisement du guerrier rusé. « Un personnage épique, le plus souvent un héros masculin, revêt un harnois ou un accoutrement qui n’est pas le sien ; ainsi travesti, il peut côtoyer sans danger ses adversaires et prendre sur eux un avantage », écrit avec raison Fr. Suard121. « Tel est », continue-t-il, « dans son principe, le motif du déguisement, qu’on rapprochera du sarcasme épique : vaincu par la force et par la vaillance du héros, l’adversaire (…) est également victime de l’ingéniosité du bon chevalier : blessé ou tué, il peut encore être rendu ridicule. On comprend, dans ces conditions, que le motif du déguisement, loin de nuire à la valeur épique, puisse la mettre en valeur grâce à l’utilisation d’un registre essentiellement comique » ; cette dérision, nous ne pensons pas qu’elle existe dans les épopées que nous avons analysées, même si elles montrent un ennemi quelque peu naïf. Fr. Suard enchaîne en disant : « cependant l’étude de quelques chansons du cycle de Guillaume d’Orange permet de révéler une autre perspective. Dépassant la fonction traditionnelle du déguisement – duper l’adversaire – le poète des Enfants Vivien ou d’Aliscans nous invite, grâce à ce motif, à réfléchir sur l’identité du héros épique. Par le décalage qu’il instaure entre une image prévisible du héros – celle à laquelle d’autres textes nous ont habitués – et celle que produit le travestissement, il déplace toute limite imposée au personnage de chanson de geste. C’est ce travail que nous allons suivre », écrit Fr. Suard, « sur quelques exemples. Sans doute, dans plusieurs chansons du cycle, le motif relève bien de la conception habituelle. Avec le déguisement de Guillaume en marchand dans le Charroi de Nîmes ou celui du même Guillaume en Sarrasin dans la Prise d’Orange, il s’agit de tromper la vigilance des païens, soit afin de pénétrer dans Nîmes pour prendre la ville, soit afin de s’approcher d’Orable. Le travestissement est décrit avec minutie, qu’il s’agisse de Guillaume (…) ou de tous ceux qui utilisent ce stratagème. C’est donc une sorte de prise d’habit, un adoubement d’un nouveau genre, puisque l’on s’équipe afin de combattre l’adversaire avec des armes jusque-là inusitées. L’objectif est atteint, puisque les Français réussissent de la sorte à entrer dans Nîmes et dans Orange, et l’on rit des Sarrasins pour deux raisons : d’une part ils se sont laissés prendre – au moins pour un certain temps – au déguisement, d’autre part ils n’ont pas saisi la véritable signification du discours tenu par les chrétiens (…) Donc les païens sont dupés, mais il faut noter qu’ils ne le seront pas très longtemps ; dans le Charroi de Nîmes comme dans la Prise d’Orange, les Sarrasins découvrent l’identité du héros avant le moment où celui-ci avait l’intention de jeter le masque (…) Ainsi le déguisement, aussi habile soit-il, ne dissimule pas longtemps le héros ; on le reconnaît ou bien il est obligé de se signaler lui-même, en tout cas il se jette aussitôt dans l’action guerrière (…) Les (…) exemples utilisent le motif du déguisement dans une double perspective, stratégique : pénétrer à l’insu de l’ennemi dans la ville, et comique : faire rire aux dépens des Sarrasins. Cependant le motif laisse déjà apparaître d’autres traits : la découverte du héros sous son déguisement semble inévitable, comme si le personnage épique s’imposait malgré son masque et devait se manifester avec éclat. Apparaît donc un rapport entre déguisement et révélation du héros…L’auteur d’Aliscans a (…) utilisé d’une manière particulièrement originale les virtualités du motif du déguisement, montrant tour à tour que le travestissement – l’armure sarrasine – s’oppose au personnage réel – Guillaume, mari de Guibour -, mais que le héros ne peut vraiment se dire, et par là même échapper au masque, sans recourir à des éléments aussi typés que le déguisement : ici, par exemple, le combat inégal qui rend présente la gloire passée. La contribution propre à Aliscans consiste donc à nous faire comprendre que le déguisement est une des nombreuses figures dont le poète se sert pour suggérer la valeur épique comme ce qui est au-delà de toute représentation. Le déguisement renvoie au personnage, mais ce dernier est lui-même un masque auquel des actes, ou des paroles – d’autres figures – réussissent à communiquer la vie. Les Moniages offrent un exemple très différent, mais également intéressant. Ils créent tout d’abord, et contre le gré du héros, une situation de déguisement ; en effet Guillaume ou Rainouart ne songent qu’à embrasser, en devenant moines, une forme de vie qui leur permet de faire pénitence (…) Mais les interventions du poète ou des spectateurs, en soulignant l’inadaptation du personnage à son nouvel habit, transformant le vêtement monacal en déguisement. L’auteur de Moniages Guillaume insiste sur la dimension des effets de Guillaume (…) ou sur l’énormité des portions englouties (…) ; celui de Moniages Rainouart fait du géant un moine terrifiant (…). L’habit monacal va donc assez mal aux héros épiques ; mais d’autres désaccords, beaucoup plus profonds, vont faire du moniage un projet paradoxal. Lorsque Guillaume, dans Moniages Guillaume, s’en va acheter des poissons pour la communauté, l’abbé lui interdit d’emporter ses armes (…), ce qui conduit le héros à opposer vigoureusement état chevaleresque et état monastique (…) ou à brocarder l’habit qu’il a revêtu (…) Le motif du déguisement se prête donc ici à une mise en œuvre subtile. Il permet tout d’abord de maintenir la distance entre Guillaume et les moines, qui seraient pour leur part incapables de venir à bout des brigands, Guillaume ne respectant pas de son côté l’esprit du précepte monastique (ne défendre que ses braies, ne pas utiliser d’armes) en utilisant une massue qui, pour originale qu’elle soit, demeure une arme… ». S’il y a un habit que nos guerriers rusés ne revêtent pas, c’est assurément celui de prêtre122. Ils ne se parent de cet habit ou cette qualité de religieux, peut-être parce que le prêtre ne peut trahir les dieux dont il est le serviteur, sous peine de commettre une impiété123. Un prêtre transfuge ou traître à son camp semble devoir encourir la mort, comme nous l’avons vu dans un passage de Tite-Live (X, 40) où les pullaires romains n’ont pas révélé la vérité sur le funeste destin que les entrailles des victimes promettaient à l’armée romaine ; dénoncés par le fils du général, ces prêtres seront envoyés en première ligne et une lance mystérieuse, emblème de Mars, tuera le pullaire auteur de la supercherie, comme cela arrivera plus tard à Julien l’Apostat à la bataille devant Ctésiphon124.

