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(Review) Ollodagos XXXVI

Ollodagos-XXXVI.jpgOllodagos, vol. XXXVI, 2021-2022, Bruxelles, Société belge d'Études celtiques.

Le nouveau volume de la revue Ollodagos, riche de 378 pages, est composé de six articles abordant des thématiques variées comme le chaudron de Gundestrup ou la nécropole gallo-romaine du «Clos au Duc» d’Évreux. Jean Loicq propose, pour le premier article, «Maîtres et compagnons des études celtiques» (p. 3-62), une réindexation des principaux contributeurs et instigateurs de la Revue Celtique, continuée par les Études Celtiques à partir de 1936, à l’aune de son 150e anniversaire. Ce travail fut, sans doute, aussi éreintant pour l’auteur qu’il est utile pour la jeune génération de chercheurs, à la recherche des articles de ces «savants qui, quoique disparus, sont demeurés actuels par leurs actions ou leurs travaux». Ainsi, le lecteur découvre, en plus d’éléments biographiques, des titres d’articles encore trop méconnus ou sommeillant sous la poussière des bibliothèques comme «L’année celtique» (RC, 25) de Joseph Loth ou «Druidisme et Christianisme dans l’Irlande du Moyen-Âge» de Joseph Vendryes (CRAI, 1946). Nous ne pouvons que remercier l’auteur pour cette nécessaire entreprise qui facilite l’accès aux travaux de ces chercheurs précurseurs.

L’article le plus imposant du volume, «Le décryptage de l’iconographie du chaudron de Gundestrup» (p. 63-182) est signé par Bernard Robreau, spécialiste reconnu d’hagiographie et de religion celtique. Le travail de l’auteur est conséquent et empli d’érudition, il offre un utile état de la question sur cet artefact unique, le chaudron de Gundestrup. Il tente de lire l’iconographie des plaques extérieures et intérieures de l’objet à l’aune des textes composant le cycle épique relatif au druide Mog Ruith, «le Serviteur à la roue». À l’aide de cette clé de lecture, le mythologue établit des recoupements entre les images produites et certains passages littéraires afférant à ce druide ou affiliés, comme Yvain ou le Chevalier au lion de Chrétien de Troyes. Même si on apprécie la tentative de l’auteur de prendre en considération l’ensemble de l’iconographie du chaudron comme un cycle mythologique ou épique unitaire, ces propositions n’emportent pas toujours l’approbation. Ce travail a le mérite également de nous amener à nous poser des questions. Il aurait mérité une phase préalable de description analytique des plaques permettant de dissocier les unités graphiques des compositions afin de repérer des ensembles, surtout si on cherche à déceler d’éventuelles influences. Certes, l’auteur propose des descriptions dans sa première partie et des photographies dans les figures, mais pour certains éléments, on note des variations notamment pour la description des animaux (ex. p. 69: «trois molosses (peut être en fait des léopards)»; p. 70: «un canidé (ou un gros chat?)»). Décrire, c’est choisir. Ce travail de description formelle aurait permis de noter le sens de rotation de la roue (R2) du bas vers le haut, roue composée de huit moyeux, avec des rayons extrêmement proches les uns des autres, en cela, très dissemblables de ce que l’on peut voir sur les représentations de roues et même sur les rouelles. L’on peut se demander si l’artisan n’a pas cherché à forcer le champ iconographique pour intégrer le nombre huit, nombre de plaques supposé pour l’extérieur du chaudron. Sur la plaque R1, le buste repose sur une ligne terminée par deux motifs giratoires à 6 pétales soit 12 pétales pouvant renvoyer à une symbolique calendaire. Dernier exemple de l’intérêt d’une description formelle, la plaque R5 où la composition imprime un sens de lecture dextrogyre: quatre cavaliers arborant des casques tous différents et un serpent vont vers la droite, et les six fantassins portant boucliers et épées du registre inférieur, plus celui sans bouclier, ainsi que les trois porteurs de carnyx vont vers la gauche. Le personnage dépassant ces deux registres, trempant un fantassin dans un chaudron, semble entrer en confrontation avec le sens imprimé par la composition.

Quant aux trois catégories proposées par l’auteur pour les figures anthropomorphes, à savoir, en buste, de grande taille ou de plus petites tailles, pour distinguer leurs natures divines, épiques ou mythiques, elles paraissent trop rigides, cantonnant les représentations divines à un certain format. En somme, nous aurions des divinités représentées sur l’extérieur du chaudron, et des personnages mythiques ou épiques à l’intérieur. Quid du maître des animaux à l’intérieur? Le personnage cornu assis en tailleur semblable à d’autres représentations identifiées comme Cernunnos, ou la présence de nombreux animaux pouvant être vus comme des métamorphoses divines, questionnent cette catégorisation. Il conviendrait aussi de s’interroger sur la nature anthropomorphe de ces représentations divines : entre un Pausanias qui rapporte les moqueries de Brennos à la vue d’une statue d’Apollon anthropomorphe et les représentations anthropomorphes sur les monnaies gauloises (à l’exception de certaines conceptualisations).

