Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Guillaume Oudaer - Skadi et Déméter Erinys ou l’inversion mythique revisitée

Skadi et Déméter Erinys ou l’inversion mythique revisitée

Guillaume Oudaer

Doctorant à l'EPHE

guillaumeoudaer@aol.com

http://ephe.academia.edu/GuillaumeOudaer

 

Abstract: In 1992, Bernard Sergent has shown, using the analytical framework of structuralism, that the myth of Kore, in Greece, and that of Baldr, in Scandinavia, were opposite equivalents. The figure of Demeter, during this disappearance is also interesting, but the totality of his actions in this myth is not found in that of Baldr. If we compare the story of the goddess during the search of his daughter, whether in the Eleusinian tradition or that of Arcadia, we note that the missing elements in the comparison with Baldr are found elsewhere in the scandinavian tradition . This is the giantess Skadi and various myths about her. From this comparison, other equivalences between minor figures related, firstly, to Skadi and / or Baldr, and, secondly, to Demeter and / or Kore, will prove.

Keywords: Seasonal alternation, Baldr, Demeter, Kore-Persephone, Loki, Skadi, Ascalaphos / Ascalabos, Idunn, Baubo / Iambe, indo-european twins, constellation Gemini, Nanna, Artemis, Despoina.

Résume: En 1992, Bernard Sergent a montré, en utilisant la grille d'analyse du structuralisme, que le mythe de Korê, en Grèce, et celui de Baldr, en Scandinavie, étaient des équivalents inverses. La figure de Déméter, durant cette disparition, est également intéressante, mais la totalité de ses actions dans ce mythe ne se retrouve pas dans celui de Baldr. Si l'on compare l'histoire de cette déesse durant la recherche de sa fille, que se soit dans la tradition éleusinienne ou dans celle de l'Arcadie, on remarque que les éléments manquants à la comparaison avec Baldr se retrouvent ailleurs dans la tradition scandinave. Il s'agit de la géante Skadi et des différents mythes la concernant. A partir de cette comparaison, d'autres équivalences entre figures mineures liées, d'une part, à Skadi et/ou Baldr, et, d'autre part, à Déméter et/ou Korê, se révéleront.

Mots clés : Alternance saisonnière, Baldr, Déméter, Korê-Perséphone, Loki, Skadi, Ascalaphos/Ascalabos, Idunn, Baubo/Iambè, jumeaux indo-européens, constellation des Gémeaux, Nanna, Artémis, Despoina.

Télécharger l'article en pdf / download in pdf: Skadi (1).pdf

 

1. Korê, Baldr et leurs rapports avec Déméter Erinys et Skadi

 

Dans un article de 1992, Bernard Sergent a montré que le mythe scandinave de la mort de Baldr était l’inverse exact du mythe grec de l’enlèvement de Korê1. Rappelons d’abord cette dernière légende, d'après sa plus ancienne mention, celle rapportée par l'Hymne homérique à Déméter.

Alors qu'elle est en train de jouer avec les filles d'Okéanos, dans la plaine de Nysa, Korê, fille de Déméter et de Zeus, est promise par ce dernier à son frère Hadès. Puis, tandis qu'elle cueille des fleurs, Gaia fait pousser, selon la volonté de Zeus et pour plaire à Hadès, un narcisse merveilleusement beau et odorant qui émerveille Korê qui s'empresse de tendre les deux mains pour le cueillir. La terre s'ouvre alors et Hadès en sort pour enlever la déesse sur son char. Elle pousse un cri strident, en appelant à son père, mais aucun dieu ni mortel ne l'entend, si ce n'est Hécate qui entend la jeune fille depuis sa caverne, et Hélios, le soleil. Sa mère finit par l'entendre, mais trop tard. La tristesse saisissant son cœur, Déméter met un sombre manteau sur ses épaules et parcourt le monde, cherchant vainement des nouvelles de sa fille. Elle voyage durant neuf jours, avec des torches dans ses mains, sans goûter au nectar ou à l'ambroisie ni se désaltérer avec de l'eau. Mais quand le neuvième jour vient, Hécate, avec une torche dans ses mains, vient à elle et lui dit qu'elle a entendu l'appel de Korê, mais qu'elle n'a pu voir son ravisseur. Toutes les deux, portant leurs torches, se rendent chez Hélios qui raconte que le ravisseur de Déméter n'est autre qu'Hadès. En entendant cela, Déméter est si en colère contre Zeus qu'elle fit le vœux de ne plus mettre le pied sur l'Olympe, le séjour des dieux, ou de laisser les récoltes pousser du sol jusqu'à ce qu'elle puisse revoir sa fille.

Se rendant méconnaissable, sous le déguisement d'une vieille femme, elle se rend à Éleusis où elle se fait appeler Déo. Après avoir rencontré les filles des dirigeants de la ville, Kéléos et Metaneira, elle est accueillie chez eux. Elle y reste assise, voilée, sans boire ni manger ni sourire jusqu'à ce que Iambè la fasse rire.

Face à cela, Zeus envoie Hermès chez Hadès pour lui demander de renvoyer Korê parmi les dieux pour que sa mère puisse la revoir. Hadès accepte de la renvoyer, tout en lui donnant un pépin de grenade à manger, ce qui entraîne son retour inévitable au royaume des morts. Zeus pour la faire revenir dans le séjour des dieux fait alors en sorte que Korê – désormais appelée Perséphone – réside les deux tiers de l'année avec sa mère et le tiers restant aux Enfers2.

En ce qui concerne la mort de Baldr, celle-ci est racontée dans la Gylfaginning. Ce texte nous raconte qu’un jour, Baldr fit des rêves menaçant pour sa vie. Il expose cela aux Ases et ceux-ci décident alors de demander la sauvegarde de Baldr contre tout danger. C’est sa mère, Frigg, qui recueille les serments du feu, de l’eau, des métaux, des pierres, de la terre, des bois, des maladies, des animaux sauvages, des oiseaux et des serpents venimeux. Une fois cela fait, Baldr et les Ases commencent à se divertir en lançant toutes sortes de projectiles sur Baldr ou en le frappant, sans que cela ne lui fasse de mal. Cependant, cela ne plaît pas à Loki qui prend alors l’apparence d’une femme pour s’entretenir avec Frigg en la demeure de celle-ci. Loki lui demande alors si toutes les choses ont vraiment juré d’épargner Baldr et Frigg répond alors qu’elle a négligé de faire jurer le serment à une jeune pousse de gui. Sur ce, Loki va arracher la pousse de gui et se rend à l’assemblée des dieux où ceux-ci s’amusent avec Baldr. Il voit alors, en arrière du cercle formé par les Ases, Hödr, le frère aveugle de Baldr. Loki lui demande alors pour quelle raison il ne lance pas des traits sur Baldr et, celui-ci répond qu’il ne le peut à cause de son infirmité et parce qu’il est sans arme. Loki lui dit alors qu’il guidera sa main vers Baldr et il lui donne le rameau de gui comme arme. Le trait qu’il lance traverse Baldr et le tue. Cette mort est alors désignée comme « le plus grand malheur qui ait été provoqué chez les dieux et chez les hommes ». Tous les Ases demeurent sans voix et incapables de s’occuper de lui, sanglotant. Lorsqu'ils reviennent à eux, la première à prendre la parole est Frigg qui demande lequel des Ases accepterait de se rendre jusqu’à la demeure de Hel pour y trouver Baldr et l’échanger contre une rançon. C’est Hermódr le hardi, un autre fils d’Odin qui accepte de partir, avec Sleipnir, le cheval d’Odin, pour monture. Pendant ce temps-là, les Ases transportent le cadavre de Baldr sur son bateau, au bord de la mer. Ceci fait, Nanna, la femme de Baldr, meurt de chagrin et est transportée sur le navire, auquel les dieux mettent ensuite le feu, après qu’Odin y aie placé son anneau d’or, Draupnir, et que le cheval de Baldr y aie été conduit. Hermódr quant à lui, arrive chez Hel, après une chevauchée de neuf nuits, il y voit Baldr à la place d’honneur. Il prie ensuite Hel de permettre à Baldr de revenir avec lui chez les Ases, tout en lui décrivant leur profonde tristesse. Hel répond qu’elle consentira à le laisser partir si toutes choses, vivantes ou mortes, le pleurent, mais qu’il restera chez elle si quelqu’un refuse de le pleurer. Hermódr s’en va alors et, avant de partir, Baldr lui remet Draupnir pour Odin, en souvenir, tandis que Nanna lui remet une étoffe de lin et plusieurs cadeaux pour Frigg et un anneau d’or pour Fulla. Une fois rentré à Asgard, Hermódr raconte son voyage et les dieux envoient alors des messagers à travers le monde pour prier toutes choses de pleurer Baldr pour qu’il puisse sortir de Hel. Les hommes, les animaux, la terre, les pierres, les arbres et tous les métaux le font alors « comme (…) ces choses pleurent quand elles sortent du gel et entrent dans la chaleur ». Alors que les messagers rentrent après avoir accompli leur mission, ils trouvent dans une grotte une géante du nom de Thökk qui refuse alors de pleurer Baldr et le reste de l’histoire signale que c’était là encore un déguisement féminin de Loki. Il s'ensuit que Baldr devra rester chez Hel jusqu'au Ragnarök, après lequel il régnera avec son frère sur le monde renouvelé, tous deux réconciliés3.