 

Un universitaire lausannois, Alain Corbellari, a pour sa part tout à fait raison de citer l’exemple de Guillaume Fierabras125. Et il conclut (p. 164) : « à la vérité, ce type de stratagème est si courant au Moyen Age qu’il n’est pas nécessaire, on l’a rappelé, de faire appel à la littérature pour en trouver des exemples. On pourrait donc dire que l’épisode antique du cheval de Troie ne représentait pour les médiévaux que l’une des modalités possibles de la prise d’une ville, modalité dans laquelle la merveille du stratagème l’emportait sur le procédé lui-même, d’où sans doute le caractère moindrement exemplaire du récit, par rapport à sa fortune antique et moderne. Mais il y a mieux : que ce motif de la prise de la ville par ruse ne soit pas exclusivement littéraire au Moyen Age n’est peut-être qu’un épiphénomène d’un mouvement plus vaste, celui qui tendrait à le ramener à un motif plus universel qui en subsumerait toutes les versions. Il existe en effet dans la littérature persane un récit dont les ressemblances avec le Charroi de Nîmes sont troublantes et qui pourrait nous mettre sur la piste d’un prototype indo-européen du motif, dont le récit homérique recueillerait peut-être lui-même certains échos (…). Que conclure ? Certes, si l’on recherche un stratagème de prise de ville mettant en scène un artefact offert mystérieusement en cadeau, on ne le trouvera pas dans les textes – occidentaux ou orientaux – du Moyen Age, sinon dans des reprises explicites de la matière troyenne. De ce point de vue précis, le motif du cheval de Troie est bien unique et n’est jamais repris dans toutes ses composantes dans des textes sans rapport avec la guerre de Troie. Il me paraît cependant permis de dire que pour les médiévaux, il n’est qu’une actualisation parmi d’autres d’un motif très répandu et reconnu comme tel puisqu’il fait partie de la réalité historique et même stratégique des hommes du Moyen Age, raison pour laquelle l’artefact, la « merveille », les retient plus, dans le récit antique que l’instrument d’une ruse par trop banale ».

 

Nous regrettons qu’A. Corbellari n’ait point cité d’autres exemples de prise par la ruse d’une ville réputée imprenable pour emporter notre conviction et pour nier une éventuelle influence littéraire sur la narration de ce genre de prise de ville ; précisément en ce qui concerne une plausible influence littéraire, rien ne prouve que l’auteur du Charroi de Nîmes a connu, ne fût-ce que quelques bribes du Livre des Rois, par l’un ou l’autre contact avec l’adversaire musulman. Nous penchons plutôt pour un archétype mythique commun que nous appellerions « mythème du Cheval de Troie » et que chaque peuple a concrétisé à sa façon, p. ex. faux transfuges pour les Lacédémoniens, les Mèdes et les Romains126, guerriers travestis en marchands pour les Lacédémoniens (à nouveau !), les Thébains et les Perses, guerriers dissimulés dans un cheval de bois pour les Grecs, chef de guerre qui lors d’un siège d’une place forte, se fait passer pour mort et désire des funérailles religieuses dans la cité chrétienne assiégée pour les Vikings et les Normands127.

 

 

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1 Pour Cavaignac, 1948, p. 11, les événements antérieurs à 700 av. J.-C. sont légendaires ; ainsi le retour des Héraclides (Bibliothèque d’Apollodore, II, 8, 2 ; Pausanias, Périégèse, VIII, 5, 6) ; de même le personnage de Lycurgue auquel Plutarque a consacré une biographie.

 

2 Voir Hérodote, Histoire, I, 65-68 ; Kiechle, 1963, p. 217 sqq. Aussi Pausanias, Périégèse, III, 7, 3 et VIII, 5, 9 ainsi que 48, 4 sq. Pour le pouvoir judiciaire des éphores, voir Lévy, 2003, p. 196-197.

