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  • (Review) Dominique Briquel, À la Recherche d’une mythologie indo-européenne

    Briquel.jpgDominique Briquel, À la Recherche d’une mythologie indo-européenne, 2021, Città, Agorà &Co.

     

    Dominique Briquel est un spécialiste de l’étude des Étrusques et des premiers temps de Rome, mais c’est également un héritier de la pensée de Georges Dumézil et nombre de ses travaux portent sur la comparaison entre le matériel mythologique religieux des Romains et des Grecs et celui des autres cultures indo-européennes. C’est là l’objet du présent recueil qui rassemble des études parfois inédites ou difficiles d’accès, les rendant ainsi disponibles à un plus large public.

    Après une préface de John Scheid, qui place l’auteur dans la lignée de G. Dumézil, l’auteur introduit cette compilation en explicitant son classement, en trois parties, des vingt-et-un articles qui la composent. Les deux premières parties se placent directement dans le prolongement de deux thématiques fortes appréciées de G. Dumézil : la première, « Les combats des dieux » porte sur le mythème de la bataille eschatologique ou Bataille finale1, tandis que la seconde, « Le feu dans l’eau » concerne ce concept unissant paradoxalement ces deux éléments. Enfin, la troisième partie, « Figures divines et héroïques », comme son titre l’indique, s’attache à l’analyse comparative de celles-ci voire au prolongement ou à la correction d’études de G. Dumézil. Cependant, comme il le signale dans son introduction, D. Briquel s’est démarqué de son prédécesseur en ne suivant pas forcément la même méthode d’analyse ou en abordant d’autres thématiques.

    La première partie de cet ouvrage s’ouvre d’abord sur une présentation du mythème de la Bataille finale et de son historiographie depuis les premiers travaux de G. Dumézil jusqu’aux derniers parus sur la question, en passant par l’évocation des sujets de ses différents articles portant sur cette question et rassemblés dans cette partie. Dans « Mahābhārata, crépuscule des dieux et mythe de Prométhée », D. Briquel met en parallèle les acteurs de ce mythe grec aux résultats de la comparaison faite par G. Dumézil entre les Indiens Dhṛtarāṣṭra et Vidura et les Scandinaves Hödr et Baldr. La succession de la royauté cosmique grecque entre Ouranos, Cronos et Zeus est comparée aux trois générations souveraines incarnées par Bhīṣma, Pāṇḍu et Yudiṣṭhira, reflets épiques respectifs des dieux Dyaus, Varuṇa et Mitra est le sujet de « La théogonie d’Hésiode. Essaie de comparaison indo-européenne », où d’autres équivalents de Dhṛtarāṣṭra et Vidura sont les Cyclopes et les Hécatonchires. « Jupiter, Saturne et le Capitole. Essai de comparaison indo-européenne » voit l’identification de ce mythème de la souveraineté cosmique au sein de la tradition romaine. Le caractère trifonctionnel des antagonistes disputant la souveraineté cosmique au fils de Cronos est le sujet de l’étude suivante (« Les adversaires de Zeus : Titans, Géants, Typhée et Prométhée »). Dans l’article suivant, notre auteur analyse « La naissance de la République romaine comme avènement d’un monde parfait : arrière-plan eschatologique du récit traditionnel ». Il s’agit là du prototype de l’ouvrage où il développe la thèse et les arguments présentés ici2. Un doublet de cette version romaine de la Bataille finale fut également identifié par D. Briquel comme étant la prise de Rome par les Gaulois3 . Il revient sur un aspect de ce dossier dans « La prise de Rome par les Gaulois comme prolongement de la Bataille finale. Un complément : la question des auxiliaires de la souveraineté ». Une anecdote du même récit romain est mise en parallèle d’un célèbre passage du Mahābhārata dans « Le plaustrum de Lucius Albinus et le char d’Arjuna : faut-il envisager un élément hérité derrière la Bhagavad Gita ? ». Enfin, cette partie se conclut par « L’histoire de Coriolan et la comparaison indo-européenne » où notre auteur revient sur la comparaison de Lucien Gerschel, reprise par G. Dumézil, concernant le caractère trifonctionnel des ambassades envoyées à Coriolan. Il y montre que cette analyse n’est pas valable, mais il vient en confirmer d’autres concernant ce héros romain et en proposer de nouvelles. En outre, il montre bien le parallélisme entre Coriolan et un autre héros de la geste romaine, Camille. Sachant que ce dernier est inscrit dans un schéma narratif de type Bataille finale, D. Briquel en déduit que Coriolan doit aussi obéir au même mythème.