Cependant, le mythe de Korê étudié par B. Sergent ne se limite pas à sa version principale. En effet, des péripéties alternatives de la quête de Déméter nous sont racontées également par la tradition arcadienne qu'il nous faut prendre en compte :

« Après Thelpousa, le Ladon descend au sanctuaire de Déméter qui se trouve à Onkeion. Les gens de Thelpousa appellent la déesse Érinys (…). Onkos, dont la légende fait un fils d’Apollon, avait le pouvoir en Thelpousie, sur la région du lieu-dit Onkeion. La déesse a reçu le surnom d’Érinys, à ce que l’on raconte, lors des courses errantes auxquelles elle se livra au temps où elle cherchait sa fille, Poséidon la suivit, désireux de s’unir à elle. Elle se transforme en jument et alla paître avec les chevaux d’Onkos. Poséidon se rend compte qu’il est joué et s’unit à Déméter après avoir lui-même pris l’apparence d’un étalon. Sur le moment, Déméter aurait été irritée de cette mésaventure, mais, par la suite, sa colère aurait cessé et elle aurait voulu se laver dans le Ladon. Ces faits ont valu des surnoms à la déesse : son ressentiment celui d’Érinys (parce que « s’abandonner à la colère » se dit έρινύειν en arcadien), son bain dans le Ladon celui de Lousia (…). A ce qu’on dit, Déméter eut de Poséidon une fille, dont ce n’est pas l’usage de dire le nom à ceux qui ne sont pas initiés, et le cheval Arion. C’est pour cette raison que les gens de Thelpousa seraient les premiers des Arcadiens chez qui Poséidon ait été nommé Hippios4. »

Plus loin le Périégète nous parle de la Déméter Mélaina de Phigalie :

« La légende qui a cours à Thelphousa au sujet du commerce que Poséidon eut avec Déméter est entièrement reprise à leur compte par les Phigaliens. Toutefois, selon ces derniers, l’être mis au monde par Déméter ne fut pas un cheval mais celle que les Arcadiens appellent Despoina. Ensuite, d’après eux, sous l’empire de son ressentiment contre Poséidon et de la douleur que lui causait le rapt de Perséphone, Déméter se vêtit de noir, entra dans une caverne et y demeura longtemps à l’écart. Tout ce que la terre nourrit dépérissait et la faim infligeait à l’espèce humaine des pertes plus grandes encore, et aucun des autres dieux ne savait, paraît-il, où se cachait Déméter. Mais Pan parcourait l’Arcadie, chassait tantôt sur une montagne, tantôt sur une autre. Il arriva aussi sur l’Élaion et vit dans quel état Déméter se trouvait et comment elle était vêtue. Zeus en fut instruit par lui, sur quoi il dépêcha les Moires auprès de Déméter. Celle-ci se laissa persuader par elles, renonça à sa colère et même se consola de son chagrin (…). [Les gens de Phigalie] expliquent le surnom de Mélaina (« Noire ») qu’ils lui donnèrent par la couleur du vêtement de la déesse5. »

Les différentes traditions autour du mythe de Déméter font partis d'un mythème eurasiaméricain découvert par Pierre Lévêque, celui de la colère de la Grande Déesse.Dans celui-ci, une Grande Déesse, céleste ou chtonienne, est affligée par un attentat sexuel sur elle ou l'une de ses proches et se retire du monde, le laissant dépérir, jusqu'à ce qu'on la persuade de la faire revenir grâce à des bouffonneries obscènes ou une négociation6.

De la tradition éleusinienne et du mythe de Baldr, Bernard Sergent a tiré une structure inversée qui s’articule selon quatorze points de comparaison, que nous citerons tout en les résumant :

1. Korê est la jeune fille par excellence, fille du dieu suprême. Baldr est le jeune homme par excellence, fils du dieu suprême.

2. Korê disparaît alors qu'elle jouait avec des jeunes filles de son entourage. Baldr est tué alors qu'il est l'objet d'un jeu des Ases.

3. Enlevée par le seigneur du monde des morts, Korê est, symboliquement, la première morte. Baldr est le mort paradigmatique.

4. L'enlèvement de Korê est automnal et son absence connote la mauvaise saison. Le meurtre de Baldr est printanier ou estival.

5. Korê, enlevée par le roi des Enfers, va en devenir la souveraine. Baldr est accueilli par la déesse des Enfers.

6. emmené par son oncle paternel, avec l'autorisation de son père. Le meurtre de Baldr l'expédie dans l'Autre Monde, à cause de son frère, à l'instigation d'un autre dieu.

7. L'enleveur de Korê, Hadès reçoit les morts dans son domaine et possède un casque qui rend invisible. Baldr est tué par son frère, Hödr, un dieu de la guerre, pourvoyeur de mort, qui est aveugle.

8. Le père de Korê, Zeus, avait donné son accord, sans prévenir la mère de celle-ci, Déméter. Odin, le père de Baldr, ne souhaitait pas la mort de son fils, et sa mère, Frigg, prévenue, mis tout en œuvre, lors d'une première errance, pour empêcher sa mort.

9. L'enlèvement de Korê plonge Déméter (seule) dans le désespoir, et le monde entier en souffre. La mort de Baldr plonge tous les dieux et le monde entier dans le désespoir.

10. Avant toute négociation, Déméter erre à travers le monde, demandant partout où est sa fille. Grâce à une négociation, une seconde errance s'engage à travers l'univers.

11. Le monde entier attend que Déméter rie. Les dieux demandent à tous les éléments du monde de pleurer.

12. Personne ne parvient à faire rireDéméter, hormis la jeune et belle Baubô. Personne ne refuse de pleurer, hormis l'horrible Thökk.

13. Le rire de Déméter libère l’enchaînement du cosmos, ouvre à la vie et connote le printemps. Les pleurs de tous les êtres connotent le printemps, mais le refus de Thökk assure l'enfermement de Baldr, rend la mort inéluctable, connote le monde glacé qui aussi bien celui des morts que celui des géants ou l'hiver cosmique du Ragnarök.

14. Au terme de la négociation entre Zeus et Hadès, Korê résidera alternativement sur Terre et dans les Enfers, connotant l'alternance saisonnière. Au terme de la négociation avec Hel, l'anneau d'Odin, qui connote le temps par ses sécrétions novendiales, est restitué à celui-ci, tandis que Baldr renaîtra finalement après l'hiver du Ragnarök, dans un univers fertile et renouvelé7.

