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  • Claude Sterckx et Guillaume Oudaer - Le feu dans l'eau, son bestiaire et le serpent criocéphale

    Le feu dans l'eau, son bestiaire et le serpent criocéphale

    Claude Sterckx* et Guillaume Oudaer**

     

    * Institut des Hautes Études de Belgique. claudesterckx@hotmail.com

     ** Doctorant à l’EPHE. guillaumeoudaer@aol.com

     

     

    Abstract: The Indo-European mytheme of the Fire in Water has a rich symbolism that is expressed through images like those of gold, ram, fish or snake. Some of these can be combined , as ram-horned snake through the ancient Celtic representations.

    Keywords: Fire in Water, Indo-European comparatism, ram-headed snake, Celtic myths, Greek myths, Indo-Iranian myths, Scandinavian myths.

    Résumé:Le mythème indo-européen du Feu dans l'Eau a une riche symbolique qui s'exprime à travers des images comme celles de l'or, du bélier, du poisson ou du serpent. Certaines de celles-ci peuvent se combiner, comme à travers le serpent criocéphale des représentations celtes antiques.

    Mots clés :Feu dans l'Eau, comparatisme indo-européen, serpent criocéphale, mythes celtes, mythes grecs, mythes indo-iraniens, mythes scandinaves.

     

    Télécharger le fichier en pdf / download in pdf: Sterckx Oudaer.pdf

     

     

    I. Le mythème indo-européen du Feu dans l'Eau.

     

    I.1 Depuis déjà près d’un demi-siècle,Georges Dumézil, puis d’autres comparatistes à sa suite, ont bien identifié un important mythème indo-européen commun, qu’ils ont étiqueté « le Feu dans l’Eau ».

    Le Ŗgveda, le plus vénérable des textes religieux indo-européens, nomme ce feu Apā Napāt « l’Enfant des Eaux » et le présente comme un bel enfançon résidant au milieu des eaux, figurées comme de jeunes nymphes qui le choient1. Les exégètes indiens expliquent le paradoxe par les exemples de l’éclair sortant des nuées d’orage ou de la flamme embrasant le bois que l’eau a nourri. Quant au rituel, il insiste sur le danger qu’il présente et donc sur la nécessité de se rendre propice ce Feu dans l’Eau avant de pénétrer dans une rivière ou dans la mer2.

    C’est très vraisemblablement lui qui gouverne l’ordalie signalée par le Grec Porphyre, selon lequel les brahmanes imposaient à ceux qui étaient soupçonnés de faux serment la traversée d’un « lac de l’épreuve » qui s’enflait pour dénoncer leur parjure mais restait stable ou laissait son niveau s’abaisser en cas de bonne foi3.

    Apā Napāt s’avère en fait « l’Agni virtuel » : un aspect particulier, « fœtal », d’Agni, le dieu du feu ou, plus exactement, du principe igné qu’est la vie cosmique animant l’univers et chacun des éléments qui le composent4. À ce titre, il est aussi identifié au dieu Soma, autrement dit le sperme cosmique contenant le feu de vie et dont le liquide sacrificiel homonyme n’est que « l’eucharistie » terrestre5.

     

    I 2 Les mythes comparables des autres cultures indo-européennes mettent en scène des dieux dont les noms sont analogues à celui de cet Apā Napāt. Toutefois – et l’on n’a sans doute pas suffisamment pris en compte cette différence – ceux-là ne sont pas le Feu dans l’Eau mais les gardiens de celui-ci6.

    L’Iranien Apąm Napā garde le Feu dans l’Eau7 au fond du lac primordial Vourukaša8 : c’est le xvarɘnah, « l’essence solaire », lui aussi identifiable au sperme cosmique qui seul permet à son détenteur de féconder le monde (éventuellement figuré par le seul microcosme iranien)9.

    Là aussi, l’accès à ce Feu dans l’Eau n’est permis que selon les bonnes formes et à qui de droit. Lorsque Frarasyan, un mage touranien – donc un étranger paradigmatiquement mauvais selon les conventions iraniennes – prétend par trois fois s’en emparer, le xvarɘnahlui échappe à chaque fois et provoque à chaque fois des débordements impétueux10.

     

    I.3 Le mythème du Feu dans l’Eau était également connue des anciens Scandinaves pour lesquels sævar niđr « le fils de la mer » constituait une métaphore traditionnelle (kenning) pour désigner le feu11 et tout indique qu’il se retrouve à travers la célèbre légende du lindar logi, le « feu de l’eau » plus connu sous le nom de « l’or du Rhin »12.

    Le héros Sigurd rencontre le nain Regin, fils de Hreiđmar, qui lui conte une mésaventure encourue par Odin, Hœnir et Loki. Ces dieux, partis pour découvrir le monde, arrivent à une cascade au bord de laquelle Loki tue une loutre qui dévore un saumon : en fait, Otr, un frère de Regin. Sans s’en douter, les dieux demandent peu après l’hospitalité à Hreiđmar mais, quand celui-ci découvre le meurtre, il appelle ses deux autres fils, Regin et Fafnir : à trois, ils maîtrisent Odin et ses compagnons et exigent une compensation. Les trois dieux jurent de la payer et Hreiđmar fait écorcher la loutre et exige que sa peau soit entièrement couverte d’or.

    Pour se procurer cet or, Loki retourne à la cascade et y capture le nain Andvari qui y vit depuis très longtemps sous la forme d’un poisson13. Il exige de lui comme rançon le « feu de l’eau » (lindar logi), c’est-à-dire tout l’or qu’il possède et qu’il tient originellement du dieu de la mer Ægir14. Andvari accepte mais supplie que Loki lui laisse un seul petit anneau grâce auquel il pourra reconstituer son trésor. Loki refuse méchamment et emporte tout. Furieux, Andvari maudit l’anneau et l’or et annonce que personne ne pourra jamais en jouir sans le payer de la vie15.

    De fait, Hreiđmar est tué par Fafnir qui se change en dragon pour protéger son trésor. Fafnir est abattu par Sigurd à l’instigation de Regin ; Sigurd est assassiné par Högni qui jette l’or dans le Rhin, fait tuer son maître Gunnar et se laisse enfin lui-même exécuter plutôt que de révéler sa cachette, ceci afin de rompre la malédiction : c’est la célèbre légende des Nibelungen16.

    On retrouve clairement ici le « feu » dans l’eau et son gardien qui assure le châtiment de tout ceux qui essaient de se l’approprier indûment.

     

    I.4 La forme indo-iranienne *ņapāt se reconnaît comme un dérivation normale d’un indo-européen *nepōt-désignant le descendant ou, à un stade secondaire dépendant des structures parentales indo-européennes, le neveu utérin17. Le même sert de base au théonyme latin Neptunus que l’hypothèse la plus vraisemblable analyse comme un dérivé de *nept-, le thème court de *nepot- : *Neptinos « Petit-Neveu » ou *Neptio- apparenté à l’avestique naptya « descendant » – altéré en Neptunus, sans doute par attraction de Portunus, nom d’un vieux dieu romain patronnant les gués, les portes et les passages18.

    Un mythe remarquable est attaché à ce Neptune romain.

    Au cours de la guerre entre Rome et Véies, le lac Albain – un petit lac de cratère proche d’Albe la Longue – se met à gonfler et à déborder au plus fort de la saison sèche, jusqu’à ravager les campagnes environnantes et à lancer une rivière bouillonnante jusqu’à la mer : phénomène d’autant plus merveilleux que le lac est encerclé de toutes parts de rives qui le surplombent d’au moins cent mètres19. Heureusement, la consultation des oracles révèle la cause et le remède du prodige : les rites n’ont pas été respectés et les magistrats n’ont pas reçu une investiture correcte ; il faut reprendre tout le rituel, investir régulièrement les magistrats et dès lors ceux-ci pourront se rendre propice la puissance mystérieuse qui fait bouillir les flots20.

    Neptune n’est pas nommément mis en cause mais son patronage de toutes les eaux le désigne immanquablement et surtout la date de l’éruption du lac correspond à sa fête annuelle, les Neptunalia du 23 juillet21. S’y ajoute que Tite-Live, dans son récit du prodige, utilise l’étonnante expression aquam extinguere « éteindre l’eau », comme si ses sources avaient gardé l’écho du caractère igné de la puissance cachée dans les eaux du lac22.

     

    I.5 En Sicile, le père des dieux, Jupiter, viole la Nymphe Thalie et celle-ci

    enceinte des œuvres du dieu et redoutant la colère de Junon, forma le souhait de voir la terre s’ouvrir sous elle. Elle fut exaucée mais, lorsque vint le temps d’enfanter, ceux qu’elle avait portés dans son ventre, la terre se rouvrit et les deux enfants sortis du ventre de Thalie parurent au jour. On les appela les Paliques parce que c’était la seconde fois (apò toũ pálin hikésthai) qu’ils venaient sur la terre où ils avaient d’abord été plongés et d’où ils avaient fini par sortir23.

     

    Ces jumeaux jaillissent en fait en même temps que deux bouillons à l’odeur de feu soufré qui auront dès lors le pouvoir ordalique de punir de cécité et de mort ceux qui sont souillés sexuellement et les parjures qui oseront s’en approcher indûment :

    Près de là sont deux petits lacs dont on n’a jamais touché le fond, où l’eau sourd constamment en bouillonnant. Les riverains les appellent ces cratères en leur donnant le nom de Delloi et les regardent comme les frères des Paliques. Ils sont l’objet d’une grande vénération.

    Leur puissance divine se révèle dans toute sa force surtout lorsque l’on prête serment devant eux. En effet, dans une enquête sur un vol commis ou tel autre délit analogue, si l’accusé niait et qu’on exigeât de lui le serment, accusé et accusateur venaient vers les cratères après s’être purifiés de toute souillure. Le demandeur recevait d’abord du défenseur une caution pour le paiement de ce qui était réclamé si l’événement justifiait la réclamation. Le défendeur, invoquant la divinité du lieu, la prenait à témoin de son serment. S’il avait dit la vérité, il se retirait sans dommage. Si au contraire sa mauvaise conscience lui avait dicté un faux serment, sans retard le parjure perdait la vie dans le lac...

    Pour sa part, Polémon, dans son ouvrage sur les fleuves merveilleux de la Sicile s’exprime en ces termes : « Les dieux appelés Paliques par les habitants du pays sont regardés comme des dieux autochtones. Ces dieux ont pour frères deux cratères à ras du sol. Il faut, pour s’en approcher, s’être abstenu de toute souillure charnelle et alimentaire. De ces cratères s’exhale une forte odeur de soufre qui donne à ceux qui se tiennent à proximité une terrible lourdeur de tête. L’eau en est bourbeuse et tout à fait semblable par la couleur à une boue blanchâtre. Elle se soulève de temps en temps en bulles arrondies et bouillonnantes comme les mouvements d’une eau qui bout. On dit ces cratères si profonds que des bœufs, y étant tombés, ont disparu comme un attelage qui s’y est renversé ou encore des cavales emballées. Le serment le plus solennel des Siciliens consiste à les invoquer pour se justifier. Ceux qui font prêter le serment lisent à ceux qui doivent le prêter la formule écrite sur une tablette qu’ils ont en mains. Le jureur secoue un rameau ; il a une couronne, est sans ceinture ; il lit le serment en entier. S’il a agi conformément à la lettre de son serment, il rentre chez lui sans dommage. S’il est parjure, il meurt devant les dieux » 24.

     

    Une telle majesté divine s’attache à ce domaine sacré que les plus grands serments sont scellés ici et que le châtiment divin tombe immédiatement sur les parjures : certains hommes en effet quittent ce domaine sacré privés de la vue25.

     

    I.6 Certains auteurs ont voulu retrouver des traits comparables en Grèce dans le nom et dans certains détails du culte de Poséidon : un de leurs arguments est le lien de ce dieu avec les chevaux, attesté par exemple par sa célébration comme Poséidon Hippios « Equin » à Mantinée, qu’ils comparent avec celle de l’Apā Napāt indo-iranien dit aśvehman « cocher rapide » dans le Ŗgveda et aurvataspa « aux chevaux rapides » dans l’Avesta26.

    Une source sacrée d’Éphèse proposait de fait la même ordalie que le « lac de l’épreuve » indien, avec cette particularité qu’elle se spécialisait dans les questions de fidélité féminine, ce qui se retrouvera spécifiquement plus loin dans un parallèle irlandais :

    Chaque fois qu’une femme est accusée d’une « affaire d’amour », elle doit se plonger dans la source. Celle-ci n’a que peu de profondeur et monte jusqu’à mi-jambes. Voici quelle est l’épreuve décisive : la femme écrit la formule du serment sur une tablette qu’elle suspend à son cou par un lien. Si le serment ne contient aucun mensonge, la source demeure telle qu’elle est. S’il y a parjure, l’eau se met à bouillonner, monte jusqu’au cou et recouvre la tablette27.

     

    Remarquablement, Poséidon Hippios possède aussi à Mantinée un sanctuaire centré sur un puits sacré dont l’eau s’enfle, aveugle et tue un roi qui s’en approche indûment :

    On sait qu’Epytos, fils d’Hippothoüs, pénétra dans le sanctuaire mais sans passer par dessus ni par dessous le fil [qui en fermait l’entrée] mais en le sectionnant. Pour cette impiété, il perdit la vue car une vague s’abattit sur ses yeux et il fut pris par la mort inéluctable : selon une antique légende, un flot d’eau envahit le sanctuaire28.

     

    En tant que dieu de toutes les eaux, tant douces que marines, c’est vraisemblablement Poséidon qui gouverne la punition bien méritée qui frappe remarquablement certains bouviers incivils. Ce sont Ovide et Antoninus Libéralis qui rapportent cette anecdote dont l’importance et l’antiquité sont garanties par l’existence d’un Létoon du cinquième siècle avant notre ère à Xanthos, sur les lieux même de l’aventure29.

    Celle-ci raconte que Léto, après avoir accouché douloureusement d’Apollon et d’Artémis à Délos, arrive en Lycie où, assoiffée, elle veut puiser de l’eau à la fontaine Mélité. Elle en demande la permission aux bouviers qui s’y trouvent, les suppliant : « Vous m’accorderiez ainsi la vie qui réside dans cette eau » (uitam dederitis in aquam) mais ceux-là la repoussent méchamment. Des loups surviennent alors qui se montrent plus secourables : ils escortent Léto jusqu’au fleuve Xanthe, de sorte qu’elle peut s’y désaltérer, y baigner ses nouveaux-nés et consacrer ainsi le fleuve à son fils Apollon. Après quoi, elle retourne à la source, maintenant souillée de boue par les vaches ou par les bouviers incivils et elle punit ces derniers en les métamorphosant en grenouilles30.

    On trouve là :

    * la source contenant « le (feu de la) vie dans l’eau ;

    * la destruction de ceux (les bouviers) qui osent s’approcher de la source de manière incorrecte ;

    * une dimension bovine (les vaches) de cette approche incorrecte 

    * rendant la source sinon bouillante, du moins boueuse31 ;

    * la maîtresse (Léto) du dieu jupitérien (Zeus)

    * venant juste d’accoucher de leur fils illégitime (Apollon),

    * tentant d’approcher la source de vie

    * et rejoignant ensuite un fleuve sacré32.

     

    Or ce sont là exactement les détails d’un mythe irlandais attaché à Eithne Bóinn, l’épouse adultère du gardien du Feu dans l’Eau33.

    Une autre coïncidence est aussi celle qui ressort de l’étymologie la plus vraisemblable du nom de Poséidon : il serait « l’Époux de l’Eau Vive »34...

     

    I.7 ... et c’est là très exactement la situation matrimoniale du gardien du Feu dans l’Eau irlandais35 : il est l’époux d’Eithne Bóinn, déesse éponyme de la Boyne qui est le fleuve cosmique de la mythologie irlandaise et duquel dérivent toutes les eaux vives du monde, et, mieux encore, ce dieu s’appelle Neachtan et son nom s’avère exactement parallèle à ceux d’Apā Napāt et de Neptune.

    Il y eut un roi fameux qui régna sur les Tuatha Dé Danann [= les dieux] du nom d’Eochaidh Ollathair [« Père Universel »]. Ils l’appelaient aussi le Daghdha [« le Bon Dieu »] car c’était lui qui accomplissait les miracles pour eux et qui réglait pour eux [la succession] des saisons et des récoltes.

    [Neachtan] Ealcmhar36 du Brugh na Bóinne37 avait une épouse du nom d’Eithne. On l’appelait aussi Bóinn [« Vache Blanche »]38. Le Daghdha fut épris de désir pour elle. Il envoya alors [Neachtan] Ealcmhar faire un long voyage chez Eochaidh Breas mac nEaladhan à Magh Inis. Quand [Neachtan] Ealcmhar se mit en route, le Daghdha plaça sur lui de puissants charmes pour qu’il ne puisse rentrer à temps : il recula la tombée de la nuit et empêcha [Neachtan] Ealcmhar de ressentir la faim ni la soif. Il le fit longtemps errer ainsi : neuf mois qui lui parurent ne durer qu’un seul jour car [Neachtan] Ealcmhar avait annoncé qu’il rentrerait avant le crépuscule.

    Pendant ce temps, le Daghdha copula avec l’épouse de [Neachtan] Ealcmhar et elle lui donna un fils du nom d’Aonghus. Quand [Neachtan] Ealcmhar rentra, son épouse était remise de ses couches et il ne se rendit pas compte qu’elle avait fauté en copulant azvec le Daghdha.

    Cependant, le Daghdha emmena son fils pour qu’il fût élevé dans la maison de [son autre fils] Midhir à Bri Léith de Teathbha. Aonghus y fut éduqué pendant neuf ans... Il avait aussi pour nom le MacÓg [= « le Fils Jeune »] parce que sa mère avait dit : « Jeune est le fils qui a été conçu au matin et qui est né avant le soir »...39

     

    Mais Eithne Bóinn veut totalement effacer sa faute. Son époux Neachtan Ealcmhar possède dans son domaine une source merveilleuse, la Seaghais, et plusieurs textes racontent la suite de l’histoire :

    Neachtan mac Labhraidh Lorc avait, je l’affirme, Bóinn pour épouse. Il possédait dans son domaine une source secrète d’où émanaient toutes sortes de maux mystérieux. Nul ne pouvait en regarder le fond sans que ses yeux n’en éclatassent : qu’on la contournât par la gauche ou par le droite, on ne pouvait échapper à cette mutilation. Nul n’osait s’en approcher sauf Neachtan et ses trois échansons... C’est là que vint un jour Bóinn, exaltée par son noble orgueil : à la source intarissable pour en éprouver la vertu...40

    Bóinn partit de chez elle pour tenter d’accéder à la source. Elle était sûre que sa faute serait cachée si elle réussissait à s’y baigner41.

    Là jaillit la source de la Seaghais... Quiconque y vient avec un mensonge n’en revient pas sans dommage... « J’irai à la belle source de la Seaghais pour que ma chasteté ne puisse être mise en doute. Je ferai trois fois le tour de la source de vie véridique, dans le sens contraire au Soleil »42.

    Inconsidérément, elle fit ainsi trois fois le tour de la source : trois vagues en jaillirent et causèrent sa mort43.