Ainsi, le lecteur peut avoir la sensation que l’auteur cherche, à tout prix, à faire coller sa lecture des textes afférant à Mog Ruith avec l’iconographie de ces plaques, cherchant les éléments confirmant, écartant les éléments infirmant. En cela, la partie V et la lecture saisonnière de l’ensemble, paraît plus aboutie. Nombre d’éléments, déjà mentionnés ici, renvoient à une lecture calendaire de l’objet. D’abord le nombre de plaques, trop vite écarté par l’auteur, alors qu’il pourrait renvoyer à huit célébrations (4 solaires et 4 de début de saison), la présence ou l’absence de végétation, la saison guerrière, l’argent employé pour la réalisation de l’objet (Arhanrhod, «Roue d’Argent», Voie lactée), etc.

On aurait aussi apprécié que l’auteur s’intéresse à l’usage d’un tel chaudron. En effet, l’iconographie d’un objet est à relier à sa fonctionnalité. Aussi, dans un cadre cérémoniel (banquet, ordalie, festivité), l’objet devait contenir un liquide (transparent ou non) rendant en partie les plaques intérieures invisibles, et, a fortiori, le fond – si le chaudron est étanche ce qui n’est pas évident. Cette donnée considérée, la lecture proposée des plaques doit être renouvelée, puisqu’imposant un sens de lecture, le taureau du fond n’étant seulement visible quand le récipient est vide. Un paradoxe pour un chaudron ! Dans ce cadre, les grandes lignes horizontales organisant des registres (R1, 2, 5) pourraient être interprétées comme des niveaux, la symbolique du vin pourrait également trouver écho dans les motifs végétaux représentés, etc.

Même si nous ne sommes pas toujours convaincu par les propositions, le travail de Bernard Robreau a l’avantage de renouveler notre regard et d’ouvrir de nouvelles voies d’études et d’interprétations.

Le troisième article, «Le passé dans le passé: la réappropriation des monuments préhistoriques à l’âge du Fer et à l’époque romaine dans l’ouest de la France», est proposé par Patrick Galliou, professeur émérite à l’université de Bretagne Occidentale. Ce travail démontre la nécessité d’étudier les réutilisations des structures mégalithiques et de l’âge du bronze, à l’âge du Fer et à l’époque romaine, en réexaminant les mobiliers mis au jour. Cette entreprise se heurte à la pauvreté de certains rapports de fouilles du XIXsiècle, et au manque d’intérêt des archéologues pour ces mobiliers postérieurs aux structures, qui peuvent apparaître comme une pollution. Ces difficultés sont écartées par la taille du corpus utilisé et l’usage d’enseignements statistiques permettant à l’auteur de dresser quelques pistes interprétatives. Son approche, l’archéologie du paysage, accorde la possibilité d’évoquer les nouvelles valeurs symboliques données à ces monuments. Ainsi, l’auteur, à l’aide de textes antiques, de l’anthropologie, et des faibles mobiliers, principalement de la céramique, propose de voir pour certains fossés creusés postérieurement dans quelques structures sépulcrales, des libations aux ancêtres, en cela similaires à ce qui est dit au chant XI de l’Odyssée, des réutilisations funéraires afin d’inscrire les défunts dans des lignages symboliques, un culte des ancêtres, ou pour les structures plus imposantes, des espaces sacralisés, à même de recevoir des offrandes liées à la fertilité comme pourraient le montrer les nombreuses statuettes de Vénus. Cette étude pertinente mériterait d’être élargie géographiquement à la Gaule, et chronologiquement, au moins aux premiers temps chrétiens, afin de constater si cette «tradition inventée», cette réappropriation des structures et la sacralité qui peut s’en dégager, nourrie une symbolique chrétienne du paysage. À ce titre, l’exemple de la Dolmengöttin de Langeneichstadt est intéressant, dans la mesure où cette structure du Néolithique moyen, fouillée en 1987, en RDA, a suscité dès la mise en valeur du site, de nouvelles pratiques cultuelles ; les pèlerins de la Pentecôte tournant autour de la statue à l’occasion de cette fête, ce qui explique que l’original de la statue représentant une déesse soit conservé aujourd’hui au musée d’État de Halle.