    Dans un deuxième temps, Dominique Briquel explore la thématique du « Feu dans l’Eau ». Ce concept indo-européen désigne une force, à la fois ignée et aquatique, de nature ordalique et liée à la notion de souveraineté, dont l’importance fut découverte par G. Dumézil, à partir d’une triple comparaison4. Dans celle-ci, l’un des récits étudiés était celui de l’éruption du lac Albain, dont la maîtrise des eaux avait permis aux Romains de prendre la ville étrusque de Véies. La première étude présentée ici (« Sur un passage d’Hérodote : prise de Babylone et prise de Véies ») est un prolongement et une rectification des conclusions de Dumézil concernant cette histoire. En effet, D. Briquel montre bien, par comparaison avec le récit d’Hérodote sur la prise de Babylone par Cyrus, que l’épisode du lac Albain ne doit pas être seulement vu comme une correction de l’irrégularité de la désignation des magistrats romains, puisque la maîtrise de ces eaux, similaire à celle du fleuve Gyndès par Cyrus, est le signe de la victoire future de Rome sur sa rivale étrusque. L’anecdote perse rapportée par Hérodote est comprise par lui comme un signe d’hybris de la part de Cyrus, ce qui ne devait pas être le cas dans les mentalités iraniennes. Le même type de distorsion est aussi le sujet de « The Punishment of the Hellespont by Xerxes : Perception of religious behavior of the enemy in conflict situations », où Hérodote considère que la flagellation des eaux de l’Hellespont par Xerxès, pour les punir d’avoir détruit un pont traversant le détroit, est là aussi un acte d’hybris, alors qu’il s’agit de la même logique iranienne de maîtrise souveraine des forces du Feu dans l’Eau, dont le souverain est le dépositaire légitime. Cependant, même si cette conception du rapport entre la royauté et les eaux vives n’était pas comprise des Grecs, ceux-ci ont conservé d’autres représentations du Feu dans l’Eau. Ainsi, dans « Vieux de la mer grecs et Descendants des eaux indo-européens », D. Briquel montre que les figures appelées « Vieux de la mer », comme Nérée ou Protée, sont des incarnations du Feu dans l’Eau qui doivent être maîtrisées par le héros pour obtenir la vérité qu’ils recherchent. Celle-ci étant dérivé de l’office judiciaire du roi en tant que diseur de vérité. De même, il présente, dans « La comparaison indo-européenne dans le domaine grec : l’exemple de Poséidon », ce dieu comme étant aussi, en partie, une incarnation du caractère ordalique du Feu dans l’Eau, dans les conflits – où il est toujours perdant – qu’il a avec d’autres divinités pour la possession tel ou tel territoire, mais également dans d’autres aspects de sa personnalité : « ébranleur du sol », lien avec le cheval et la puissance fécondante, caractère malcommode du dieu. Retour à Rome avec « Tarquin l’Ancien et le dieu Vulcain » où l’auteur nous montre que ce dieu préside à une utilisation purement guerrière du Feu dans l’Eau par le monarque étrusque, tout en rappelant les liens de cette divinité avec l’aspect souverain de ce concept, en particulier dans la légende primitive de Romulus. Les deux études suivantes concernent une forme alternative et matérielle du Feu dans l’Eau : celle d’un trésor aurique ayant une origine et/ou un réceptacle aquatique. Ainsi, dans « La question des biens des Tarquins : blé du Tibre et or du Rhin », il montre que l’équivalent latin de cette forme germanique du Feu dans l’Eau qu’est le trésor des Nibelungen sont les biens frumentaires de la dynastie étrusque déchue qui furent précipités dans le fleuve romain, permettant ainsi l’émergence de l’Île Tibérine. « Le trésor du roi Décébale : à la recherche de représentations religieuses des anciens Daces (à propos de Dion Cassius, 68, 14, 3) » tente de montrer que la tentative de dissimulation aquatique de ses biens par le dernier roi des Daces devait répondre à des conceptions identiques sur le lien entre souveraineté, trésor royal et eaux d’un fleuve. Enfin, « Le combat de Jacob contre Dieu et le schème indo-européen du passage du fleuve » est la dernière étude concernant cette partie. Elle nous montre que cette victoire de Jacob sur les bords du Jaboq, fondatrice de la future souveraineté territoriale de sa descendance, est similaire aux affrontements ordaliques avec la divinité incarnant le Feu dans l’Eau. Elle pose aussi la question d’un héritage de certains motifs ou mythèmes indo-européens au sein de la tradition biblique.

    Le dernier tiers de cet ouvrage concerne diverses divinités ou héros. Il s’ouvre là encore sur une introduction replaçant chacun de ces articles dans leur contexte historiographique. Le premier, « Remarques sur Quirinus », tend à clarifier la place paradoxale de ce dieu au sein du panthéon romain : c’est un dieu de troisième fonction, mais en tant que dieu des citoyens romains, il s’écarte de l’aspect fécond de F3 et a acquis de la sorte des aspects appartenant aux deux autres fonctions qui brouillent la personnalité de ce dieu. Dans « Some Remarks About the Greek God Hermes », notre auteur voit dans ce dieu un autre équivalent hellénique – après Prométhée et son frère et les deux séries de triplets monstrueux d’Ouranos et de Gaia – des deux divinités auxiliaires de la souveraineté, au niveau théologique cette fois-ci. « Note sur les calendes et les ides » se penche sur les rapports calendaires et lunaires de Junon et de Diane dont l’action est ici considérée comme complémentaire. C’est encore des relations existant entre ces deux déesses dont il s’agit dans « Lucrèce et Clélie, Junon et Diane, deux visions du féminin à Rome », mais, cette fois-ci, l’analyse, plus globale, passe par celle des deux héroïnes suscitées, qui semblent être les transpositions héroïques de ces deux formes latines de la déesse trivalente indo-européenne ; tout en faisant un sort au passage à une autre hypothèse de Dumézil, celle de l’identification de Diane appartenant au genre des dieux cadres indo-européen. Cet ouvrage se referme sur une étude sur « Hercule et Cacus : remarques comparatives sur un mythe romain », où la mise en parallèle de ce récit avec d’autres traditions indo-européennes permet à l’auteur de l’identifier comme analogue au mythème de la récupération divine du bétail volé par un être démoniaque.