    Trois vagues se brisèrent sur elle et lui prirent une cuisse, une main et un œil. Fuyant sa honte, elle se tourna vers la mer et l’eau la poursuivit jusqu’à [ce qui est depuis] l’embouchure de la Boyne44.

     

    Se retrouvent les éléments mêmes de la mésaventure de Léto à Xanthos :

    * la source donneuse ici de santé sous forme de restauration d’une virginité perdue ;

    * la destruction de celle qui s’en est approchée indûment ;

    * la dimension bovine (l’épiclèse de la déesse) de cette approche45 ;

    * la maîtresse du dieu jupitérien46 (Eochaidh Ollathair)

    * venant juste d’accoucher de leur fils illégitime (Aonghus)

    * tentant d’approcher la source réparatrice

    * rejointe ensuite par un fleuve sacré47.

     

    Pour en revenir à la merveilleuse Seaghais, celle-ci est explicitement la source cosmique d’où émanent et où refluent toutes les eaux vives du monde :

    Quinze noms sont donnés à de fleuve qui sourd du síodh48 de Neachtan et atteint le Paradis d’Adam... : Seaghais est son nom dans le síodh de Neachtan..., Severn en bonne terre saxonne, Tibre dans l’empire romain, Jourdain au loin en Orient et le large Euphrate... ; il est le Tigre au Paradis... et du Paradis il revient ici au séjour de Neachtan49.

     

    Neuf coudriers l’ombragent. Ils laissent choir dans son eau leurs noisettes, pareilles à des têtes de bélier et qui contiennent toute la science du monde de sorte que le saumon primordial qui nage là se nourrit d’elles et s’en imprègne :

    C’est une source autour de laquelle se dressent les neuf coudriers de l’inspiration poétique... Leurs fruits, leurs fleurs et leurs feuilles tombent en même temps dans la source et la colorent royalement de pourpre. Alors le saumon mâche les noisettes et leurs jus donne sa pourpre à son ventre. Et sept fleuves de sciences en émanent et y refluent50.

    C’est le bonheur de la science poétique totale qu’accordent les neuf coudriers de la Seaghais au síodh des dieux : leurs noisettes tombent, grosses comme des têtes de bélier, et elles sont emportées par la Boyne...51

     

    II. Les autres attestations celtes du Feu dans l'Eau.

     

    II.1 Au Pays de Galles, la source cosmique est clairement identifiée à la Severn, remarquablement citée par les Irlandais comme l’une des émanations de leur Seaghais : elle prend sa source au mont Plynlimon, l’axe cosmique de la tradition galloise52, le saumon primordial est réputé hanter son eau, jusque dans un légendaire encore vivant il y a un siècle53, et une très vieille tradition, inspirée par le spectaculaire mascaret de son embouchure, prétend que si l’on s’approche de manière indue, son eau s’enfle, agresse les mal venus en gerbes furieuses et menace même de les engloutir :

    Si l’armée du pays y était et prétendait se tenir de face devant son eau, la vague l’entraînerait de force en la trempant complètement, et elle entraînerait même ses chevaux, mais si l’armée se présente à elle le dos tourné, la vague ne lui causerait aucun dommage54.

     

    Mieux encore, la Severn aurait reçu son nom à la suite de la noyade dans ses eaux d’une princesse ayant commis un adultère avec le roi, exactement comme Eithne Bóinn noyée par la Boyne issue de la Seaghais et à laquelle elle a laissé son nom :

    Humber, roi des Huns, débarqua en Albanie... [Le roi de Logres] Locrinus, informé des événements..., rassembla les jeunes gens de son pays... et contraignit Humber à la fuite... Vainqueur, Locrinus distribua largement à ses compagnons les dépouilles des ennemis, ne conservant rien pour lui excepté l’or et l’argent qu’il avait trouvé dans [leurs] navires55.

    Il garda aussi pour lui trois jeunes filles d’une beauté remarquable. La première d’entre elles était la fille du roi de Germanie : Humber l’avait enlevée avec les deux autres lors d’une invasion dans leur pays. Son nom était Estrildis et sa beauté était telle qu’on trouvait difficilement une jeune fille capable de soutenir la comparaison. La beauté de son teint ne le cédait en éclat ni à la neige fraîchement tombée ni à aucun lys. Brûlant d’amour pour elle, Locrinus voulut partager sa couche et s’unir à elle par le mariage.

    Lorsque [le duc de Cornouailles] Corinée découvrit ce projet, il fut rempli d’une violente indignation car Locrinus s’était engagé à épouser sa fille... Les amis des deux hommes s’interposèrent et ils forcèrent Locrinus à tenir sa promesse. Ce dernier, finalement, épousa la fille de Corinée, Gwendoléna, mais il n’oublia pas son amour pour Estrildis. Il enferma celle-ci dans un souterrain qu’il avait fait construire à Trinovantum56... Il souhaitait l’aimer au moins en secret...

    Il la cacha donc et pendant sept ans il lui rendit visite régulièrement... Entre temps, Estrildis fut enceinte. Elle mit au monde une petite fille d’une beauté remarquable qu’elle appela Habren...

    Quelque temps après, la mort ayant frappé Corinée, Locrinus répudia Gwendoléna et éleva Estrildis à la dignité de reine. Violemment indignée, Gwendoléna se rendit alors en Cornouailles, rassembla les jeunes gens de toute la région et se mit à harceler Locrinus. Des deux côtés, on leva une armée et le combat fut engagé près de la Stour. C’est là que Locrinus, frappé d’une flèche, perdit la vie.

    Débarrassée de lui, Gwendoléna s’empara du gouvernement du royaume... et ordonna qu’Estrildis et sa fille Habren fussent précipitées dans le fleuve aujourd’hui appelé Severn. Elle publia dans toute la Grande-Bretagne un édit pour que ce fleuve reçût le nom de la jeune fille car elle souhaitait perpétuer le nom de celle que son époux avait engendrée. C’est ainsi que, jusqu’à ce jour, le fleuve s’appelle Habren en langue galloise et, par une altération du sens, Severn [en anglais].57

     

    Cette remarquable coïncidence peut avoir des racines très anciennes. Depuis le milieu du quatrième siècle, l’embouchure de la Severn était dominée par le grand complexe cultuel de Lydney (Gloucestershire) : un sanctuaire celto-romain centré autour d’une source curative et oraculaire58 et dont le dieu principal était un Nodont directement comparable au Neachtan Ealcmhar irlandais59. Et il n’est sans doute pas anodin qu’on ait retrouvé dans les fouilles de son temple le relief en bronze d’un pêcheur harponnant un saumon60...

     

    II.2 En Armorique, la source primordiale a été identifiée jusqu’au siècle dernier à la source du Blavet ou plutôt avec une source située, comme l’est régulièrement l’Autre Monde des Celtes, sous l’océan ou en dessous de la Terre même : l’Œil de la Mer, dont le Blavet n’aurait été qu’un écoulement61.

    Le thème de la source dont le feu brûle qui s’en approche indûment apparaît aussi en deux passages de la légende hagiographique attachée à saint Maudez : celle-ci brûle d’abord les mains d’un écuyer des barons révoltés jusqu’à ce qu’il rapporte l’eau qu’il a puisée, puis, quand des pillards envoient un autre écuyer puiser de l’eau, du feu jaillit de la fontaine et consume celui-ci avec son cheval62.

    Sans doute aussi est-ce le souvenir d’une source merveilleuse, hantée par un poisson primordial, susceptible de s’enfler catastrophiquement au pied d’un arbre dont les fruits tombent que l’on retrouve dans la légende de Saint-Potan (Côtes-d’Armor) : là la source coule au pied d’un chêne, sert de demeure à une anguille-fée et elle déborderait catastrophiquement si l’on se malavisait de déraciner le chêne63.

     

    II.3 Dans le domaine francophone de la vieille Gaule ayant perdu sa langue celtique de nombreuses sources aux propriétés analogues ont été signalées64 . Certaines légendes se signalent même par le double pouvoir, bénéfique pour qui s’approche dignement, dommageable quand on s’en approche indignement : l’un des plus beaux exemples en est celui de la fameuse Fontaine Ardente du Dauphiné65.

    Par ailleurs, diverses superstitions rejoignent encore à leur façon le souci d’Eithne Bóinn d’avoir accès à la source merveilleuse pour retrouver sa virginité perdue : entre cent exemples, à Saint-Sauvier (Allier) la source de saint Pardoux était réputée pour rendre aux femmes, sinon explicitement leur virginité, du moins leur prime jeunesse...66

    Les meilleurs exemples s’en sont sans doute préservés à travers le corpus des légendes sur les Nûtons et les Lûtons67, dont les formes les plus remarquables se reconnaissent au sein d’une série de lais médiévaux : Huon de Bordeaux, Clarios et Laris, Cristal et Clarie surtout, et le lai de Noton, malheureusement perdu, en offrait sans doute une version détaillée68. Remarquablement, certains sont identifiés aux feux follets qui dansent sur certaines pièces d’eau, tel Zéphir dans le lai de Perceforest69 et tous sont des êtres dangereux qui résident dans des eaux qu’ils peuvent rendre bouillantes et qui attaquent et détruisent ceux qui s’en approchent.

    Ainsi dans Cristal et Clarie, un démon à deux têtes réside dans un arbre près d’une source bouillonnante dans laquelle se trouve un Luiton qui saisit et noie tous ceux qui prétendent y boire. Seul le héros Cristal réussit à trancher la main du Luiton qui en hurle si fort de douleur que son cri résonne jusqu’à sept lieues de là. Le démon se montre alors et demande à Cristal :

    Pourquoi as-tu coupé la main de mon compagnon le Luiton ? Je l’avais mis dans l’eau bouillonnante et j’avais placé ma source sous sa garde afin que nul autre que moi ne bût de son eau70.

     

    Huon de Bordeaux, avec l’aide de Malabron, un Luiton qui nage plus vite qu’un saumon, atteint une source dont l’eau provient du fleuve cosmique Eden et dont l’eau a la propriété d’une part que toute femme qui en boit, si usée par le plaisir soit-elle, redevient vierge comme au jour de sa naissance, d’autre part que tout méchant ou parjure qui y trempe ne serait-ce qu’un doigt le paie aussitôt de la vie71.

    Claris et Laris affrontent un Noiton et lui tranchent le poing au cours d’un combat72.

    Or le dieu celte au poing coupé est bien connu. Il s’appelle Nodont à Lydney, Nuz en Armorique73, Lludd Llawarian « Main d’Argent » en Galles, Nuadha en Irlande avec la même épiclèse Airgeadlám « Main d’Argent » ou aussi Neacht, variante évidente de Neachtan. Plusieurs textes définissent d’ailleurs le flot de la Seaghais qui détruit Eithne Bóinn en lui arrachant un bras, une jambe et un œil comme « le bras et la jambe de l’épouse de Nuadha »74.

    Une autre légende est attachée à Lancelot du Lac, le célèbre chevalier associé à Arthur, lorsque, au hasard de ses errances, il retrouve par hasard le cadavre de son grand-père Lancelot l’Aîné. S’y retrouvent clairement un grand nombre d’éléments récurrents de la tradition celte du Feu dans l’Eau : à l’issue d’un adultère royal, la manifestation du pouvoir merveilleux d’une source sous les arbres75 ; ce pouvoir, issu d’une tête coupée dont l’ablation criminelle a eu pour effet de s’attaquer à la vue des coupables (en plongeant leur château dans l’obscurité), restaure la vitalité de ceux qui y ont recours sans avoir commis de faute sexuelle mais par contre ébouillante et brûle les mains des indignes qui s’y frottent76.

     

    II.4 En Irlande, le fils d’Eithne Bóinn et d’Eochaidh Ollathair est Aonghus, régulièrement surnommé an Mac Óg « le Fils Jeune » or ce surnom correspond étroitement au théonyme gaulois Maponos « Le Fils Divin » et à la survivance de ce dernier dans la mythologie galloise sous la forme Mabon77.

    Ce Mabon, dont toute l’histoire correspond bien à celle d’Aonghus78, est donné pour le fils de Modron et de Mellt or Modron est l’évolution d’un gaulois Matrona « la Mère Divine » attesté à la fois comme théonyme et comme hydronyme désignant divers cours d’eau, telle la Marne79 - exactement comme Eithne Bóinn est à la fois déesse-mère d’Aonghus et le fleuve Boyne - et Mellt est « l’Eclair » de sorte que Mabon ab Mellt « le Fils Divin fils de l’Eclair » se trouve doté d’une filiation « jupitérienne » très nette80 : tout comme Aonghus est le fils d’Eochaidh Ollathair, le dieu jupitérien irlandais, et tout comme on peut supposer l’Apollon gaulois fils d’un Jupiter gaulois.

    On n’est donc pas étonné que Maponos soit une épiclèse bien attestée de l’Apollon gaulois. Quatre dédicaces l’invoquent explicitement comme tel, dont une à Ribchester (Lancashire)

    Au saint dieu Apollon Maponos pour le salut de l’empereur et du détachement de cavalerie sarmate Brémétennaque Gordien, Ælius Antoninus, centurion de la VIe légion Victrix, chef du détachement et de la région81

     

    et trois autres à Corbridge (Northumberland) :

    À Apollon Maponos, Quintus Térentius Sæna, fils de Quintus, de la tribu Oufentina, préfet des camps de la VIe légion Victrix Pia Fidélis, a donné et dédié (ceci) 82 ;

    Au dieu Apollon Maponos, Publius Ac..., centurion de la VIe légion Victrix, s’est acquitté de son vœu de bon cœur et à bon droit83 ;

    À Apollon Maponos, Calpurnius..., tribun a dédié (ceci) 84.

     

    D’autres documents confirment encore son importance en le célébrant sans mentionner son assimilation à Apollon : un graffite et deux dédicaces en Grande-Bretagne, divers toponymes, un anthroponyme théophore et surtout la célèbre défixion gauloise de Chamalières (Puy-de-Dôme)85.

    Remarquablement, Apollon Maponos apparaît au moins une fois associé à une source remarquable : le cartulaire de l’abbaye de Savigny (Rhône) en garde le souvenir à travers l’expression de Mabono fonte86.

    Une autre épiclèse de l’Apollon gaulois est plus fréquente : il apparaît attesté par plus de vingt inscriptions aux quatre coins du monde celto-romain et le désignant sous des orthographes diverses mais qui se reconnaissent pour des variantes locales ou dialectales largement synonymes : Borbanos, Bormanicos, Bormanos, Bormon, Borvon87. Toutes semblent comporter une finale nasalisée, sans doute en rapport avec l’obscur suffixe théonymique –on(n)os88 et cela conduit à croire que certains toponymes attestés à haute époque se réfèrent bien au dieu ou à sa forme féminine parèdre89 : les Aquae Bormonis « Eaux de Bormon » de la Table de Peutinger qui désignaient sans doute l’actuel Bourbon-Lancy (Saône-et-Loire)90 ; le lucus Bormani « Sanctuaire de Bormanos » de l’Itinéraire d’Antonin91, qui se trouvait quelque part en Ligurie, peut-être en rapport avec la Bormida, sous-affluent du Pô par l’intermédiaire du Tanaro92 ; sans doute aussi, par l’intermédiaire d’un anthroponyme théophore *Boruonius93, Boruoniacum, l’actuel Bürvenich (Rhénanie-Westphalie) et son quasi homonyme Bormenacum/Boruenacum qui est aujourd’hui Wormerich (Rhénanie-Palatinat)94 ; sans doute encore le Bormanon de Dacie cité par Ptolémée et qui est aujourd’hui Borszod en Hongrie95. Au féminin, Bormona, qui est l’ancien nom de Bourbonne-les Bains (Haute-Marne) est attesté sur des monnaies mérovingiennes96.

    Sans attestations d’aussi haute époque, les actuels Barbonechat (Creuse), Bormén (Galice), Boulbon (Bouches-du-Rhône), Bourban (Ain), Bourbon-l’Archambault (Allier), Bourbonne (Aube), Bourbonne (Saône-et-Loire), etc. renvoient sans doute également au dieu gaulois et à sa parèdre97.

    L’étymologie des théonymes qu’ils attestent reste difficile et a fait couler beaucoup d’encre98. Deux racines ont été invoquées : la première s’appuie sur les parallèles du grec thermós, du latin formus, de l’allemand warm, etc. « chaud » et du gallois gori « couver » pour postuler un sens « chaud » ; la seconde s’appuie sur les parallèles du latin feruere « bouillir, bouillonner », fermentum ‘ferment, fermentation », de l’irlandais bearbhaim, du gallois berwi, du breton birviñ « bouillir » pour postuler un sens « bouillir, bouillonner ». Plusieurs difficultés n’en subsistent pas moins, parmi lesquelles l’absence jusqu’à présent de toute forme gauloise en ber- et le fait que les survivances romanes ne connotent que la boue, la « bourbe » ou d’autres matières aussi troubles : purin (alpestre bourme) ou pus (lyonnais borme)... au point que certains ont voulu traduire le nom de Borvon et ses analogues par « le dieu de la boue salutaire » ! L’hypothèse la plus vraisemblable est en fait que les noms Borvon uel sim. connotent le double sens de « bouillant » et de « bouillonnant ».

    Les verbes celtiques bearbhaim, berwi, birviñ... portent la même ambiguïté que le français « bouillir », l’anglais to boil, etc. : ils peuvent désigner l’action du bouilleur ou le résultat de son action, c’est-à-dire l’ébullition. Ce sens résultatif se retrouve utilisé, par exemple, pour désigner une cataracte ou une rivières bouillonnantes : Berw Taf, Berw Rhondda... en Galles, la Bearbha ou Barrow en Irlande99. C’est ce même sens résultatif qui explique l’usage de la même racine pour désigner la boue et autres liquides troubles : la turbidité de ces « bouillasses » est manifestement tenue pour le résultat d’un bouillon ou d’un bouillonnement dont l’énergie a remué les fonds100.

    Dans son sanctuaire d'Entrains (Nièvre), Borvo est associé à Candidus, le « Blanc », et à Aignay-le-Duc, le nom de Borvo est remplacé par Albius, le « Blanc », là aussi, mais en gaulois. Ces deux noms semblent être des surnoms d'un autre Apollon gaulois, Vindonnus, le « Divin Blanc », attesté au sanctuaire des eaux d'Essarois (Côte-d'Or)101. Cette association avec la blancheur est sans doute en lien avec le caractère aveuglant du Feu dans l'Eau gaulois.

    Un autre nom de la parèdre de Borvo est Damona, la « Divine Vache », ce qui en fait, du fait de son association au « bouillant » Borvo, une équivalente gauloise d’Eithne Bóinn102.

    L’Apollon gaulois maître des sources de santé est célébré sous de nombreuses épiclèses différentes dans le monde celto-romain103. L’une des plus importantes est celle de Grannos « le Solaire »104, attesté par un nombre important de dédicaces à travers tout le monde celte et même au delà105. Parmi les sanctuaires à sa dévotion que celle-ci attestent, celui d’Aix-la-Chapelle (Rhénanie-Westphalie) lui était même nommément dédié puisque son nom antique était Aquae Granni « les Eaux de Grannos »106 et que son souvenir s’y est peut-être longtemps conservé dans le nom de Grannusturm de l’une des tours de son ancienne enceinte107.