D'autres parallèles entre ces deux récits existent. Ainsi, en ce qui concerne l'errance de Déméter, il n’y a qu’un seul véritable témoin du rapt de Korê que celle-ci trouve – le dieu du soleil Hélios – et il y a une unique chose qui peut tuer Baldr, car Frigg ne lui a pas parlé lors de son errance correspondent à celle de Déméter – le gui. Or cette plante a une symbolique solaire reconnue8. Un autre détail est le fait que Déméter parle avec une déesse de l'enlèvement de sa fille et rencontre avec elle Hélios. Or, Frigg raconte la façon dont elle a protégé Baldr à Loki, lui révélant indirectement que la seule chose qui peut le blesser est le gui. Loki déguisé en femme est à Frigg, ce qu’Hécate est à Déméter : une confidente. Mais alors qu’Hécate va être une aide pour Déméter dans la recherche de sa fille, Loki devient ainsi un obstacle dans la quête immortalisante de Frigg pour son fils.

De plus, le moyen de l'enlèvement de Korê et celui de la mort de Baldr sont des végétaux. En Grèce, Korê est attirée sur le lieu du rapt par un narcisse merveilleux, que Gaia fait pousser sur l'ordre de Zeus et Hadès pour piéger la jeune fille. En Scandinavie, l'instrument de la mort de Baldr est une branche de gui.

Comme on peut le voir, une rencontre similaire à celle de Poséidon et de Déméter, durant la quête de celle-ci, est absente du mythe de Baldr, mais elle existe ailleurs dans la tradition scandinave et partage certains détails avec celui-ci.

Peu après que les dieux aient tué son père Thjazi, la géante Skadi se présente chez eux pour qu’ils lui rendent des comptes :

« Skadi (…) prit son heaume, sa broigne et toutes ses armes, et marcha sur Asgard afin de venger son père. Les Ases lui proposèrent un accord de réconciliation accompagné de compensations, aux termes duquel elle devrait tout d’abord choisir un mari parmi les Ases – ce choix devant toutefois s’effectuer sans qu’elle vît autre chose que ses pieds. Elle vit une paire de pieds extrêmement beaux et déclara : « c’est celui-là que je choisis, il ne doit pas y avoir grand-chose de laid dans Baldr ! » Mais c’était Njördr de Noatun.

Elle avait également obtenu cette clause : les Ases feraient quelque chose dont elle les croyait incapables, à savoir la faire rire. Loki attacha donc une corde à la barbe d’une chèvre et l’autre bout à ses propres bourses, et chacun tira et céda tour à tour, en criant bien haut l’un et l’autre. Puis Loki se laissa tomber dans son giron, et elle rit. Alors fut rempli le contrat des Ases envers Skadi.

On dit aussi que, en manière de compensation envers Skadi, Odin prit les yeux de Thjazi, les lança au ciel et en fit deux étoiles9. »

Plus tard, après avoir attrapé Loki pour sa participation au meurtre et à la réclusion infernale de Baldr, les dieux se saisissent de lui et l’attachent à trois grandes pierres avec les boyaux de son fils que devinrent alors du fer. Puis Skadi prit un serpent venimeux et l’attacha au-dessus de Loki, de manière à ce que son venin se répande sur le visage de celui-ci. Sa femme, Sigyn, tient une cuvette pour recueillir le poison et protéger ainsi son visage. Cependant, lorsqu’elle va vider la coupe remplie, le venin se répand sur le visage de Loki et celui-ci s’agite si violemment que cela provoque des tremblements de terre. L’emprisonnement de Loki durera jusqu’au Ragnarok10.

Entre l’histoire de la venue de Skadi chez les Ases et celle de la Déméter arcadienne, il existe une structure comparable :

1. Dans les deux mythes, une déesse, parente d'un(e) mort(e) quitte ou se rend dans le séjour des dieux. Dans le mythe grec, Déméter quitte le séjour des dieux pour retrouver sa fille enlevée par Hadès, c’est-à-dire symboliquement morte. En Scandinavie, Skadi se rend dans la demeure des dieux pour venger son père.

2. Il s'ensuit une union entre cette déesse et un dieu : Déméter est poursuivi par les assiduités de Poséidon qu’elle repousse, tandis que, inversement, Skadi demande un mari comme première compensation de la mort de son père. On remarquera qu'entre la Grèce et la Scandinavie, l'initiative de l'union est inversée.

3. La divinité qui a l'initiative de l'union doit reconnaître son partenaire sous un déguisement. Pour échapper à Poséidon, Déméter se transforme en jument et se cache parmi un troupeau de chevaux. Les Ases acceptent la demande de Skadi, mais à la condition qu’elle choisisse son époux sur le seul critère de ses pieds, le reste de son apparence étant cachée.

4. Poséidon arrive à reconnaître Déméter dans le troupeau et s’unit à elle. Skadi pense reconnaître les pieds de Baldr mais se trompe avec ceux de Njördr. Ici, il y a également inversion au sujet de la reconnaissance : en Grèce, c'est une réussite, tandis qu'en Scandinavie c'est un échec.

5. Déméter est furieuse d'avoir été violée par Poséidon. Skadi, tout d’abord belliqueuse envers les Ases comme le montre son équipement guerrier, se radoucit après le choix de son époux, lorsque Loki arrive à la faire rire. En Scandinavie, la colère de la déesse précède l'union, tandis qu'en Grèce il s'agit de son résultat.

6. Poséidon est le dieu grec de la mer, patron de la navigation. Njördr est le dieu patronnant la navigation chez les Scandinaves11.

7. Poséidon est, par cette union, le père, avec sa sœur Déméter, de jumeaux : un fils équin et une fille dont le nom signifie « Maîtresse ». Njördr était déjà le père, par sa sœur anonyme12, ou le devient à la suite de son union avec Skadi13, de jumeaux, une fille et un garçon: Freyr « Seigneur » et Freyja « Maîtresse ». Le premier étant un dieu aux affinités équines14 et la seconde portant un nom qui est le synonyme de celui de la fille de DéméterÉrynis. En outre, qu'elle soit la mère ou la belle-mère de ces jumeaux Scandinaves, Skadi a des relations maternelles avec ceux-ci15.

Cependant, l’histoire de Skadi a également des ramifications à la fois dans le mythe de Baldr et dans les autres traditions concernant Korê.

Prenons tout d’abord les origines de l’errance de Déméter. Celle-ci est consécutive à l’enlèvement de Korê par Hadès, le dieu de l’Autre Monde. Nous avons vu que Bernard Sergent a bien montré que plusieurs éléments des circonstances de ce rapt se retrouvent dans la mort de Baldr.

Or, la cause du voyage de Skadi chez les Ases – la mort de son père – trouve des équivalent dans le récit de l’enlèvement de Korê.

 

2. L'enlèvement d'Idunn et ses parallèles helléno-scandinaves

 

En effet, le père de Skadi, Thjazi, avait un jour capturé Loki – dans des circonstances que nous développerons plus loin – et ne voulut le relâcher que s’il attirait Idunn hors d’Asgard avec ses pommes, ce que Loki accepte de faire :

« Au moment convenu, Loki attira Idunn hors d’Asgard et l’amena dans une forêt en lui disant qu’il avait trouvé là des pommes qui lui paraîtraient de grande valeur, et en lui demandant de prendre avec elle ses propres pommes pour faire la comparaison. Alors survint le géant Thjazi sous la forme d’un aigle. Il prit Idunn et s’envola avec elle jusque dans son domaine, à Thrymheim.

