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  • (Review) H.E. Chenabi et Grace Neville (éd.), Erin and Iran: Cultural Encounters between the Irish and the Iranians

    Erin and Iran.jpgH. E. Chenabi et Grace Neville (éd.), Erin and Iran : Cultural Encounters between the Irish and the Iranians, 2015, Cambridge and London, Harvard University Press, Ilex Foundation Series 16, 208 p.

     

    Ce recueil d'articles est constitué, dans sa grande majorité de communications données lors d'un colloque à l’University College de Cork, en octobre 2011. Celle-ci portait sur les rencontres culturelles entre l'Irlande et l'Iran ; que ce soit au niveau mythologique, littéraire ou dans des récits de voyageurs de l'un de ces pays ayant séjourné dans l'autre.

    Seuls les articles de la partie mythologie et un seul de la section littérature concernent la thématique de notre revue et notre champ d'expertise. C'est pourquoi nous ne ferons la critique que de ceux-ci.

    Le premier article, « The ‛Conqueror Worm’ in Irish and Persian Literature », est de Joseph Falaky Nagy, le grand spécialiste du cycle des Fíanna1. Il décèle ici un motif commun à une histoire encapsulée dans la Poursuite de Diarmaid et Gráinne (Tóruigheacht Dhiarmada agus Ghráinne) – l'équivalent irlandais de l'histoire de Tristan et Iseult –, à un récit du Shāhnāmeh (le Livre des Rois), le grand cycle épique iranien, et – dans une moindre mesure – à la Saga de Ragnarr Loðbrók, un roi danois de l'époque viking, présent aussi dans l'Acallam na Senórach, un compendium de savoir toponymique irlandais, rattaché au cycle des Fíanna. Le « Ver Conquérant », sujet central du motif en question, y est défini comme un ver issu d'un fruit, fortement lié à un jeune homme ou une jeune fille, et qui grossit dans des proportions tellement monstrueuses qu'il menace le pouvoir d'un roi, qui doit alors s'en débarrasser. J. F. Nagy ne tranche pas entre un héritage indo-européen commun et une adaptation locale d'un motif répandu au-delà de cette aire culturelle. C'est une étude honnête d'un motif méconnu qui ouvre une piste de recherche intéressante2.

    La deuxième étude, « Building Bulls and Crafting Cows : Narratives of Bovine Fabrication from Iran, Ireland, and In-between », de John MacDonald, est la plus enthousiasmante du recueil. Il met tout d'abord en relation le motif des bovidés artificiels ou d'objets ayant une forme bovine dans les traditions indo-iraniennes, celtiques et grecques, dans des récits liés au thème de la souveraineté, notamment lorsqu'il y a renversement d'un usurpateur. Il poursuit son étude dans trois appendices qui portent sur deux grandes idées voisines du sujet principal : la relation entre le concept indo-européen du Feu dans l'Eau – force à la fois ignée et aquatique, souveraine et inspirante –, le lait et les bovidés (A) et le lien entre des bovins, des oiseaux et des artisans dans les mythes d'usurpation de la souveraineté indo-européen, en particulier ceux en rapport avec le tricéphale. Les comparaisons que fait cet auteur sont particulièrement riches et inspirantes3.

    Le troisième chapitre, « Parallel Heroic Themes in the Medieval Irish Cattle Raid of Cooley and the Medieval Persian Book of Kings », d'Olga Davidson, porte sur deux récits parallèles à ces deux grands cycles épiques. Les deux histoires dont il est question sont des étiologies des deux œuvres auxquelles elles appartiennent : elles racontent comment celles-ci ont été perdues et ont pu être reconstituées, permettant ainsi une recréation expliquant l'origine du texte présent. L'auteur se penche surtout sur le rapport parallèle entre oralité et écriture en Iran et en Inde, mais elle oublie d'envisager l'état premier de ce type de récit étiologiques d'un point strictement oral originel, comme l'a fait récemment Grigory Bondarenko4.