    L’un de ses sanctuaires surtout, celui de Grand (Vosges)108, a joui d’une renommée presque universelle et a gardé jusqu’à aujourd’hui le nom du dieu : alors pourtant qu’il s’appelait sans doute Andésina dans l’Antiquité, le toponyme est attesté dès le haut Moyen Âge par des légendes monétaires109.

    En 213, l’empereur Caracalla essaya – en vain – d’obtenir la guérison de son corps et de son âme en allant personnellement prier trois dieux qu’il tenait pour les plus puissamment aptes à la lui procurer : Asclépios à Pergame, Sérapis à Alexandrie et Apollon Grannos à Grand110. Certes on a longtemps douté que le temple de Grannos qu’il a visité se trouvât à Grand mais la découverte d’une dédicace faite par cet empereur lui-même sur le site a levé tous les doutes111. Il apparaît même que Caracalla effectua à Grand un séjour notable puisque la ville d’Éphèse lui envoya là expressément une ambassade112.

    En 309 c’est le futur empereur Constantin Ier qui s’y rendit en personne, sans doute afin de s’y soumettre à une incubation113. Le dieu ne le déçut pas, au contraire de Caracalla : Apollon Grannos lui apparut en songe, accompagné de la Victoire, et il le fit se reconnaître comme celui auquel était promis l’empire du monde114.

    Le panégyriste qui en rend compte n’hésite pas, dans son discours au prince, à qualifier Grand de « plus beau sanctuaire du monde » et il mentionne plus loin un détail capital :

    Les eaux bouillantes de notre Apollon punissent les parjures115.

     

    C’est en effet là le parallèle le plus exact qui se puisse trouver au mythème du Feu dans l’Eau : une source merveilleuse pouvant guérir et régénérer ceux qui s’en approchent correctement mais détruisant ceux qui l’abordent indignement en lançant contre eux un flot bouillant et, comme par exemple la Seaghais, cette source est bien affectée à un dieu jeune, fils adultérin d’un dieu jupitérien et maître de la connaissance du passé, du présent et de l’avenir : Grannos est assimilé à Apollon, fils adultérin de Jupiter ; Apollon est par définition le dieu des oracles, Grannos prophétise à Grand pour Constantin Ier et la réputation oraculaire de Grand est confirmée par la découverte de tablettes zodiacales à usages horoscopique116 ; Grannos peut guérir les maux de l’âme et du corps puisque c’est sa réputation pour cela qui a attiré Caracalla.

    Grannos est encore réputé médecin au cinquième siècle, lorsque le rhéteur chrétien Marius Victor dénonce l’inexistence d’Apollon et s’en moque en signalant que, chassé désormais de Grèce, il n’est plus qu’un médicastre gaulois réduit à duper les Barbares locaux117.

    Il n’a d’ailleurs pas disparu dans la mémoire de l’Ancienne Gaule. Les eaux de Grand, christianisées et mises sous le patronage d’une sainte Libaire, ont gardé leur réputation guérisseuse jusqu’en des temps tout récents118 et l’on a aussi noté une curieuse survivance de son pouvoir d’assurer la vitalité, dans le folklore auvergnat jusqu’au siècle dernier  : au premier dimanche de Carême, on allumait des feux de joie et on y enflammait des torches de paille que l’on promenait alors dans les vergers, en ayant soir de faire passer le feu sur toutes les branches, et dans les champs pour les fertiliser de leurs cendres, non sans en garder quelques pincées pour les nids des poules pondeuses. Ces torchères, censées garantir ainsi l’abondance des fruits, des blés et des œufs, sont appelées grannas mias et toute l’affaire est accompagnée d’un refrain :

    Granno mo mio !

    Granno mo pouère !

    Granno mo mouère !119

     

    III. Poisson, bélier et serpent criocéphale : les incarnations animales du Feu dans l'Eau.

     

    III.1 Dans les traditions celtes, les deux identifications majeures de la source cosmique recelant mythiquement le Feu dans l’Eau sont donc en Galles le Llyn Lliwan et en Irlande la Seaghais120.

    Les noisettes de la Seaghais (cná Seaghsa) sont tenues dans la tradition irlandaise pour imbues de toute la science divine et leur ingestion, ou celle du saumon qui s’en est nourri, est censée apporter l’inspiration authentique aux poètes et aux sages. Un poème, par exemple, l’expose clairement :

    C’est la noisette de ces coudriers dispensateurs de la connaissance que le sage a trouvée (et) les arbres ployaient sous(le poids de) ces noisettes lorsqu’il les a écalées121.

     

    La pêche du saumon est évoquée par deux légendes analogues, attachées aux deux plus célèbres héros de la mythologie.

    La première raconte comme Cúchulainn le harponne dans la Boyne et, juste après cela, capture le nain Seanbheag Ó hÉbhrice « Petit Vieux fils de Saumon Tacheté » qui poursuit dans une minuscule nacelle en bronze le saumon et les noisettes. Il lui extorque une tunique, colorée à souhait, qui garantit contre la vieillesse et contre le feu et l’eau, puis un bouclier et un javelot qui assurent la victoire au combat mais, après cela, Seanbheag pince les cordes de sa rote, endort le héros par leur son et s’enfuit avec le saumon122. Une autre version remplace Seanbheag par le gardien de la Seaghais, Neachtan Ealcmhar, et cette fois Cúchulainn a plus de chance puisqu’il conserve sa prise après avoir blessé son adversaire123 : cette version-là s’avère moins convaincante car Cúchulainn est un parangon guerrier124 et il n’apparaît jamais comme un poète inspiré ni comme un maître de connaissance et l’on ne peut pas croire dès lors qu’il a pu acquérir la science que recèlent le saumon et les noisettes.

    L’autre est attachée à Fionn mac Cumhaill et celui-là, si l’on ne compte plus ses exploits guerriers, est canoniquement un omniscient inspiré pour avoir ingéré la science du saumon nourri des merveilleuses noisettes :

    Deimhne partit pour apprendre la poésie auprès de Finnéigeas qui vivait sur les rives de la Boyne. Finnéigeas y vivait depuis sept ans en guettant le saumon du Linn Féich parce qu’il lui avait été prédit que rien ne resterait inconnu à celui qui le mangerait. Le saumon fut pris et Deimhne fut chargé de le cuire, avec défense par le poète d’en manger une seule miette. Après l’avoir fait cuire, le garçon apporta le saumon. « N’en as-tu rien mangé, mon gars ? » questionna le poète. Il répondit : « Non mais j’y ai brûlé mon pouce que j’ai ensuite mis dans ma bouche ». « Quel est ton nom, petit ? » demanda l’autre. « Deimhne » dit-il. « Mon garçon, ton nom sera désormais Fionn car c’est à toi qu’il a été imparti de manger le saumon et en vérité tu es le Fionn ». Le garçonnet mangea alors le saumon et c’est cela qui a donné la connaissance à Fionn : c’est-à-dire que chaque fois qu’il met son pouce en bouche et chante l’(incantation) teinm laodha, tout ce qu’il ignore lui est révélé125.

     

    Le choix du coudrier et des noisettes dans le mythe de la source cosmique irlandaise n’est sans doute pas anecdotique. Il a en effet été remarqué que très souvent de nombreuses noisettes ont été trouvées lors des fouilles des sanctuaires de sources du monde celto-romain126 et que ce type d’offrande apparaîtrait même plus régulièrement si les fouilleurs n’y voyaient pas le plus souvent un élément dénué d’importance et de signification.

    Il a été vu plus haut que les noisettes de la Seaghais sont comparées à des têtes de béliers127. Les eaux du Llyn Lliwan gallois sont elles aussi réputées agitées par les têtes de deux béliers qui s'affrontent :

    Une autre merveille (de la Grande-Bretagne) est celle des Dau Ri Hafren ou Deux Rois de la Severn. Chaque fois que le flux marin envahit l’estuaire de la Severn, deux hautes vagues s’y forment distinctement et s’affrontent comme deux béliers combatifs. Chacune se lance contre l’autre et elles se cognent à tour de rôle jusqu’à ce que l’une des deux cède. Il en est ainsi à chaque marée et cela depuis le commencement du monde jusqu’à ce jour128.

     

    L’association du bélier à l’eau est par ailleurs bien attestée dans le monde celte129. Elle se trouve non seulement dans les deux faits évoqués,mais aussi dans plusieurs traditions qui identifient la mythique neuvième vague à un bélier dont les autres vagues seraient les brebis130.

    On peut aussi se demander si les trois brebis pourpres qui surgissent de la source dans laquelle est baptisé saint Brendan131 ne seraient pas les vagues causées par son ondoiement « au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit » sur l’eau de la source cosmique réputée farcie des noisettes de science enpourprantes et grosses comme des têtes de bélier...

    De même, l'association de la source cosmique, du bélier et du saumon en Irlande trouve un écho dans la l'histoire de la conception et de la naissance du haut-roi d'Irlande Aodh Sláine132. Sa mère, Mughain, l'une des deux épouses du roi Diarmaid mac Cearrbheoil, ne pouvait pas avoir d'enfants. Celle-ci demanda l'aide de deux saints : Aodh mac Breac etFinnian de Moville. Ceux-ci bénirent de l'eau et la donnèrent à la reine qui l'absorba. Elle accoucha peu après d'un agneau. Elle bu une deuxième fois de l'eau et, là, elle accoucha d'un saumon argenté. Enfin, elle accoucha d'un fils qu'elle nomma Aodh Sláine133. On notera que les associations christiques, plus ou moins explicites dans les sources, de l'agneau et du poisson ne sont en fait que la récupération d'un motif pré-chrétien. L'association de ces deux animaux et du Feu dans l'Eau est ici renforcé par plusieurs détails. Tout d'abord, le nom de l'un des deux saints bienfaiteurs et du jeune prince né au terme du triple engendrement est celui d'Aodh « Feu »134. L'autre saint mentionné a un nom qui nous rappelle les figures de Fionn et Fionntan, elles aussi associées au Feu dans l'Eau. Enfin, le surnom de l'enfant conçu est Sláine ce qui se réfère sans doute, en premier lieu, au lieu d'origine de ce roi, mais aussi, au-delà de l'explication de ce surnom comme soulignant le caractère « complet », normal, de l'enfant par rapport aux deux naissances précédentes, au nom de la source du même nom, qui apparaît dans les textes comme une image de la source cosmique. Enfin, le fait d'avoir confectionné un tel récit, à partir d'éléments tirés des traditions irlandaises concernant le Feu dans l'Eau, pour compter les origines d'un haut-roi d'Irlande n'est sans doute pas étrangère à la symbolique souveraine attachée à ce concept.

    La symbolique aquatique du bélier celte se double donc de l'association de celui-ci avec le feu135 – ce qui rejoint le caractère pyrétique du Feu dans l'Eau. Par analogie entre les affrontements des béliers et la percussion nécessaire pour obtenir une étincelle de mise à feu136, les briquets antiques, laténiens et celto-romains, ont régulièrement pris la forme des cornes recourbées de ces animaux : par exemple à Eprave (Hainaut)137 ou à Oudenburg (Flandre Occidentale) et à Vireux-Molhain (Ardennes)138.

    Cette association apparaît également dans le choix des mêmes formes pour de très nombreux landiers depuis la fin de l’époque latènienne jusqu’aux temps celto-romains139 et de la Gaule jusqu’au bassin du Danube140.

     

    III.2 Ces assertions qu’une puissance criomorphe réside dans les eaux de la source cosmique ne sont pas isolées. En Iran aussi, le xvarɘnah – peut-être l’une des plus explicites parmi les représentations mythologiques du Feu dans l’Eau – apparaît avoir été régulièrement imaginé sous (entre autres141) la forme d’un bélier, comme dans le récit suivant.

    L’ancêtre de la dynastie sassanide, Ardashir, est chassé de la Cour du roi Artaban VI pour avoir oser blâmer l’un de ses fils. Réduit à garder les troupeaux, il apprend néanmoins que les astrologues du roi ont prédit que si l’un des serviteurs s’enfuyait avec sa favorite, il menacerait son pouvoir. Il convainc celle-ci de s’enfuir avec lui en emportant un partie du trésor royal. Ses astrologues avertissent alors Artaban que le xvarɘnah, sous la forme d’un énorme bélier, les suit dans leur fuite et que s’ils ne sont pas repris avant trois jours, le roi perdra son trône. De jour en jour, le bélier se rapproche d’Ardashir et, le troisième jour, il monte sur la croupe de son cheval. Le sort en est dès lors jeté : malgré ses tentatives de résistances, Artaban est vaincu et Ardashir prend sa place142.

    Le xvarɘnah est aussi explicitement représenté sous cette forme à l’époque sassanide : par exemple surun stuc143 ou dans un motif textile qui réunit significativement trois symboles du xvarɘnah : le bélier, les rubans et les perles144.

    Remarquablement – et en particulier par comparaison avec le matériel celte décrit ci-dessous145–, d’autres Iraniens, les Scythes ont représenté un poisson d’or à cornes de bélier et à la queue composée de deux têtes de bélier : conjoignant donc les thèmes de l’or flamboyant, du bélier et de l’eau146.

     

    III.3 Il a été judicieusement remarqué qu'en Grèce aussi le bélier joue le même rôle que dans la légende d'Ardashir, puisque c'est par la capture d'un bélier surnaturel à la toison d'or que Jason réussit à supplanter l'usurpateur Pélias et qu'il peut revendiquer (mais en vain) le trône d'Iolcos147.

    Ce bélier est né des amours de Poséidon et de Théophane. Celle-ci, fille de Bisaltes, le fils d'Hélios et de Gaia, était si belle que de nombreux prétendants recherchaient sa main, jusqu'à ce que Poséidon l'enlève jusqu'à l'île de Crumissa que les prétendants encerclent ensuite de leurs navires. Poséidon change alors Théophane en brebis, les habitants de l'île en moutons et lui-même en bélier. Lorsque les prétendants commencent à massacrer les moutons, Poséidon les change en loups, puis conçoit avec Théophane, sous forme ovine, le bélier à la toison d'or148. Ensuite, celui-ci ne réapparaît que pour sauver Phryxos et Hellé, les enfants d'Athamas et de la nymphe Néphélé, du sacrifice auquel les voue leur marâtre Ino. Ce bélier, sur le dos duquel les enfants s'enfuient, est, selon les versions désigné comme ayant été envoyé par Néphélé, mais fournit par Hermès, Poséidon ou Zeus. Les enfants s'enfuient sur son dos. Durant la traversée de la mer, Hellé tombe à l'eau, donnant son nom à l'Hellespont. Une fois arrivé en Colchide, Phryxos sacrifie à Zeus le bélier qui devient ainsi la constellation du même nom. Il s'établit alors dans la maison d'Æétès, roi de Colchide et fils d'Hélios et suspend la toison du bélier dans un chêne gardé par des bœufs aux sabots de bronze et au souffle de feu, tandis qu'un dragon qui ne dort jamais gît à ses pieds149.

    Ici, plusieurs éléments tournant autour de ce bélier sont clairement en lien avec le mythème du Feu dans l'Eau :

    * le bélier est le fils du gardien du Feu dans l'Eau grec ;

    * Théophane, sa mère, est une petite-fille d'Hélios, le dieu du soleil, et le roi qui accueille Phryxos est un fils d'Hélios. Tout cela rappelle l'origine solaire du xvarɘnah iranien ;

    * la fuite et la dissimulation de Poséidon et Théophane sur une île, face à des prétendants non-qualifiés pour concourir pour la main de Théophane et, par conséquent, à la succession du père de celle-ci, puis leur métamorphose punitive, rappellent les prétendants à la souveraineté qui cherchent à s'emparer du Feu dans l'Eau et leurs échecs le plus souvent cuisants ;

    * la mort d'Hellé rappelle celle d'Eithne Bóinn : ces héroïnes se noient au cours de leur fuite et donnent leur nom à une voie d'eau ;

    * Il ne faut pas oublier que, en dépit de l'acceptation commune, il semble que le bélier s'enfuit, avec les deux enfants de Néphélé, non pas en volant, mais en nageant150, ce qui assure là encore une association particulière de cet animal avec la mer.

     

    III.4 De même que, en Grèce, la toison d'or, dépouille du bélier merveilleux, est suspendue au sommet d'un arbre gardé par un dragon, une configuration analogue se retrouve en Scandinavie. En effet, il est dit dans l'Edda de Snorri que la source de l'hydromel bu par les einherjar, les guerriers morts qui combattront à côté des dieux à la fin des temps, est la chèvre Heiðrún qui mastique le feuillage de l'arbre Læraðr. À ses côtés se tient le cerf Eikthyrni, qui broute aussi les branches de l'arbre et dont les bois produisent un grand ruissellement de gouttes tombant dans la source Hvergelmir, d'où sourdent quarante rivières151. Or un autre passage désigne Hvergelmir comme l'une des trois sources situées au pied d'Yggdrasil, l'arbre cosmique et axis mundi scandinave, où réside le serpent Nidhoggr qui ronge le bas d'Yggdrasil et une foule de serpents anonymes qui en dévorent les racines152. Il semble donc que Læraðr est un autre nom d'Yggdrasil153. L'un des cosignataires de la présente étude a, par ailleurs, donné des arguments en faveur de cette identification d'Yggdrasil comme étant un arbre produisant de l'hydromel en dégouttant une rosée de miel dans l'une de ses trois sources – triplification différenciée de la source cosmique154, celle d'Urd155. La troisième source étant celle du géant Mímir, censée donner intelligence et sagesse156.

    Il y a là un parallèle étroit avec les vertus poétiques de l'eau empourprée de la Seaghais. De même, le jus qui donne cette faculté aux eaux de cette source provient de noisettes mastiquées par un saumon, grosses comme des têtes de bélier, alors que c'est de deux animaux cornus broutant un arbre que proviennent l'hydromel ou l'eau d'une source cosmique et, dans ce dernier cas, plus spécifiquement de la tête de l'un de ces animaux. Cependant, il y a une ambivalence dans ces deux sources : ainsi, c'est de la chèvre Heiðrún qu'est issu l'hydromel qui abreuve les einherjar, les morts élus d'Odin, tandis que c'est de Hvergelmir « le Chaudron Hurlant », situé sous la racine d'Yggdrasil qui s'en va vers Niflheim, le monde souterrain, que proviennent quarante rivières dont les flots empoisonnés coulent vers Hel157, l'inverse de la Valhöll, le séjour des einherjar. Cette ambivalence est également présent au sein des différentes traditions concernant le Feu dans l'Eau : ses vertus ne sont accessibles qu'aux élus, les autres étant immanquablement détruits dans ses flots. C'est bien cela que l'histoire de Bóinn exprime en Irlande. En outre, comme Hvergelmir, la Seaghais est la source de nombreux fleuves, voire de tous.

    De plus, on remarque l'inversion entre Nidhoggr et ses compagnons ophidiens anonymes, d'une part, et le saumon de la source irlandaise, d'autre part. Les premiers rongent la partie basse d'Yggdrasil, remettant en cause la stabilité de l'axe du monde : leur action est donc négative et destructrice. Le second croque des éléments issus de la partie supérieure des coudriers, donnant ainsi ses qualités aux eaux de la Seaghais : c'est là tout l'inverse de l'action des serpents scandinaves.