Les Ases furent affectés par la disparition d’Idunn et devinrent bientôt grisonnant et vieux. Ils tinrent conseil et chacun demanda à l’autre ce que l’on savait, en dernier, d’Idunn. Or, ce que l’on avait vu en dernier, c’était qu’elle était sortie d’Asgard avec Loki. Alors Loki fut saisi, conduit à l’assemblée et menacé de mort ou de supplices. Il prit peur et déclara qu’il irait à la recherche d’Idunn, au Jotunheimar, si Freyja acceptait de lui prêter la forme de faucon qu’elle possédait. Quand il l’eut obtenue, il s’envola vers le nord, aux Jotunheimar, et arriva un beau jour chez le géant Thjazi. Ce dernier était alors en train de pêcher en mer et Idunn était seule à la maison. Loki la métamorphosa en noix, la prit dans ses serres, et s’envola aussi vite qu’il put. Quand Thjazi rentra chez lui et ne trouva pas Idunn, il prit sa forme d’aigle et s’envola à la poursuite de Loki avec tout le bruit strident que fait l’aigle en volant. Quand les Ases aperçurent le faucon qui volait en tenant la noix, et virent le vol de l’aigle, ils sortirent au pied d’Asgard en emportant des charges de copeaux. Lorsque le faucon fut arrivé au-dessus d’Asgard et qu’il se fut posé près de l’enceinte, les Ases mirent le feu aux copeaux. L’aigle ne put s’arrêter quand il vit le faucon lui échapper, aussi le feu prit-il à ses plumes et son vol s’interrompit. Les Ases, qui étaient tout proches de là, tuèrent alors le géant Thjazi à l’intérieur des grilles d’Asgard, et cette mise à mort est demeurée très célèbre16. »

Ici, les points de comparaisons avec la légende de Korê et, donc, celle de Baldr ne sont pas négligeables :

1. Idunn est la gardienne divine des pommes garantissant la jeunesse éternelle des dieux17. Or, Korê est la jeune fille par excellence et Baldr est l’archétype du jeune dieu en Scandinavie.

2. Idunn et Korê sont attirées à l’écart de leurs pairs, au moyen d’un végétal : le narcisse merveilleux pour Korê et les prétendues pommes de Loki pour Idunn. Celui-ci a ici un rôle similaire mais inverse par rapport à la mort de Baldr : il est l’agent volontaire de l’enlèvement et non pas son instigateur. Cependant, il agit, dans les deux cas, au moyen d’un végétal arboricole.

3. Thjazi, le kidnappeur d’Idunn, est un seigneur de l’Autre monde de la même manière qu’Hadès. Cependant, alors que le premier enlève Idunn par la voie des airs, le second enlève Korê de façon chthonienne, puisqu’il surgit de la terre entrouverte pour y disparaître ensuite. Même si le domaine de Thjazi n’est pas le royaume des morts où se rend Baldr, ils font tous les deux partie de l’Autre Monde scandinave.

4. La mère de Koré est plongée dans l’affliction alors que dans le cas d’Idunn, c’est toute la communauté divine qui est au bord du désespoir, de manière similaire à ce que les dieux ressentent après la mort de Baldr.

5. La temporalité de l’enlèvement d’Idunn est automnale, comme celui de Korê, car les pommes d’Idunn, comme celles que veut lui montrer Loki, sont des fruits qui arrivent à maturité lors de cette saison.

6. On remarquera que, de la même manière que l’invisibilité d’Hadès, le seigneur de l'Autre Monde grec, répond à la cécité d’Hödr, cette dernière répond à l’énuclage que subit le cadavre de Thjazi, un seigneur de l'Autre Monde scandinave.

En outre, Georges Dumézil a montré que Baldr et Idunn sont les deux représentants de la fonction auxiliaire de la souveraineté qu’est la fonction aryamanique : Baldr l’incarne imparfaitement jusqu’à sa mort et pleinement après sa résurrection dans le monde nouvellement établi après le Ragnarok18, tandis qu’Idunn incarne positivement cette fonction jusqu’à ce moment19. Margaret Clunies Ross voit également un autre rapport entre Baldr et Idunn : pour celle-ci, le fait que Skadi désire se marier avec Baldr est parallèle au désir de son père de conclure une union avec Idunn20.

Si l'on résume ces différents points de comparaison, cela nous donne le tableau suivant :

 

 

 

 

 

Mythe de Korê

Mythe d'Idunn

Mythe de Baldr

Une déesse incarnant la jeune fille par excellence...

Une déesse incarnant la jeunesse...

Un dieu incarnant le jeune homme par excellence...

...se retrouve dans l'Autre Monde...

...se retrouve dans l'Autre Monde...

...se retrouve dans l'Autre Monde...

...enlevée par un seigneur de celui-ci...

...enlevée par un seigneur de celui-ci...

… tué par son frère...

...à la suite d'un stratagème impliquant un végétal, à l'instigation du complice de l'enleveur : un narcisse, qui a poussé selon la volonté de Zeus.

...à la suite d'un stratagème impliquant un végétal arboricole, à l'instigation du complice de l'enleveur : des pommes, amené par Loki.

...à la suite d'un stratagème impliquant un végétal arboricole, à l'instigation du complice de l'enleveur : une branche de gui, amenée par Loki.

La mère de la victime est dans l'affliction.

L'ensemble de la communauté divine est dans l'affliction.

L'ensemble de la communauté divine est dans l'affliction.

La temporalité de l'événement est automnale.

La temporalité de l’événement est automnale.

La temporalité de l'événement est printanière ou estivale.

Le ravisseur ne peut être vu.

Le ravisseur est aveuglé.

Le meurtrier est aveugle.

 

Cependant, les finalités de l’histoire d’Idunn et de celle de Korê sont différentes. En Scandinavie, Idunn est secourue et son ravisseur est tué. En Grèce, Hadès ne meurt pas et il réussit à négocier le séjour de Korê – devenue Perséphone – en sa demeure durant un tiers de l’année, entérinant ainsi son union. Il n’en reste pas moins que les détails de la délivrance d’Idunn et la fin de l’histoire de Korê, sont comparables.

 

3. Ascalaphos, Ascalabos, Loki et les dérideuses de Déméter

 

En effet, d'après le pseudo-Apollodore, la révélation de la faute de Perséphone mangeant les pépins de grenade est faite par quelqu'un d'autre qu'elle :

« Quand Zeus commanda à Pluton [Hadès] de renvoyer Korê [à sa mère], Pluton lui donna un pépin de grenade à manger, comme garantie qu'elle ne resterait pas longtemps avec sa mère. N'ayant aucune connaissance préalable des conséquences de son acte, elle le consomma. Ascalaphos, le fils d'Achéron et de Gorgyra, témoigna contre elle, en punition pour cela, Déméter le cloua au sol avec un lourd rocher dans le royaume d'Hadès21.

(…) Et il [Héraklès aux Enfers] roula le rocher d'Ascalaphos (…). Mais Déméter changea Ascalaphos en hibou22. »

Il en découle les comparaisons suivantes :

1. La délivrance d'Idunn est le fait de Loki, un être à l’ascendance démoniaque23. C’est le témoignage d’Ascalaphos, un être à l’ascendance infernale24 qui retient Perséphone aux Enfers. De la même manière, c’est Loki transformé qui empêche la délivrance infernale de Baldr.

1. Le moyen de la délivrance d’Idunn est sa transformation en noix par Loki. La délivrance de Perséphone est empêchée car elle a avalé un ou plusieurs pépin(s) de grenade. Dans les deux cas, nous avons la délivrance d'une déesse ou son empêchement au moyen de graines comestibles. De plus, n’oublions pas que les fruits d’Idunn portent également des pépins en leur sein, que la grenade mûrit aussi en automne et à une forme évoquant celle de la pomme.

3. Ascalaphos a vu Perséphone manger un fruit ressemblant à une pomme, tandis que Loki veut montrer des pommes à Idunn pour l'attirer à l’écart d’Asgard.