    C’est là un recueil de première importance que tout bon mythologue indo-européaniste doit posséder dans sa collection. Cependant, deux bémols doivent être soulevés. Tout d’abord, des coquilles subsistent par endroits et elles sont parfois regrettables, comme celles du tableau page 164. Ensuite, nombre d’articles anciens auraient mérité une mise à jour bibliographique plus approfondie qui dépasse le cadre des introductions des trois parties. Il n’en reste pas moins que ces critiques sont mineures par rapport à la qualité générale de cet ouvrage.

     

    Guillaume Oudaer

    1Celle-ci voit s’affronter les représentants de la société trifonctionnelle aux incarnations des forces qui lui sont extérieures. Sur ce mythème, voir, en dernier lieu, P. et A. Sauzeau, La Bataille finale, Mythes et épopées des derniers temps dans les traditions indo-européennes, 2017, Paris, L’Harmattan.

    2D. Briquel, Mythe et révolution. La fabrication d’un récit. La naissance de la République à Rome, 2007, Bruxelles, Latomus.

    3C’est le sujet de son livre La Prise de Rome par les Gaulois. Lecture mythique d’un événement historique, 2008, Paris, Presse Universitaire Paris-Sorbonne.

    4Il s’agit de la partie intitulée « La saison des rivières », in G. Dumézil, Mythe et épopée, III, Histoires romaines, 1973, Paris, Gallimard.

  • Julien d'Huy - Première reconstruction statistique d'un rituel paléolithique: autour du motif du dragon

    Première reconstruction statistique d'un rituel paléolithique: autour du motif du dragon 

    Julien d'Huy*

     

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    IMAf UMR 8171 (CNRS/IRD/EHESS/Univ.Paris1/ EPHE/Aix-Marseille Univ-AMU)

     

     

    Abstract: In two great caves decorated in the Paleolithic : Montespan and Le Tuc d’Audoubert (out of which a river flows) there were found headless snake skeletons. One of them was a Colubrid, a particularly long snake. The fact that the skeletons are headless may reflect the snake’s dangerousness : the dangerous animals, like bison and lions, were often represented arrowed or headless, for instance at the Tuc d’Audoubert cave. 

    To understand the meaning of what was possibly an important ritual I have tried to statistically reconstruct the primal European Paleolithic folklore about the Snake.

    The software Paup4.0a147 and Mesquite2.75 were used to analyze a database of 42 mythological narratives concerning snakes (available here : http://ruthenia.ru/folklore/berezkin) and 22 geographical areas, each of them possessing more than ten narratives. The use of such a database was justified by a previous phylogenetic study of folktales concerning wild animals (d’Huy 2015) that showed a low correlation between the distribution of folk tales and geographical associations among populations, and established a parallel between the structure of phylogenetic trees built from folk tales and what we know of the first human migrations ; moreover, these phylogenetic trees allowed the reconstruction of the content of ancient tales corpora, e.g. Paleolithic.

    In this paper, a NeigbhorJoining (retention index : 0,52; fig.1), an UPGMA (retention index : 0,48; fig.2) and a majority rules consensus (RI : 0.54; fig.3) trees were build. The organization of these trees are similar to those obtained by the analysis of three other different databases : the first is about the stories where a rainbow snake drinks water on the ground, or in the sky (d’Huy on 2016 ; fig.4) ; the second, the fight against the dragon, based on many ethnic group’s beliefs (d’Huy 2014a ; fig.5) ; the third is based on some geographical areas and concerns the zoem of the dragon (d’Huy, 2013 ; fig.6). The results from these four independent, unrelated databases mostly coincide with respect to the topology of branching, and converge to strong conclusions about the evolution of snake folklore.

    Four almost identical trees have been reconstructed from the databases of the present paper (fig. 1, 2 and 3) and of d’Huy 2013 (fig.6). The human folklore about snakes seems to have left Africa in two steps. The first wave reached Oceania and then South America through the South and Southeast coast of Asia. This reconstructed wave is in agreement with the diffusion of the particular motif where a snake rainbow drinks water on the ground, or in the sky (fig. 4). Another wave left Africa to the Americas through central Asia (?). Finally, a late wave covered the major part of Eurasia, perhaps soon after the late glacial maximum. These two last waves are reflected in the two-step diffusion of the fight against the dragon (fig.5). 

    The results obtained from four different databases at distinct levels (the diffusion of a set of narratives, a set of traits about a zoem, a mythological motif, a narrative structure where different story elements serve the same narrative plot) using different levels of analysis (geographical area, cultural area, cultural groups) and different statistical tools (including NeigbhorJoining, UPGMA, Bayesian algorithms, parcimony, consensus) all fit the same scenario.

    Once the structural integrity of the NeigbhorJoining, the UPGMA and the consensus trees controlled by the three independent sources of evidence, it is important to note the strong closeness between the structure of these mythological trees and what we know about the first human migrations. It seems possible to accurately reconstruct the first human migrations from the diffusion of sets of folk tales, or of given mythological narratives, by using statistical tools.

