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  • (Review) Valéry Raydon - Le Mythe de la Crau: archéologie d'une pensée religieuse celtique

    Raydon.jpgValéry Raydon, Le Mythe de la Crau : archéologie d'une pensée religieuse celtique, 2013, Marseille, Terre de Promesse, 188 p.

    Dans cet essai, l'auteur fait œuvre d'un véritable travail comparatiste permettant de dégager, comme le sous-titre de son ouvrage l'indique, une véritable pensée religieuse celtique. Jugeons plutôt. Son point de départ est le mythe étiologique de la plaine de la Crau, dans le sud de la France. Ce mythe, dont les premières attestations sont grecques, raconte l'affrontement entre Héraclès et des géants et/ou des autochtones. Le fils de Zeus étant sur le point de succomber sous le nombre, son divin père lui envoie une pluie de pierres, qui sont autant de projectiles providentiels qui permettent à Héraclès de triompher de ses adversaires, donnant ainsi sa physionomie caillouteuse à la plaine. Après avoir méticuleusement analysé ses sources, l'auteur arrive à la conclusion que ce récit ne peut être grec à l'origine et qu'il a été transmis, via la colonie phocéenne de Massalia, par les Celto-Ligures provençaux. La comparaison avec le matériel celtique insulaire lui permet d'établir des parallèles probants avec l'action du dieu irlandais Lugh, lors de la seconde bataille de Mag Tured où celui-ci abat son principal ennemi, Balor, d'une balle ou pierre de fronde ; imité ensuite par les autres dieux irlandais, qui font pleuvoir une véritable pluie de pierre sur leurs adversaires, les démoniaques Fomóire. Il relève également des bombardements pierreux similaires dans la Táin Bó Cúailnge, l'épopée d'Ulster. Il met ensuite en lien ces pluies de pierres avec la croyance celtique de la chute du ciel, considéré comme un dôme pierreux, lors de la fin du monde, et ses survivances dans l'hagiographie de la Gaule chrétienne. La démonstration est éclatante et nous sommes parfaitement d'accord avec elle. Nous émettrons davantage de réserve sur la suite de son ouvrage.

    En effet, du fait que le dieu gaulois Ogmios est assimilé dans un texte grec à Héraclès et que son équivalent irlandais, Ogma, et ses probables transpositions épiques sont des lanceurs de pierre, il en tire comme conclusion que l'Héraclès de la Crau est l'interpretatio graeca d'Ogmios et que le Zeus de cette histoire n'est autre que le dieu Lugh, contestant par là l'identification du dieu jupitérien des Celtes avec le Dagda irlandais, frère de d'Ogmios1. Certes, il apparaît que Lugh a de nombreux aspects tonnants, mais plusieurs faits ne cadrent pas avec l'identification des deux protagonistes divins du mythe de la Crau. Ainsi, dans le mythe irlandais suscité, la balle de fronde que manie Lugh lui a été fournie par le dieu forgeron Goibhniu, qui l'a lui lance depuis sa forge. Ogma, qui lance bien une pierre, lors d'un défi de force face à Lugh, n'en lance pas dans un contexte militaire, et si ces correspondants de l'épopée d'Ulster le font, c'est aussi le cas de celui de Lugh, son fils Cúchulainn.

    Notre deuxième point de divergence est dans le fait où il va identifier Ogmios à toutes les traditions héracléennes qui dissimulent des mythes gaulois. Il tire même de celles qui font d'Héraclès l'ancêtre des Celtes une identification possible de celui-ci et de Dis Pater, le dieu dont descendraient les Gaulois selon César. Cependant, il reconnaît lui-même que Ogmios, comme Ogma en Irlande, sont des « impuissants » et que le seul dieu-père attesté en Irlande est le Dagda. Il n'empêche que le lien nocturne entre le progéniteur gaulois et Ogmios et ses correspondants celtiques et indo-européens est intrigant. Néanmoins, on ne peut considérer qu'une seule identité divine celtique se cache sous un seul masque interprétatif gréco-romain est inversement. En effet, concernant les traditions héracléennes en Gaule, Patrice Lajoye a récemment postulé, que nombre de traditions gallo-romaines concernant l'Alcide pouvaient très bien correspondre à un personnage de type lughien2.

    Que penser alors ? Pour nous, il semble plus probable que l'Héraclès de la Crau soit un Lugh rhodanien. Pour ce qui est de son pourvoyeur foudroyant de projectiles, nous pensons au dieu jupitérien des Celtes, dont l'alias irlandais, le Dagda, a été justement identifié comme le véritable père de Lugh. On peut nous objecter que le Dagda n'est pas un lanceur de pierre dans les mythes où son identité apparaît. Cependant, nous rappellerons que P. Lajoye et nous-même avons identifié un autre nom du dieu jupitérien des Celtes, dont les caractéristiques recoupent celles du Dagda et qui est également un… lanceur de pierres3.

    Il n'en reste pas moins que l'ouvrage de V. Raydon est une avancée majeure dans la compréhension du paganisme celtique continental. Non seulement, il explique habilement le mythe de la Crau, mais il renouvelle la compréhension de la divinité pancelte Ogmios-Ogma, si l'on excepte nos réserves. Ajoutons aussi qu'à travers cette tradition, il éclaire également une pratique poliorcétique gauloise : le lancé massif de projectiles, surtout pierreux, en début d'affrontement ; véritable répétition du coup de fronde paradigmatique du dieu Lugh.

     

    Guillaume Oudaer

     

    1Claude Sterckx, Taranis, Sucellos et quelques autres : le dieu souverain des Celtes, de la Gaule à l’Irlande, 3 vols, Mémoires de la Société Belge d'Études Celtiques 22, 23, 24, Bruxelles : Société Belge d’Études Celtiques, 2005.

    2Patrice Lajoye, Mythologie Celtique et Légendaire Français, autoédition, 2012.

    3Patrice Lajoye et Guillaume Oudaer, « *Percos/*Ercos: An Unknown Celtic Theonym », Journal of Indo-European Studies XLII, 2014 : 40-100.