 

3 Hérodote, Histoire, IX, 35, 2 ; cf. Meyer, 1972 ; Pretzler, 1999, p. 115 situe ce coup de froid entre Tégée et Sparte dans la moitié des années 460, voyant un reflet des tensions entre les deux cités dans le stratagème du Spartiate Cléandridas (il est le père du général lacédémonien Gylippe, cf. Wickert, 1969) à l’encontre de Tégée (Polyen, 2, 10, 3 : « Les principaux de Tégée étaient soupçonnés de favoriser les Lacédémoniens. Pour les rendre encore plus suspects, Cléandridas faisant le dégât dans le pays, épargna leurs possessions seules, pendant qu'il ravageait celles de tous les autres. Ceux de Tégée, transportés de colère, intentèrent une action de trahison à ces citoyens épargnés. Ceux-ci, appréhendant l'issue du jugement, le prévinrent, et livrèrent la ville à Cléandridas. Ainsi la crainte les força à rendre véritable une accusation qui n'avait pour fondement qu'un faux prétexte »).

 

4 Épitomè de la Bibliothèque d’Apollodore, V, 15 et 19 ; Virgile, Énéide II, 57 - 294 ; Hygin, Fables, 108, etc.

 

5 Pausanias, Périégèse, V, 13, 4 sqq.

 

6 Proclus, dans Epicorum Graecorum Fragmenta, 37 Kinkel ; Bibliothèque d’Apollodore, Epitome, V, 13 sqq. Lichas, en qualité de agathoergos, était vraisemblablement un des plus âgés des jeunes adultes devenus hippeus grâce à sa vaillance et aussi au fait qu’il était patronné par un éraste important (cf. Lévy, 2003, p. 112 et 306).

 

7 Meulder, 2005.

 

8 Tite-Live, I, 53-54.

 

9 Forrest, 1995, p. 74 – 77 et 82 – 83.

 

10 Yates, 2005, p. 65-66, et Bolmarcick, 2007, se basant sur Aristote, fr. 592 Rose. Pour la dernière date, voir Lafond, 2002, renvoyant à Bengtson et Werner, 1975, p. 112. Voir aussi Pretzler, 1999, p. 96 et 104 où est envisagée une date plus tardive, à savoir le Ve siècle av. J.-C.

 

11 Voir Richer, 1998, p. 542.

 

12 Pretzler, 1999, p. 117, défend un avis contraire, arguant notamment que les combats d’Echémos, roi de Tégée, contre les Héraclides, donc contre les Lacédémoniens, prouvent la vaillance des Tégéates ; mais, dans le cas présent, la compréhension d’un oracle nous paraît, dans l’esprit d’Hérodote, une preuve d’une intelligence supérieure.

 

13 Crahay, 1956, p. 91-92. Nous n’avons pu consulter l’article de Miletti, 2004. En opposition avec Phillips, 2003, Welwei, 2004 nie que la récupération de la dépouille d’Oreste soit une marque de l’impérialisme lacédémonien.

 

14 C’est par la ruse d’Oibalos, l’un de leurs compatriotes, que les Spartiates obtiendront la victoire sur les Messéniens, lors de la première guerre de Messénie (Pausanias, IV, 12, 7-10 et Ellinger, 1993, p. 68-70, 261-263 et 302-309).

 

15 Voir Ayan, 2004.

 

16 Meulder, 2005.

 

17 Tite-Live, I, 53-54.

 

18 Marcel Meulder, « La prise de Rome par les Vandales » (à paraître), sur la base de Procope, Guerre des Vandales, I, 2, 14 sqq.

 

19 Marcel Meulder, « Une ruse viking pour s’emparer d’une place forte a-t-elle une origine indo-européenne ? », à paraître.

 

20 Voir infra.

 

21 Ni Hérodote, ni Polyen, ce dernier étant pourtant le contemporain de Pausanias (cf. Wheeler, 2010, p.-14, ainsi que Geus, 2010) et peut-être de la Bibliothèque d’Apollodore (Stratagèmata, 3, 4 et 60, 3 ; Sirinelli, 1993, p. 329-331), ne mentionnent le don de la déesse Athéna au roi tégéate Cépheus d’une partie de la chevelure de la Méduse, chevelure censée empêcher Tégéa d’être prise par des ennemis, en les faisant fuir s’ils approchaient de ses remparts (Pausanias, 8, 47, 5 et Bibliothèque d’Apollodore, 2, 7, 3, cités par Pretzler, 1999, p. 93-94) ; seul le récit de Polyen, à notre avis, pourrait sous-entendre cette légende, puisque Sthénippos, en se faisant passer pour un transfuge, se fait introduire dans la cité de Tégée, et contournerait par conséquent l’obstacle dressé par les cheveux de la Méduse à la prise de la ville.

 

22 Trad. P. Laederich, 1999, p. 176-177. Aristippus Lacedaemonius festo die Tegeatarum, quo omnis multitudo ad celebrandum Mineruae sacrum urbe egressa erat, iumenta saccis frumentariis palea refertis onusta Tegeam misit, agentibus ea militibus, qui negotiatorum specie inobseruati portas aperuerunt suis.

 

23 Voir Labarbe, 1974 ; nous avons abordé ce thème de la prise de la ville ou de son acropole, lors d’une fête, dans notre thèse consacrée à la République VIII-IX, 580 b. Une archéologie d’un texte platonicien (Bruxelles, 1986), t. II, p. 151 n. 60. Nous retrouverons le thème de la ville qu’on tente de prendre par surprise dans un passage de Justin à propos de la ville phocéenne de Marseille et de ses voisins gaulois Ségobriges (Meulder, 2004).

