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  • (Review) André-Yves Bourgès et Valéry Raydon (dir.) - Hagiographie bretonne et mythologie celtique

     

    Bourges.jpgAndré-Yves Bourges et Valéry Raydon, Hagiographie bretonne et mythologie celtique, 2016, Marseille, Terre de Promesses, 409 p.

    Les essais qui forment ce recueil ont comme sujet le rapport du matériel hagiographique breton avec les traditions mythologiques celtiques. Ce sujet n'est pas neuf, comme le montre l'avant-propos d'André-Yves Bourges (p. 9-35), qui nous le définit clairement tout en nous en exposant l'historiographie et les problématiques.

    La première étude, de Philippe Walter, concerne un épisode de la vie de saint Corentin (« Saint Corentin et l'anguille de la fontaine: autour du conte type ATU 511 », p. 37-67) : celui de l'anguille miraculeuse qu'il pêche dans sa fontaine pour s'en nourrir, celle-ci se régénérant miraculeusement du prélèvement de sa chair. L'auteur connecte cette anguille miraculeuse à la Grande Déesse celtique, dont elle serait une représentation, à Mélusine et à d'autres fées-anguilles, ainsi qu'au thème du poisson de science et à celui du festin d'abondance surnaturelle. Il en déduit finalement que loin d'être un décalque du miracle évangélique de la multiplication des poissons, il s'agit là d'un mythème celtique ayant fusionné harmonieusement dans la tradition chrétienne bretonne, ce en quoi nous le suivrons.

    Valéry Raydon et Claude Sterckx se sont penchés sur le rapport entre « Saint Goëznou et la fourche du Dagda » (p. 69-159). Ainsi, le bâton qui permet le miracle de l'arpentage monastique du premier est comparé à cet attribut du second, grand dieu souverain du paganisme irlandais. Cette comparaison permet aux auteurs d'approfondir la caractérisation de ce dernier, en tant que délimiteur de frontières provinciales et spécialiste des fondations royales. Après avoir vu que ce motif de l'arpentage miraculeux ait été repéré dans d'autres vies de saints, le monastère de Langoueznou est identifié comme en étant le lieu d'origine, entre le Xe et le XIIsiècle. Celui-ci serait issu d'une tradition préchrétienne probablement bretonne. Un autre argument vient consolider cette hypothèse : le fait que saint Goëznou ait été tué par un charpentier, qui jaloux de l'entendre encenser l'œuvre de l'architecte de son monastère, aurait fait tomber son marteau qui aurait pénétré dans le crâne du saint jusqu'au cerveau. Cela est mis en parallèle avec le fait que la fourche du Dagda est également un marteau ou un maillet dont l'un des bouts tue et l'autre ressuscite et que des parallèles bretons, légendaires et rituels, à la propriété de cet attribut existent. De plus, l'attention portée par le saint à l'alimentation et l'hydratation de ses ouvriers est mise en parallèle avec le repas journalier et le salaire en bovins que reçoit le Dagda pour la construction du fort de Bres. Enfin, le fait que saint Goëznou soit mis en relation avec des lieux de confluences fluvio-maritimes est similaire à ce que l'on observe pour le Dagda1. Après cette démonstration, nous ne pouvons qu'abonder dans le sens des auteurs quant au caractère polythéiste hérité de nombreux éléments constitutifs de la figure de saint Goëznou. De notre côté, nous pensons même que l'on peut aller encore plus loin et supposer là la récupération d'éléments issus d'une version locale du récit de la seconde bataille de Mag Tured, le grand mythe théomachique irlandais. Premièrement, alors que saint Goëznou fait la tournée des villages voisins de son futur monastère pour quémander de la nourriture pour ses ouvriers, une femme qui refuse de lui donner un fromage voit tous ceux de son cellier être transformés en pierre. Or, dans le récit de la construction du fort de Bres, mis en rapport par les auteurs avec la quête des subsistances pour les ouvriers, le Dagda se voit privé d'une partie vitale de sa nourriture par un poète, Cridenbél, qui menace de la satiriser s'il n'obtient pas satisfaction. Pour s'en débarrasser, le Dagda met dans un morceau de viande de porc une pièce d'or dont l'absorption tue l'importun. Dans la vie du saint breton, celui-ci se venge d'une femme qui l'empêche de subvenir aux besoins alimentaires de ses ouvriers en transformant sa nourriture en des objets d'origine telluriques, comme la pièce d'or irlandaise, dont l'absorption serait immanquablement fatale. D'autre part, c'est à cause de la jalousie qu’un artisan éprouve pour un autre que saint Gouëznou est tué d'une blessure lui transperçant le crâne. Dans le même récit irlandais précédemment cité, le dieu-médecin Dían Cécht est jaloux de son fils Míach, qui a réussi à replacer le bras de chair du dieu Núadu alors que le premier en était incapable. Dían Cécht le frappe à la tête et c'est seulement au troisième coup, lorsqu'il atteint le cerveau, que son fils meurt. C'est exactement le même motif que dans la mort de saint Gouëznou.