    À ces éléments animaliers de la cosmologies scandinaves, peuvent également être joints ceux de la légende de l'Or du Rhin. Ainsi, Otr, qui mange un saumon, animal imbu du Feu dans l'Eau celte, en devient également imbu, sous sa forme aurique après avoir consommé le poisson, été tué et rempli d'or, le fameux lindar logi d'Andvari. Dans cet ordre d'idées, il n'est pas étonnant que ce dernier ait un tel nom et soit attrapé sous sa forme de poisson par Loki. De même qu'Otr, une fois qu'il en est le nouveau propriétaire, il en est également l'incarnation158. De même, Fáfnir, une fois en possession du trésor, se transforme en dragon pour le protéger. En prenant cette forme reptilienne, il est l'équivalent des serpents scandinaves, mais aussi des poissons précédemment cités. En effet, une fois que Sigurd l'a occis, Regin lui demande d'en rôtir le cœur, et quand une goutte de sang perle sur celui-ci, Sigurd la tâte du doigt pour vérifier que le cœur est à point : il se brûle, porte son doigt à sa bouche et comprend aussitôt le langage des oiseaux, ce qui lui assure la révélation de l'avenir159. Plusieurs exégètes ont mis en parallèle cet épisode avec la prise de la science poétique par Fionn160. Dans cette perspective, Fáfnir est le contenant d'une science poétique similaire à celle du saumon irlandais161.

    Une autre figure est peut-être en lien avec le Feu dans l'Eau et son bestiaire. Il s'agit du dieu Heimdallr. Celui-ci est le dieu « primordial« , ancêtre de toute l’humanité et destiné à survivre le dernier, jusqu’à la fin de l’éon162 - comme l’Irlandais Fionntan et ses homologues, équivalents celtes de l' Apā Napāt indien et dont l'une des incarnations est le saumon de la Seaghais, tandis que Fionn en est l'hypostase héroïque163. Heimdallr est un bélier, né de neuf mères, des sœurs géantes qui ne peuvent être que les filles d’Ægir, le géant qui incarne la mer.

    L’un [des Ases] est Heimdallr, que l’on appelle l’Ase Blanc et qui est grand et sacré. Il fut enfanté par neuf vierges qui étaient toutes sœurs. Il porte également les noms de Hallinskidi et de Gullintani et, de fait, ses dents sont en or164... Il habite à l’endroit appelé Himinbjorg, qui est situé près de Bifrost... La tête est appelée « épée de Heimdallr« 165... Il dit de lui-même dans le Heimdallrargald : « De neuf mères je suis l’enfant, de neuf sœurs je suis le fils« 166.

    Il est aussi un phoque:

    En une occasion, [Heimdallr] se battit contre Loki pour le [collier] Brísingamen... Ulf Ugasson a laissé un long passage traitant de cette histoire dans son Húsdrápa, et il y est mentionné qu’ils se battirent sous la forme de deux phoques....167

     

    Le fait qu'il soit un « bélier » issu de neuf vagues le rapproche des béliers aquatiques tumultueux déjà évoqué168. De plus, l'affrontement aquatique, sous forme de phoques, qu'il a avec Loki fait penser immanquablement au mascaret de la Severn qui est comparé à l'affrontement de deux béliers169. En outre, il est implicitement un « descendant des eaux » par son lien maternel avec Ægir. Cependant, Heimdallr n'appartient pas fondamentalement au type divin du gardien/incarnation du Feu dans l'Eau. C'est a celui du « dieu-cadre », en particulier au dieu-ciel indien Dyu et à son incarnation terrestre Bhisma qu'il correspond170, comme le fait qu'il réside à Himinbjörg « Mont-du-Ciel » et qu'il est le gardien de Bifrost, l'arc-en-ciel171.

    Néanmoins, on notera que l'une des étymologies possibles de son nom est« Croissance du Monde » ou « Monde Florissant »172, ce qui rappelle là encore la symbolique génésique du Feu dans l'Eau et son rôle en tant que progéniteur indirect de la société humaine qui doit culminer avec la naissance d'un roi, Konr Ungr173. Il est dit également que Heimdallr est le propriétaire de Gjallarhorn, une corne dans laquelle il boit de l’hydromel, alors qu’elle est aussi attribuée à Mímir, le gardien de l'une des formes de la source cosmique scandinave174. Cette corne s'identifie donc à cette source175. Cependant, Heimdallr est dit avoir caché sous Yggdrasil son hljόð176. Ce terme est souvent traduit par « corne, trompette », bien qu’il n’a pas ce sens dans d’autres textes. Ses significations sont « son, musique, ouïe » et aussi « silence » - dans le sens de laisser quelqu’un parler177. Ce serait donc son ouïe que Heimdallr a mis sous Yggdrasil178. C’est ainsi qu’il aurait son ouïe extraordinaire, capable d’entendre tout son plus fort que celui de l’herbe ou de la laine en train de croître179. On peut aussi rapprocher cette corne de l’identification de Heimdallr à un bélier. Selon cette théorie, Gjallarhorn ne serait autre que la corne de Heimdallr, identifiée avec son oreille, puisqu'elle peut contenir notamment les sons180. Ainsi, en sacrifiant volontairement ou non son ouïe/corne au pied d’Yggdrasil, il aurait ainsi acquis le savoir de la source cosmique, puisque celle-ci est identifiée à sa corne181. Heimdallr pourrait donc ainsi participer partiellement de la mythologie du Feu dans l'Eau.

    De même, son adversaire sous forme de phoque, Loki participe également de ce mythème : c'est ainsi son action qui provoque le cycle de l'or maudit : c'est lui qui tue Otr, qui fournit l'or pour couvrir sa peau et qui suscite sa malédiction, après avoir pêché Andvari. En outre, une autre épisode montre bien qu'il a quelque rapport avec le Feu dans l'Eau.

    Ainsi, après avoir déclaré aux dieux qu'il est l'instigateur du meurtre de Baldr, Loki se réfugie dans une maison au pied d’une montagne près d’un fjord alimenté par une cascade182. Dans cette maison, il peut voir si quelqu’un s’approche grâce aux quatre ouvertures qui s’y trouvent. Loki revêt aussi une forme de saumon pour nager le jour dans la rivière183. Réfléchissant au moyen que les dieux pourraient mettre en œuvre pour l’attraper, Loki invente le filet de pêche mais, voyant que les dieux s’approchent de sa cachette, il décide de le jeter au feu, de se transformer en saumon et de se cacher dans la rivière. Les dieux voyant les cendres du fil, comprennent la ruse de Loki et décident de tendre un tel filet dans l'eau pour l’attraper. Au final, c’est Thor qui capture Loki-saumon par la queue, à main nue, alors qu'il tentait d'échapper au filet en sautant hors de l'eau184. Loki est un dieu lié au feu – sans toutefois être limité à cette définition185. Or, sous forme de saumon dans une rivière, il apparaît sous une forme du Feu dans l’Eau, tout comme en Inde, Apāṃ Napāt est considéré comme une forme virtuelle et aquatique d’Agni, le feu. D’autant plus que ce dernier se cache, au départ, au fond des eaux par peur d’être détruit par les dieux lorsqu’il devra consumer le sacrifice186.

    Enfin, Loki est le père d'un serpent aquatique qui enserre la Terre, Miđgarđsomr-Jörmundgandr187. Certes, celui-là semble n'avoir rien en commun avec Nidhoggr, à part sa nature ophidienne, aquatique et maléfique, mais R. Boyer a échafaudé une théorie le liant à Heimdallr qui, en dépit de son caractère aventureux, mérite qu'on lui accorde quelques instants. Une kenning pour l'épée est « tête d'Heimdallr »188. Or le fer d'un glaive évoque fortement par sa forme la tête d'un serpent. De plus, les neuf mères d'Heimdallr rappellent les neuf mondes que supportent Yggdrasil, participant à la cohésion du monde, comme Miđgarđsomr-Jörmundgandr enroulé sur lui-même. Lorsque Heimdallr sera mort, que le serpent se déroulera et qu'Yggdrasil tombera, ce sera la fin du monde. Il ajoute à cela que les vagues des mères d'Heimdallr sont similaires aux eaux hantées par le serpent et que le terme gandr « baguette magique » est un heiti recevable à la fois pour l'arbre cosmique et pour un serpent dressé189. Il y aurait donc un ensemble d'idées qui lierait Heimdallr, dieu à la tête de bélier dont la demeure se situe au sommet des cieux, soit tout en haut d'Yggdrasil, comme les quadrupèdes cornus évoqués, à un serpent aquatique et maléfique similaire à Nidhoggr. Cette relation se faisant à travers l'image de l'arbre Yggdrasil et de la figure de Loki, antagoniste de Heimdallr et père du serpent, tout en étant lié lui aussi à l'idée de Feu dans l'Eau.

    Ce lien entre le Feu dans l'Eau quadrupède cornu, un serpent aquatique et un arbre situé au pied d'une source cosmique est également connu des Indo-Iraniens.

     

    III.5 Nous avons déjà mentionné la forme de bélier que pouvait prendre le xvarɘnah. Cependant, sa demeure, le lac Vourukaša possède aussi un bestiaire, en lien avec deux arbres cosmiques, qui possède de nombreux traits que l'on retrouve dans celui de l'axis mundi scandinave. En ce qui concerne les créatures qui sont liés à notre problématique. Au centre du Vourukaša, il y a le Gaokərəna, l'arbre du haoma blanc, la plante d'immortalité. Ahriman, le mauvais esprit du mazdéisme, a formé une grenouille pour détruire cet arbre. Celui-ci est surveillé par un ou deux poissons kar(a) doté(s) de la plus puissante des vues l'empêchant ainsi d'agir190. Cette grenouille détruisant cet arbre a été rapprochée de Nidhoggr191 et si ce dernier n'affronte pas un poisson, il a de l'animosité pour l'aigle se trouvant au sommet d'Yggdrasil192.

    Au bord ou au centre du lac iranien se trouve l'Âne à Trois Pattes (xar ī se pāy), celui-ci est aussi grand que le mont Xvanwand et est décrit comme ayant trois pattes, six yeux, une corne qui se ramifie en une multitude et neuf testicules. Cet âne vertueux (ahlaw) a une tête bleue-verte (xašēn), un corps blanc brillant (spēd) et il se nourrit de nourriture spirituelle. Il fait bouger les eaux du lac cosmique en mettant son cou dans celui-ci et en y baissant ses oreilles. Son braiment fertilise toutes les créatures aquatiques femelles bénéfiques et fait avorter les mauvaises. Son urine purifie les eaux du lac qui sinon porteraient la souillure d'Ahriman tuant toute la bonne création. L'ambre gris est son crottin. Son urine et son crottin sont produits par la pénétration de l'humidité de l'eau par les pores de sa peau. Le dieu Tištrya, représenté par l'étoile Sirius et censé apporter la pluie193, est dit être aidé par cet âne dans sa prise des eaux du lac194. Ici, cet âne, aussi grand qu'une montagne, qui se trouve proche des arbres porteurs de vie et qui a une corne se ramifiant comme la cime d'un arbre peut faire penser à la chèvre qui se trouve en haut d'Yggdrasil, mais comme si une partie de son corps avait fusionné avec l'arbre. Ainsi, les trois pattes de l'âne font penser aux trois racines de l'arbre cosmique scandinave ; la ramure de sa corne évoque les branches qui partent du faîte d'un arbre. Certes, cet âne ne mange pas, comme le cerf ou la chèvre d'Yggdrasil, mais il génère aussi deux matières auspicieuses en absorbant l'eau du lac par sa peau. La dualité de son braiment évoque également la dualité des substances issues des deux quadrupèdes scandinaves.

    Juste après la mention de cet âne, il est question d'un bœuf du nom de Hadayōš ou Srisōg (« [Celui] des Trois Feux »), dont il est dit que, au début des temps, il a porté sur son dos les trois principaux feux du culte mazdéiste, lesquels sont assimilés au xvarɘnah ; tandis que, à la fin des temps, sa graisse mélangée au haoma donnera l'immortalité aux hommes ressuscités. Il est dit aussi de ce taureau aquatique qu'il est dans toutes les mers et que le son qu'il émet fertilise les bonnes créatures aquatiques et fait avorter les mauvaises195. Ici, ce bovin est similaire à l'âne : il est aquatique et le son qu'il émet à le même double effet. En outre, il possède deux caractéristiques qui sont étrangères à l'âne, mais que l'on retrouve dans d'autres créatures évoqués ici. Ainsi, comme le bélier sassanide, il est en lien avec le xvarɘnah, et comme la chèvre scandinave, il fournit un mets d'immortalité.

    Georges Dumézil a, pour l'Inde, rapproché la chèvre et le serpent scandinaves de deux animaux divins : Ajá ékapād « le Bouc (ou le Non-Né) à un pied » et Ahi budhnyà « le Serpent (ou Dragon) du fond »196. Ceux-ci sont nommés douze fois dans le Ŗgveda. Le premier n'est mentionné qu'avec le second, ce qui marque leur association fondamentale, sauf dans un passage où il est dit :

    Que la fille de Pavīru (l'éclair?), le tonnerre, le bouc à un pied, le porteur du Ciel, le Sindhu (ou la rivière), les eaux océaniques, que tous les dieux écoutent mes paroles [...]197.

     

    Ce que G. Dumézil rapproche d'un autre passage où les deux figures sont associées :

    Que l'océan, le Sindhu (ou la rivière), l'espace, l'entre-ciel-et-terre, le Bouc à un pied, le tonnerre, la mer, le Serpent du fond écoutent mes paroles, [ainsi que] tous les dieux mes généreux patrons198.

     

    Il déduit de ces deux passages que le bouc est lié à l'air et au ciel, tandis que le serpent l'est aux eaux. Dans les hymnes, le bouc est liédeux fois à Apā Napāt et le serpent trois fois199. De ce dernier, le caractère redoutable est signalé par la demande du poète de ne pas nuire200, ce qui le rapproche du Nidhoggr germanique, mais aussi plus généralement de l'aspect destructeur du Feu dans l'Eau. Enfin, signalons que le poisson Kara et l'âne tripode sont mentionnés ensemble201.

    En ce qui concerne le bouc, les exégètes indiens l'ont assimilé au Soleil ou au « feu en forme de soleil »202, donc à une forme céleste du feu203. Le caractère monopode du bouc, en lien avec sa nature « solaire », a été mis en relation avec un texte où le Soleil est décrit comme ayant un pāda (pied, rayon?) noir qui pompe pendant huit mois l'eau qu'il reversera en pluie pendant les quatre autres204. Pour G. Dumézil, il n'est pas sûr que ce passage soit en lien avec le bouc et, si oui, c'est une adaptation tardive, car elle n'apparaît pas dans le Ŗgveda. Il en tire la conclusion quele rapprochement avec le Soleil est dû au fait que l'animal était à l'origine un être céleste et lumineux, différent de l'étoile polaire en tant qu'axis mundi et du « porteur (ou mainteneur du ciel) » qui est suivi du bouc dans les hymnes205. Sans remettre en doute cette interprétation, on peut concevoir que le bouc est associé à cet axis mundi et à l'office du « porteur du ciel », comme le montre le texte suivant :

    Rohita a engendré le ciel et la Terre ; Parameṣṭin y a tendu son fil ; à ce [fil] s'est appuyé Ajá ékapāda, il a affermi le ciel et la Terre par sa vigueur206.

    On peut en conclure que le bouc participe de la stabilité du monde, similairement à l'axis mundi sur lequel il s'appuie, se confondant presque avec lui ; le premier étant un prolongement de la patte du second, logé à son fait. C'est une image que l'on peut associer à la chèvre scandinave et à Heimdallr.

    En outre, le pompage saisonnier de l'eau par la jambe/rayon du Soleil que l'on peut interpréter comme le Soleil ou, plus sûrement, comme son essence pyrétique rappelle les spéculations indiennes, évoquées au début de cet article, concernant la nature paradoxale du Feu dans l'Eau, qui nourrit les plantes, dont sort le feu, à travers la pluie, lâchée par l'orage, que nourrissent là les eaux terrestres, à travers le feu évaporant du Soleil. Il y a donc là l'évocation d'un cycle de l'eau et du feu qui passe par une entité confondue avec l'axis mundi207. Cela rappelle également ce que les textes islandais disent à propos d'Yggdrasil et de l'une des sources sises à ses pieds :

    On dit encore que les Nornes qui habitent près de la source d’Urð y prennent chaque jour de l’eau et, avec elle, la boue (aurr) déposée tout autour de la source, et qu’elles en aspergent le frêne afin que ses branches ne se dessèchent ni ne pourrissent. Cette eau est si sacrée que toutes les choses qui entrent dans la source deviennent aussi blanches que la membrane placée à l’intérieur de la coquille d’un œuf, comme il est dit ici :

    Je sais qu’il est un frêne

    Appelé Yggdrasil,

    Arbre altier, sacré,

    De blanche boue (hvίta auri) aspergé.

    De là viennent les gouttes de rosée

    Qui tombent dans les vallées.

    Toujours vert, il se dresse

    Au-dessus de la source d’Urð.

    La rosée qui, de là, tombe sur la terre, les hommes l’appellent « miellat », et c’est de cela que se nourrissent les abeilles208.

     

    Il y aurait donc là une relation cyclique entre la « boue blanche » de la source, l'arbre et la rosée d'hydromel qui coule de ses feuilles. Le tronc de l'arbre jouerait là le rôle aspirant de la jambe du bouc monopode, celle-ci ayant été rapprochée de l'axis mundi indien. Cet office d'Ajá ékapād ressemble bien à celui de la chèvre Heiðrún, dans sa production d'hydromel à partir du feuillage de l'arbre qu'elle consomme209. Cela nous rappelle aussi le rapport de l'âne tripode iranien avec l'eau : il les met en mouvement par le moyen de sa tête et il aide le dieu de la pluie à les prendre. De plus, l'eau effectue également un cycle à l'intérieur de son corps, puisqu'elle passe par sa peau puis se transforme en urine purificatrice et en ambre gris qui vont finir dans les eaux.

    Enfin, dans les attestations les plus tardives, Ajá ékapād et Ahi budhnyà sont les gardiens, avec Kubera, dieu de la richesse, de l'or « fabriqué par le Feu dans la terre »210, ce qui nous rappelle la forme aurique que peut prendre le Feu dans l'Eau et le rôle de gardien de celui-ci que prend le serpentiforme Fáfnir en Scandinavie.

     

    III.6 À travers, les témoignages grecs, scandinaves et indo-iraniens, nous avons pu voir qu'un animal cornu, plutôt bénéfique, situé au faîte ou a proximité d'un arbre cosmique, est plus ou moins couplé avec un serpent ou un poisson, plutôt maléfique, situé dans un plan d'eau localisé au pied de l'arbre. En outre, les Scythes ont conjoints les deux thèmes à travers l'image d'un poisson d'or ayant les attributs d'un bélier, en particuliers ses cornes, ce qui a été rapproché des faits irlandais concernant le saumon de la source cosmique. Cependant, la première mise en parallèle de cette image scythique avec le matériel celte n'a pas été faite avec ce poisson irlandais, mais avec une autre créature hybride, à la fois bélier et serpent dont la queue se finit parfois en poisson : le serpent criocéphale211.