    Using all phylogenetic trees studied in this paper and monitoring the results by observing the congruence between the results and the reconstructions obtained from two completely different databases (d’Huy 2013, 2014a, b) at the same geographical level, it becomes possible to securely reconstruct various features of the first European folklore about snakes. During the European Paleolithic period, people imagined mythological snakes being of natural size (100 % probability), or giant (75 % probability), possessing horns on the head (83 % probability) and having one or many heads (100 % probability) ; they sometimes possessed a diamond or magic treasure, could fly and produce rain and/or thunderstorms (75 % probability) and could fight against the thunder or against a giant bird (66.66 % probability). They could take the form of a rainbow (75 % probability). They were dangerous. They could prevent people from reaching water : permitting them, most of the time, only in exchange for sacrifices or valuable goods (100 % probability). Snakes were not only immortal, but were responsible death, for the mortality of man (100 % probability). And so it is possible that the headless snake skeletons of Montespan and of Le Tuc d’Audoubert reflect a ritual used to control rain and water by neutralizing, symbolically, the dangerous master : the dispenser of this precious element.

    This reconstructed myth may well have been illustrated by a Paleolithic image found in the cave of La Madeleine, in Dordogne (France), dated to the Magdalenian period. This image (fig.7, 8), possibly related to water, shows an apparently dead snake thrown on his back, passive, on which a man with a stick on his shoulder turns his back. Significantly, the heads of two horses are added. Several current mythological motifs (shown to be, in fact, very old) and the comparison with other Paleolithic images (e.g. fig. 9) may give us an explanation. The horses as auxiliaries in the fight against the monster and the passivity of the defeated snake are motifs that are found among the first Indo-European narratives. Moreover, water is often associated with snakes in Paleolithic images (and are among, once again, the first Indo-European narratives). This second part of the paper is meant as independent support, and does not use statistics.

    Keywords: Comparative method, cultural evolution, gene-culture co-evolution, computational phylogenetics, cladistics, human prehistory, historical reconstruction, family tree, oral tradition, myths, folktales, ritual, serpent, dragon.

    Résumé: Dans la grotte ornée de Montespan et du Tuc d’Audoubert, toutes deux traversées d’une rivière qui sort de leur porche, ont été trouvées des serpents acéphales, déposés de main d’homme au Paléolithique supérieur. Leur acéphalie témoignerait de leur dangerosité supposée. Afin de comprendre le sens de ce rituel, j’ai tenté de reconstruire le proto-folklore entourant les serpents au Paléolithique supérieur, et ce en utilisant des outils phylogénétiques. Les résultats convergent avec ceux obtenus à partir de quatre autres bases de données. C’est la première fois qu’une telle consilience est mise en évidence en phylogénétique des mythes. Le folklore entourant les ophidiens semble avoir suivi les premières routes migratoires de l’humanité. L’arbre rend aussi possible la reconstruction du folklore paléolithique du serpent en Eurasie. Si on accepte les résultats obtenus, les rituels de Montespan et du Tuc d’Audoubert auraient pu servir à contrôler l’eau, en neutralisant symboliquement le dangereux et long serpent dispensateur de l’élément liquide. Ces résultats trouvent par ailleurs un écho dans plusieurs images rupestres et se voient prolongés par certains motifs très anciens de la mythologie européenne.

    Mots clés : Méthode comparative, évolution culturelle, coévolution gène-culture, phylogénétique, cladistique, préhistoire humaine, reconstruction historique, arbre généalogique, traditions orales, mythes, contes, rituels, serpent, dragon.

     

    Télécharger le fichier en pdf / download in pdf: dHuy.pdf

    Cité par : quoted by:

    Denys Lépinard, La Création du langage par le dialogue bihémisphérique, 2018, Paris, Éditions du Panthéon.

    Alessandro Testa, « Ritual zoomorphism in medieval and modern European folklore : some sceptical remarks on a possible connection with a hypothetical Eurasian shamanism », Religio, XXV-1, 2017, p. 3-24.

     

    Dans la grotte ornée de Montespan, située en Haute-Garonne et fréquentée au Paléolithique, à plus de 160 mètres de l’entrée, se trouve posé, au creux d’« une petite niche naturelle sur une sorte de petite étagère, à moitié pris dans la stalagmite », un petit squelette de serpent dont « la tête manque »1.

    Or un autre squelette de serpent acéphale a été retrouvé dans la grotte du Tuc d’Audoubert, en Ariège. Au vu de sa gracilité et de sa longueur, ce serait une couleuvre. Elle était probablement entière lorsqu’elle arriva là, comme le prouverait la connexion anatomique de ses os, quoiqu’on ne puisse écarter la possibilité qu’on lui ait coupé la tête à l’extérieur de la grotte avant de la transporter. Trop loin de l’entrée, il est peu probable qu’elle se soit aventurée en ces lieux seule. Sans doute fut-elle déposée de main d’homme, au centre d’un gour bien visible sur le chemin, et non loin de traits digitaux dans l’argile2. Comme l’a remarqué Paul Bahn3, Montespan et le Tuc d’Audoubert, toutes deux fréquentées au Paléolithique supérieur, possèdent toutes deux des modelages en argile et sont toutes deux traversées d’une rivière sortant de leur « bouche ».