    De son côté, Bernard Rio étudie « Les Sept Saints » (p. 161-214), un groupe de saints considérés comme les fondateurs de la Bretagne chrétienne, recevant un culte commun et un pèlerinage spécifique, le Tro Breiz, le « Tour de Bretagne ». De son analyse des sources hagiographiques, littéraires, toponymiques et folkloriques, il ressort que la tradition des sept saints concernerait à la base sept frères jumeaux ayant subi l'épreuve du passage de l'eau peu après leur naissance, ce qui les sacraliserait. L'auteur avance que la tradition de ces sept frères serait à l'origine liée à celle du dieu panceltique Lugus et de ses frères noyés, avec des perspectives astronomiques et géographiques intéressantes, mais dont il faudrait attendre des recherches plus poussées pour en avoir confirmation.

    De son côté, Patrice Lajoye étudie dans « Raven et Rasiphe : des jumeaux mythologiques ? » (p. 215-228) deux saints jumeaux, prétendument bretons, et leur rapprochement avec des faits mythologiques celtiques. Comme il l'explique, la dernière étude mythologique de ces deux saints, par Daniel Gricourt et Dominique Hollard, identifiait Raven à Lugus et Rasiphe à une figure dionysiaque frère du premier2. Reprenant le dossier hagiographique et les éléments archéologiques et historiques qui s'y rattachent, P. Lajoye met en doute la théorie de D. Gricourt et D. Hollard. Il y voit davantage un assemblage de motifs celtiques, potentiellement issus des différents cultes rendus au sanctuaire gallo-romain de Macé, le lieu de leur passion. Nous souscrivons parfaitement à la méthodologie de l'auteur. Cependant, de cette analyse, il nous semble qu'il s'en dégage un mythe en particulier, celui qu’on peut supposer être attaché à l'équivalent gaulois des dieux Míach et Ormíach : c'est le premier membre de ce couple fraternel de dieux-médecins qui se fait tuer par son père à la suite de la greffe du bras de Núadu, comme nous l'avons vu précédemment. Míach y est le médecin principal, aidé par son frère, comme Raven l'est par Rasiphe. Des différentes articulations et tendons du cadavre de Míach poussent alors des herbes médicinales. La mort de Raven suite à la mutilation de son bras nous semble être une transposition inverse de la guérison du bras par Míach, tandis que les blessures fatales de Rasiphe démembré ou percé de multiples plaies selon les versions pourrait avoir un lien avec les multiples points du corps dont sont issues les herbes qui poussent sur la tombe de Míach. Notons au passage que la résurrection de Raven par Rasiphe et leur alimentation faite d'herbes, auprès d'une fontaine, avant qu'ils ne meurent définitivement nous rappelle que, plus loin dans le même récit de la bataille de Mag Tured, Míach – parfaitement en vie semble-t-il – et Ormíach se trouvent auprès de la source de santé des dieux, dans laquelle ils lancent des herbes en entonnant des incantations.