    Celui-ci apparaît de façon récurrente dès l’époque hallstattienne et l’on doit à un récent mémoire de maîtrise, soutenu à l’Ecole Pratique de Hautes Études de Paris sous la direction du Prof. Venceslas Kruta, le meilleur catalogue de ses représentations212.

    Dans les traditions celtes, la source primordiale recelant le Feu dans l’Eau est associée à un coudrier qui constitue évidemment l’axe cosmique représentant à la fois l’action divine qui fait « tourner » le monde et l’étai de la voûte céleste maintenant la béance spatiale indispensable à l’existence du monde213.

    Remarquablement, il a été noté qu’un motif de monstres à tête de bélier et bec de rapace, l’un des thèmes animaliers de l’iconographie celte préromaine – par exemple sur le magnifique torque en or mis au jour à Frasnes-lez-Buissenal (Hainaut) -, se reconnaît comme une variante du motif des gardiens de l’Arbre de Monde214.

    Sur un autre torque mis au jour à Mailly-le-Camp (Aube)215, ces monstres apparaissent dotés d’un long cou sinueux qui paraît annoncer déjà le serpent criocéphale de l’iconographie celto-romaine216.

    Il a été vu par ailleurs que les Celtes anciens, comme beaucoup d’autres, tenaient la tête pour le réservoir de la vie transmissible – le sperme des pères, le lait des mères –, autrement dit le liquide contenant le feu vital217.

    De leur côté, les spécialistes de l’iconographie celte ancienne ont régulièrement noté que celle-ci associait fréquemment tête humaine et tête de bélier218 : par exemple sur un landier criomorphe conservé au musée de Châteauroux (Indre)219, sur les fibules dites « à masques »220, sur des phalères cisalpines221 , sur des parures annulaires222 ou sur la superbe œnochoé de Rheinheim (Sarre) spécifiquement dédiée au dieu-père jupitérien représenté sous forme d’étalon androcéphale223 et dont il n’est peut-être pas insignifiant qu’elle ait eu pour fonction de servir un liquide alcoolisé, autrement dit une « eau de vie »224.

    Le renom du bélier pour sa puissante virilité, le parallèle facile entre ses charges défonçantes et la pénétration sexuelle des organes féminins par le membre viril et l’assimilation iconographique entre ce dernier et la tête de l’animal s’accordent de fait bien avec le vieux concept que le sperme était une « eau de vie » dont l’insémination dans le sein de la femme permettait seule à cette dernière d’incarner une nouvelle existence.

    L’assimilation iconographique est assez évidente. En témoignent divers documents impudiques, de Délos225 à Pompéi226, en passant par Dürres (Albanie)227 et autres228. Un relief de Birrens (Dumfries-et-Galloway) représentant une tête à cornes de bélier étiquetée « le phallus de Priape »229 garantit que cette assimilation était comprise et utilisée dans le monde celto-romain230. De fait en Gaule, une statue d’Yzeures (Indre-et-Loire) montre ainsi un dieu assis sur un bélier et dont le sexe lui-même à la forme d’un serpent criocéphale231. Certes, dans son état actuel il n’est plus possible de savoir si le dieu tenait la bête de sa main mais par contre sur une statue très analogue mise au jour à Lantilly (Côte-d’Or), s’il n’est plus possible d’assurer que le serpent était pareillement criocéphale – car il a perdu sa tête –, le dieu le tient précisément ainsi232. Par ailleurs, il n’y a aucun doute face à un beau groupe comme celui de Néris-les-Bains (Allier) : là, le dieu, accompagné cette fois d’une parèdre, tient de la main un serpent criocéphale dont la tête repose exactement dans son giron233 et l’allusion phallique paraît cette fois d’autant plus claire que plusieurs autres statues gauloises, moins pudiques et moins allusives, montrent le dieu tenant de la même façon son sexe de la main gauche - la statuette de Laz (Finistère) le représente ainsi sur ses deux faces234 - ou de la droite à Orches235 ou à Baubigny (Côte-d’Or)236 ou à Plougastel-Daoulas (Finistère)237.

    La statue de Lantilly montre au creux du giron du dieu238, en face de la tête (perdue) du serpent, une grappe de raisins : il a été bien montré par ailleurs – à travers tout un complexe iconographique associant serpents, dieu géniteur et vase manifestement rempli d’un liquide enivrant – que le « vin » ainsi quêté n’est autre que la liqueur de vie par excellence, le sperme du dieu-père239.

    Ce serpent criocéphale est défini comme un résident des eaux240 par une queue de poisson qui lui est attribuée peut-être déjà sur des monnaies préromaines – un hexadrachme en argent boïen au nom de Maccius241, un statère en argent suession au nom de Criciru[...]242, etc. – et en tout cas clairement dans l’iconographie celto-romaine :

    * à Beauvais (Oise), une stèle figure Mercure tenant le caducée et une bourse tandis que deux serpents criocéphales à queues de poisson sont figuré sur les faces latérales243 ;

    * à Lantilly (Côte-d’Or), la statue mutilée, déjà citée, figure un dieu nu, malheureusement acéphale, laissant voir une grappe de raisins devant son bas-ventre ; un serpent - lui aussi mutilé de sorte qu’on ne peut qu’inférer par comparaison qu’il devait être criocéphale - approche sa tête perdue des fruits ;

    * à Savigny (Saône-et-Loire), un bronze figure Cernunnos tricéphale assis en tailleur, tenant dans son giron un corbeille garnie à laquelle se nourrissent deux serpents criocéphales à queues de poisson244 ;

    * à Sireuil (Charente), un relief mutilé figure une déesse drapée autour de laquelle se love un serpent criocéphale à queue de poisson245 ;

     

    Et l’un des cas les plus remarquables est sans doute celui de cette statue de Bommiers (Indre) représentant un bélier dont l’arrière du corps est celui d’un serpent jadis presque certainement doté d’une queue de poisson246.

    La version irlandaise du mythème du Feu dans l’Eau relate essentiellement la conception par Eithne Bóinn, déesse identifiée à l’eau s’écoulant de la source cosmique, de son fils Aonghus : c’est donc bien ce dernier - le Mac Óg ou « Fils Jeune » – qui est le Descendant de l’Eau247.

    Or une brillante étude du dossier d’Aonghus Mac Óg, par Bernard Sergent, a bien démontré248 que celui-ci se révèle spécifiquement proche de celui du Grec Hermès, plus tard latinisé en Mercure249.

    En particulier, cette étude met bien en évidence qu’Hermès comme Aonghus apparaissent intimement liés au feu. Hermès en est l’inventeur :

    C’est Hermès, qui, le premier, fit jaillir le feu et révéla les moyens d’en faire...250

     

    et il lui est même personnellement comparé : lorsque, bébé, il se recroqueville sous ses langes,

    Le fils de Zeus et de Maia s’enfonça danses langes odorants : comme une cendre épaisse couvre des charbons ardents de chêne-vert, Hermès ainsi se cacha en voyant le dieu archer... 251

     

    il offre « l’image anthropomorphisée des braises rassemblées chaque soir sous leur couverture de cendres »252. Aonghus est le fils d’un père dont l’un des (sur)noms est Aodh « le Feu »

    Je suis Aodh Abaidh d’Assaro, le bon dieu du druidisme des Tuatha Dé Danann, ains que Ruadh Rófheasach et Eochaidh Ollathair : ce sont là mes trois noms...253

     

    et il est le frère d’un dieu du même nom : Aodh Caomh « Aodh le Bel »254.

    Dans le syncrétisme religieux qui s’est imposé à Rome à partir déjà du troisième siècle avant l’ère commune et qui s’est ensuite étendu à tout l’occident romanisé, Hermès à été « traduit » en Mercure.

    Est-ce un hasard dès lors si le dieu celto-romain le plus communément associé au bélier ou au serpent à tête de bélier est justement Mercure255 ?

    Voici un essai de catalogue des représentations les associant, pour lequel il faut rappeler que le caducée, les bourses, le coq et la tortue comptent parmi les attributs canoniques du dieu, et que le bouc remplace parfois le bélier à ses côtés256.

    * À Bath (Somerset), une stèle montre Mercure accompagné d’une déesse-mère trônant et de trois Génies Encapuchonnés (Genii Cucullati)257 dont le premier semble avoir un bélier en place du phallus258 ;

    * à Beauvais (Oise), un relief représente Mercure tenant le caducée et une bourse tandis que deux serpents criocéphales figurés sur les faces latérales en débordent pour encadrer la tête du dieu des leurs259 ;

    * à Blicquy (Hainaut), un fragment de vase à buste(s) porte la tête de Mercure, le caducée, un coq et un serpent dont la tête est perdue et ne permet pas de savoir s’il était criocéphale260 ;

    * à Châlons-sur-Saône (Saône-et-Loire), un autel est décoré de représentations de Mercure tenant le caducée et une bourse, d’un coq, d’une tortue et d’un serpent, tandis qu’un phallus est gravé sur l’une des faces latérales261 ;

    * à Epping (Moselle), un bas-relief figurant un dieu jeune et imberbe chevauchant un bélier doit sans doute être reconnu comme une représentation de Mercure analogue à celle de Lyon ci-après262 ;

    * à Lyon (Rhône), un relief d’applique en terre cuite montre Mercure chevauchant un bélier263 ;

    * à Saint-Martin-du-Tertre (Yonne), un relief d'une stèle, aujourd'hui perdue, représente Mercure, de côté, brandissant son caducée, tout en chevauchant un bélier264.

    * à Mettet (Namurois), un vase à buste est décoré d’une tête imberbe représentant vraisemblablement Mercure et d’un serpent criocéphale265 ;

    * à Néris-les-Bains (Allier), la représentation, déjà citée, de Mercure, accompagné d’une parèdre, tient de la main un serpent criocéphale dont la tête repose dans son giron et évoque ainsi son phallus266 ;

    * à Sains-du-Nord (Nord), un vase cultuel est décoré de Mercure en pied tenant son caducée, d’un bouc, d’un coq, d’une tête dans un édicule (fanum ?), d’un dieu cavalier et du serpent criocéphale267 ;

    * à Tourinnes-Saint-Lambert (Brabant Wallon), un vase à buste est décoré d’une tête de Mercure est accompagnée d’un bouc, d’un coq et d’un serpent dont la tête manque268 ;

    * d’origine inconnue au musée de Vesoul (Haute-Saône), un petit bronze représente un dieu (?) imberbe tenant un bouc sous son bras : ce pourrait être la représentation d’un Mercure indigène269 ;

    * à Yzeures-sur-Creuse (Indre-et-Loire), une statuette figure un dieu assis sur un bouc avec la tête d’un serpent criocéphale posée dans son giron270 ;

    * à Nuits-Saint-Georges (Côte-d'Or), une lampe à huile représente Mercure de côté, avec un caducée immense, sur un char tiré par des béliers271 ;

    * anciennement cataloguée dans la collection royale de Prusse, de provenance inconnue, mais probablement des régions rhénanes, une émeraude gravée d'un Mercure de face, sur un char tiré par quatre boucs272.

     

    Ces associations figurées de Mercure et du bélier pourraient renvoyer à un lien théologique entre un Mercure indigène et une créature ovine d'essence divine. En effet, une tablette de malédiction de Wilten (Tyrol autrichien) associe Mercure à un certain Moltinus, pour livrer les voleurs de la dédicataire à une créature démoniaque, le Cacus latin. Une autre inscription, retrouvée à Mâcon (Sâone-et-Loire), est, quant à elle, une dédicace en l'honneur de Moltinus faite par un gutuater de Mars Ultor. Le nom de Moltinus est basé sur le gaulois molton- « bélier » : cette figure serait donc un « Divin Bélier »273.

    Sans doute n’est-il pas le seul mais si l’on prend en considération le fait que la légende irlandaise d’Aonghus est une scène à quatre personnages dont les protagonistes sont – à côté du mari trompé et de l’enfant Aonghus, la déesse mère Eithne Bóinn et le père « jupitérien » Eochaidh Ollathair274, il est permis de soupçonner que c’est une distribution analogue275 des rôles qui justifie l’association du serpent criocéphales à des divinités qui paraissent le plus souvent reconnues comme détentrices de ces rôles.

    Ce peut être une déesse-mère :

    * À Antigny (Vienne), une statue en calcaire représente une déesse mutilée, acéphale, assise en tailleur et nourrissant à une corbeille posée dans son giron un serpent qui, s’il n’est pas criocéphale, se trouve dans l’attitude fréquente de criocéphales276 ;

    * à Sommerécourt (Haute-Marne), une déesse-mère trônant, malheureusement acéphale, tient sur son bras une corne d’abondance et nourrit un serpent criocéphale à un récipient posé dans son giron ; elle a pour pendant la statue d’un dieu imberbe, aux tempes percées de mortaises pour l’insertion de bois de cervidé ou de cornes, trônant pareillement et nourrissant pareillement à un récipient dans son giron deux serpents criocéphales enlaçant ses bras par dessus ses épaules277.

     

    Ce peut être aussi le dieu « jupitérien » sous l’une des formes que lui prête vraisemblablement l’iconographie religieuse celto-romaine278 :

    * à Aÿ (Marne), au sommet de chacune des faces d’un pilier triangulaire apparaît un visage masculin ; deux sont barbus et le troisième imberbe, et ils sont tous trois flanqués d’un bélier à l’angle supérieur279 ;

    * à Birrens (Dumfries and Galloway), la tête dotée de cornes de bélier et étiquetée « le phallus de Priape », déjà mentionnée ;

    * à Bisley (Gloucestershire), un autel rond décoré d’une roue - et donc vraisemblablement dédié au maître « jupitérien » de la foudre est entouré par un serpent criocéphale280 ;

    * à Broussy-le-Petit (Marne), un pilier rectangulaire montre sur trois de ses faces un visage masculin, dont deux sont imberbes et le troisième, barbu, porte également des cornes de bélier281 ;

    * à Cirencester (Gloucestershire), un relief figure le dieu à bois de cervidé en anguipède dont les jambes se développent en deux serpents criocéphales282 ;

    * sur l‘une des plaques du célèbre chaudron mis au jour dans une tourbière de Gundestrup (Jutland), le dieu à bois de cervidé est assis en tailleur et tient de la main droite un torque et de la gauche un serpent criocéphale283 ;

    * à Paris (Seine), un bloc d’un pilier funéraire décoré d’une représentation des amours de mars a été secondairement recreusé pour laisser la place à la figure d’un triprosope barbu bouc couché près d’une tortue284 ;

    * le dieu de Sommerécourt et sa parèdre ont déjà été signalés ;

    * à Vignory (Allier), un stèle figure le dieu au bois de cervidé, torque au cou, tenant de la main droite un gourdin et de la gauche un serpent criocéphale285.

     

    Restent un certain nombre de cas où l’identité du dieu accompagné du bélier ou duserpent criocéphale n’est pas claire ou n’est plus discernable : ainsi à Saint-Ambroix-sur-Arnon (Cher), un dieu assis en tailleur tient un serpent qu’il dirige vers un objet devenu indistinct ; il a perdu sa tête et ne présente rien qui permette de lui prêter une personnalité286.

    Une autre piste associant le serpent criocéphale au dieu « jupitérien » sont les liens existant entre celui-ci est Conall Cearnach. Ce héros ulate, dont le surnom peut signifier « le Cornu »287, possède aussi des associations avec le serpent criocéphale, similaires à celles de Cernunnos. Ainsi, le fait que, dans la Táin bó Fhraoich, alors qu'il accompagne le héros éponyme de ce récit dans la récupération de sa femme, de ses enfants et de ses troupeaux, son principal fait d'arme est de pacifier un serpent qui vient se lover dans sa ceinture288. Cela rappelle, selon Ann Ross le lien existant entre Cernunnos, le serpent criocéphale et la double symbolique de mort et de fertilité289. À ce rapprochement avec Cernunnos, William Sayers ajoute que Conall Cearnach est connu pour être qualifié de lethgabra290, ce qu'il traduit par « avec la moitié (des caractéristiques d'un) bouc », c'est-à-dire avec une ou deux cornes. Il ajoute à cela le fait qu'un texte explique le surnom de Conall, « car il y avait une grosseur sur la moitié de son visage, aussi grosse que la bosse d'un bouclier »291. Dans le récit de sa conception, il est dit que, dans le ventre de sa mère, un serpent a percé sa main292, ce qui est mis en parallèle avec Cernunnos tenant dans sa main le serpent à tête de bélier293. Le même auteur notant plusieurs points de comparaisons entre Heimdallr, Conall Cearnach et le Daghdha294. À travers la figure de Conall Cearnach, on retrouve le lien entre une figure associée à un animal cornu dans les caractéristiques de sa tête, tout en ayant un rapport avec un serpent monstrueux. De plus, ici, nous avons le lien entre le serpent qui se love dans la ceinture de Conall Cearnach et le serpent criocéphale comme représentant le sexe du dieu-père.

    La reconnaissance du serpent criocéphale de l’iconographie celte antique comme une représentation du Feu dans l’Eau, autrement dit du principe de vie cosmique paraît dès lors constituer une hypothèse vraisemblable et sans doute plus satisfaisante que toutes celles vaguement proposées jusqu’ici295.

    Au-delà du domaine celte, il apparaît également que le concept indo-européen de Feu dans l'Eau avait des représentations qui alliaient ses aspects paradoxaux, positifs comme négatifs, à travers ses hypostases animales. Ainsi, sa double symbolique pouvait être représentée par un couple antithétique formé d'un animal cornu positif et céleste, lié au feu solaire ou fulgurant, et d'un animal négatif, aquatique, serpentiforme et/ou pisciforme (Scandinaves, Indo-Iraniens)296. Une autre solution prise fut sans doute de joindre les caractères de ces deux animaux pour faire ressortir d'autant plus le caractère ambivalent du Feu dans l'Eau, comme ce fut le cas chez les Scythes et, probablement chez les Celtes à travers l'image du serpent criocéphale, même si nous ne savons rien des traditions qui étaient attachées à cette créature.

    Cependant, le motif du poisson ou serpent aquatique cornu n'est pas propre aux peuples indo-européens, puisqu'il est connu des Africains297, des Amérindiens (uktena chez les Cherokee298) et des Sumériens (suurmāšu)299. Inversement le lien du bélier avec l'eau et le feu est présent, en Afrique du Nord, et connecté avec l'orage300. Ce bref survol du bestiaire monstrueux apparenté pose, non seulement, la question des origines préhistoriques communes de ces êtres301, mais cela tend à indiquer l'existence première, chez la ou les culture(s) proto-indo-européenne(s), d'un monstre hybride, mi-quadrupède cornu mi-serpent aquatique, qui se serait par la suite différencié en deux animaux antithétiques tout en étant liés dans certaines traditions, pour mieux marquer la différence de leur symbolique associée. Ce sont là des questions qui dépassent le cadre de cet article et que nous laissons à d'autres le soin d'approfondir.