    Si l’on exclut l’hypothèse d’une coïncidence (au vu de la complexité de la scène : grotte ornée / traversée d’une rivière / présence d’un modelage en argile / présence d’un serpent acéphale), nous pourrions être ici face à un rituel. L’acéphalie du serpent serait un indice fort allant dans ce sens. Au Tuc d’Autoubert, près d’un tiers des bisons représentés sur les parois de la grotte sont acéphales (12 %) ou représentés fléchés (17 %). Le seul lion de la grotte est à la fois représenté acéphale et atteint d’un signe angulaire au poitrail. À l’inverse, aucun cheval et aucun bouquetin n’est concerné avec certitude par une acéphalie ou par un signe vulnérant. Les animaux préférentiellement représentés fléchés ou acéphales étaient à la fois peu chassés4et particulièrement dangereux5 : l’acéphalie et les traits vulnérants auraient alors pu être un moyen de conjurer leur animation ; en effet, « une créature acéphale est par définition morte, puisque la tête lui a été tranchée6». Le traitement du serpent aurait pu répondre à une telle volonté de neutralisation de l’animal. Or le serpent du Tuc et de Montespan sont d’inoffensives couleuvres, ce que ne pouvaient ignorer les Paléolithiques. Pourquoi, alors, leur retirer la tête ? Pourquoi le faire au fond d’une grotte, près d’une rivière ? La solution la plus parcimonieuse serait de voir dans le serpent un symbole qui, pour les hommes d’alors, renvoyait à quelque chose d’autre par ressemblance, association ou convention, et dont le dépôt était rituel.

    Une première approche statistique

    Une première possibilité pour reconstruire le sens de cette scène, si nous acceptons que rituel et mythologie sont liés, serait de tenter de reconstruire la façon de penser des hommes d’alors, et la perception qu’ils avaient des serpents. Il faut alors accepter l’hypothèse que le mythe puisse être la source du rituel. C’était déjà l’opinion des anciens Grecs, quand ils expliquaient l’origine d’un culte par un mythe étiologique ; ainsi la fête athénienne des Apatouries, où les éphèbes sacrifiaient leur chevelure, commémore la « tromperie » grâce à laquelle l’Athénien Mélanthios triompha de son adversaire7. Des auteurs plus contemporains appuient cette hypothèse. Malinowski écrit que « the rituals, ceremonies, customs, and social organisation contain at times direct references to myth, and they are regarded as the results of mythical events8». Dans son célèbre article « Myths and Rituals : a General Theory »9, Clyde Kluckhohn, comme Émile Durkheim avant lui, souligne que les cérémonies chrétiennes s’appuient sur des canons rituels fixés par une mythologie. Si l’hypothèse actuellement prédominante dans le champ de l’anthropologie reste celle d’une homologie « lâche » entre mythes et rituels – le rituel ne jouant pas plus nécessairement un mythe qu’un mythe ne décrit forcément un rituel –, cela ne doit pas nous empêcher d’utiliser les ressources de la mythologie comparée pour éclairer les scènes de Montespan et du Tuc d’Audoubert.

    La présence d’un serpent décapité au fond d’une grotte rappelle certains rituels eurasiatiques conduisant à la neutralisation symbolique d’un « dragon » : la Mésopotamie ancienne, durant l’Empire babylonien, connaissait une actualisation du combat de Marduk contre Tiamat, et ce chaque année rituelle10 ; le meurtre du dragon par Susano-Wo (Susanoo) est encore joué dans les villages japonais11, des rituels existaient aussi dans l’ancienne Égypte12et nombre de dragons processionnels arpentaient il y a peu l’Europe occidentale, souvent domptés, voire tués, par quelque saint ou héros. Mais comment dépasser le stade de la simple analogie séduisante, faisant des serpents acéphales des « dragons » paléolithiques ?

    En utilisant des outils statistiques et phylogénétiques, et en m’appuyant sur deux bases de données différentes, je suis déjà parvenu à reconstruire le proto-récit du dragon, défini comme une chimère possédant pour une part au moins un corps de serpent, lors de la sortie de l’homme d’Afrique : « Le dragon garde les sources et autres points d’eau. Il peut voler et apparaît lorsque la pluie et le soleil s’interpénètrent. Il possède des écailles et des cornes, ainsi qu’une pilosité humaine. Il s’oppose (ou est associé) à la foudre et au tonnerre. Enfin, il peut provoquer des inondations, des tornades, et est peut-être en lien avec l’immortalité »13. Cette reconstruction a été confirmée lorsque j’ai mis en regard divers arts rupestres d’Afrique, d’Australie, d’Asie et d’Amérique montrant des serpents cornus et la mythologie des peuples autochtones : le noyau commun des différents folklores tournant autour du serpent cornu, que l’on peut supposer extrêmement ancien, est presque identique à la reconstruction statistique, ce qui renforce considérablement mes conclusions14. Ces résultats n’ont rien d’original : ma reconstruction sta

  • (Review) Bernard Sergent – Les Dragons. Mythes, rites et légendes

    Sergent.jpgBernard Sergent, Les Dragons. Mythes, rites et légendes, 2018, Fouesnant, Yoran Embanner, 400 p.