4. Lors de la délivrance d’Idunn, Loki prend la forme d’un faucon, un rapace diurne, et, plus tard, il est emprisonné, attaché à un rocher, jusqu’à la fin des temps à cause de son rôle dans la pérennisation de la mort de Baldr. Inversement, en Grèce, Ascalaphos est tout d’abord emprisonné sous un rocher puis, lorsqu’il est délivré par Héraclès, est changé en hibou, rapace nocturne, par Déméter, pour son témoignage25. Or la seule déesse ayant un rôle actif dans l’emprisonnement de Loki, Skadi, est justement celle que nous venons ici de comparer à Déméter. Or pour libérer Idunn, Loki demande le manteau de plumes de Freyja, (non-)fille de Skadi, ce qui peut paraître étrange, car Loki est le personnage métamorphe par excellence de la tradition scandinave26.

Cependant ce fait paradoxal peut s'éclairer à travers la version que donne Ovide du châtiment d'Ascalaphos :

« Cérés [Déméter] était résolu à ramener sa fille [Perséphone]. Le destin ne le permit pas, car la jeune fille avait rompu son jeun et son errance, enfantine, à travers les arbres fruitiers, elle avait ramassé, d'une branche basse, une grenade, avait pelé l'écorce jaune, avait trouvé les graines et en avait grignoté sept. Le seul qui avait vu était le fils d'Orphne27, Ascalaphos (…). Il a vu et dit (…) et par son histoire lui a volé retour. La reine des Enfers [Perséphone] gémit de détresse et changea le porteur d'histoire en oiseau. Elle jeta à son visage de l'eau du Phlégéthon. Et voilà ! Un bec, des plumes et des yeux énormes ! Remodelé, il porte de grandes ailes fauves, sa tête se gonfle énorme (…) un oiseau immonde, mauvais présage pour l'humanité (…). Ce témoin de sa langue à sans nul doute mérité son châtiment28. »

Ici, plusieurs détails différent avec la version donnée par le pseudo-Appollodore. Premièrement, Ascalaphos n'est pas enseveli sous un rocher avant d'être transformé en hibou. Ensuite, c'est Perséphone et non Déméter qui châtie Ascalaphos. Ce dernier point et le fait que la déesse transforme l'être démoniaque en oiseau au moyen d'un medium – sa cape pour Freyja, l'eau du Phlégéthon pour Perséphone – donne une origine commune à ces deux motifs.

 

Mythe de Korê

Mythe d'Idunn

Mythe de Baldr

Ascalaphos, un être à l'ascendance démoniaque...

Loki, un être à l'ascendance démoniaque...

Loki, un être à l'ascendance démoniaque...

...empêche la délivrance de Korê...

...permet l'enlèvement d'Idunn...

...permet le meurtre de Baldr...

 

… permet la délivrance d'Idunn...

...empêche la délivrance de Baldr...

...car il a vu celle-ci manger...

…car il fait voir à celle-ci...

...car il s'est procuré (= réussit à voir) l'arme du meurtre...

...car il a transformé celle-ci en...

...car il s'est transformé en...

...un végétal arboricole : une grenade.

...un végétal arboricole : des pommes.

...un végétal arboricole : une branche de gui.

...un végétal arboricole : une noix.

...une femme....

C'est un végétal lié à la mauvaise saison.

C'est un végétal lié à la mauvaise saison.

C'est un végétal lié à la mauvaise saison.

 

L'identité de la figure transformant Ascalaphos/Loki nous permet également d'envisager un rapprochement entre Freyja, Déméter et Korê-Perséphone. Avant d'en arriver à ce point de notre étude, il faut nous pencher sur une autre transformation effectuée au moyen d'une liquide jeté au visage, en Grèce, chez un quasi-homonyme d'Ascalaphos châtié par Déméter, comme nous le raconte Antoninus Liberalis :

« (…) Du temps où Déméter parcourait, errante, la terre entière à la recherche de sa fille, elle fit halte en Attique. Elle avait la bouche desséchée par la grande chaleur quand Mismé la reçoit et lui donne à boire de l'eau à laquelle elle avait mélangé du pouliot et du gruau d'orge. Démeter assoiffée but ce breuvage d'un seul trait. A ce spectacle, Ascalabos, fils de Mismé, se mit à rire et ordonna d'apporter à nouveau à la déesse une profonde bassine ou une jarre. Déméter irritée déversa aussitôt sur lui ce qui restait du breuvage. Et Ascalabos fut transformé et devint un gecko au corps moucheté, objet de haine pour les dieux et les hommes. Il passe sa vie près des canaux, et qui le tue se fait bien voir de Déméter29. »

Une autre version du même mythe nous est donnée par Ovide :

« Cependant, alarmée du sort de sa fille, Cérès la cherche en vain. Elle erre par toute la terre et sur toutes les mers, soit que l'Aurore, aux cheveux brillants de rosée, paraisse à l'orient, soit que Vesper ramène de l'occident le silence et les ombres. Elle allume aux feux de l'Etna deux flambeaux de sapin dont la lumière guide ses pas empressés dans les froides ténèbres de la nuit : et dès que le soleil a fait pâlir les étoiles, elle demande sa fille, et jusqu'au retour du soir la redemande encore.
Un jour qu'épuisée de fatigue et dévorée par une soif ardente, elle ne trouvait aucune onde propice à ses vœux, le hasard découvre à ses yeux le chaume d'une cabane. Elle frappe à son humble entrée; une vieille paraît, et voit la déesse qui lui demande une eau pure pour se désaltérer. Aussitôt elle lui présente un breuvage d'orge et de lait qu'elle avait préparé. Tandis que Cérès boit à longs traits, un enfant au cœur dur la regarde avec audace, s'arrête devant elle, et rit de son avidité.
Cérès ne peut souffrir cette insulte et jette sur l'enfant, qui parle encore, le reste de son breuvage. Au même instant, son visage se couvre de taches légères. Ses bras amincis descendent vers la terre. Une queue termine son corps, qui se rétrécit, pour qu'il ne puisse nuire. Il est changé en lézard. La vieille en pleurs s'étonne de ce prodige; elle veut le toucher; mais il rampe, il fuit, il se cache dans des trous obscurs; et les taches sur sa peau, semées comme autant d'étoiles, lui ont fait donner le nom de Stellion30. »

On peut tout d’abord remarquer qu’Ascalaphos et Ascalabos ont été rapproché depuis longtemps31. Faisons l'inventaire de leurs convergences :

1. Les noms de ces deux personnages – dont l'étymologie nous est inconnue – apparemment différents32, sont, en fait, identiques. Il y a simplement une variation phonétique du suffixe: Du *bh i.-e., certains dialectes grecs en ont fait un b, d'autres un ph33. Ils sont tous les deux changés un animal tacheté: l'un en hibou grand-duc34, l’autre en lézard. Ce sont donc des animaux aux affinités respectivement célestes et chtoniennes. De plus, une autre opposition existe entre ces deux animaux : le hibou est actif durant la nuit, tandis que le lézard l’est pendant le jour.

2. Ils sont tous les deux transformés par Déméter dans le contexte du mythe de Korê.

3. Ascalabos est transformé en lézard des rochers, tandis que la première punition d’Ascalaphos est d’être enseveli sous un rocher.

4. Ascalabos, comme Ascalaphos, sont punis en relation avec leur parole dans le contexte du début de la mauvaise saison. En effet, le témoignage d'Ascalaphos va entraîner le retour périodique de korê aux Enfers et donc de l'hiver, tandis que les moqueries d'Ascalabos ont lieu dans le contexte de l'errance hivernal de Déméter. Cependant, contrairement à Ascalabos, les paroles ou les actes d'une autre figure vont mettre fin symboliquement à l'hiver, en faisant rire Déméter. Cette figure, liée au garçon moqueur, n'est autre que Iambè/Baubo, dont il convient de rappeler les différentes traditions la concernant.

