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(Review) Wekwos 1 et 2

 

9782877726009.jpgWékwos. Revue d'études indo-européennes, Paris, Actes Sud, 1 (2014, 272 p.) et 2 (2015-2016, 336 p.).

Wékwos est une revue de création récente consacrée aux études indo-européennes, en particulier dans le domaine linguistique. Cependant, certains des articles de ces deux premiers numéros concernent l'étude des mythologies indo-européennes.

Ainsi, dans le premier numéro, la seule étude mythologique, celle de Bernard Sergent (« Un mythe maya et trois contes européens », p. 221-226) ne concerne pas, paradoxalement, les études indo-européennes, puisqu'une telle origine n'est jamais évoquée. Il s'agirait plutôt d'une comparaison mythologique eurasiaméricaine, genre dont B. Sergent a également gratifié nos propres colonnes. En ce qui concerne la comparaison qui forme le sujet de cet article, elle concerne un mythe des Lacandons du Chiapas (sud du Mexique) qui semble être l'emprunt amalgamé de trois motifs de contes européens : il s'agit du AT 327 A-B (« Hansel et Gretel »), du AT 327 C (« Le Petit Poucet ») et le AT 328 (« L'enfant qui vole les trésors de l'ogre »). Cependant, à l'intérieur de ce récit maya, il y a le motif de l'enfermement par ruse d'un être gigantesque dans un contenant de bois, dans le but de s'en débarrasser, auquel est ajoutée une petite ouverture d'où le monstre éborgne un curieux qui veut regarder à l'intérieur. B. Sergent compare ce motif à celui de l'enfermement du héros d'un récit des Eskimos de l'île Kodiak par son méchant oncle. Néanmoins, le détail de l'ouverture ne se retrouve que dans une légende russe où un géant enfermé veut faire passer son souffle dont l'excès est mortel au héros et un conte laze, ayant un équivalent turc, où le héros se retrouve la tête coincée dans cette ouverture. Il en conclut que si l'essentiel du mythe maya est d'origine européenne, le motif de l'enfermement dans un coffre avec une fente est amérindien. Il avance même que certains traits communs aux langues mayas et turques permettent d'envisager l'origine turque du motif en Europe orientale et en Anatolie. Il est en effet tentant d'envisager un pareil cas de figure, mais le motif de l'enfermement par ruse est également présent dans le mythe de la mort d'Osiris raconté par le Grec Plutarque, bien qu'il soit inconnu des sources égyptiennes. Il pourrait donc s'agir là d'un motif commun aux populations du pourtour de la Méditerranée orientale dont certains mythes sont communs avec ceux de certaines populations amérindiennes1.

Le second numéro est beaucoup plus fourni en articles ayant un rapport de près ou de loin avec la mythologie. Ainsi, le premier, de la plume d'Hugo Blanchet, (« Les trois modes de désignation du divin dans les panthéons indo-européens : incarnation, affiliation, possession », p. 17-34) propose une nouvelle grille de lecture de l'organisation des figures divines indo-européennes, qui viendrait compléter l'analyse fonctionnelle dumézilienne. Prenant comme exemple le domaine italique, il classe différents théonymes en trois catégories : celle des divinités personnifiant un concept, celle de ceux qui y sont affiliés et celle des divinités le maîtrisant. Cette nouvelle méthodologie nous semble particulièrement prometteuse et nous attendons de plus amples développements des théories de l'auteur, aussi bien dans le domaine italique, que dans d'autres aires culturelles indo-européennes. En attendant, on y trouvera une interprétation séduisante du théonyme Saturnus, en tant que « gouvernant de la terre possédée ». Par contre, nous sommes moins convaincu de son traitement de Neptunus comme venant d'un croisement d'un *nepōs aquārum et d'un dieu comme Portunus. Cependant, cela n'enlève rien au fait qu'il en découle, selon ce système classificatoire, que Neptunus est le « maître » et non « l'incarnation » de la force ignée et aquatique que s'imaginaient les cultures indo-européenne, le Feu dans l'Eau.

La seconde étude, de Didier Calin, (« Langage poétique du rituel PIE », p. 35-48) démontre que le déroulement et l'expression poétique présents au sein du rituel védique, mais également au sein des traditions indo-européennes centrales et anatoliennes remontent à une tradition poétique religieuse potentiellement proto-indo-européenne.

L'article de Xavier Delamarre (« Notes galates », p. 49-57) s'intéresse à l'onomastique des Celtes d'Asie Mineure. Pour le sujet qui nous intéresse, il propose de voir, entre autres hypothèses, dans le nom du roi Comintorios l'idée d'un aspect sacerdotal de la fonction régalienne celtique, celle d'un « maître des chemins » qui mènent aux dieux. De même, les dieux Mogont-s et la déesse Mogontia seraient des divinités (auquelles on accède par un) « Grand Chemin », ce qui pourrait être une allusion à une cérémonie sacrificielle particulière. Il analyse les anthroponymes formés sur la même racine *onto- « chemin » comme des noms de fonctions sacerdotales devenus idionymes ou cognomens.