 

24 Aussi Frontin, Stratagèmes, III, 2, 9 : Antiochus in Cappadocia ex castello Soanda, quod obsidebat, iumenta frumentatum egressa intercepit, occisisque calonibus, eorumdem uestitu milites suos tamquam frumentum reportantes submisit : quo errore illi custodibus deceptis castellum intrauerunt admiseruntque milites Antiochi (Quand il fut en Cappadoce, lors du siège du fortin de Soanda, Antiochus intercepta des convois qui sortaient de la place pour aller chercher du blé ; il envoya frauduleusement ses soldats, comme s’ils ramenaient du blé, portant le vêtement de ceux qui avaient convoyé le charroi et qu’il avait fait tuer. Grâce à ce déguisement, ils trompèrent les gardes du fortin, y pénétrèrent et accueillirent l’armée d’Antiochus ; trad. pers.). Cet épisode dont les circonstances précises restent inconnues se situerait vers 200 av. J.-C. selon Laederich, date, p. 177 n. 12

 

25 Firdousi, Le Livre des Rois (trad. Fr. J.Mohl), Paris, 1865, vol. IV, p. 361, 433, 465-545.

 

26 Dans l’histoire irlandaise de la Bataille de Dún Bolg, nous apprenons que le peuple du Leinster est soumis à un tribut, nommé boroma, qu’il doit payer au souverain de l’Irlande. Pour s’en délivrer, certains jeunes gens du Leinster sont introduits subrepticement dans le camp royal, cachés dans des paniers, chargés dans trois cents attelages de douze bœufs. « Que sont-ils en train de faire, ces gens du Leinster ? » demande le roi irlandais à un homme du Leinster qui se trouve à la tête du convoi. Cet homme, en réalité un espion prêt à collaborer avec les attaquants qui sont dissimulés, répond : « Ils sont en train de vous amener de la nourriture, et jamais vous n’avez eu de repas plus satisfaisant : ils sont en train de faire bouillir leurs porcs, des bœufs, et du lard des gorets ». « Où vont-ils ? », s’écrient les hommes du roi, quand le cortège s’ébroue en direction du camp royal. « Ils vont le dire bientôt », répond-on, « les serviteurs du Leinster, chargés des provisions pour le roi d’Irlande ». Tâtant les paniers, des inspecteurs ne trouvent rien d’autre que de la nourriture.« C’est la nourriture qui vient », clame l’espion du Leinster, quand les « intrus » atteignent le milieu du camp. Les bœufs sont déchargés, des chevaux sauvages sont lâchés afin de provoquer la confusion dans le camp, et les jeunes gens du Leinster surgissent de leurs paniers et mettent en déroute les soldats du roi d’Irlande (Rees 1961, p. 125, renvoyant en n. 9 à Silva Gadelica (ed. and tr. S.H.O’Grady, London, 1892, I, p. 359 et II, p. 401) ; Stokes, 1892, p. 36 sqq. et Dillon, 1948, p. 103-114.

 

27 La chanson de geste Le Charroi de Nîmes (v. 1070-1402 ; laisses XLIII-LIV) raconte comment Guillaume d’Orange, déguisé en marchand, parvint à arracher la cité de Nîmes des mains des Sarrasins.

 

28Niese, 1899, p. 262 n. 5.

 

29Benz, 1963, p. 228.

 

30 Les années 240-239 mais dans des circonstances précises inconnues selon Laederich, 1999, p. 177 n. 11.

 

31 Volkmann, 1969 ; aussi Kiechle, 1964.

 

32 Dobesch, 1969.

 

33 Polybe, Histoires, II, 46, 2 ; Plutarque, Cléomène, 4. Pretzler, 1999, p. 115.

 

34 Cartledge et Spawforth, 1989, sont muets à ce sujet.

 

35 II, 46, 2 (trad. P. Pédech adaptée ; la traduction de D. Roussel dans la Collection de la Pléiade, Paris, 1970, 143 ajoute indûment l’adverbe « traîtreusement » qui ne figure pas dans le texte original). Plutarque, dans sa Vie de Cléomène, ne dit rien à ce propos.

 

36 Trad. P. Laederich, 1999, p. 177. Thebani, cum portum Sicyoniorum nulla ui redigere in potestatem suam possent, nauem ingentem armatis compleuerunt, exposita super merce, ut negotiatorum specie fallerent : ab ea deinde parte murorum, quae longissime remota erat, adparere paucos disposuerunt, cum quibus e naue quidam egressi inermes simulata rixa concurrerent. Sicyoniis ad dirimendum id iurgium aduocatis, Thebanae naues et portum uacantem et urbem occupauerunt.

 

37 Ce serait les dates établies par Meloni, 1951, par Griffin, 1982, p. 71, et par Gehrke, 1985, p. 370-372.

 

38 Kiechle, 1964.

 

