Marcel Meulder, Quelques parallèles entre les mythes grec de Persée et celte de Lugh, 2015, Bruxelles, Société belge d’Études celtiques, coll. « Mémoires de la Société belge d’Études celtiques », n° 37, 98 p.
S’inspirant d’un article de Claude Sterckx consacré au dieu irlandais Lugh et au héros arménien David de Sassoun[1], Marcel Meulder rouvre avec ce nouveau Mémoire de la SBEC le dossier ancien de Lugh et Persée. Cela fait en effet plus de 130 que ce parallèle a été reconnu par Henri d’Arbois de Jubainville, notamment pour ce qui concerne les mythes de conception respectifs des deux personnages[2].
Ce mythe, concernant Lugh, est connu par deux types de sources qui ne racontent pas tout à fait la même chose : des sources médiévales et des contes populaires collectés au XIXe siècle. Ce sont ces derniers qui ont permis la comparaison avec Persée, puisqu’ils offrent un quasi-décalque de la légende de Danaé. La mère de Lugh est enfermée dans une tour sur ordre de son père, Balor. Celui-ci s’en va un jour voler la vache d’un forgeron, lequel, pour se venger, parvient à entrer dans la tour et à coucher avec la fille qui se retrouve enceinte de triplés. Les enfants sont jetés à l’eau par leur grand-père et un seul survit : Lugh, qui plus tard reviendra au château de Balor sans s’y faire reconnaître, et tuera ce dernier.
Lugh est un dieu, Persée est un héros, de même que David de Sassoun auquel l’auteur fait régulièrement référence. Cette différence de statut ne constitue pas là un obstacle à la comparaison : David de Sassoun fait partie du groupe de héros « fils d’un dieu céleste » que j’ai cherché à définir dans un ouvrage récent. Or ce groupe contient aussi Cuchulainn, avatar héroïque du dieu Lugh, et Héraclès, autre fils de Zeus. Et ces fils héroïques partagent bien des points communs avec leur père[3]. C’est un phénomène qui a déjà été largement étudié par Georges Dumézil au sujet des avatars divins, les Pandava, dans le Mahabharata.
Jusqu’ici, les divers travaux comparatistes sur le sujet restaient assez superficiels, négligeant les variantes, nombreuses, offertes tant par le corpus celtique que son homologue grec. C’est l’examen de ces dossiers touffus qui permet à Marcel Meulder de préciser bien des éléments, souvent attendus mais néanmoins remarquables, et même d’ouvrir de nouvelles pistes en étendant la comparaison au reste de la vie de Persée, de l’époque de sa royauté jusqu’à sa mort.
Certes, à partir du meurtre du grand-père, ces vies n’ont plus de cours parallèles. Mais elles offrent une succession de motifs qui se retrouvent de part et d’autre et qui permettent de penser que d’un côté le dieu, de l’autre le héros sont issus d’un mythe commun. Ainsi, Marcel Meulder s’intéresse à un épisode remarquable, et pourtant rarement abordé, de la mythologie argienne : alors que Persée est roi de la cité, Dionysos attaque celle-ci avec une armée de femmes venues de la mer, les Haliai. Haliai est le pluriel d’Halia, nom de la sœur des Telchines, que Bernard Sergent avait rapproché des Fomore irlandais[4]. Ainsi, fort curieusement, Dionysos, à la tête des Haliai, se retrouve temporairement comparable à Balor à la tête des Fomore. C’est que si en Irlande, le personnage démoniaque est unique, en Grèce, il est singulièrement réparti entre Acrisios, l’usurpateur dont le nom, selon Marcel Meulder, pourrait rappeler l’acuité du regard, Dionysos donc, et finalement Céphée, père aveugle d’Andromède qui, selon Jean Malalas, tue le héros avec la tête de la Gorgone.
On notera pour finir une petite imprécision lorsque l’auteur se réfère à un conte albanais traduit en anglais par Hartland d'après Von Hahn, et reprenant la trame globale des mythes de Lugh et de Persée. Ce conte n’a absolument rien de surprenant, puisqu’en fait le motif de la conception relève du conte-type AT 706, « La fille sans main », alors le motif rappelant la délivrance d’Andromède relève du AT 300 ou mieux AT 303, « La bête à sept têtes ». Ce sont des contes très largement répandus. Ainsi l’ogresse albanaise, Lubia, correspond à la balkanique Lamia, terme emprunté au grec mais qui désigne le plus souvent… un dragon, et notamment le dragon de « La bête à sept têtes ». Il n’y a donc pas lieu de penser, comme le fait l’auteur à la note 527 qu’on ait affaire à un embellissement tardif.
Bien que court (98 p., soit un très gros article), ce volume des Mémoires s’avère particulièrement riche, ne négligeant aucune variante, fût-elle tardive ou marginale, et s’il apporte peu sur le cas de Lugh, sa contribution à l’étude de Persée, grâce à la comparaison avec le dieu celte, est significative.
Patrice Lajoye
[1] Claude Sterckx, « Lugus et David de Sassoun », Polifemo, 10, 2010, p. 434-450.
[2] Henri d’Arbois de Jubainville, Le Cycle mythologique irlandais et la mythologie celtique, 1884, Paris, Thorin, chap. IX : « La seconde bataille de Mag-Tured et la mythologie grecque ».
[3] Patrice Lajoye, Fils de l’orage. Un modèle eurasiatique de héros ? Essai de mythologie comparée, 2012, Lulu.com
[4] Bernard Sergent, Le Livre des dieux. Celtes et Grecs II, 2004, Paris, Payot, p. 541-547.