Le quatrième article, «Tu ne te feras aucune image sculptée. La vénération des idoles en Irlande aux temps préchrétiens» (p. 249-284) est proposé par Evan Astier, docteur en Archéologie de Sorbonne-Université. L’auteur étudie le Cromm Crúaich (Courbe de l’Éminence artificielle) à l’aune des différentes versions écrites de sa destruction par saint Patrick. Ainsi, il est intéressant de constater que ces pierres dressées et parfois sculptées, n’ont pas toutes subi le même sort: les pierres abritant des démons sont détruites par les saints chrétiens, alors que celles dispensatrices de fertilité, sont christianisées. Pour en revenir à l’épisode de la vie de saint Patrick et à son coup de crosse sur Cromm Crúaich, les aspects cosmogonique et cyclique nous semblent évidents. Le saint frappe la pierre sur la face sculptée représentant un visage au nord. Or, cette même pierre est couverte d’or et/ou d’argent alors que douze autres, de plus petites dimensions, et recouvertes de cuivre, constellent tout autour. La symbolique solaire, lunaire et stellaire est évoquée dans l’article mais le fait que le Saint frappe la pierre et la casse au nord pourrait renvoyer à la cassure d’un Axis Mundi, dans la mesure où le nord est lié à la Voie Lactée. D’autre part, le saint semble âgé de 120 ans, ce qui rappelle certaines conceptions antiques des cycles temporels. Ainsi, ne pourrait-on pas voir dans ce bris de pierre, qu’on précise spécifiquement au nord, le bris ou le passage d’un cycle temporel à un autre? On doit également s’interroger sur la valeur spatiale de ces pierres, comme omphalos, tant le temps et l’espace sont liés dans les textes celtiques irlandais. L’auteur montre la pertinence de cette démarche associant les récits de la christianisation de l’Irlande par les premiers saints irlandais, saint Patrick en premier lieu, avec la réalité matérielle aussi tenue soit-elle, en l’occurrence les pierres dressées. Ce travail démontre une réalité moins catégorique et immédiate concernant le passage d’une religion à l’autre.

Patrice Lajoye, dans cet article «Des chevaux et des têtes: une tentative d’interprétation culturelle de la nécropole gallo-romaine du «Clos au Duc» (Évreux, France)» (p. 285-322), s’attelle à une problématique épineuse mais passionnante. La présence récurrente d’ossements de chevaux dans le comblement de certaines tombes a fait l’objet d’études uniquement matérialistes, sans qu’une interprétation religieuse ne soit proposée. Dans ces tombes, la tête fait souvent l’objet d’un traitement particulier (décapitée, mutilée voire brisée), et les corps sont dans des positions anormales, accompagnés d’ossements de chevaux. L’auteur propose, avec raison, de voir dans cette association humain/cheval, le cheval dans sa dimension psychopompe, celui qui accompagne les morts et s’assure de leur bon passage, surtout si la mort fut mauvaise. Cette lecture se trouve renforcée par l’association d’ossements de chiens et de chevaux pour certaines des tombes. Cette étude mériterait d’être complétée, le cas récent de Villedieu-sur-Indre, pourrait apporter des éléments supplémentaires à cette interprétation. Le fait que ces inhumés, à part pour les cas proches des Limes, ne soient pas des militaires, interroge sur leur place dans la société, et a fortiori, leurs morts. Certaines positions anormales ont déjà été mises en évidence, parfois associées à une place sociale singulière comme c’est le cas pour les assis en tailleur ou ceux en position fœtale dans les fosses à grain. Mais l’association d’une position anormale avec le cheval, et dans le cas particulier d’Évreux, de deux crânes de chevaux de part et d’autre d’un crâne humain, pourrait évoquer une purification rituelle, à l’image du pharmakós; les deux crânes pouvant absorber la souillure tout en assurant le passage sur l’autre rive du défunt. Patrice Lajoye propose donc une voie d’interprétation intéressante pour aborder l’inhumation singulière de ces défunts de l’Antiquité romaine accompagnés de chevaux.

Le dernier article, «Amulius déguisé en Mars: une version dissidente de la conception de Romulus et Rémus» est écrit par Alain Meurant de l’université catholique de Louvain. Dans ce travail l’auteur cherche à replacer l’histoire d’Amulius déguisé en Mars afin de violer Rhéa Silvia parmi les autres versions connues, notamment celle faisant intervenir Mars lui-même. En premier lieu, le chercheur montre que cette version d’un géniteur unique pour les jumeaux Romulus et Rémus s’écarte d’une tradition grecque de deux géniteurs pour une progéniture double, constituant un trait distinctif pour la légende des origines romaines. D’autre part, l’évolution du mythe de Mars vers Amulius, comme géniteur des jumeaux romains, mais surtout violeur, marque également l’évolution nécessaire d’un enfantement divin vers les lois de la logique et de la matérialité. Aussi, cette version qui voit Amulius s’approprier l’apparence de Mars, pourrait être vue comme rationaliste, en cela qu’elle associe la conception divine à la faute humaine. L’étude proposée se révèle passionnante et ouvre des horizons pour l’étude du mythe fondateur de Rome.

 

Romain Ravignot

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