39 Will, Mossé et Goukowsky, 1975, t. II, p. 155 renvoyant à Xénophon, Helléniques, VII (3, 4 sqq.) et à Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, XV, 70, 3. La description de la tyrannie d’Euphron par Xénophon (Helléniques, VII, 1, 44 – 46 et 3, 8) ressemble très fort à celle décrite aux livres VIII et IX de la République par Platon, puisqu’il y a passage de l’oligarchie à la démocratie, que la démocratie est installée grâce à des appuis extérieurs, qu’Euphron, nouveau άῦή, s’entoure lui aussi de mercenaires de la fidélité desquels il s’assure par des bienfaits, que les deux tyrans prennent de l’argent dans les caisses de l’État et des temples, qu’ils bannissent les oligarques, qu’ils éliminent leurs collègues et concurrents soit en les tuant traîtreusement, soit en les exilant ; qu’ils soumettent tout à leur pouvoir, réduisant en esclavage non seulement les hommes libres, mais aussi leurs concitoyens ; qu’ils punissent de mort, d’exil, de confiscation les gens de bien, et que même chassés de leur cité, ils trouvent des alliés pour les y ramener au pouvoir ; tous deux sont assimilés à des traîtres et des déserteurs. La question se pose si Platon a transposé la tyrannie d’Euphron à celle qu’il décrit dans la République (alors ce dialogue daterait de 365, ce qui paraît fort improbable), ou si Xénophon s’inspire de la peinture platonicienne de la tyrannie pour l’appliquer à Euphron (Lewis, 2004 n'aborde pas cette question). Sur Euphron, voir aussi Whitehead, 1980, et Mandel, 1977.

 

40 Respectivement p. 228 et 177 n. 13.

 

41V, 16, 3 (trad. pers.) ainsi qu’Énée le Tacticien (29, 6). έ ὰ ί ῆ ό ῦ ί έ ὐὸὲ ὰ ῆ ά ῖ ῖ ὲ ύ ώ ὁῶ ἔ ἱὲ ύ έ ὸ ῦ έ ίὲἀέὐῶὀίὶὡἐίἀὸῦί ὸ ἀὰ ἐί ἥ ῾ ὲ έ ἐὶ ὸ ῖ ἐώ ῷ έ ὶ ἦ ἑέ έ ῇ ό ὺ ύῳ ῷ ἱ ὲ ὶ ὸ έ ὸ ὸ ό ὁή ῖ ἐῶ Ἐ ῦ ί ὲ ῦ ύ ἀά ἱ ὁῖ ὸ ύ ὸ έ έ

 

42 Pour Wheeler, 2010, p. 31 notamment, « Although on the conventional interpretation Polyaenus did not use Frontinus but both independently consulted a common sources or sources, Polyaenus cannot have been ignorant of Frontus’ work. Polyaenus, a pleader in Roman courts, knew Latin ; a language barrier is no excuse. Rather, Polyaenus, well aware of Frontinus’ work, chose to do something new… ».

 

43 Beck, 2000 ; Buckler, 1980, p. 134, ainsi que Buckler, 1989.

 

44 C’est la version de Lippold, 1923 ; aussi Laffont et Olshausen, 2001.

 

45 Diodore de Sicile, XV, 78, 4 – 79, 1, et surtout Mackil, 2008 ; aussi Buckler, 1998, et Jehne, 1999.

 

46 Mais, dans l’absolu, ce texte de Polyen ne permet pas de savoir avec précision si Thèbes disposait en 369 ou en 366 d’une flotte armée. Pretzler, 2010, p. 91 souligne les confusions commises par Polyen, et p. 97, ses imprécisions chronologiques.

 

47 Sur Épaminondas dans les Stratagèmes de Frontin, voir I, 11, 6 et 16, ainsi que 12, 5-7 ; II, 2, 12 et 5, 26 ; III, 11, 5 et 12, 3 ; IV, 2, 6 et 3, 6.

 

48 Garlan, 1974, p. 180.

 

49 Hunter et Handford, 1927, p. xxxi n. 3 (cité par Garlan, 1974, p. 179-180 n. 8).

 

50 Cette prise de Sicyone fut donc éphémère, puisque dès 368 Euphron, à ce moment-là « pro-lacédémonien », établit sa tyrannie ; cet échec momentané poussa peut-être les Thébains à se doter d’une marine de guerre (cf. n. 40) et servit d’exemple aux Arcadiens pour s’emparer du port de Sicyone en 366 (cf. n. 36). Polyen consacre 15 paragraphes à Épaminondas dans ses Stratagèmata (II, 3, 1-15), dont le livre II précisément semble avoir pour source Éphore (Meister, 2001), car cet historien de Cumes admire fortement Épaminondas (voir aussi Bianco, 2010, p. 69-84).

 

51 Respectivement Xénophon, Helléniques, III, 1, 8, et Polyen, Stratagèmes, III, 9, 32.

 

52 XXVIII, 6-7 ; trad. A.-M. Bon, C.U.F.

 

53 Démosthène, Contre Aristocrate, 176-177, et Aristote, Pol., V, 1306 b 31.

 

54 Cet événement ne peut être daté.

 

55 Pausanias, I, 40, 5 ; Diogène Laërce, I, 46 et 62 ; Élien, Histoire Variée, VII, 19 ; Démosthène, Discours, XIX, 251 et LX, 50 ; Diodore de Sicile, IX, 1, 1 ; Justin, Histoires Philippiques, II, 8, 1 ; Frontin, II, 9, 9 (cf. IV, 7, 13).