     

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    1 Ŗgveda III 35 = Aufrecht 1877: I 208-210. Cf. Bergaigne 1878-1897: II 16-21 ; Dumézil 1968-1973: III 19-24.

     

    2 Śatapatha Brāmaņa III 9 3 = Weber 1964. Cf. Findly 1979 :179-183.

     

    3 Stobée, Éklogai apophtégmata hupothé:kai I 3 56 = Wachsmuth - Hense 1884-1912: I 56. Cf. Glotz 1904: 79n.1.

     

    4 Coomaraswamy 1977: II 159-165 ; Nagy 1980: 171-172.

     

    5 Bergaigne 1878:II 36-37, 48-54. La présence du Feu dans l’Eau dans diverses boissons sacrées comparables au soma est bien démontrée par Oudaer 2011-2012 pour l’ensemble du monde indo-européen.

     

    6 Sur le sens de ce rôle, cf. infra.

     

    7Sur les nuances à apporter à ce rôle, cf. Kellens 2012, partie 2 intitulée « Un dieu qui survit : Apąm Napāt ».

     

    8 Identifié secondairement avec le lac Hamun au Séistan.

     

    9 « Fluide lumineux personnifiant la capacité à assurer l’abondance » (Kellens 2006: 182 n.88). Cf. Duchesne-Guillemin 1963 ; Eliade 1971-1972 ; Lubotsky 1998 ; Gnoli 1999. Selon Éric Pirart (2004 : 353, 354 n. 132), le xvarɘnah serait celui d'« aliment ». Cela qui n'est pas forcément incompatible avec le concept du Feu dans l'Eau, puisque l'alimentation est-elle même ce qui favorise la vie des organismes.

     

    10 Yašt XIX 55-69 = trad. Pirart 2010: 318-321.Cf. Dumézil 1968-1973: III 24-27.

     

    11 Krause 1930: 17-19. Il n’est pas impossible que niđr soit apparenté aux théonymes (Apā) Napāt, (Apā) Napāt, Neptunus, Neachtan, etc. : Bader 1986:77-80.

     

    12 Sterckx 1994a: 63-64 ; Briquel 2007a: 310-313.

     

    13 Ce serait même le sens de son nom : Dillmann 1991:201n.5.

     

    14 Lecouteux 1993:172. Ce détail est d'autant plus important que ce théonyme semble basé sur le même étymon que Apā Napāt/Apąm Napā (Garnier 2012 : 59).

     

    15 Reginsmál = Neckel – Kuhn 1962-1968:I 173-174 ; Snorri Sturluson, Skáldskaparmál 39-42 = Faulkes 1998 : 45-49 ; trad. Dillmann 1991 : 119-125.

     

    16 Reichert 1985. Briquel 2007b en rapproche la légende romaine du blé des Tarquins et celle, dace, du trésor de Décébale.

     

    17 Benveniste 1969: I 231-235. À côté de cela, le terme s’est maintenu pour désigner le liquide qui brûle comme de l’eau contenant du feu : le naphte !

     

    18 Dumézil 1974: 335.

     

    19 Certains défendent que le phénomène n’en aurait pas moins pu se produire : Grandazzi 2003.

     

    20 Cicéron, De diuinatione I 44 100 = Ax 1938:47 ; Plutarque, Kámillos III-IV = Flacelière et al. 1957-1983: III 155-157 ; Tite-Live, Ab Vrbe condita libri V 15-17 = Bayet – Baillet 1954: 26-30 ; Zonaras, Epitomè: historío:n VII 20 = Dindorf 1868-1875: 145-147.

     

    21 Dumézil 1968-1973: III 63-67.

     

    22 Puhvel 1973.

     

    23 Macrobe, Saturnalia V 19 18 = Kaster 2011: II 440. Sur les Paliques : Meurant 1998, 2001-2002.

     

    24 Macrobe, Saturnalia V 19 29 = Kaster 2011: II 446. Sur l’analogie entre cette tradition et les autres rappelées ici : Meulder 1998.

     

    25 Diodore de Sicile, Bibliothé:ke: historiké: XI 89 5-6 = Haillet 2001: 114.

     

    26 Littleton 1973, mais cf. Dumézil 1975: 27n.2 ; Briquel 1988.

     

    27 Achille Tatius, Tà katà Leucíppe:n kaì Klitóphonta VII 12-14 = Gaselee 1917: 434-440 (trad. Grimal 1958: 1017). À Tyane, c’est une source consacrée à Zeus Orkios « (Protecteur) des Serments » qui sert d’ordalie en se mettant subitement à bouillir en cas de faux serment et, tout aussi remarquablement, elle s’attaque aux mêmes organes –  yeux, mains et pieds – que la source irlandaise : Philostrate, Tà eìs ton Tuanéa Apolló:nion I 6 = Conybeare 1912: I 14.

     

    28 Pausanias, Helládos perié:ge:sis VIII 10 3-4 = Casewitz et al. 1998: 38. Cf. Jost 1985: 289.

     

    29 Metzger 1979.

     

    30 Antoninus Libéralis, Metamorphó:seo:n sunago:gé: XXXV = Papathomopoulos 1968: 59 ; Ovide, Metamorphoses V 339-381 = Anderson 1982: 134-136.

     

    31 Sur la pertinence de ce détail et la confusion bouillonnant/bourbeux : Sterckx 1994: 33-35.

     

    32 Sur le caractère sacré du Xanthe, en rapport avec le mythème du Feu dans l’Eau : Desnier 1995: 33-36.

     

    33 Pour un autre parallèle à la naissance d’Apollon et d’Artémis en Irlande, avec là aussi une inversion du rôle d’Héra : Sterckx 1996b, 1999.

     

    34 Littleton 1973: 434-436 ; Polomé 1973.

     

    35 Sur les analogies étroites entre la source de Neachtan et celle de Poséidon Hippios à Mantinée : Wagner 1970: 21-24 ; Sergent 1999-2004: II 477.

     

    36 Les textes donnent alternativement Neachtan ou Ealcmhar comme époux de Bóinn. Sur la distinction entre les deux identités de l'époux de cette déesse, cf. Sergent 2000.

     

    37 Sa résidence est identifiée aux gras grands tumulus néolithiques de Dowth, Knowth et Newgrange, en Meath.

     

    38 Sur ce nom : de Bernardo Stempel 2003: 127.

     

    39 Tochmharc Eadaoin I 1-2 = Bergin - Best 1938: 145.

     

    40 Dinnsheanchas métrique = Gwynn 1903-1935: III 28-30.

     

    41 Dinnsheanchas métrique = Gwynn 1903-1935: III 38.

     

    42 Seacht o.f.n. 72-74 = Gwynn 1914: 229.

     

    43 Dinnsheanchas métrique = Gwynn 1903-1935: III 32.

     

    44 Dinnsheanchas de Rennes 19 = Stokes 1894-1895: XV 315. Aux textes dont ont été cités ici des extraits peuvent être joints : Dinnsheanchas bodléien 36 = Stokes 1892 : 500 ; Dinnsheanchas du Leabhar Uí Maine 8 = Gwynn 1926-1928: 26.

     

    45 Certes, Léto n’est pas « vache » elle-même comme l’est Eithne Bóinn (et comme l’est Io, une autre maîtresse de Zeus) mais il faut remarquer que l’épouse légitime de Zeus l’est d’une certaine façon : Héra est Bo:ópis « à l’Œil Bovin » (ce qui est une épithète flatteuse en Grèce !) et à Argos les fillettes participant à son culte étaient rituellement des « vaches » (Sauzeau 1993: 254-256). Et non seulement elle est vache mais, légitime, elle peut légitimement s’approcher de la source merveilleuse et en obtenir l’avantage que l’illégitime Eithne Bóinn espère vainement : une fois par an, Héra se baigne de la source Canathos d’Argos et elle récupère, par la vertu de son eau, toute l’innocence de sa virginité (Pausanias, Helládos perié:ge:sis II 382 = Jones et al. 1918-1935: I 454).

     

    46 Il est le dieu-père, le souverain des dieux, le maître des phénomènes atmosphériques, etc.

     

    47 Comme Eithne Bóinn est ici assimilée à la rivière Boyne, une autre déesse, Sianán est identifiée à la rivière Shannon selon un scénario étroitement similaire : elle s’approche de la Seaghais afin d’acquérir la Connaissance mais l’eau déborde, la poursuit et la noie (Dinnsheanchas bodléien 33 = Stokes 1892: 497-498 ; Dinnsheanchas métrique Gwynn 1903-1935: III 286-296 ; Dinnsheanchas de Rennes 59 = Stokes 1894-1895: XV 456 ; Dinnsheanchas du Leabhar Uí Maine 100 = Gwynn 1926-1928: 87).

     

    48 Les séjours des dieux, en fait leur Autre Monde, sont appelés les sídhe et sont traditionnellement identifiés aux nombreux tumulus préhistoriques du paysage irlandais.

     

    49 Dinnsheanchas métrique = Gwynn 1903-1935: III 26-28.

     

    50 Dinnsheanchas de Rennes 59 = Stokes 1894-1895: XV 456.

     

    51 Mo choire cóir = Henry 1979-1980. Cf. Breatnach 1981. Sur les noisettes de science et le saumon de science dans les mythes gallois et irlandais : Sterckx 1994a: 10-58, 2005: 28-30, 2006: 18.

     

    52 Sterckx 2007c: 51

     

    53 Ifans 1970-1972. Pour les attestations plus anciennes : Sterckx 1994a: 14-15.

     

    54 Nennius, Historia Brittonum 69 = Morris 1980 : 81. La légende est confirmée par Geoffrey de Monmouth, De gestis Britonum IX 150 = Reeve – Wright 2007: 203. Cf. Milin 1995.

     

    55 On peut se demander si l'or et l'argent d'origine ultramarine que garde Locrinus n'est pas une image du Feu dans l'Eau similaire à l'Or du Rhin. Cependant, après sa prise par Locrinus, ce trésor n'a plus d'importance dans le reste de l'histoire. On peut néanmoins remarquer que sa découverte est couplée avec celle des trois jeunes filles à la beauté remarquable.

     

    56 Eithne Bóinn aussi est « domiciliée » sous terre : dans le Brugh na Bóinne.

     

    57 Geoffrey de Monmouth, De gestis Britonum II 22-25 = Reeve – Wright 2007: 31-35 (trad. Mathey-Maille 1992: 53-55). Sabrina est en fait un hydronyme celtique assez commun et qui se retrouverait par exemple dans le nom de la Zeveren, affluent qui rejoint l’Escaut à Gand (Flandre Orientale) ou celui de la rivière Sabhrann en Irlande : Sims-Williams 2006 : 293-294.

     

    58 On y a trouvé de nombreux ex-voto de guérison ainsi que des chambres d’incubation : Wheeler – Wheeler 1932 ; Casey – Hoffman 1999.

     

    59 Sterckx 1994ab: 60-65. À Argenton (Creuse), des traces d’un culte gallo-romain de l’eau vivifiante ont été retrouvées près d’une source encore appelée la Font Nodon : Audin 1985: 135.

     

    60 Cf. O’Rahilly 1946 : 321.

     

    61 Sébillot 1904-1907: II 324 ; Cadic 1914: 3-4. Le cartulaire de Quimperlé (Maître – de Berthou 1896: 219) signale aussi trois marchais remarquables associés au mascaret de la barre d’Etel (Morbihan), comme la source de Lydney à celui de la Severn : « Là existent des eaux merveilleuses, à savoir trois mares bouillonnant de manière étonnante selon le flux et le reflux de la mer : une salée, l’autre douce et la troisième mélangée et elles sont telles que l’on ne peut découvrir leur profondeur ». Cf. Tanguy 1996-1997: 34-35.

     

    62Vita sancti Maudeti abbatis V 8-9, VIII 13-14 = Le Moine de la Borderie 1890:204-208.

     

    63 Nourry 1934: II 118. Des sources aux propriétés analogues sont aussi signalées à Corsept (Loire-Atlantique) et à Vieux-VIel (Ille-et-Vilaine) : Sterckx 2005b: 185n.78.

     

    64 Robreau 1996: 764-797 ; Lelu 2003: 2 ; etc.

     

    65 Sterckx 2011-2012. Par exemple aussi Niaux 1995-2000: 276, 301 N°73, 75, 314 N°113 ; cf. Sterckx 2002-2003.

     

    66 Piboule – Piboule 1983: 114.

     

    67 L’étymologie de leur nom reste incertaine mais il est régulièrement rapproché de celui de Neptune par les textes médiévaux : Sterckx 1994b:51-54 ; Ferlampin-Archer 2002:243. La forme galloise Nwython a pour sa part été reconnue comme l’exact équivalent de Neachtan (Wmffre 2007: 51) !

     

    68 Sterckx 1994b ; cf. Walter 1988: 145-151.

     

    69 Fezrlampin-Archer 2002: 239-251.

     

    70 Cristal et Clarie 6092-6102 = Breuer 1915: 192.

     

    71 Huon de Bordeaux 5346-5383, 5568-5592 = Ruelle 1960: 248-249, 255-256.

     

    72 Claris et Laris 2463-2467 = Alton 1884: 67.

     

    73 Sterckx 2001.

     

    74 Dinnsheanchas métrique = Gwynn 1903-1935: III 26 ; cf. Cúing anmann déag Bóinne 4 = Meyer 1912. L’œil est pour sa part identifié à la bouche même de la source : Sterckx 2007b.

     

    75 Peut-être est-il ici forcé de rapprocher l’écoulement de la fontaine sous le couvert de la forêt de celui de la Seaghais sous les coudriers de Buanann (Sterckx 2005b: 426 n.37).

     

    76 Lancelot XCIII 2-22 = Micha 1978-1983: V 118-131. Le dossier et le texte de la légende sont détaillés en Sterckx 2005c.

     

    77 Rhŷs - Brynmor-Jones 1900:3 ; Axon 1906 ; Gruffydd 1912, 1931 ; MacQueen 1952-1953 ; Bartrum 1993: 431-432 ; Bromwich 2006: 424-428.

     

    78 Sterckx 1986: 58-70.

     

    79 Holder 1896-197 :468-470 ; Lacroix 2003-2007 :III 168-173.

     

    80 Sterckx 1988-1900.

     

    81 Bauchhenss 1984:460 N°606 ; Collingwood et al. 1965-1995: I 194-195 N°583.

     

    82 Collingwood et al. 1965-1995: I 369 N°1120.

     

    83 Collingwood et al. 1965-1995: I 369 N°1122.

     

    84 Bauchhenss 1984:460 N°607 ; Collingwood et al. 1965-1995: I 368 N°1121.

     

    85 Sterckx 1996a: 28-29. Sur la dédicace de Chamalières, voir en dernier lieu de Bernardo Stempel 2001.

     

    86 d’Arbois de Jubainville 1893.

     

    87 Le répertoire s’en trouve dans Sterckx 1996a: 30-32.

     

    88 Meid 1957.

     

    89 Une dédicace de Die (Drôme) invoque Bormanos et Bormana (Sterckx 1996a: 32 N°B21) et cette dernière a une personnalité propre, suffisante pour qu’elle soit invoquée seule à Saint-Vulbas (Ain) : Sterckx 1996a:37N°C1).

     

    90 Table de Peutinger Ic1 = Desjardins 1869, cf. 219-220. On peut sans doute leur comparer les Aquae Bormiae, ancien nom de Worms (Rhénanie-Palatinat) attesté par Cassiodore, Variarum libri XII X 29 = Fridh – Halphorn 1973 : 410.

     

    91 Itinerarium prouinciarum Antonini Augusti 295.6 = Cuntz 1929: 44 ; cf. Sims-Williams 2006: 193 n.135 Il faut rappeler que le mot lucus désigne régulièrement un sanctuaire à part entière et que les bois-sanctuaires des Gaulois sont largement illusoires : Brunaux 1994-1995: 16-17.

     

    92 Qui porte sans doute lui aussi un nom d’origine gauloise, celui du dieu Taranis (Pascal 1964: 81).

     

    93 Boruonicus est attesté : Evans 1967: 156.

     

    94 Guyonvarc’h 1959: 164.

     

    95 Ptolémée, Geo:graphikè: huphé:ge:sis III 7 2, VIII 11 3 = Nobbe 1843-1845 : I 176, II 209. Cf. Evans 1967: 156.

     

    96 Holder 1896-1907: 492.

     

    97 Lacroix 2003-2007: 143-147.

     

    98 Le meilleur état de la question reste Evans 1967: 154-155 ; cf. de Bernardo Stempel 2002: 111.

     

    99 Sa légende (Sterckx 1991-1995: IV 1-4) le confirme malgré l’apparente contradiction de la définition de bearbha comme « eau calme » (Guyonvarc’h 1959: 168).

     

    100 Cf. Lambert 2003:190.

     

    101Gricourt et Hollard 2001 ; Lajoye 2008 : 105. Ces auteurs ont également rapproché Borvo d'un héros révéré par le peuple des Maryandynes d'Asie mineure, Bôrmos, enlevé par des nymphes alors qu'il allait chercher de l'eau à une source. Les Maryandynes sont vraisemblablement un peuple d'origine celtique, comme montré par Bernard Sergent (1988).

     

    102Lajoye 2008 : 106-107. Une inscription votive d'Utrecht (Pays-Bas, IIIe siècle ?) nomme une déesse *Borvobo(v)indoa : DEAB(US) BORVOBOE(N)DOAE COBBAE ; BORVOBOENDOAE (Whatmough 1970 : 865, 867). Grigory Bondarenko (2014 : 199) identifie le premier élément comme similaire au théonyme Borvo et le second comme étant une forme archaïque de Bóinn. Il met également en parallèle *Borvobo(v)indoa avec l'association de Borvo et de Damona dans les dédicaces gauloises (2014 : 199 n. 9).

     

    103 Sterckx 1996a.

     

    104 Sur l’étymologie de cette épiclèse : Sterckx 1996a: 66 ; Zeidler 2003.

     

    105 Elles sont répertoriées par Sterckx 1996a : 49-50, 60-64.

     

    106 Quoique ce nom ne soit indubitablement attesté qu’à partir de 675 : Holder 1896-1907: 2039. Par ailleurs, le nom d’Eaux Grannes désigne encore le ruisseau où se déversent les eaux chaudes de Plombières (Vosges) : Robert 1879-1880: 144 n.1.

     

    107 Le Roux-Guyonvarc’h 1950-1953: II-IV 212

     

    108 Colardelle et al. 1991 ; Dechezleprêtre 2010.

     

    109 Billoret 184 ; Colardelle 1991.

     

    110 Dion Cassius, Rho:maikè: historía LXXXVIII 5-7 = Boissevain et al. 1895-1931: III 393.

     

    111 Bertaux 1991:50.

     

    112 D’après la dédicace de l’ambassadeur lui-même : Keil 1956. Cf. Picard 1957.

     

    113 La pratique de l’incubation à Grand est assurée par la dédicace de Consinius Tribunus (Sterckx 1996: 62 N°K13).

     

    114 Panegyricus Constantino Augusto dictus XXI 3-6 = Galletier 1949-1955: III 72. Cf. Greffe 1983. Cependant, P. Lajoye nous fait remarquer que ce panégyrique ne localise pas ce sanctuaire, qui peut être différent de celui de Grand.