Comme signalé précédemment, c'est Iambè qui fait rire Déméter par ses paroles35, dans son hymne homérique, pour qu'elle accepte le cycéon36 préparé par Métaneira. Elle est dite fille de Pan et d’Écho37.Le pseudo-Apollodore fait aussi sourire Déméter par l'intermédiaire de Iambè, la faisant ainsi se lever du rocher sur lequel elle était assise sans actes ni paroles depuis son entrée à Éleusis38. Or, c'est en l'immobilisant sous un rocher que Déméter punit tout d'abord Ascalaphos pour ses paroles mauvaises, l'alter-ego d'Ascalabos, le répondant négatif de Iambè. Le rocher éleusinien, l'Agélastos Pétra (« la Pierre où l'on ne rit pas »), a été comparée39 à la pierre qui se trouve au confluent du Pyriphlégéthon (autre nom du Phlégéthon) et de l'Achéron dans l'Odyssée40.Or, sachant que c'est par l'eau du premier que Perséphone transforme Ascalaphos dans la légende ovidienne, tandis qu'un fragment d'Euphorion de Chalcis situe le rocher d'Ascalaphos à proximité du second fleuve41, cette pierre semble être la même que celle du texte homérique. Celle-ci marque le seuil du monde infernal, à la manière des pierres que les Grecs plaçaient à proximité des cimetières ou des sanctuaires des divinités infernales42. On peut doubler ce sens liminaire d'un autre : cette pierre marque également le passage, calendaire cette fois-ci, entre la bonne saison et la mauvaise.

En ce qui concerne Baubo, quant à elle, après avoir échoué, par ses paroles, à donner le cycéon à Déméter, retrousse son péplos pour lui montrer son sexe. Ensuite, selon les versions, soit la déesse rit et accepte le breuvage43, soit c'est l'enfant qui agite sa main sous le sein de Baubo, Iacchos, qui rit permettant l'adoucissement de la déesse44. On remarquera qu'ici, comme dans le cas de Iambè, que le rire de la déesse est en lien avec l'acceptation d'une boisson par une femme, une fois sa colère, liée à son errance, finie. C'est exactement l'inverse qui se passe dans la légende d'Ascalabos : Déméter demande une boisson à une femme avant d'être mise en colère par le rire d'un jeune garçon. Remarquons au passage que, dans la légende éleusinienne, ce sont les actes de Baubo qui font rire Iacchos, tandis que, dans l'histoire Ascalabos, ce sont ceux de Déméter.

Baubo est dite mariée à un certain Dysaulès45, dont elle a plusieurs enfants. Chez Pausanias, il s'agit d'Eubouleus et Triptolème qui informent Déméter du lieu où se trouve sa fille et, en échange, elle leur apprend à semer des graines46. Un hymne orphique fait guider Déméter vers les Enfers par un fils anonyme de Dysaulès47. Dans les deux cas, nous pouvons remarquer qu'un fils de Baubo va permettre les retrouvailles de la déesse et de sa fille, donc le retour de la bonne saison. Ils agissent ainsi en négatif d'Ascalaphos. En outre, elle les récompense de leur témoignage en leur montrant comment planter des graines, alors qu'Ascalaphos est punit par Déméter car il a vu Perséphone absorber des grains de grenade.

Ailleurs, les enfants de Baubo et de Dysaulès sont appelés Protonoé et Misè48. Attardons-nous sur cette dernière, un hymne orphique dit de celle-ci qu'elle est « la dame au nom imprononçable, à la fois mâle et femelle, de nature double »49. Le nom de celle-ci est évocateur de celui de la mère d'Ascalabos, Mismé50. La fille de Baubo est donc l'hôtesse de Déméter. Il convient dès lors d'identifier Ascalabos comme un alter-ego négatif de Iacchos, l'enfant associé à la mère de Misè/Mismé. Cette dernière, comme sa génitrice, peuvent être décrite comme des vieilles ce qui nous permet de revenir sur un point développé par B. Sergent dans son article sur Korê et Baldr.

Nous avons vu que le témoignage d’Ascalaphos va entraîner la réclusion saisonnière de Korê-Perséphone aux Enfers. Il est intéressant de le comparer au refus de pleurer de Thökk, qui entraîne la réclusion définitive de Baldr chez Hel. Ce motif étant l’inverse scandinave de la légende de Iambè/Baubo, comme montré par Bernard Sergent. Cependant, Thökk qui inverse les vieilles obscènes n'est autre que Loki métamorphosé. Or, nous avons bien vu que la propre fille de Baubo, Nysè, était marqué par un caractère hermaphrodite. En outre, la punition de Loki par les dieux en général, et Skadi, en particulier, reflète celle d'Ascalabos. Celui-ci reçoit au visage une boisson nourrissante venant d'un récipient tendu à Déméter par sa mère. Il en est transformé en lézard des rochers. Loki, lui est attaché par les dieux a un rocher et Skadi fixe au-dessus de sa tête un serpent qui dégoutte son venin, un liquide mortel, sur son visage, lorsqu'il n'est pas recueilli dans un récipient, par son épouse Sygin. Dans les deux cas nous avons un châtiment qui met en lien un rocher, un reptile, un liquide qui est jeté au visage du châtié, un récipient recueillant ce liquide et une femme proche du châtié qui est lié à ce liquide. Cela nous donne le tableau comparatif suivant :

Mythe d'Ascalaphos

Mythe de Iambè

Mythe de Baubo

Mythe d'Ascalabos

Mythe de Baldr

Ascalaphos, un être masculin....

Iambè, un être féminin...

Baubo, un être féminin, qui a pour fille l'hermaphrodite Misè,...

Ascalabos est un être masculin, qui est le fils de Mismé,...

Loki, un être masculin transformé en femme...

...empêche la délivrance de Korê...

...adoucit la peine de Déméter et permet le retour symbolique de la vie, durant l'errance de Déméter...

...qui suscite la colère de Déméter, durant l'errance de Déméter...

Empêche la délivrance de Baldr, lors de la mission des messagers des Ases...

...en témoignant contre elle...

… en la faisant rire par son babillage.

… en faisant rire la déesse ou l'enfant Iacchos par ses obscénités.

...en se moquant d'elle...

...en refusant de pleurer pour partager le deuil universel.

...parce qu'elle a mangé une grenade.

Elle accepte ainsi le cycéon....

...alors qu'elle boit le cycéon.

Du venin de serpent...

-

...que lui a tendu Iambè.

...que lui a tendu Baubo.

...que lui a tendu Mismé, la mère d'Ascalabos.

...est recueilli par Sygin, la femme de Loki...

Déméter le punit en l'emprisonnant sous un rocher qui se trouve aux Enfers...

Déméter se lève ainsi du rocher à connotation funèbre sur lequel elle était assise.

Déméter le punit en le transformant en lézard des rochers.

...alors qu'il est lié par les dieux, dont Skadi, à un rocher...

...plus tard, il est transformé en hiboux par Déméter...

-

-

...et Skadi place au-dessus de son visage un serpent...

...par Korê, qui lui lance au visage l'eau du Phlégéthon « le flamboyant ».

-

-

...en lui lançant au visage le cycéon qu'a donné sa mère à Déméter.

...dont le venin tombe dans le récipient de Sygin, sauf quand elle doit le vider : il lui brûle alors le visage.

 

En outre, nous allons voir un autre épisode du légendaire scandinave qui inverse la rencontre avec Thökk, de la même manière que la rencontre de Déméter avec Baubo et Iacchos inverse celle de la déesse avec Mismé et Ascalabos : il s'agit des pitreries de Loki vis-à-vis de Skadi.

 

4. Les pitreries de Loki, le mariage avec Njördr et la catastérisation des yeux de Thjazi

 

Les pitreries de Loki ont été rapprochée depuis longtemps de celles de Baubo par Pierre Lévêque, dans son étude du mythème eurasiaméricain de la colère de la déesse, en tant que dévoilement sexuel nécessaire à l'adoucissement de celle-ci. Il y note que le fait que l'on a ici une exhibition masculine est un cas unique, parmi les traditions qu'il recense, ce qui impliquerait une innovation scandinave51.