 

56 Plutarque, Solon, 8, 4 – 9, 7 (trad. R. Flacelère, C.U.F.).

 

57 Nous retrouvons ces deux manœuvres dans l’investissement par Alcibiade de la ville de Byzance qui avait fait défection à l’égard d’Athènes. Plutarque dans sa biographie du célèbre Athénien écrit : « Anaxilaos, Lycurgue et quelques autres étant convenus avec (Alcibiade) de lui livrer la ville, à condition qu’elle serait sauve, (Alcibiade) fit courir le bruit qu’il était appelé en Ionie par une révolution qui s’y fomentait, puis il partit de plein jour avec toute sa flotte ; mais il revint pendant la nuit, débarqua lui-même avec les hoplites, s’approcha des murs et se tint tranquille, tandis que les vaisseaux, cinglant vers le port, en forçaient l’entrée au milieu des cris et d’un immense tumulte. Ils effrayaient ainsi les Byzantins par cette attaque inattendue, en même temps qu’ils donnaient aux partisans d’Athènes un moyen sûr d’introduire Alcibiade, par ce que tout le monde s’était porté vers le port et la flotte. Cependant le succès ne fut pas obtenu sans combat, car les Péloponnésiens, les Béotiens et les Mégariens présents à Byzance mirent en fuite les troupes débarquées des vaisseaux et les forcèrent à remonter à bord. Puis, s’étant aperçus que les Athéniens étaient entrés dans la ville, ils se formèrent en ordre de bataille et marchèrent à leur rencontre. Un violent combat s’engagea, où Alcibiade, qui commandait l’aile droite, et Théramène, qui commandait l’aile gauche, remportèrent la victoire (Alcibiade, 31, 3 – 5 ; trad. R. Flacelière et Em. Chambry, C.U.F.). Mais ici il y a trahison d’un Byzantin allié des Lacédémoniens (cf. 31, 7 – 8), échec de la manœuvre maritime, mais succès de l’engagement terrestre.

 

58 Plutarque, Solon, 32, 4. Selon Juhász, 2008, Solon oeuvrait seulement à la reconquête de l’île de Salamine, mais ne s’en serait pas emparé.

 

59 Strabon, Géographie, IX, 1, 10 attribue à Pisistrate la paternité de la conquête de Salamine. Leitao, 1999, p. 248-249, 252, 254-256, 259, 263-264, 267 et 268, penche à juste titre, davantage pour l’aspect mythique qu’historique de ce conflit entre Athènes et Mégare décrit par la première version plutarquéenne.

 

60 IV, 7 -11 ; trad. C.U.F.

 

61 Sur la prise de Nisaia par Pisistrate, voir Hérodote, I, 59. Voir Schaffermeyer, date, à la suite de Toepffer, 1886, 27 sqq.

 

62 L'Homme-Wéry, 1996, p. 171 renvoyant à la n. 3 de la p. 127 et aux pages 184-191. Sur ce conflit athéno-mégarien, voir Wickersham, 1991.

 

63 Meyer, date.

 

64 Hérodote, VI, 83.

 

65 « Halieis », dans PW 7, col. 2246-2247.

 

66 Hérodote, VII, 133-137.

 

67 Voir Andrea Mariggio, 2007.

 

68 Sur la croyance d’Hérodote dans le châtiment divin, voir Harrison, 2002,

 

69 Moralia, 548A – 568A.

 

70 Plutarque, Agésilas, 24, 4-8.

 

71 Nous n’avons pu consulter l’ouvrage de Mc Allister, 1973.

 

72 Apollodorus. The Library, London – New York (Coll. Loeb), 1921, II, 229 – 231.

 

73 Van Deursen, 2000, p. 56.

 

74 Cette dernière date est donnée par l’ouvrage collectif Geschiedenis van Breda. II Aspecten van de stedelijke Historie 1568-1795, Schiedam, 1977, 44-45 renvoyant, à la n. 186, à GAB H 1568 f 145, 145 v ; Roest van Limburg, Kasteel, 95 ; Hallema, De oudste gedrukte bronnen der Bredase turfschiphistorie ; Cerutti, Breda en de Spaanse versterkingen bij Terheyden in 1590, ainsi qu’à l’ouvrage populaire de D. Wijnbeek, Het turfschip van Breda, Assen, 1941. Mais la précision bibliographique fait défaut à cet ouvrage.

 

75 Selon Van Deursen, 2000, Adrien van Bergen, par son approvisionnement fréquent de la garnison espagnole de Breda en tourbe séchée, avait gagné la confiance des soldats, si bien que sa cargaison n’était plus minutieusement examinée.

 

76 Cet événement fut aussi narré par Watson, 1785, 4e éd., livre XXI, vol. III, 157-161.

 

77 Kikkert, 1985, p. 40-41.

 

78 Van Deursen, 2000, p. 56.

 

79 Baldick, 1994, p. 106 signale ce rapprochement de façon très brève et des plus superficielles. Sur d’autres points communs, voir Wikander, 1953, p. 377-393.

 

80 De Vries, 1961, p. 154.

 

81 Miller, 2000, 15 (et n. 36) et 40. Voir aussi l’article de Huart et Massé, 1965, Molé, 1953, ainsi que Davidson, 1985.

 

82 Davidson, 1998, et Davis, 1996.

 

83 Firdousi, Le Livre des Rois (trad. Fr. J.Mohl), Paris, 1865, vol. IV, 361, 433, 465-545. Voir aussi l’Histoire légendaire des rois de Perse, d’après le Livre des Rois de Ferdowsi, traduit du persan par Frouzandéh Brélian-Djahanshahi, Paris, 2001, 344-368.

 

84 Certains traits de ce héros rappelleraient Achille ; en effet, il a un frère du nom de Ferschidwerd qui se bat à sa place et est mortellement blessé au combat (IV, 457-459, 467 et 471-473 Mohl), comme Achille a son ami Patrocle qui combat à sa place contre Hector et meurt dans le combat (Homère, Iliade, XVI, 777-867).

