Galina Kabakova, D’un Conte l’autre, 2018, Paris, Flies France, 255 p.
Galina Kabakova est sans doute à l’heure actuelle la meilleure spécialiste en activité du folklore des Slaves de l’Est. Depuis de nombreuses années, elle dirige une collection fameuse, «Aux origines du monde», chez Flies France, consacrée aux mythes et légendes cosmogoniques et étiologiques du monde entier, et parallèlement à cette activité, elle a publié de nombreux articles sur les mythes étiologiques d’une part, et sur les contes des Slaves de l’Est d’autre part. Ce sont ces articles qui sont pour partie rassemblés, revus et ordonnés selon un plan remarquablement cohérent, dans le présent ouvrage, qui porte pour le coup un titre que l’on pourra sans doute trouver trop vague mais qui pourra amener vers lui des lecteurs qui autrement ne se seraient peut-être pas intéressés à ce folklore.
Bien que non clairement scindé en parties, le sommaire se divise en deux ensembles : les premiers articles, en gros les deux tiers de l’ouvrage, portent sur les mythes étiologiques, tandis que les derniers traitent des contes russes.
Le premier ensemble s’ouvre donc logiquement par une reprise de la préface des actes d’un colloque organisé en il y a quelques années à la Sorbonne, Contes et légendes étiologiques dans l’espace européen (publiés en 2013 chez Pippa / Flies France), avant d’enchaîner sur dix articles qui traitent chacun d’un type précis de conte étiologique, avec une orientation plus spécifiquement slave pour les trois derniers («Les insectes dans les légendes slaves orientales», «Les conte explicatifs russes» et «Le corps humain dans les étiologies russes»). Chacun de ces articles donne une vue analytique détaillée du motif étudié (par exemple «La création de l’étranger»), mentionnant l’aire de répartition, la fréquence du conte dans telle région donnée, les variations de motifs, sans forcément cependant tirer de conclusions sur les raisons de cette répartition. Ce qui intéresse plus l’auteur n’est pas l’origine du conte, mais l’étude de sa variabilité.
Les cinq derniers articles, consacrés exclusivement au folklore russe, ont des thèmes plus divers. «Baba Yaga dans les louboks» nous montre comment la fameuse sorcière a été traitée dans les gravures populaires, un traitement différent de celui de la littérature orale contemporaine. «Classer les contes russes» offre un bref mais utile survol historiographique du sujet. Les deux articles suivant («Les aventures du conte russe dans la Russie soviétique» et «L’image du pays de cocagne dans le folklore soviétique»), montre le traitement qui était fait au conte en URSS. Le premier montre de quelle manière le conte merveilleux a été considéré au fil du temps, des années 1920 à la chute de l’URSS, tandis que le second s’intéresse à quelque chose de singulier : le folklore soviétique, un fake-lore, reprenant les manières du folklore authentique, mais avec pour héros un Lénine devenu un quasi-demi-dieu. Le dernier article traite enfin d’un sujet très important dans le domaine de la culture soviétique : celui du cinéma. En effet, si la littérature (en dehors de celle destinée aux enfants) se devait d’être réaliste, il existe de très nombreux films adaptant des contes populaires merveilleux. Certes, ces films sont très «prolétarisés», mais la magie est toujours au rendez-vous.
D’un Conte à l’autre constitue au final un recueil très cohérent, synthèse de travaux qui sont toujours en cours, et en même temps porte d’entrée utile vers des domaines qui sont encore bien négligés en France : l’étude des mythes étiologiques d’une part, et de la mythologie et du folklore slave d’autre part.
Patrice Lajoye