    Si le dragon appartient au bestiaire fantastique, sa réalité au sein des mythes, des rituels et de l’imaginaire s’impose à travers nombre de cultures de par le monde. Les sauriens de cet ouvrage, écrit par l’un des membres de notre comité rédactionnel, relèvent presque exclusivement du monde indo-européen. Il s’agit en fait du rassemblement et de l’actualisation d’articles publiés entre 1990 et 2000, que Bernard Sergent a publiés au fil de ses travaux comparatistes ou de mythologie et d’hagiographie française. Viennent compléter le sommaire deux études inédites, l’ensemble étant précédé d’une introduction synthétique.

    Dans celle-ci, intitulée « Dragons des mythes indo-européens », l’auteur rappelle que le dragon est une figure très importante des traditions folkloriques et légendaires françaises et qu’il est, plus généralement, commun à l’ensemble des cultures de langues indo-européennes. Il dresse un panorama de ce type de traditions chez les Indiens, les Iraniens, les Scythes, les Ossètes, les Hittites, les Phrygiens, les Arméniens, les Slaves, les Baltes, les Thraces, les Daces, les Grecs, les Germains et les Celtes. Il remarque que le dragon n’existe pas sous une forme reptilienne chez les Latins, mais qu’il a sans doute été humanisé – comme ailleurs dans l’aire culturelle indo-européenne – sous la forme d’un adversaire triple (Cacus) ou d’une triade d’opposants (les Curiaces). Il passe alors à une énumération des contes-types – selon la classification d’Anti Aarne et de Stith Thompson – où un héros doit vaincre un dragon ou, parfois, à titre de variante, une version humanisée monstrueuse (ogre, diable) ou non (seigneur mauvais) de celui-ci ; tout en donnant leurs zones d’attestations. Il en conclut que la distribution de ces récits couvre essentiellement des pays de langues indo-européennes ou des contrées les voisinant. Il en tire trois points communs définissant les dragons indo-européens : ils sont l’adversaire dont le héros tire une victoire ; ils ont un rapport à l’eau et ils sont la plupart serpentiforme, même s’ils peuvent avoir des affinités avec d’autres animaux, dont ils peuvent parfois combiner les traits pour former de véritables chimères, ou des phénomènes météorologiques. Enfin, Bernard Sergent termine cette introduction en abordant les problèmes de l’origine conceptuelle des dragons indo-européens, exposant les trois principales thèses. La première thèse, celle du diffusionnisme, a placé l’origine des dragons en Égypte, en Chine ou au Proche-Orient1. La seconde thèse, zoologique, explique les dragons comme étant la transposition dans la mémoire mythique collective du souvenir des animaux ayant effrayé l’être humain par le passé. La dernière est sociologique : le dragon – indo-européen tout du moins – est une figure ayant un rôle dans le processus initiatique et c’est vers cette solution que tend l’auteur, tout en annonçant que son premier chapitre vient à l’appui de cette idée.

    En effet, le chapitre I, « La Grèce ancienne a-t-elle connu des dragons rituels ? », pose la question de l’existence ou non de rituels mettant en scène ces monstres, comme cela se faisait – et se fait encore – ailleurs. Prenant pour base les dragons fabriqués dans un but initiatique apparaissant dans les traditions indiennes et scandinaves, comme mis en lumière par Georges Dumézil, il pose l’hypothèse que la Chimère affrontée par Bellérophon, mais élevé par le roi lycien Amisodaros tel un animal apprivoisé et le monstre anonyme ressemblant à un lion mais totalement inoffensif que combat le héros irlandais CúChulainn, dans la Tochmarc Emire, sont la transposition légendaire de tels monstres initiatiques. Cette hypothèse est renforcée par l’étude de l’arrière-plan rituel de dragons rencontrés par Héraclès, Cadmos et Persée. Enfin, elle est corroborée sur le plan rituel par l’étude de trois fêtes delphiques – Septérion, Héroïs et Kharila – qu’il compare avec la danse géranos de Délos, qui commémore la victoire de Thésée sur le Minotaure, au mythe du roi cannibale Lycaon et à celui d’un autre souverain anthropophage, iranien cette fois, Azi Dahāka.

    Le chapitre II – le premier inédit – se rattache directement à la comparaison opérée à la fin du premier, car il a pour titre « Delphes et Chitral ». Cette dernière localisation est celle d’un fleuve du nord-ouest du Pakistan, dont les vallées qui le bordent forment les derniers refuges d’un peuple polythéiste de langue indo-aryenne archaïque, les Kalashs. L’auteur se penche sur la fête du solstice d’hiver de cette population qui met en scène une forme locale d’Indra, le grand dieu sauroctone de l’Inde ancienne. Il démontre que celle-ci a des points communs avec les rites delphiques évoqués précédemment et que la forme locale d’Indra possède des aspects rappelant Apollon. La comparaison est intéressante, mais le rapport de la fête kalash avec la thématique draconique est marginal : seul le fait que le jour qui précède l’arrivée de l’équivalent local d’Indra s’appelle « la nuit du monstre-serpent » semblent rappeler le meurtre du serpent Python par Apollon.

    Dans le chapitre III, Bernard Sergent étudie le rapport entre « Les saints sauroctones et les fêtes celtiques ». Étudiant la répartition calendaire des mises à mort de dragons par ce type de figure dans les anciennes terres celtiques d’Europe occidentale continentale, il constate qu’elles encadrent en grande majorité les quatre fêtes qui rythmaient l’année celte – signe de la survivance de la culture celtique en dépit de la romanisation et de sa christianisation superficielle. Ces célébrations étant des moments de coupure et d’ouverture entre l’Autre Monde et le nôtre, durant lesquels les héros du second affrontent des adversaires issus du premier.

