Jean-Loïc Le Quellec et Bernard Sergent, Dictionnaire critique de mythologie, 2017, Paris, CNRS Éditions.
Les ouvrages sérieux de mythologie, et notamment de mythologie comparée, sont rares. Les ouvrages importants le sont plus encore. Quant aux incontournables, ils sont l’exception, et ce Dictionnaire critique de mythologie s’affirme clairement, disons-le d’emblée, comme faisant partie de ceux-là.
Il existe déjà de nombreux dictionnaires de mythologie, notamment de mythologie classique. Mais ce qui différencie celui-ci de ses prédécesseurs est son approche. On n’y trouvera pas d’entrée «Zeus» ou «Hercule», mais des entrées par «grand mythe», par concept, ou encore au nom de chercheurs importants. Et, de ce fait, les deux auteurs bousculent nos habitudes. Mais cela leur permet d’offrir ainsi au lecteur une synthèse de près de deux siècles de travaux comparatistes. Une synthèse critique : ainsi, lorsqu’ils reviennent sur le parcours de chercheurs tels que Carl-Gustav Jung ou Mircea Eliade, le bilan s’avère négatif, ou au mieux nuancé. D’aucuns le regretteront, mais il s’agit pourtant là d’une démarche salutaire. Parallèlement, ils remettent sur le devant de la scène de grands prédécesseurs du XIXe siècle ou du début du XXe siècle, tels que, par exemple, Alexandre Haggerty Krappe ou Henri Gaidoz, qu’on n’a hélas plus le réflexe de lire alors qu’ils furent de grands érudits.
Le champ d’étude du dictionnaire est mondial. Aussi, par exemple, ne faut-il pas être surpris de découvrir que la notice «Schéma mélusinien» (un être humain épouse une créature de l’Autre Monde, qui lui sera bénéfique tant qu’il ne transgressera pas un interdit) ne s’ouvre pas par la légende de la fée Mélusine, mais par un mythe hindou, avant de revenir sur l’analyse qui fut proposée des récits mélusiens par la médiéviste française Laurence Harf-Lancner, et enfin de donner une série d’exemples venus du monde entier.
Pour mener à bien cette vaste synthèse, ce dictionnaire accumule une somme absolument colossale d’informations, toutes parfaitement sourcées – la bibliographie occupe à elle seule près de 180 pages !
Bien sûr, dans une telle masse, il sera toujours possible de trouver quelques petites erreurs ou imprécisions : ainsi, à la notice « Âme », il est dit p. 31 que «l’Iran mazdéen comptait trois âmes pour chaque personne», mais, p. 32, il est question de cinq. On pourra aussi contester certains choix de translittération, notamment pour les noms de peuples : en optant pour une translittération de type scientifique, les auteurs auraient dû, par exemple, écrire «Ostyaks» ou «Ostjaks», et non «Ostiaks», qui est la forme française. De même, l’ethnonyme «Čukot» (p. 33), n’existe pas: il eût fallu écrire «Tchouktche» (à la française), ou plus correctement «Čukči». Mais broutilles que tout cela!
On ne peut être au final qu’admiratif devant le résultat d’un tel travail. À l’heure où, dans les universités françaises, il faut, pour créer un nouveau dictionnaire, ou une nouvelle encyclopédie, réunir des dizaines de chercheurs, qui écriront, chacun de leur côté, leurs notices constitutives d’un ouvrage dont la publication prendra cependant des décennies, et qui se vendra le plus souvent au prix fort, Bernard Sergent et Jean-Loïc Le Quellec ont produit à eux seuls, et finalement indépendamment de tout programme de recherche, une somme qui doit tout naturellement trouver sa place au sein de toute bonne bibliothèque érudite. Aussi force est-il de regretter que, si l’école francophone de mythologie comparée actuelle jouit encore d’une belle vitalité, comme le prouve, je l’espère, Nouvelle Mythologie comparée, ce n’est pas grâce aux universités ou aux instituts de recherche français.
Patrice Lajoye
Commentaires
Merci pour la review :)
Cela me fait penser suite au début du texte, avez-vous déjà énuméré les ouvrages de références ? Les ouvrages étant comme vous le dites peu neombreux, j'imagine que cela ne devrait pas être long ?
Cela serait utile pour des néophytes.