Plusieurs éléments grecs et nordiques sont à rapprocher ici :

1. On remarquera que le mythe scandinave est particulièrement proche de la version du mythe de Baubo où celle-ci est accompagnée de Iacchos. En effet, après avoir effectué ses pitreries, Loki tombe dans les bras de Skadi et celle-ci se met à rire ; alors qu'en Grèce, après les obscénités de Baubo, Iacchos qui est dans les bras de la vieille nourrice se met à rire, ce qui va adoucir Déméter. Nous avons bien vu précédemment que Skadi incarnait la déesse en colère, comme Skadi. Loki incarne ici à la fois Baubo, en tant qu'exhibitionniste, et Iacchos, comme medium de l'adoucissement de la déesse. Cependant, on remarquera aussi que Loki se trouve vis-à-vis de Skadi dans la même position que Iacchos vis-à-vis de Baubo : il se retrouve dans son giron, tel un jeune enfant. Cela implique que Skadi partage des traits avec Baubo. Cette conclusion n'est pas rédhibitoire si l'on considère, comme B. Sergent, que Baubo et ses consoeurs du mythème de la déesse en colère ne sont que des hypostases de cette déesse, spécialisées dans le dévoilement du sexe52. Le fait que l'on ait ici ce rapprochement entre Baubo et Skadi est un vestige de l'époque où les deux types de figures qu'elles incarnent n'étaient pas encore séparées.

2. Selon John Lindow, le rire de la déesse, suscité par les pitreries de Loki, serait de nature rituel53. Bernard Sergent a bien montré que c'était le cas pour les obscénités éleusiennes et leurs correspondantes japonaises54.

3. La symbolique du jeu obscène de Loki est riche. Ainsi, il est de nature sexuel, à travers le mouvement de va et vient entre les organes sexuels de Loki et la chèvre, animal féminin incarnant la lubricité55. Cependant, la connotation sexuelle de l'acte est inversée : les deux « partenaires » se repoussent mutuellement au lieu de s'attirer l'un vers l'autre, dans une castration symbolique. Celle-ci et le fait que se soit un être féminin doté d'attributs masculins (barbe, corne) qui est couplé ici avec Loki fait référence au caractère transsexuel de ce personnage56, mais aussi à celui de la fille de Baubo, Misè/Mismé. Or, nous avons signalé que Iambè, autre doublet de Baubo, était la fille du dieu Pan. Celui-là même qui retrouve Déméter dans la légende de Phigalie, ce qui permet à Zeus de la faire revenir par l'intermédiaire des Moires. C'est là un rapprochement supplémentaire entre nos traditions grecques et scandinaves, car, selon Pierre et André Sauzeau, Loki comme Pan appartiendrait au même complexe mythologique qu'ils appellent « panico-aryamanique »57.

4. Baubo a aussi des liens avec la déesse Hécate58. Or, nous avons déjà vu que Loki métamorphosé en femme, dans la première équivalence scandinave de l'errance de Déméter, était comparable à Hécate, tandis que dans la seconde équivalence, il correspondait, là encore métamorphosé en femme, à un négatif de Baubo. Il semble donc que Loki a recueilli des traditions originellement lié à des figures féminines proches, sans doute du fait de son caractère transsexuel.

Il convient de revenir sur l'union de la déesse, en particulier par rapport sur les détails qui unissent le mariage de Skadi à la figure de Baldr et à leurs correspondants helléniques.

Rappelons que le détail unissant Skadi à Baldr est le fait que celle-ci choisit faussement Njördr, croyant que les pieds de celui-ci sont en fait ceux du jeune dieu. Ce fait est particulièrement intéressant, car en Grèce, nous avons vu que l’inverse de la mauvaise identification des pieds de Baldr était la reconnaissance du déguisement chevalin de Déméter. Or la figure équivalente à celle de Baldr, en Grèce, est Korê-Perséphone. Le rapprochement entre Déméter et sa fille – cette dernière considérée comme l’hypostase de la première – a été fait de longue date59. Cependant, de la même manière que Korê est enlevée par Hadès, sa mère subit une union tout aussi violente de la part de Poséidon. Par conséquent y aurait-il une équivalence entre ces deux dieux ?

Ces deux dieux sont frères et possèdent plusieurs points communs tout en n’étant pas semblables. Ainsi, ces deux dieux sont liés à des espaces périphériques (la mer, les Enfers) appartenant à l’Autre Monde et ce sont des frères de Zeus, le père et l’ancien amant de leurs dulcinées respectives. En outre, Hadès enlève Korê sur son char, tandis que Poséidon viole Déméter alors qu'ils sont tous les deux sous forme de chevaux. Ce qui nous donne le tableau comparatif suivant :

Mythe éleusinien de Korê

Mythe arcadien de Déméter

Mythe de Skadi

Korê est enlevé dans l'Autre Monde...

Déméter, la mère de Korê, est violé sur Terre, alors qu'elle recherche sa fille...

Skadi se rend dans le monde des dieux, à la suite de la mort de son père, tué par les dieux. Elle veut s'unir...

...par son oncle Hadès.

...par son frère Poséidon.

...à Baldr.

Celui-ci l'enlève sur son char.

Elle tente de lui échapper sous une forme équine, mais il la reconnaît.

Elle n'arrive pas à le reconnaître, alors que l'intégralité de son corps, sauf ses pieds, est caché.

-

Poséidon est le dieu de la mer et il lui donne des jumeaux : une fille et un cheval.

Elle marie à sa place Njördr, le dieu de la navigation et, de lui, elle sera la (belle-mère) de jumeaux : une fille et un garçon chevalin.

Sachant cela, une équivalence comparable devrait être visible en Scandinavie. Dans le mythe de Baldr, deux équivalents d'Hadès sont identifiables : Hödr et Hel. En ce qui concerne le lien entre cette dernière et Baldr, John Lindow met en parallèle le départ de celui-ci pour le royaume des morts avec la venue de Skadi chez les Ases et son mariage avec Njördr, ce qui impliquerait une union comparable entre Baldr et Hel60. Cependant, Baldr est déjà l'époux de la déesse Nanna, ce qui implique un partage de Baldr entre Hel et Nanna. Or, dans la version danoise de la mort de Baldr, c'est Nanna qui se trouve être l'enjeu de la rivalité entre Balderus et Hötherus, les équivalents de Baldr et Hödr, qui mènera à la mort du premier61. Nanna semble donc être, de par son rôle dans le récit danois, un doublet féminin de Baldr, donc un autre équivalent nordique de Korê. Une telle hypothèse se vérifie chez Snorri puisqu’elle meurt et réside chez Hel à la suite de Baldr. En outre, lors de la chevauchée d'Hermódr, elle fait parvenir à Frigg un voile de lin (ripti), identifié par François-Xavier Dillmann à un voile de marié62, ce qui rappelle l'union de Korê et d'Hadès, et, comme Baldr, elle transmet un anneau d’or au monde des dieux63. Enfin, dans la version de Saxo Grammaticus, celle-ci devient la femme d'Hötherus, de la même manière que Perséphone devient celle d'Hadès, auquel Hödr est comparable. Cependant, Nanna est un doublet fortement atténué de la figure de Korê-Perséphone puisque l’essentiel de sa personnalité a été absorbé par Baldr et Idunn.

Concernant l'équivalence, implicite du fait de la confusion des pieds, entre Njördr et Baldr, il convient de se demander quelles sont les points communs qui existent entre ces deux divinités, a priori, bien dissemblables.