    Enfin, nous sommes beaucoup plus sceptiques concernant l'étude de Dick Davis, un spécialiste de la littérature persane, intitulée « A Trout in The Milk ». Dans celle-ci, il veut montrer que Vis et Ramin, l'équivalent iranien de Tristan et Iseult, est la source ultime de ce dernier. Après avoir cité les différentes études ayant discutée de la parentée entre ces deux traditions littéraires, notre auteur expose les différents motifs que les deux récits partagent, tout en soulignant trois différences principales qu'il s'évertue à résoudre dans le sens de sa thèse : la différence de liens de parenté entre Tristan et son alter-ego iranien, Ramin ; l'utilisation différente de la magie par la servante qui aide les deux héroïnes ; la fin heureuse du roman persan qui inverse celle du récit occidental. Ensuite, il expose l'absence d'antécédents celtiques à Tristan et Iseult. Puis, il donne des arguments pour une origine onomastique persane du nom d'Iseult – provenant de Vis(eh) via l'arabe *Weisat/*Wiset –, de celui de Tristan – qui est défini comme signifiant « triste » par Gottfried de Strasbourg, tandis que celui de de Ramin vient de ram « contenté, satisfait ». Pour lui, la localisation de la terre natale d'Iseult, Erin/Eire viendrait d'un rapprochement avec Iran. Il considère aussi que le désert séparant les deux principales régions où se déroulent le récit persan aurait été transformé en la mer séparant l'Irlande de la Cornouaille, similairement au poème anglo-saxon Exodus qui se déroule essentiellement en contexte marin, inversement à son modèle biblique, du fait du manque de familiarité des occidentaux avec les déserts.

    Tout cela est très intéressant, mais Dick Davis n'expose que des arguments allant dans le sens de sa théorie. Ainsi, concernant l'historiographie du lien entre les deux romans, il parle du désaccord d'un grand spécialiste de Vis et Ramin, Vladimir Minorsky, tout en ne nous exposant pas les arguments de ce dernier. De plus, lorsqu'il parle de l'absence de racines celtiques de Tristan et Iseult, il ne présente aucun des rapprochements faits dans ce sens5. De plus, il n'évoque pas non plus la possibilité d'origines communes, indo-européennes, de ces deux traditions6.

    Il s'agit donc d'un recueil d'articles qui n'intéressera que très partiellement les mythologues, mais quelques uns sont intéressant pour les comparatistes, en particulier celui de John Mac Donald.

     

    Guillaume Oudaer

    1 Ce cycle regroupe l'ensemble des histoire portant sur le héros irlandais Finn mac Cumaill et ses compagnons, les Fíanna, une société guerrière initiatique irlandaise.

    2 Comme le rappel Nagy (n. 7 p. 6), le motif avait déjà été repéré par Alexander H. Krappe (« Sur un épisode de la Saga de Ragnar Lodbrók », Acta Scandinavica Philologica 15, 1941 : 326-38) dans ces traditions et dans d'autres, mais il ne s'était pas intéressé au rapport qu'entretiennent ces monstres avec la structures thématique des récits où ils apparaissent. On notera également que le ver monstrueux irlandais et le jeune prince irlandais qui lui est lié ont été traité dans une autre perspective par C. Sterckx (« Cian né coiffé » in Mythes et Dieux Celtes, l'Harmattan, Paris, 2010 : 71-78).

    3 Notons au passage qu'il cite le travail de l'un de nos membres, Bernard Sergent. Une autre étude de ce dernier, (Les Trois fonctions indo-européennes en Grèce ancienne, I, De Mycènes au Tragiques, Paris, Economica, 1998) et son compte-rendu critique par Christian Rose (Ollodagos, 12, 1999 : 312-319) devraient être relus à la lumière de ce que J. MacDonald expose ici, en particuliers en ce qui concerne les figures grecques de Dédale, de Minos, du Minotaure et de Talos, ainsi que leurs correspondants indo-iraniens.

    4Grigory Bondarenko, Studies in Irish Mythology, 2014, Berlin, Curach Bhán Publications : 175-181.

    5 Sur les racines celtiques de Tristan et Iseult, on se réfèrera, entre autres, aux études de Joseph Loth (« Un parallèle au roman de Tristan, en irlandais, au Xème siècle », Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 68, 1924 : 122-133), de Philippe Walter (Tristan et Yseult : le porcher et la truie, 2006, Imago, Paris) et de W. J. McCann (« Tristan : The Celtic and Oriental Material Re-examined », in J. T. Grimbert (ed.), Tristan and Isolde : A Casebook, 2013, Routledge, New-York and London).

    6 On citera pour mémoire la thèse de Shahla Nosrat, Origines indo-européennes des deux romans médiévaux : Tristan et Iseut et Wîs et Râmîn, soutenu à Strasbourg en 2012. Les éléments indo-européens relevés par l'auteur entre ces deux récits sont intéressants, mais les développements qu'il en fait nous semblent maladroits et incorrects.