 

85 « KN (= Kārnāmak i Artaxšer i Pāpakān éd. Antia, Bombay, 1900 – en français Le Livre des Gestes d’Artaxšer fils de Pâpak ; trad. all. par Nöldeke, dans Bezzenberges Beiträge zur Kunde der Indogermanische Sprachen, 1878, p. 22-69) raconte [au chapitre VIII] qu’Artaxšêr trouve le moyen d’entrer dans la forteresse (du dragon Kirm – ce mot veut dire ver) en se faisant passer pour marchand », selon Widengren, 1968, p. 346-347, qui ajoute que « le thème du déguisement se trouve chez Firdousi (trad. de Mohl, I, 289 – 294 ; éd. Vullers I, 233-237 ; voir aussi Nöldeke, 1896, 48), dans le cycle de Rustam, mais il a des précédents plus anciens encore, indo-iraniens » (Artaxšêr fait également le cuisinier, un cuisinier fort dangereux, du reste ; cf. le déguisement de Bhîma dans le Mahâbhârata ; voir Dumézil, 1948, p. 59.

 

86 Masse, 1935, p. 25-26. Jones Jr, 1970, p. 246-247, tout en signalant l’histoire d’Isfendyar, ne pense pas qu’il faut la considérer comme le modèle du sac de Troie, car « yet the possibility should at least be considered that at the time the Trojan story was forming there tales in which strongholds were taken by trains of camels or horses or donkeys bearing gifts or attractive merchandise and at the same time a goodly number of hidden men. The camel or horse or donkey would seem to be a more natural carrier than the footmen of the tale of Joppa {voir infra} and a train of animals would be much less likely to arouse suspicion than a long line of human porters. If such stories were common, then we are in a position to gauge more clearly the accomplishment of the unknown poet who first sang of Troy’s capture. He knew that the Trojans worshipped the horse and he had the inventiveness and ingenuity to make the most of this. He realized that for Troy he could substitute a wooden image for living beasts bearing gifts. In such manner, a traditional story may have found unique expression » ; il conclut malgré tout par « All this is hypothetical musing, but the idea is exciting ». 

 

87 Schmidt, 1897. Pausanias, Périégèse, III, 20, 9 ; Phérécyde, FGrH 3 B 129 J ; Bibliothèque d’Apollodore, III, 129-131 ; Hygin, Fables, 81 ; Libanius, Discours,VIII, 226, 18, etc. Une course départagea les prétendants de Pénélope, selon une autre tradition mentionnée par Pausanias (III, 12, 1-5).

 

88 Ulixes Comicus, 367 sq. Voir aussi le cas du Lacédémonien Aristippe étudié supra.

 

89 Comme Ulysse le fait avec le Cyclope Polyphème, et comme le batelier hollandais au service de Maurice de Nassau (cf. supra).

 

90 Histoire légendaire des rois de Perse, 79-81 ; Firdousi, Le Livre des Rois (trad. Fr. J.Mohl), I, p. 365-373.

 

91 Pour des traits « achilléens » de Rostam, Grossardt, 2009, p. 35, 42-43, 45-48, 61 et 89.

 

92 V, 309 – 315 (trad. J. Mohl).

 

93 V, 321-323 (édit. J. Mohl).

 

94 V, 323 – 327 (trad. J. Mohl).

 

95 V, 291 ; Desnier, 1995, p. 38 et 172-174.

 

96 Histoire légendaire des rois de Perse, d’après le Livre des Rois de Ferdowsi (trad. Frouzandéh Brélian- Djahanshahi), Paris, 2001, p. 126-127.

 

97 Histoire légendaire des rois de Perse, 47-48 ; Firdousi, Le Livre des Rois (trad. Fr. J.Mohl), I, p. 195-197.

 

98 Histoire légendaire des rois de Perse, 44.

 

99 Cela provient peut-être du fait que le roi perse se tient en retrait de ses troupes ; cf. Desnier, 1995, 62 – 63.

 

100 Cf. n. 19. Voir aussi la naïveté d’une ville de Babylonie face à Mérops (Sapor Ier ?), cf. Meulder, 2003.

 

101 Histoire légendaire des rois de Perse, 48-82.

 

102 Dumézil, 1968, vol. 1, p. 586-588 citant en n. 2 l’article de Molé, 1952.

 

103 VI, 238-302.

 

104 Pour d’autres présences de la trifonctionnalité dans le ŠāhNāmeh, voir Dumézil, 2000, p. 314-317, où le savant français analyse la fin du livre de Guštasp (IV, 505 Mohl), et précisément le passage où Isfendiar, le fils du roi, rencontre parmi les sept périls que ses ennemis espèrent lui être fatals, une magicienne. Cette dernière et le héros iranien  « font assaut de gentillesse sexuelle, lui l’attirant par ses chants, par ses appels à l’amour, elle se croyant irrésistible sous son apparence de jeune fille. Une coupe de vin, un peu d’ivresse la mettent en condition. (Puis) c’est le duel. Isfandiār prend les devants et, passant la chaîne au cou de la magicienne, il la dépouille de sa force physique au moment où elle se transforme en lion pour l’effrayer ou ma dévorer. (Enfin) Isfandiar prononce la parole de contre-magie fondée sur ce qui a toujours été dans l’Iran la plus haute valeur, la répudiation du mensonge : il donne à la femme artificieuse l’ordre de revenir à la vérité de son essence et de sa forme, comme s’il ne pouvait pas la tuer sous ses déguisements : elle ne peut pas plus résister que Circé à l’ordre du « grand serment » (dans sa rencontre avec Ulysse dans l’Odyssée), et, sous sa forme vraie d’horrible vieille femme, sans défense, attend le coup qui la détruira. L'intention d'engager dans l'aventure les trois fonctions, conclut G. Dumézil, ressort du fait que, dans les deux cas, l’acte de deuxième fonction, violent, n’est pas utile, pouvait être économisé : (…) après avoir fait approcher la magicienne sous couleur de désir amoureux {3e fonction}, Isfandiār pouvait la réduire immédiatement sans merci par l’ordre de vérité {1e fonction}, sans « l’étape » de la chaîne, de l’épée et du lion {2e fonction} ».