Patrice Lajoye (« D'un toponyme de Normandie au nom indo-européen du char du dieu de l'orage », pp. 103-108) part de l'analyse d'un toponyme lié à saint Germain l'Écossais, un saint sauroctone vénéré en Normandie et Picardie, héritier du Jupiter gaulois. Ce nom de lieu, Diélette, où ce saint aurait accosté en venant de Bretagne insulaire sur une roue, viendrait du terme gaulois *dīrēda et signifierait « char à deux roues ». Notre auteur rapproche ce fait de la tendance des dieux de l'orage indo-européens à être monté sur des chars, possédant deux ou quatre roues lorsque cela est spécifié, et dont le nom est issu de la même racine IE.

Valéry Raydon (« Un toponyme Lugdunum redécouvert et deux autres à oublier », p. 217-224) identifie la commune de Montlieu (Charente-Maritime), comme étant un des nombreux Lugdunum présents de l'Irlande à l'Europe centrale et étant sans doute liés au dieu panceltique Lugus. Il remarque au passage que Montlieu, comme d'autres Lugdunum, se trouve sur la frontière entre deux peuples et que cette caractéristique peut être liée à des implications cultuelles fédérales. Par contre, notre auteur démontre que Saint-Lizier (Ariège) et le d(omo) Lugudu[no] d'une épitaphe d'Herrera de Pisuerga (province de Palencia, Espagne) n'appartiennent pas à cette catégorie de toponyme ; le dernier étant même une référence à l'origine lyonnaise du mort commémoré.

Dans son étude, William Sayers (« Faculties Relinquished and Enhanced : Óđinn, Týr and Freyr ? », p. 225-241) reprend le grand dossier dumézilien des mutilations qualifiantes, ces handicaps/défauts compensés par un avantage fonctionnel. Tout d'abord, il ajoute à celui-ci celui des griefs formulés par Loki à l'encontre de l'ensemble de la société divine dans la Lokasenna, même si certaines suggestions nous semblent aventureuses, comme un possible albinisme de Baldr basé sur son surnom d'« Ase Blanc » ou que le défaut qualifiant Thor serait le manche court de son marteau2. Ensuite, concernant les mutilations qualifiantes analysées par Dumézil, Óđinn le borgne et Týr le manchot, il propose de voir dans un Freyr un impotent. À travers une analyse convaincante et la plus complète possible de cette figure divine, W. Sayers montre qu'elle incarne l'idée de réservoir de fertilité en étant pour le moins statique par rapport aux autres divinités, en particulier lors de sa courtise de la géante Gerđr, avec la perte de son épée et de son cheval, symboles phalliques évidents. Au passage, il compare la figure de Freyr à celle de Cernunnos, le dieu cervidé celtique, à travers l'association du premier aux bois d'un cerf utilisés pour remplacer son épée manquante. Tout cela nous évoque les pages consacrées à Freyr par Bernard Sergent dans son livre sur Dionysos et Śiva3.

Ce dernier auteur est justement celui de l'article suivant (« Des contraires indo-européens », p. 243-250). Comme dans le numéro précédent, il s'agit d'une comparaison eurasiaméricaine, mais ici le matériel eurasien est intégralement indo-européen, tandis que le versant américain du dossier sert à poser le postulat de départ : chez les Amérindiens du nord, les Contraires sont des hommes faisant systématiquement l'inverse des membres de leur tribu ; sachant que plusieurs faits culturels et matériels sont communs aux Amérindiens, du nord en particulier, et aux Indo-Européens, ces derniers partageraient-ils avec les premiers cette catégorie socioculturelle atypique ? B. Sergent répond par la positive, en montrant que les Cyniques grecs et les Pāśupata indiens sont les équivalents indo-européens des Contraires.

Enfin, Élodie Tellier (« Le mot dans l'inscription sur feuille de bronze d'Este », p. 251-262) étudie cette inscription vénète. Elle avance, parmi d'autres, l'hypothèse que ce texte serait une inscription religieuse ou rituelle, en particulier calendaire.

En résumé, Wékwos est une revue prometteuse en ce qui concerne le domaine de la mythologie comparée, non seulement pour le domaine indo-européen, mais également pour les autres aires culturelles, comme le montrent les deux comparaisons eurasiaméricaines de B. Sergent.

 

Guillaume Oudaer

1 Sur cela, par exemple, Julien d'Huy, « Le motif de la femme-bison. Essai d'interprétation d'un mythe préhistorique », Mythologie française, 242 : 44-55, 243 : 23-41, 2011.

2 Dans ce dernier cas, il ne faut pas oublier que Thor possède une mutilation physique par la pierre qui est perpétuellement fichée dans son front depuis de son premier duel contre le géant Hrungnir.

3 B. Sergent, Le Dieu Fou. Essai sur les origines de Śiva et Dionysos, Paris, Les Belles Lettres, 2016. Les pages 389-393 concernent Freyr, mais les perspectives de l'article de Sayers peuvent être mises en parallèles avec d'autres données dionyso-śivaïque, comme le motif de l'union hiérogamique mais inféconde.

 

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