    Ce troisième chapitre sert, en quelque sorte, d’introduction aux chapitres IV à VII, qui se présentent comme des « études de cas » de mythes localisés. Quatre dragons : un breton, un provençal, un parisien et un alpin et autant de saints qui les maîtrisent et/ou les détruisent pour assainir les contrées concernées.

    Dans le chapitre IV, l’un des plus développé de l’ouvrage, c’est un dragon fort singulier, développant un goût pour la musique, qui est l’occasion d’un spectaculaire parallèle entre hagiographie bretonne et mythologie hittite, une parenté qui ne peut – naturellement – relever d’aucun emprunt littéraire : le conte armoricain étant attesté bien avant que le mythe anatolien ne soit révélé par le déchiffrement de tablettes en écriture cunéiforme. La spécificité de ces deux récits tient en quelques éléments singuliers. Dans les deux cas, un dieu/héros royal et guerrier surpuissant (Taru/Tarawaš dieu de l’orage et le roi Arthur, les deux maniant la massue) est, malgré son statut, vaincu par le serpent/dragon, qui ne sera finalement soumis que par un personnage bien plus modeste (Hupašiya un simple mortel et saint Efflam), lequel sera sanctifié. Le reptile, d’ailleurs fort humanisé (il coud et joue du biniou en Bretagne ; il vient en famille assister à une fête chez les Hittites) sera lié au moyen d’un cordon par Hupašiya, ou par l’effet d’un signe de croix par Efflam, avant d’être tué ou précipité dans un gouffre. Des deux côtés, l’affrontement se déroule en zone maritime à l’époque du solstice d’hiver/début d’année et connaît son épilogue au Printemps. Dans les deux cas, une femme joue un rôle essentiel (la déesse Inara qui convainc Hupašiya – homme marié – en devenant sa maîtresse ; Enora, fiancée d’Efflam que ce dernier refuse d’épouser la soupçonnant d’adultère). De nombreuses autres connexions, linguistiques ou rituelles, amplement et finement étudiés, finissent de convaincre que nous sommes là face à un mythe commun partagé à l’époque où Hittites et proto-Celtes voisinèrent (IVeou Ve millénaire av. J.-C.).

    Le chapitre V est l’occasion d’aborder le cas des dragons insulaires en premier lieu celui (ou ceux) réputé(s) hanter les îles de Lérins, avant que saint Honorat ne les détruise en évangélisant ces lieux déserts. Ce cas particulier est l’occasion de mettre en évidence une belle rencontre mythologique entre un élément grec, plus précisément rhodien (les Rhodiens ayant essaimé dans la région avant même l’arrivée des Phocéens fondateurs de Massalia/Marseille) et un élément celto-ligure. En effet, si les Celtes insulaires et ceux du littoral occidental connaissent moult saints chasseurs de serpents, aucun récit ne correspond au cas de Lérins : une île rendue stérile, un héros/saint venu de l’extérieur pour vaincre des reptiles effrayants, suite à quoi un déluge localisé vient nettoyer les lieux des cadavres puants des sauriens. Ce qui permet à l’auteur d’affirmer que la spécificité de la sauroctonie d’Honorat relève d’un croisement entre un fond archaïque celte et ligure sur lequel est venue se greffer une version rhodienne (elle-même exceptionnelle en Grèce) de la destruction des dragons, avant que le christianisme, à la fin de l’Antiquité, ne récupère le mythe.

    Le chapitre VI conduit sur les bords de la Seine, où l’évêque Marcel – célébré à l’origine le 1er novembre, date du Nouvel An celtique – combat un reptile terrifiant qui hantait la tombe d’une femme de haute noblesse ayant mené une vie de débauche, se repaissant du cadavre de la morte. Le prélat affronte le monstre, le frappe trois fois de sa crosse, le lie avec son étole et l’entraîne pour le relâcher dans un lieu aquatique. L’auteur démontre que ce dernier ne peut-être que la Bièvre, affluent de la Seine au cœur même de Paris, située dans une vallée inondable, marécageuse dans l’Antiquité. Cette rivière tirant son nom de celui du castor en ancien français (lui-même issu du gauloisbebros), cela pose la question de l’identité du mammifère amphibie avec le « dragon » de Marcel, à laquelle il apparaît possible de répondre par l’affirmative au moyen des données celtiques insulaires. Le castor apparaît alors comme un mythique maître des eaux – version alternative du dragon aquatique – pouvant provoquer le débordement des fleuves. L’ensemble du contexte : femme adultère de haute lignée, créature de l’Autre Monde surgie des eaux, date du Nouvel An (Samonios/Samain), indique l’origine foncièrement celtique de cette tradition.

    Le chapitre VII ne consacre pas moins de 62 pages au dossier de Saint-Véran, village des Hautes-Alpes réputé le plus haut d’Europe occidentale et dont le saint éponyme est un également un sauroctone célébré au voisinage de l’ancienne fête gauloise de Samonios. Il montre également les trois fêtes célébrées dans cette localité prolongent trois des quatre célébrations saisonnières celtiques. Cet héritage pré-chrétien se vérifie encore dans l’iconographie de l’église de Saint-Véran, avec des réminiscences du motif celte de la tête coupée et de celui du carnassier androphage. Ceux-ci permettent à Bernard Sergent de faire le lien avec, outre une sauroctonie pré-chrétienne, la légende irlandaise de l’idole de Crom Cruaich, à qui des enfants étaient sacrifiés.