     

    115 Panegyricus Constantino Augusto dictus XXI 7 = Galletier 1949-1955: III 72. Cf. Müller-Rettig 1990: 287.

     

    116 Abry 1983.

     

    117 Marius Victor, Alithia III 204-209 = Martin – Hoving 1960: 173. ; cf. Duval 1969.

     

    118 Bertaux 1989: 154-155.

     

    119 Littéralement : « Grannos (est) mon ami, mon père, ma mère ! ». Pour ce rituel : Pommerol 1901.

     

    120 Comme le Llyn Lliwan n’est pas la source de la Severn mais l’embouchure de ce fleuve signalée par son mascaret spectaculaire, la Seaghais est plus vraisemblablement identifiée au Puits de Neachtan censé sourdre au sein du mystérieux síodh de ce dieu - le grand tumulus néolithique de Newgrange dominant une boucle de la Boyne près de son embouchure - qu’à la source même de ce fleuve (Trinity Well à Carbury, en Leinster) à laquelle elle est pourtant parfois identifiée (Hogan 1910: 594).

     

    121 Fogas orchra don éigse 7 = Bergin 1970: 184.

     

    122 Cómhrac Chonchulain re Seanbheag Ó hÉbhrice ó Seaghais = Meyer 1883-1885 : 184. Cf. Sterckx 2005a: 29.

     

    123 Fotha feasa for Ultaibh = Hull 1962-1964.

     

    124 Sur Cúchulainn : Sergent 1999-2004: I 99-240.

     

    125 Macgníomharta Fhinn 17-18 = Meyer 1881-1883: 201. Cf. Sterckx 2005a: 28-30.

     

    126 Béal 1994:165-166 en donne un catalogue sommaire, auquel on peut ajouter Deskford en Banffshire (Piggott 1959: 24) et les cas relevés par nous aux Fontaines-Salées (Yonne), à Chamalières (Puy-de-Dôme), et à Coren-les-Eaux (Cantal) : Sterckx 2005b: 18.

     

    127 Mo choire cóir = Henry 1979-1980.

     

    128 Nennius, Historia Britonum 68 = Morris 1980: 81 ; cf. Goetinck 2003: 293 ; Sterckx 2011: 47-48. Il y a là l'implication majeure que la naissance du monde est liée à un affrontement primordial de ces vagues-béliers.

     

    129 Et ailleurs : dans le monde classique, les bouches des fontaines prennent ainsi parfois le forme de têtes de bélier : Deonna 1959: 184.

     

    130 Brewer 1880: 416 ; Sterckx 2011: 39-40

     

    131 Beatha Bhréannain = Stokes 1890: 101.

     

    132 Haut-roi de la dynastie des Uí Néill, mort en 604, à l'origine de la branche des Síol nAodha Sláine qui régna sur le royaume de Breagah jusqu'au XIIe siècle. Cf. Ó hÓgáin 2006 : 19-20.

     

    133 Geineamhain Aodha Sláine = Bergin – Best 1929 : 133-135.

     

    134 eDIL ( url : www.dil.ie), A, col. 76, sv. « áed ».

     

    135 Kruta 2000: 460.

     

    136 Sur les briquets à percussion de silex et d’acier : Collina-Girard 1994: 12-32 ; Cattelain 1998.

     

    137 Mariën 1970: 84 N°214-216, 129-130.

     

    138 Lémant 1985: 15-21 ; Thoen 1987: 153 N°64b.

     

    139 Déchelette 1898 ; Milan 1981: 49-53 ; Leuxe 1988 ; Declercq 2007 ; Cluytens 2008. Le fait que certains de ces landiers criomorphes conservent des traces de dorure (évoquant le feu, particulièrement solaire) les a fait rapprocher du mythe grec de la Toison d’Or, lui-même comparable au xvarɘnah-bélier de la tradition iranienne (Deonna 1959: 91-92).

     

    140 Gerasimov 1972.

     

    141 Sur l’iconographie du xvarɘnah : Gnoli 1999: 318 ; Soudavar 2010.

     

    142Šāhnāmeh = Mohl 1876-1878: V 288-292 ; Kārnāmag ī Ardaxšēr ī Pābagān = trad. Grenet 2003: 42. Cf. Yarshater 1983b: 379-383 ; Desnier 1995: 172-173 ; Battesti 2012: 176-177.

     

    143 Harper 1978: 110 N°43.

     

    144 Soudavar 2010: fig.10.

     

    145 Ainsi que bien ressenti par Duval 1976: 38.

     

    146 Voir l’ornement de bouclier trouvé en 1882 à Witaszkowo (Pologne) : Alexandrecu 1997.

     

    147 Orgogozo 1949: 19-20 ; Roux 1949 : 266-268 ; Mezzadri 1990.

     

    148 Hygin, Fabulae CLXXXVIII = Boriaud 1997-2003 : 134-135 ; Ovide, Métamorphoses VI 118ss = Lafaye 1925-1930 : II 6.

     

    149Ps.-Apollodore, Bibliothè:ke: I 80 (= I 9 1) = Frazer 1946 : I 74-77; Apollonius de Rhodes, Argonautika I 255, II 1141 = Vian-Delage 2002 : I 62 231 ; Pausanias, HelládosPérié:ge:sis I 24 2, IX 34 5 = Jones et al. 1918-1935 : I 120-121, IV 324-325; Diodore de Sicile, Bibliothè:ke: histórike: IV 47 1-6 = Oldfather et al. 1933-1967 : II 488-493 ;Hygin, Fabulae III = Boriaud 1997-2003 : 13-14 ;Hygin, DeAstronomia, II 20 1-2 = Le Bœuffle 1983 : 57-59 ; Ovide, Fasti III 853 ss = Schilling 1993 : I 97.

     

    150Robertson 1940.

     

    151 Snorri Sturluson, Gylfaginning 37 = Faulkes 1982 : 31 ; trad. Dillmann 1991 : 71-72.

     

    152 Snorri Sturluson, Gylfaginning 15-16 = Faulkes 1982 : 17-19 ; trad. Dillmann 1991 : 46, 48.

     

    153Dans la Völuspá(2 = Neckel Kuhn 1962-1968 : I 1 ; trad. Boyer 1992 : 532), Yggdrasil est appelé Mjötviðr (« arbre-étalon »). Cependant, Régis Boyer (1982 : 213) considère qu'il faudrait plutôt lire Mjöðviðr (« arbre-hydromel »).

     

    154 Oudaer 2011-2012, (à paraître).

     

    155 Snorri Sturluson, Gylfaginning 16 = Faulkes 1982 : 18-19 ; trad. Dillmann 1991 : 49.

     

    156 Snorri Sturluson, Gylfaginning 15 = Faulkes 1982 : 17 ; trad. Dillmann 1991 : 46.

     

    157 Snorri Sturluson, Gylfaginning 4-5 = Faulkes 1982 : 9-11 ; trad. Dillmann 1991 : 33-35.

     

    158C'est ainsi que l'on doit peut-être comprendre le fait que l'ApāNapāt indien est une incarnation du Feu dans l'Eau et non pas, apparemment, simplement son gardien comme dans les autres traditions indo-européennes.

     

    159 Fáfnismál 31 = Neckel – Kuhn 1962-1968 : I 186. Des versions populaires de l'aventure sont connues depuis Saxo Grammaticus (Gesta Danorum V 2 7 = Olrik et al. 1931-1957 : I 110) jusqu'à de nombreux contes du répertoire récent (par exemple Grimm – Grimm 1880:77-80). De plus, de nombreuses représentations de cet épisode assurent que c'est bien le pouce que Sigurd s'est brûlé (Lang 1976 ; Margeson 1981, 1983 ; Davidson 1990: 67-69).

     

    160 Scott 1930, Turville-Petre 1964: 203-204, Sterckx 1994a: 57.

     

    161 L'implication est, bien sûr, l'équivalence de l'omniscience divine et du principe de vie cosmique qu'est le Feu dans l'Eau.

     

    162Dumézil 1958-1959:265-268. Cf. Lindow 2001:167-172.

     

    163 Sur tout cela, Sterckx 1994a, 1996a.

     

    164 Hallinskidi signifie « Bélier« , de même que Gullintanni « Dents d’Or«  par allusion au fait que les dents des vieux béliers deviennent jaunes (Dumézil 1958-1959: 271-272 ; Sayers 1993: 9).

     

    165 Par allusion au fait que les béliers combattent avec leur tête.

     

    166 Snorri Sturluson, Gylfaginning 27 = Faulkes 1982 : 25-26 ; trad. Dillmann 1991: 58-59.

     

    167 Skáldskaparmál 8 = Faulkes 1998 : 19.

     

    168 Sterckx 2011.

     

    169Cette comparaison nous semble d'autant plus probante que les affrontement entre phocidés peuvent prendre la forme de confrontations frontales, ce qui rappelle celles des mammifères cornus.

     

    170 Dumézil 1958-1959, 1968-1973: I 182-190 ;Allen 2007.

     

    171 Snorri Sturluson, Gylfaginning 27 = Faulkes 1982 : 25-26 ; trad. Dillmann 1991: 58-59.

     

    172 Sayers 1993 : 24.

     

    173Rígsþula = Neckel Kuhn 1962-1968 : I 280--287 ; trad. Boyer 1992 : 142-154.

     

    174 Snorri Sturluson, Gylfaginning 15, 27 = Faulkes 1982 : 17, 25-26 ; trad. Dillmann 1991: 46, 59.

     

    175 Oudaer (à paraître).

     

    176 Völuspá 27 = Neckel Kuhn 1962-1968 : I 6-7 ; trad. Boyer 1992 : 539.

     

    177Zavaroni 2006 : 68.

     

    178 Turville-Petre 1964 : 167-168.

     

    179 Snorri Sturluson, Gylfaginning 27 = Faulkes 1982 : 25 ; trad. Dillmann 1991:58.

     

    180Sayers 1993 : 6-7.

     

    181Ailleurs, c'est Odin qui sacrifie l'un de ses organes sensoriels – son œil – pour acquérir la science de la source cosmique scandinave (Snorri Sturluson, Gylfaginning 15 = Faulkes 1982 : 17 ; trad. Dillmann 1991: 46) ; ce qui en fait un correspondant de Fionn et des autres incarnations celtiques du Feu dans l'Eau (Sterckx 1994a). Concernant Heimdallr, Gjallarhorn lui sert aussi et paradoxalement à avertir les dieux du Ragnarok, en soufflant dedans (Snorri Sturluson, Gylfaginning 51 = Faulkes 1982 : 50 ; trad. Dillmann 1991: 96). Elle est donc assimilable à la fois à la source primordiale d'où sort toute vie et à la fin des temps, lié également le motif du débordement de la source cosmique provoquant le déluge eschatologique (Sterckx 2008). Sur le feu dans l'eau de l’œil et l'assimilation source-œil (d'eau) : Sterckx 1996a : 73-74; 2007b.

     

    182 Celle-ci est appelée « cascade de Franang ». Ce dernier terme signifiant « baie scintillante » évoque la luminosité aveuglante du Feu dans l’Eau.

     

    183La maison de Loki ressemble au haut-siège d'Odin qui lui permet de voir l'univers entier (Snorri Sturluson, Gylfaginning 9 = Faulkes 1982 : 13 ; trad. Dillmann 1991: 39), ce qui évoque la position privilégié d'un axis mundi. De plus la cascade du fjord où il nage est le même type de lieu que la cascade d'Assaroe où est dit nager Fionntan, l'une des incarnations irlandaises du Feu dans l'Eau, sous forme de saumon(Ársaidh sin, a eoin Accla = Bergin et al. 1907-1913 : 24-39).

     

    184 Snorri Sturluson, Gylfaginning 50 = Faulkes 1982 : 48-49 ; trad. Dillmann 1991:93-94. En ce qui concerne la capture de Loki par Thor, celle-ci peut paraître incongrue, car le dieu de la foudre n'a aucun rapport apparent avec le Feu dans L'eau. Cependant, Loki, lié au feu, en sautant hors de l’eau, pour échapper à sa capture, s’assimile au feu céleste, dont la foudre est l’une des formes. Or Thor a pour arme Mjolnirr, son marteau-foudre, qu’il brandit de la même façon qu’il attrape Loki. De plus, la façon dont Thor attrape ce dernier explique, selon Snorri, que le corps des saumons est mince à l’arrière, comme Mjolnirr qui se termine par un manche court (Snorri Sturluson, Skáldskaparmál 35 = Faulkes 1998 : 42 ;trad. Dillmann 1991:118).

     

    185 Dumézil 1986: 230-232.

     

    186 Taittirīya Samhitā II 6 6 = Keith 1914 : I 211-212 ; Cf. Sterckx 1994:76. Cependant, les dieux ne le pêchent pas mais obtiennent ses bonnes grâces par des promesses (Bŗhaddevatā VII 61-75 = Macdonell 1904).

     

    187 Lindow 2001 : 229-230.

     

    188 Snorri Sturluson, Skáldskaparmál 8, 69 = Faulkes 1998 : 19, 108.

     

    189 Boyer 1982: 222.

     

    190 Yašts XIV 29 = Darmesteter - Mills 1880-1887 : II 239 ; Bundahišn XXIV 1-5 = Anklesaria 1956 : 193 ; Mēnōg ī xrad LXII 3 =Anklesaria 1913 : 81, 143.

     

    191 Sterckx 2005b : 233-235.

     

    192 Snorri Sturluson, Gylfaginning 16 = Faulkes 1982 : 18 ; trad. Dillmann 1991: 48.

     

    193 Sur ce dieu : Panaino 1990, 1995.

     

    194 Yasna XLII 4 = Darmesteter - Mills 1880-1887 : III 291 ; Bundahišn XXIV 10-21 = Anklesaria 1956 : 196-197 ; Mēnōg ī xrad LXII 26 = Anklesaria 1913 : 81, 141.

     

    195 Bundahišn XXIV 22-23 = Anklesaria 1956 : 198 ; Dādestān ī dēnīg XXVI 100 = Jaafari-Dehaghi 1998 : 146-149 ;Wizīdagīhāī Zādspram III 86, XXXV 15= Gignoux – Tafazzoli 1993 : 54-57, 130-131.

     

    196 Dumézil 2000 : 187-202.

     

    197 ŖgvedaX 65 13 = Aufrecht 1877 : II 357-358. Cf. Bergaigne 1878-1897 : I 252, 3272, II 4782 III 21, 22.

     

    198 Ŗgveda X 66 11 = Aufrecht 1877 : II 359. Cf. Bergaigne 1878-1897 : I 2552, II 2052, III 21, 23

     

    199 ŖgvedaI 186 (= Aufrecht 1877 : I 176), II 31 6 (= Aufrecht 1877 : I 204. Cf. Bergaigne 1878-1897 : I 57 n, 306, II 18, 2052, 326, 405, III 23), VII 35 13 (= Aufrecht 1877 : II 31. Cf. Bergaigne 1878-1897 : II 18, 37 n, 2052, 398, III 21, 23, 79 n).

     

    200 ŖgvedaV 41 16 (= Aufrecht 1877 : I 356-357. Cf. Bergaigne 1878-1897 : II 205, III 25) et VII 34 17 (= Aufrecht 1877 : II 29. Cf. Bergaigne 1878-1897 : II 205, III 24, 25, 252).

     

    201 Yasna XLII 4 = Darmester - Mills 1880-1887 III : 291.

     

    202Nirukta 12 29 = Sarup 1967 : 193 ; Taittirīya Brāhmaṇa II 1 2 8 = Sarma 2004-2005.

     

    203 Dumézil (2000 : 197-198) rejette l'identification du bouc et du Soleil. Certes, il n'y a pas de stricte identité entre les deux mais on peut néanmoins affirmer qu'ils participent tous les deux de la symbolique céleste du feu.

     

    204Przyluski 1931 : 457 (utilisant Mahābhārata XII 13 906-907).

     

    205 Dumézil 2000 : 198-200.

     

    206 Atharva Veda XIII 1 6 = Griffith 1895-1896 : 107.

     

    207 Le fait que ce bouc monopode et ce serpent se trouvent associés à des éléments fulgurants, à l'Océan et, en particulier, à Sindhu pourrait être aussi une évocation de l'origine aquatique de ce feu céleste qu'est la foudre. En effet, Sindhu n'est autre que la déesse du fleuve Indus et elle peut s'identifier à la déesse Pṛśni, la mère des Marut, les incarnations de l'orage et de la tempête, auxiliaires d'Indra, le dieu de la foudre. Or, ceux-ci naissent recouvert d'une peau d'antilope comparable à l'égide, la peau de chèvre, que certaines traditions font porter à Athèna à sa naissance et qui suscite ou est associée à des phénomènes orageux. Sur tout cela, Rose 2010 : 592-595.

     

    208 Snorri Sturluson, Gylfaginning 16 = Faulkes 1982 : 19 ; trad. Dillmann 1991 : 48-49.

     

    209 On notera, que les peuple indo-iranien des Kafirs, connaît un arbre cosmique situé au milieu d'un lac, où la déesse de la prospérité, Dizane, qui a émergé de son tronc, trait des chèvres (Robertson 1896:382-383), que G. Dumézil considère très probablement être sur l'arbre (Dumézil 2000:202).

     

    210Mahābhārata V 112 1-4 = Van Buitenen 1973-1978 : III 405.

     

    211 Duval 1993 : 38. Sur le serpent et le bélier dans les traditions préhistoriques : Maringer 1977, 1980.

     

    212 Cluytens 2008. La prochaine publication de ce mémoire est ardemment souhaitée. Pour un résumé provisoire : Cluytens 2010.

     

    213 Sterckx 2007c: 53-58.

     

    214 Kruta 1990.

     

    215 Joffroy – Lejeune 1969.

     

    216 Kruta 1990: 158.

     

    217 Sterckx 2005a.

     

    218 Kruta 1992: 830-833.

     

    219 Deonna 1959: 84 fig.31.

     

    220 Kruta 1989.

     

    221 Kruta 1975.

     

    222 Le torque de Courtisols, dans la Marne (Charpy – Roualet 1991: N°317) ; le bracelet de Pössneck, en Thuringe (Kruta 1986: 30 fig.17) ; etc.

     

    223 Keller 1965 ; Kruta 2004: 183. Sur l’identification du dieu : Sterckx 2012.

     

    224 Cf. Kruta 1986:25. Sur les boissons alcoolisées comme « eaux de vie » : Sterckx 1996: 35.

     

    225 Chamonard 1906: fig.37 ; Deonna 1906.

     

    226 Barré – Bories 1861-1863 : VIII 197-202.

     

    227 Picard 1927.

     

    228 Wolters 1909.

     

    229 Collingwood et al. 1965-1995: I 646 N°2106 ; Megow 1997: 1 1041 N°171 ; Sterckx 2005b: 356. Des têtes similaires, trouvées par exemple à Netherby, en Northumberland (Wright – Phillips 1975: N°194) ou à Metz, en Moselle (Coudrot 1989 ; Espérandieu et al. 1907- : V 388 N°4294) n’ont-elles pas été étiquetée trop arbitrairement l’une comme un dieu martial, l’autre comme une représentation de Jupiter Ammon ? Et que dire de la tête à cornes de bélier de Boldre, en Hampshire (Cunliffe – Fulford 1982 : N°127) ?