    Dans « Les Actes des saints de Redon » (p. 229-271), Bernard Robreau étudie les documents hagiographiques relatifs à l'histoire ancienne de cette abbaye bretonne. Parmi les nombreux miracles qui y sont attestés, il y décèle plusieurs exemples de christianisation de motifs celtiques, comme une survivance de l'image rituelle de la roue du Jupiter gaulois3 ou de celle de l'effondrement apocalyptique des cieux celtes. L'examen qu'il fait ensuite des fêtes de l'abbaye lui permet d'avancer l'idée d'un festiaire hérité de l'antiquité gauloise et similaire à celui de l'Irlande, organisé autour de quatre grandes fêtes saisonnières, comprenant deux foires d'origine gauloises, qui se tenaient lors de deux de ces fêtes. Il trouve également dans ces Actes les traces de l'idéologie royale celtique et en conclut que ces écrits témoignent des ambitions du roi Nominoë et de ses successeurs.

    André-Yves Bourges s'intéresse quant à lui aux « Mythes fondateurs de la Cornouaille » (p. 273-291), en questionnant en particulier le fait que cette partie de la Bretagne possède une quaternité originelle (le roi Gradlon, les saints Corentin, Guénolé et Tugdual) censée, selon Claude Sterckx, représenter une version locale des quatre Grands Anciens situés aux quatre coins du monde. Comme le montre A.-Y. Bourges, ce schéma quaternaire reflétant l'organisation politique et religieuse de la fin du IXe et du début du Xsiècle et, pour l'auteur, ne semble pas plus ancien que cette époque et serait le fait d'un auteur dont l'inspiration serait loin d'être exclusivement celtique.

    Chiara Garavaglia nous propose une étude intitulée « Les Miracles des abeilles dans l'hagiographie bretonne » (p. 293-315). Partant de deux exemples bretons, l'auteur analyse les miracles en lien avec ces insectes, en les comparant au matériel littéraire, juridique et hagiographique insulaire. Il en ressort une symbolique en rapport avec la multiplicité, l'abondance alimentaire, mais aussi avec l'agressivité défensive propre aux abeilles. Elles soulève également des problèmes intéressants quant à la place de l'abeille dans la tradition celtique et nous attendons avec impatience l'étude qu'elle projette sur ce sujet.

    De son côté, Goulven Péron s'intéresse aux figures de « Conomor et Méliau » (p. 317-340). Il analyse ces deux chefs bretons comme étant des figures plus légendaires qu'historiques, trouvant dans les textes hagiographiques où ils apparaissent de probables influences extérieures. Ainsi, Méliau aurait comme antécédent Maelgwn, roi de Gwynedd mi-légendaire mi-historique. Quant à Conomor, son nom semble venir, d'après l'hypothèse la plus probable, d'un obscur chef de Cornouaille insulaire sur lequel se serait greffé, sur le continent, diverses traditions.

    Enfin, dans « Buez Louis Eunius dijentil ha pec'her bras ou Vie de Louis Eunius, gentilhomme et grand pêcheur » (p. 341-366), Frédéric Kurzawa nous présente un mystère breton basé sur la légende du Purgatoire de saint Patrick, qu'il analyse tout en le comparant à son modèle et en signalant certaines traditions irlandaises propre à ce lieu.

    Au final, nous avons là un recueil d'essais particulièrement riche et intéressant qui apporte des données remarquables à l'étude des traditions mythologiques présentes au sein de la littérature religieuse bretonne.

     

    Guillaume Oudaer

    1 Sur ce sujet, on consultera le livre précédent de V. Raydon, Le Chaudron du Dagda, Marseille, Terre de Promesse, 2015.

    2 D. Gricourt – D. Hollard, Cernunnos le dioscure sauvage. Recherches sur le type dionysiaque chez les Celtes, l’Harmattan, 2010.

    3 En rapport avec cela, il avance que le nom de Redon, qu'il soit d'origine latine ou celtique, a de grandes chances de venir du terme pour « roue ».