    Le chapitre VIII, intitulé « Un mythe lithuano-himalayo-amérindien », est à peine plus court que le précédent et tout aussi riche. Comme le chapitre II, la thématique draconique est là marginale. En effet, il s’agit d’une étude du conte-type 425M ou, plutôt, du mythe étiologique rangé sous ce numéro dans la classification d’Aarne et Thompson et dont le conte-type 425 « à la recherche de l’époux disparu » semble en être la version affadie. La version la plus connue du 425M est l’histoire lithuanienne d’Eglé, qui épouse un serpent souverain de l’Autre Monde, et le conte 425 le plus proche est celui d’éros et Psyché. C’est en comparant ces deux récits que l’auteur en arrive à considérer le conte-type 425 comme un affaiblissement du 425M. Il approfondit son étude à travers plusieurs versions indiennes – toutes mettant en scène des serpents aquatiques, puis amérindiennes - où le conjoint animal est une anaconda, un lion de mer, l’esprit ophidien d’un lac ou un serpent marin – de ce mythe. Cela lui permet d’aboutir au sens profond de celui-ci : la prohibition de l’exogamie trop lointaine, animale, accompagnée d’une dialectique alimentaire. Enfin, Bernard Sergent termine cet exposé en proposant une reconstitution de l’histoire de ce mythe et de sa transformation en conte-type 4252.

    Le chapitre IX, le second inédit de l’ouvrage, et qui porte le titre de « La dialectique, du loup, de l’ours et du dragon », s’attarde sur l’opposition entre, d’une part, un carnassier, loup ou ours, et, d’autre part, le dragon, en domaine indo-européen. Celle-ci est analysée comme symbolisant l’affrontement, à valeur probatrice, entre des guerriers, affilié par leur nom et/ou leur généalogie aux deux grands prédateurs des espaces sauvages ouest-eurasiatique, et les forces de l’Autre Monde. L’auteur le démontre à travers les exemples germaniques de Bödvarr Bjarki, de Sigurdr et de Beowulf, de ceux iraniens d’ethnonymes lupins qui éclairent le motif d’un roi qui se déguise en dragon pour éprouver ses fils ; de celui slave d’un Saint Georges russe qui réunit une troupe de loups pour qu’elle attaque un dragon ou d’un héros serbe au nom lupin qui tue un dragon ; de celui grec des jeunes Delphiens qui devaient sans doute se déguiser en loup pour terrasser le dragon-tyran dans le rite du Septérion ; et celle d’origine celtique de deux saints sauroctones portant le nom de Loup. Il se penche également sur l’homologation, surtout présente dans l’iconographie celtique, entre loup et dragon, mais qui apparaît également dans la poésie indo-iranienne, scandinave et hittite. Inversement, il remarque que l’image du dragon est mise en avant par les armées Celtes, germaniques, iraniennes, daces, arméniennes et romaines. Tout cela lui permet de décoder tout le faisceau du sens mouvant, du meilleur au pire, du loup, autour de l’invariant négatif et agressif qu’est le dragon.

    Les études qui forment cet ouvrage sont tout à fait éclairantes et pertinentes dans leurs problématiques – si ce n’est notre léger bémol du second chapitre. On remarquera aussi que la bibliographie et le texte des études antérieurement publiées a été mis à jour. Enfin, d’un point de vue factuel, c’est un bel ouvrage où chaque tête de chapitre est illustrée par une gravure ancienne. Notons également l’appendice bienvenu faisant le point sur la discipline de la classification des contes et ses principaux ouvrages. Nous regretterons simplement que quelques coquilles malheureuses parsèment ce magnifique ouvrage.

    Guillaume Oudaer, avec la collaboration de Dominique Hollard

    1Par contre, nous ne suivons pas cet auteur lorsqu’il affirme qu’il y a une « absence à peu près complète du dragon dans les mythes africains ». Comme ailleurs, aux Amériques ou en Océanie, il existe des créatures draconiques qui se démarquent du modèle indo-européen et, de manière plus large, eurasiatique. Sur une origine paléolithique et africaine de la figure du dragon, cf. Julien D’Huy, « Statistical Methods for Studying Mythology : Three Peer Reviewed Papers and a Short History of the Dragon Motif », The Retrospective Methods Network Newsletter, 9, p. 125-127, Winter 2014-2015.

     

    2Cependant, lorsqu’il déclare que l’origine du conte si particulier d’Éros et Psyché nous est inconnue dans l’état actuel de nos connaissances, il ne cite pas les travaux d’Emmanuel Plantade (en premier lieu, « Du conte berbère au mythe grec : le cas d’éros et Psyché », Revue des études Berbères(INALCO), 9, p. 533-563, 2013) sur l’origine berbère de ce conte et c’est d’autant plus dommage qu’ils auraient été pertinents dans une comparaison entre le conte d’Apulée – auteur originaire d’Afrique du Nord – et la version algérienne du conte 425 M.