 

105 Les trois frères épousent les filles du roi du Yaman ; la femme de Salm, Feridun la nomme Ârézou « désir », celle de Tour, Mahé-Âzâd-Khouy « la lune qui a de l’esprit », et celle d’Iradj Sahi « droite et juste ». Ces noms féminins correspondent-ils, chacun, à la « fonction » indo-européenne que représente chaque époux  et dont le nom serait révélateur ? Salm correspond à Sarm, équivalent du nom ethnique Sairima (Christensen, 1928, p. 23) ; mais ce nom de peuple serait-il l’avestique sairya issu de la racine indo-européenne *sker(d) (cf. Pokorny, 1958, p. 947-948) ? Ou bien le nom de Salm signifierait-il « dont les désirs peuvent s’accomplir dans le monde » ? Molé, 1952, p. 460, dit que l’étymologie de Salm et des sairima avestiques est malheureusement beaucoup moins claire. Ce n’est pas l’avis Pirart, 1998, p. 526-527 n. 14 pour qui Salm provient bien de sairima-, lequel mot devrait être corrigé, en fonction du grec  (Hérodote, Enquête, 19, 121, 136 etc.), en *sauruma-, « forme qui fait penser à *saurumaņt- « archer » (RS 10. 89. 5) ; mais É. Pirart apporte une restriction d’importance quand il juge « peu vraisemblable que la graphie grecque reproduise l’épenthèse avestique ». Quant à Tour, son nom signifierait « fort, courageux »  (cf. Molé, 1952, p. 459 renvoyant à Bartholomae, 1904 et à Vullers, 1962) ;  Iradj est apparenté à Arya « homme », selon Christensen, 1928, p. 22-25. 

 

106 Ramayana, chant V (Tome II, 441- 639 de l’édition Alfr. Roussel (Paris, 1903)).

 

107 Paris, 1975, p. 60.

 

108 Vv. 1070 – 1402 (laisses XLIII-LIV).

 

109 Voir aussi Régnier, 1970.

 

110 Sabatier, 1975, p. 61.

 

111 Gallé, 2005.

 

112 Laisse, XLVI, vv. 1136-1137.

 

113 Laisse XLIX, vv. 1210-1210.

 

114 Altman et Paski, 2006.

 

115 Le Charroi de Nîmes. Chanson de geste du XIIe siècle, édité avec introd., notes et glossaire par Duncan MacMillan, Paris, 1972, p. 11, renvoyant en n. 2 e. a. à Bédier, 1926, p. 164-171.

 

116 Que la prise de Nîmes se fasse aux dépens des Sarrasins indiquerait peut-être la provenance du récit, à savoir les Maures d’Espagne qui ont menacé la France méridionale jusqu’au VIIIe siècle, après leur expulsion par Charles Martel à la bataille de Poitiers en 737.

 

117 Grisward, 1981, p. 51-53 et 211-228, a démontré que Guilaume Fierabrace appartenait à la fonction guerrière.

 

118 Le Charroi de Nîmes. Chanson de geste du XIIe siècle, éd. McMillan, p. 11 et 42-43. Hunt, 1978, propose comme date de rédaction de l’œuvre les années 1136-1137.

 

119 Desnier, 1999.

 

120 La Prise d’Orange ou la parodie courtoise d’une épopée, Paris, 1986, p. 191 sqq.

 

121 Suard, 1980.

 

122 Il existe toutefois des exceptions que nous analysons dans un autre article, à savoir François Grimaldi, l’ancêtre de la dynastie monégasque, qui s’est emparé du fameux rocher, et Louis VI le Gros qui a pris la ville de Gasny.

 

123 Hélénos, le prêtre troyen fait prisonnier par les Grecs, a été contraint de leur livrer le secret de la prise de Troie (Bacchylide, fr. 7 ; Sophocle, Philoctète, 604-616 et 1337-1341 ; Bibliothèque d’Apollodore, III, 151) ; une tradition tardive en fait erronément, pensons-nous, un traître (Servius, commentaire à l’Énéide de Virgile, II, 166 ; Conon, Narrationes, 34 ; Dictys de Crète, IV, 18 et V, 16 ; Triphiodore, 45-50) .

 

124 Voir nos articles : Meulder, 1999, p. 322-323 et n. 14, et Meulder, 1991.

 

125 Corbellari, 2007, plus particulièrement p. 162-164. Voir aussi Corbellari, 2004, p. 156, n. 25.

 

126 Meulder, 2005.

 

127 Cf. n. 19. Signalons que selon Tite-Live (XXV, 3, 12), Hannibal, en séjournant un certain temps dans son camp, feignait d’être malade, afin de surprendre les Romains.

 

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