Marco V. García Quintela et François Delpech, El Árbol de Guernica. Memoria indoeuropea de los ritos vascos de soberanía, préface de Martín Almagro-Gorbea, 2013, Madrid, Abada Editores, coll. « Lecturas de Historia », 351 p.
Sous un titre qui n’est pas sans rappeler celui d’un fameux ouvrage de Georges Charachidzé sur la mémoire indo-européenne du Caucase1, Marco V. García Quintela et François Delpech nous proposent l’analyse d’un curieux ensemble de rituels subsistant encore partiellement de nos jours au Pays basque espagnol. Il y est essentiellement question de l’arbre de Guernica, un chêne auprès duquel les seigneurs de Biscaye, puis les rois de Castille venaient prêter serment lors de leur prise de fonction. Cependant, en analysant les sources anciennes (qui ne remontent cependant pas au-delà du XIVe siècle après J.-C.), les auteurs montrent qu’il n’y a pas eu un arbre, mais trois : à Guernica, à Arechabalaga et à Luyaondo. Mieux : les rites de prestation de serment royaux autour de ces arbres ont une teinte trifonctionnelle évidente, alors que les Basques, eux, ne parlent pas une langue indo-européenne. Ici la référence à l'œuvre de Georges Charachidzé se justifie pleinement : les isolats des Pyrénées et du Caucase ne sont isolés que du point de vue linguistique. Culturellement parlant, ils ne divergent guère de leurs voisins.
Les auteurs se lancent alors dans une série de comparaisons, d’abord avec l’Irlande ancienne, dont on sait que le modèle cosmographique repose sur l’existence de cinq arbres, puis avec Rome, où existent bien trois arbres fonctionnels, liés à Romulus comme l’a montré Dominique Briquel2, et enfin avec un cas bien moins connu, celui de l’intronisation des ducs de Carinthie, mais dont le parallélisme avec les rites irlandais était déjà évident3.
Ainsi, Marco García Quintela et François Delpech mêlent intimement une monographie détaillée et un travail comparatiste solidement étayé. Et leur travail est suffisamment ouvert pour offrir nombre de pistes de recherches à venir. Ainsi, seul l’arbre de Guernica a survécu jusqu’à nos jours. Mais ce chêne n’est évidemment pas le chêne primitif : il a même été planté en 2005. Sa généalogie est cependant bien établie, et on sait donc que lorsque l’arbre meurt, il est remplacé par un de ses rejets. Ce phénomène n’est que peu documenté – aussi s’étonne-t-on toujours de voir dans la littérature des arbres millénaires qui sont à peine centenaires4. On pourra aussi enquêter, en se basant sur les avancées de ce livre, sur d’autres légendes, comme par exemple celle des trois hêtres de Strasbourg, attestée à partir de la Renaissance, qui veut que les Triboques aient vénéré trois hêtres, qui furent soi-disant abattus par les Romains lors de la conquête de la Gaule.
Le travail fourni par Marco García Quintela et François Delpech est donc remarquable et on ne peut plus recommandable.
Patrice Lajoye
1Georges Charachidzé, La Mémoire indo-européenne du Caucase, 1987, Paris, Hachette.
2Dominique Briquel, « Trois études sur Romulus. B. Les trois arbres du fondateur », in R. Bloch (éd.), Recherches sur les religions de l’Antiquité classique, 1980, Genève, Droz, p. 301-319.
3Voir la description qu’en fait Leszek Paweł Słupecki, Slavonic Pagan Sanctuaries, 1994, Varsovie, Institute of Archaeology and Technology, Polish Academy of Sciences, p. 167-171, que les auteurs ne mentionnent cependant pas.
4On relèvera le cas parallèle et remarquable de l’arbre de saint Théleau, à Landeleau en Bretagne, documenté par l’important travail de Joël Hascoët, La Troménie de Landeleau ou le Tro ar Relegoù, 2002, Landeleau, Kan an Douar. Le chêne du saint est tombé en 2006, et un autre, plus jeune, lui a succédé.