     

    230 Et même dans le monde celte préromain comme en témoigne la décoration d’une fibule en bronze du cinquième siècle avant l’ère trouvée à Niederschönhausen, près de Berlin : un serpent criocéphale y tient la place du phallus d’une figure vraisemblablement divine, tout comme sur les monuments celto-romains cités ci après (Duval 1977: 50 fig.27 ; Kruta 2000: 754).

     

    231 Laubie 1965.

     

    232 Lambrechts 1942: 46-47 ; Espérandieu et al. 1907- :III 282-283 N°2332.

     

    233 Baratte 1989 ; Espérandieu et al. 1907- : II 379-380 N°1573. On ne doutera guère qu’il y a un souvenir de cela, visuel ou autre, dans l’anecdote insérée dans la Vita sancti Leonardi 5 = Vandermoere – Vanhecke 1845:43 : « Un jour, comme saint Léonard, de bienheureuse mémoire, priait seul dans sa cellule susmentionnée, survint un serpent qui monta sur ses pieds, puis autour de ses jambes et de son ventre, atteignit son giron et expira aussitôt ».

     

    234 Éveillard 1992.

     

    235 Besset 2008 ; Sterckx 2010: 287.

     

    236 Niaux 1987-2000: LV 89 ; Espérandieu et al. 1907- : III 132 N°2013.

     

    237 Éveillard et al. 1977 ; Éveillard 1987.

     

    238 Sur les aspects sexuels du giron des divinités celtes, cf. Sterckx 2015.

     

    239 Sterckx 2005b: 360-375. Pour le lien entre le vase et la tête du dieu censée contenir sa réserve de vie (spermatique) transmissible : Sterckx 2005a: 143-166.

     

    240 Tout indique d’ailleurs que l’on prêtait couramment un caractère aquatique aux serpents en général : ainsi, par exemple, la déesse Verbeia, identifiée à la rivière Wharfe, est représentée tenant deux serpents à Ilkley, en Yorkshire (Ross 1967: 232 ; Green 1995: 170-171) et les serpents crêtés, fréquents dans l’iconographie – à Arlon, en Luxembourg belge (Espérandieu et al. 1907- : V 216-217 N°4018) ; à Caerwent, en Monmouthshire (Ashby 1910: fig.2-3) ; sur la célèbre Serpent Stone de Maryport, en Cambrie (Ross 1967: 91-92) ; etc. – sont unanimement reconnus comme des monstres aquatiques.

     

    241 Kolniková 1991: fig.51, 53 ; Podolinská 1996 ; cf. Göbl 1994. Certains suggèrent qu’il y a là un emprunt l’iconographie scythe, donc culturellement iranienne (Dembski 2010) !

     

    242 de la Tour – Fischer 1994: N°7946.

     

    243 Espérandieu et al. 1907- : V 154-156 N°3319.

     

    244 Reinach 1894 : 186 ; Deyts 1992 : 44.

     

    245 Espérandieu et al. 1907- : II 463-464 N°1717.

     

    246 Coulon – Dufour 1988.

     

    247 Comme dans toutes les versions indo-européennes, sauf l’indienne, le dieu qui porte effectivement le nom de Descendant des Eaux – dans la version irlandaise Neachtan Ealcmhar – n’est pas le Feu dans l’Eau mais son gardien : comme il s’agit d’un dieu sexuellement impuissant, sa mutilation qualifiante le définit de fait comme « réservoir du sperme cosmique », tandis que le rôle actif de l’insémination est exercé par son frère, le dieu-père « phallique » (cf. Sterckx 2005a : 143-160, 2009a:290-302)

     

    248 Non sans trop postuler, selon nous, une double équivalence spécifique d’Aonghus avec Hermès et de Lugh avec Apollon. Persuadé qu’il n’y a pas de dogme aussi strict dans l’interpretatio celtica, nous croyons plutôt qu’il faut poser l’équivalence des deux couples (Hermès et Apollon) = (Aonghus et Lugh) : cf. Sterckx 1996a: 129-130.

     

    249 Sergent 1999-2004: II 369-422. On rapprochera à cela le lien entre Hermès et le bélier à la toison d'or.

     

    250 Hymne homérique à Hermès I 111 = Humbert 1936: 121 . Cf. Sergent 1999-2004: II 410.

     

    251 Hymne homérique à Hermès I 235-239 = Humbert 1936: 126.

     

    252 Leduc 1995 : 38 ; Sergent 1999-2004: II 410.

     

    253 Aodg Abaidh Easa Ruaidh míse = Bergin 1927: 402.

     

    254 Sergent 1999-2004: II 411. Sur Aodh Caomh : Sterckx 2009b: 48-54.

     

    255 Il a été justement suggéré que son caducée peut avoir été ressenti comme une image de l’Arbre de Vie entouré de serpents de l’iconographie celte préromaine (de Ravisy 1996: 4).

     

    256La liste suivante ne tend pas à l'exhaustivité des représentations du Mercure au bélier, mais se concentre sur les faits celto-romains qui nous intéressent. Pour un catalogue plus complet de ce type de représentations, cf. Raingeard 1935.

     

    257 Sur ces phallus divinisés : Sterckx 2005b: 347-357.

     

    258 Ross 1967 :155, 343, pl.55a ; Martens 1997: 1 598 N°5.

     

    259 Deyts 1992 : 117 ; Sterckx 2005b : 365-366 ; Espérandieu et al. 1907- : V 154-156 N°3319.

     

    260 Amand 1970: 390-391.

     

    261 Deyts 1992 : 117-118 ; Sterckx 2005b: 358n.89 ; Espérandieu et al. 1907- : III 196-197 N°2132.

     

    262 Hatt 1987.

     

    263 Hatt 1987.

     

    264Lajoye 2012b : 122-123.

     

    265 Heldenberg – Heldenberg 1976.

     

    266 Baratte 1989 ; Sterckx 2005b: 365 ; Espérandieu et al. 1907- : III 379-380 N°1573.

     

    267 Ravera 1984.

     

    268 Heldenberg – Heldenberg 1976.

     

    269 Benoit 1955.

     

    270 Laubie 1965 ; Blázquez Martínez 1988: 1 841 N°22 ; Sterckx 2005b: 474.

     

    271Devauges 1981.

     

    272Toelken 1835 : n. 888. Concernant ce type de représentations de Mercure à l'attelage, P. Lajoye (communication personnelle du 28/12/2014) se demande ce qu'il faut en penser, car ces images rapprochent singulièrement le Mercure gaulois du Thor scandinave, du Perkunas lithuanien ou du Piarun biélorusse. Elles entreraient dans la perspective sur le caractère tonnant du dieu pancelte Lugus. Concernant le Mercure de Nuits-Saint-Georges, la spécificité de son caducée rappelle que cet attribut, tuant les vivants et ressuscitant les morts, a pour premier propriétaire Zeus qui l'a ensuite confié à Hermès (Premier mythographe du Vatican, II 17 = Zorzetti – Berlioz 1995 : 67). Or, non seulement, cela rappelle le gourdin du Daghdha, doté des mêmes pouvoirs (Sterckx 2005b : 313-314), mais aussi le marteau de Thor, qui s'en sert pour tuer, puis ressusciter ses boucs (Lindow 2001:193).

     

    273 Lajoye 2008 : 172-173.

     

    274 Défini comme « jupitérien » parce qu’il cumule les fonctions de dieu-père universel, de souverain des dieux, de maître de la foudre et des phénomènes météorologiques, et parce qu’il est communément traduit en Jupiter par l’interpretatio celtica celto-romaine (Sterckx 2005b).

     

    275 Toute la documentation postule l’existence de mythèmes au sens et aux structures analogues dans tout le monde celte mais il faut toujours se garder d’imaginer que les différentes cultures celtes ont eu des mythes formellement identiques.

     

    276 Richard 1998 ; Sterckx 2005b: 471.

     

    277 Blázquez Martínez 1988: 1 840 N°8 ; Altjohann 2002: 154-155 ; Sterckx 2005b: 469 ; Espérandieu et al. 1907- : VI 164-165 N°4831, 168-169 N°4839.

     

    278 Sur les raisons qui tendent à faire reconnaître ce dieu sous des traits aussi différents que ceux de Priape, du dieu à la roue, du dieu aux bois de cervidé ou du dieu tricéphale ou triprosope : Sterckx 2005b.

     

    279 Sterckx 1995b: 493 ; Espérandieu et al. 1907- : XIV 17 N°8350. Cette association de têtes et de bélier s au sommet d'un pilier ayant le sens cultuel d'axis mundi rappelle ce que nous avons dit concernant l'arbre de la source cosmique irlandaise.

     

    280 Ross 1967: 151 ; Green 1981.

     

    281 Hatt 1984 ;Sterckx 1995b: 493.

     

    282 Ross 1967 : 139-140 : Sterckx 2005b: 466. L'équivalence entre les jambes du dieu et des serpents criocéphales est parallèle à celle entre la jambe et, plus particulièrement, le pied et le sexe (Sterckx 2005a)

     

    283 Blázquez Martínez 1988: 1 839-840 ; Birkhan 1997-1999: II 262 N°408 ; Altjohann 2002: 159-163 ; Sterckx 2005b: 467. Il s'agit de la plaque A, selon la nomenclature de Klindt-Jensen (1949). Le serpent criocéphale se trouve en deux autres endroits du chaudron : les plaques C et E. Sur la plaque C, il se trouvent en-dessous d'un guerrier au casque cornu sautant et tenant conjointement avec une figure barbu une roue. Cela semble assimiler ce dernier personnage au dieu jupitérien à la roue (Sterckx 2005b : 227). Plus complexe est la scène représentée sur la plaque E. Au centre, à l'horizontale, est représenté un arbre. À son faîte, en bas à droite, trois joueurs de carnyx soufflent dans leurs instruments, tandis qu'une file de guerriers les précède, de droite à gauche, jusqu'aux racines de l'arbre, où se trouve un canidé dressé sur ses pattes arrières qui accompagne un personnage gigantesque, sans aucun doute un dieu, qui plonge un guerrier dans une cuve. En haut de la plaque et de gauche à droite, une file de cavalier part de la base de l'arbre jusqu'à sa cime, précédée par le serpent à tête de bélier. Deux explications principales ont été données à cette scène. Selon Jean Gricourt (1954), la cuve serait un chaudron de résurrection pour des fantassins morts qui renaîtraient comme des cavaliers dans l'Autre Monde. Selon Kim McCone (1986 : 16-17), la file de fantassins représenterait des guerriers en cours d'initiation qui, après un rite de passage comprenant l'immersion dans une cuve, deviendraient des guerriers initiés parfaitement inclus dans la société. Ces deux explications ne s'excluent pas, car, de même que la mort est le passage d'un état spirituel à un autre, l'initiation est le passage d'une état social à un autre. En outre, plusieurs éléments examinés dans le présent article se retrouvent sur cette plaque : la cuve représente la source cosmique, l'arbre un axis mundi et le serpent criocéphale, ici en association avec la cime de l'arbre, rappelle le bouc monopode indien et la chèvre scandinave. Concernant cette dernière, le fait que le serpent criocéphale précède des guerriers à cheval nous évoque l'association d'Heiðrún et des einherjar. Cela tendrait à confirmer l'interprétation « résurrectionniste » de la plaque E. Le fait que le serpent se trouve au sommet de l'arbre, comme s'il provenait de sa base, rappelle qu'Ajá ékapād peut symboliser le cycle du feu, de sa forme aquatique à sa forme céleste et vis et versa. Il convient donc de s'interroger sur un éventuel lien entre la résurrection des guerriers élus et le cycle de l'eau et du feu. Cette hypothèse est d'autant plus tentante que P. Lajoye (2012b : 42-43) a signalé que, dans le folklore médiéval, le meneur de la chasse fantôme (Arthur ou Hellequin), qui peut être associé au bouc ou au bélier, pourrait être une survivance médiévale d'une figure similaire au Dagda irlandais ou à Cernunnos, donc un dieu jupitérien. Ce rôle psychopompe du bouc ou du bélier est justement celui que P. Lajoye postule pour le Moltinus associé à Mercure (2008 : 174). D'autant plus que Lleu, l'équivalent gallois de Lugh, connaît une mort initiatique, suivie d'une renaissance, alors qu'il se trouve un pied sur un bouc et l'autre sur une cuve (Math fab Mathonwy = Lambert 1993 : 114-115), ce qui nous rappelle la position intermédiaire, entre la cuve et le serpent criocéphale, des cavaliers du chaudron de Gundestrup.

     

    284 Lavagne 1987: 37-39 ; Espérandieu et al. 1907- : IV 218-221 N°3137.Les attributs mercuriels soutiennent l’hypothèse que le dieu tricéphale ou triprosope combinerait les personnalités du père jupitérien et du fils mercuriel.

     

    285 Linckenheld 1944 : 189 N°21 ; Sterckx 2005b: 470. La symétrie entre le gourdin, représentation de l'arme fulgurante du dieu, et le serpent criocéphale, doit sans doute évoquer une idée similaire à la distinction indienne entre les formes céleste du feu – dont l'éclair – et les différentes émanations du Feu dans l'Eau.

     

    286 Favière 1973.

     

    287 L'autre sens attendu est celui de « victorieux » (eDIL, C, col. 142, sv. « cernach »), voire un dérivé d'un terme signifiant « réceptacle » (eDIL, C, 141, sv. « cern »).

     

    288Táin bó Fhraoich 28-29 = Meid 1970 : 40-41.

     

    289 Ross 1967 : 186-187, 198-200.

     

    290 Toghail Bruidhne Dhadearga 1150 = Knott 1936 : 34.

     

    291Cóir anmann 251 =Arbuthnot 2005-2007 : 126.

     

    292 Ross 1967 : 149-151.

     

    293 Sayers 1988: 349-350. Cet auteur met également en relation Cernunnos, Conall Cearnach et le Dagda à travers le surnom Fer Benn « l'homme aux bois de cerf » que celui-ci a dans le Cath Maige Tuired(93 = Gray 1982 : 48-49).

     

    294 Sayers 1993.

     

    295 L’un des indices les plus probants se trouve peut-être dans sa représentation sur le linteau des têtes coupées à Roquepertuse (Arcelin – Plana-Mallart 2011: 35 fig.19), donc asscié à un rite presque certainement lié à la fécondité sexuelles : sur ce lien entre têtes coupées et puissance sexuelles, voir Sterckx 2005a.

     

    296 On remarquera que le saumon irlandais n'est pas négatif et qu'il n'y a pas présence de l'animal cornu qu'à travers la comparaison fait entre les têtes de béliers et les noisettes.

     

    297 Pour le Sahara préhistorique et le Sahel : Kesteloot 2007 : 129 n. ; Lachaud 2008. Pour ce qui concerne l'art rupestre de l'Afrique australe, de nombreux exemples sont disponibles sur le site de l'African Rock Art Digital Archive (url : www.sarada.co.za).

     

    298 Hudson 1978.

     

    299 Kramer – Maier 1989 : 123.

     

    300 Le Quellec 1993 : 160 sq.

     

    301 Sur celles-ci, on consultera certaines recherches de Julien d'Huy (2013 ; 2014). En ce qui concerne le suurmāšumésopotamien, celui-ci pourrait avoir une origine préhistorique indo-européenne. En effet, Gordon Whittaker a proposé de voir dans l'un des substrats du sumérien, désigné comme l'euphratique, une langue indo-européenne archaïque (Whittaker 1998, 2004, 2004/2005, 2008). En outre, le suurmāšu est l'animal-emblème du dieu des eaux sumérien, Enki. G. Whittaker voit dans ce dernier un héritier du « descendant des eaux » indo-européens (Whittaker 2009). On remarquera au passage que, d'une part, cet animal est mi-chèvre mi-poisson, ce qui le rapproche du serpent criocéphale, et que, d'autre part, l'euphratique, s'il est bien une langue indo-européenne archaïque, semble avoir de nombreux liens avec le proto-celtique. Enfin, signalons aussi que Heinrich Wagner avait déjà signalé les parallèles existant entre Enki et certains dieux indo-européens des eaux, en particuliers celtiques (Wagner 1975, 1981).

     

  • (Review) Viktoriya et Patrice Lajoye - Sadko et autres chants mythologiques des Slaves de l'Est

    cover.jpgViktoriya et Patrice Lajoye, Sadko et autres chants mythologiques des Slaves de l'Est (Biélorussie – Russie – Ukraine), Lisieux, Lingva, 2015.

    L'ouvrage dont il est question ici est la suite d'un précédent travail d'édition et de traduction des mêmes auteurs qui portait uniquement sur la littérature épique russe, en particuliers les récits concernant le héros Ilya Mouromets1. Le présent travail se veut plus étendu, comme nous l'expliquent ses auteurs dans leur introduction. Ainsi, la thématique fait ici la part belle à la mythologie et celle-ci n'est plus simplement russe, mais aussi ukrainienne et biélorusse. La mythologie dont il est question ici est une mythologie secondaire, car puissamment affectée et remodelé par la tradition judéo-chrétienne, mais ayant gardé de nombreux éléments préchrétiens. La spécificité de cette tradition rend les commentaires qui concluent chaque chant particulièrement précieux dans l'optique de leur mise en perspective.

    En ce qui concerne le contenu de ce recueil, celui-ci s'ouvre sur un premier chapitre constitué de chants ayant un caractère cosmogonique marqué (Créer le monde et l'ordonner). Puis, c'est au tour des croyances eschatologiques concernant le prophète Élie d'être examinées (Mettre fin à ce monde). Suivent alors les traditions concernant le Danube personnifié (Fleuves et rivières). Les chants qui suivent, concernant des héros marins – dont le Sadko du titre, sont eux d'une tonalité plus épique (Sur la mer). De même, le chapitre suivant est composé de chants qui concernent des héros de la cour du prince Vladimir, dont la tradition est l'équivalente kiévienne de celle du roi Arthur (À la cour du prince Vladimir de Kiev). La partie suivante est constituée de récits divers qui sont de parfaits exemples de fusions d'éléments disparates et d'âges variés (Une mythologie secondaire). Enfin, la dernière partie (En guise de conclusion) est constituée de deux courts chants à la tonalité épique.

    En ce qui concerne les commentaires, ils accompagnent la plupart des chants et sont plus ou moins longs. Ils remettent les textes dans leur contexte culturel et font la part belle au comparatisme. Les traditions que nous font découvrir les auteurs permettent ainsi des rapprochements intéressants avec notamment les mythologies celtiques, indo-iraniennes et scandinaves.

    Cependant, on regrettera que les variantes de certains textes existant en plusieurs versions n'apparaissent pas plus, ce qui aurait donné des informations complémentaires des plus utiles.

    Il n'en reste pas moins que le travail de Viktoriya et Patrice Lajoye est un apport majeur pour notre domaine puisqu'il donne accès à des textes mythologiques peu connus des chercheurs non-slavisants.

     

    Guillaume Oudaer

     

    1Viktoriya et Patrice Lajoye, Ilya Mouromets et autres héros de la Russie ancienne, Anarchasis, Toulouse – Marseille, 2009.