Un premier trait commun à ces deux divinités est le fait que Baldr et Njördr ont des parcours matrimoniaux comparables. De la même façon que Baldr semble devenir l'époux d'Hel, par sa mort, après avoir été marié à Nanna dans le monde des vivants, Njördr a été également marié à une Vane mystérieuse, identifiée à la non moins mystérieuse Njörun par Joseph S. Hopkins64, avant son arrivée dans le monde des dieux et son union avec Skadi, qui est, comme Hel, une femme de l'Autre Monde. Ainsi, Skadi serait rapprochable de la souveraine du monde des morts. Cela n'est pas paradoxal si l'on considère que Korê, hypostase de Déméter, est aussi la souveraine hivernale des morts grecs, en tant que Perséphone, de la même manière que Déméter change de personnalité et d'apparence dans le cadre de son errance hivernale. Ainsi, à la double personnalité de Korê-Perséphone correspondraient, en Scandinavie, d'une part, autour de Baldr, le couple Nanna-Hel65 et, d'autre part, autour de Njördr, le couple Njörun(?)-Skadi. Ce rapprochement entre Hel et Skadi est celui avancé par Régis Boyer à partir du fait que Skadi peut signifier « l’Ombre », image introduisant le thème de la mort66 et que Hel est également une géante, en tant que fille de Loki67.

Ensuite, nous avons dit que Njördr était le correspondant scandinave de Poséidon. Sachant que nous sommes en train de démontrer les liens unissant Njördr à Baldr, celui-ci a-t-il des liens avec l'équivalent grec du premier ? On peut en trouver deux. Le premier tient à la structure matrimoniale qui unit Déméter, sa fille et leurs conjoints forcés en Grèce, aux deux prétendants de Nanna, l'équivalente danoise de Korê. Cela nous permet d'établir l'équation comparative suivante :

 

Déméter (avec Poséidon) + Korê (avec Hadès) :: Nanna avec Baldr (pseudo Njördr) et Hödr.

 

Ainsi Nanna est représenté en Grèce par deux déesses, Déméter et Korê, ce qui est logique puisque la seconde est l'hypostase de la première. Cela expliquerai également qu’il n’y a pas d’affrontement entre Poséidon et Hadès. Cependant, on pourrait nous objecter que la correspondance de Baldr, amant de Nanna, avec Poséidon, amant de Déméter, est, d’une part, illusoire dans le mythe scandinave, et reposant sur deux sources d’origines différentes. A cela, nous pouvons répondre que dans le récit danois, Baldr est doué de capacités en relation avec le mythème du Feu dans l’Eau qui ont été analysées en détail par Daniel Gricourt et Dominique Hollard68. Or cette notion de Feu dans l’Eau est profondément en lien avec Poséidon69. Il s’ensuit que l’équivalence illusoire de Baldr et de Njördr dans l’histoire de Skadi correspondrait en fait à une allusion à des traditions scandinaves perdus où Baldr, tout comme son alter-ego danois, aurait correspondu de façon partielle à Poséidon dans la structure du mythe. Ce parallélisme ayant été renforcé dans le proto-récit scandinave par le lien de Baldr avec le Feu dans l'Eau70.

En outre la confusion entre Baldr et Njördr peut se comprendre à travers une autre équivalence fraternelle. Ainsi, Baldr partage plusieurs éléments de comparaison avec le fils de Njördr, Freyr71 :

1. Le nom de Freyr, comme celui de Baldr, sont synonymes : ils signifient tous les deux « Seigneur »72.

2. Ils sont tous les deux renommés pour leur jeunesse, leur beauté et leur caractère pacifique73.

3. Ils sont propriétaires d'un navire célèbre : Skídbladnir pour Freyr74 et Hringhorni pour Baldr75.

4. J. Lindow a également comparé le mythe de Baldr à la courtise de la géante Gerdr par Freyr76.

Dans ce mythe rapporté par Snorri et le Skírnisför, Freyr se languit d'amour pour la géante Gerdr après l'avoir aperçu du haut du siège d'où Odin voit les neuf mondes. Skadi envoie Skírnir pour demander la main de Gerdr, qui refuse tous les cadeaux qui lui sont proposés et qui finit par accepter après avoir été menacée magiquement77. Selon J. Lindow, dans les deux cas, un envoyé des dieux va dans l'Autre Monde pour négocier la fin d'une situation ayant produit un trouble psychologique chez des dieux : la langueur sexuelle dans le cas de Freyr, la peine dans celui d'Odin – et des autres dieux. C'est une déesse qui envoie le messager : Frigg dans le mythe de Baldr, Skadi dans le celui de Freyr, dans l'introduction en prose du Skírnisför78. Dans les deux cas, les messagers utilisent des chevaux fournis par leurs maîtres. Les deux voyages ont pour but d'obtenir la sortie d'un être de l'Autre Monde vers celui des dieux. L'attente impatiente de Gerdr par Freyr est mise en parallèle avec l'attente du retour de Baldr à la fin des temps.

Il ne faut cependant pas considérer que Baldr est assimilable à Freyr. En effet, il a été montré par G. Dumézil que les jumeaux divins, qui patronnent la troisième fonction dans les différentes cultures indo-européennes, avaient pour équivalent le couple père-fils formé par Freyr et Njördr, en Scandinavie79. Il s’en suit que, sachant que Njördr est le doublet illusoire de Baldr, il est logique que ce dernier ait des liens avec le fils gémellaire de Njördr. Il y a donc des accointances entre ces trois personnages. Celles-ci peuvent s’expliquer en partie par l’appartenance de Baldr à un couple fraternel divin et par d'éventuels liens avec la troisième fonction productrice, comme c'est le cas de son équivalent indien, Aryaman80.

Enfin, nous avons vu que Njördr était l'équivalent scandinave du Poséidon de la légende arcadienne, mais, en tant que pseudo-alter-ego de Baldr, il doit également être rapproché de la Korê-Perséphone dans le mythe éleusinien. Cela est également valable pour Skadi qui est équivalente à la Déméter Erinys arcadienne, mais qui joue le rôle de l'Hadès éleusinien en ayant l'initiative de l'union. Sachant ce que nous avons dit des liens existant entre Skadi et Hel, il n'est pas paradoxal de comparer les suites de l’union de Skadi et de Njördr sont à celles du mariage de Perséphone et d’Hadès :

« Skadi voulait avoir pour séjour celui qu’avait eu son père, c’est-à-dire dans les montagnes, à l’endroit appelé Thrymheim. Mais Njördr, lui, voulait être près de la mer. Alors ils convinrent qu’ils séjourneraient neuf nuits à Thrymheim, puis trois nuits à Noatun81. »

Cependant, Njördr ne supporte pas le hurlement des loups des montagnes, tandis que Skadi ne peut dormir à cause du cri des mouettes, ce qui entraîne la séparation du couple et le retour de Skadi dans le domaine de son père82.

On a dans ces deux mythes, un séjour dans un lieu connotant la belle saison – la mer, l'Olympe – alternativement avec un lieu connotant la mauvaise saison – les montagnes du monde des géants, les Enfers. Dans les deux cas, les durées dans ces lieux sont inégaux et en appellent aux mêmes chiffres : trois et neuf nuits ou mois. Cependant, alors que le séjour le plus long se fait en Grèce dans le séjour connotant la belle saison, c'est l'inverse en Scandinavie. Cela peut se comprendre par les durées inverses de l'hiver et de l'été en Scandinavie et au bord de la Méditerranée83. Cependant, alors qu’au final, l’union d’Hadès et de Perséphone demeure, le ménage de Skadi et de Njördr se sépare. De la même manière, le retour cyclique de Perséphone sur Terre est représenté, à la fois, par le retour final de Baldr à la fin des temps et par le divorce de Njördr et Skadi, qui brise le cycle saisonnier grec. En outre, Skadi épouse par la suite le roi des dieux, Odin, dont elle a un fils, Saeming, ancêtre d'une lignée noble de Norvège84. En cela, elle est, là encore, comparable à Déméter puisque celle-ci est justement la mère de Korê par le roi des dieux grecs, Zeus. Simplement, en Grèce l’union avec le roi des dieux précède celle avec le dieu marin.

On peut aussi remarquer que le don de l'anneau d'Odin à Baldr et le renvoi de celui-ci au donateur, alors qu'il est dans le monde des morts peut aussi symboliser une alternance saisonnière, sachant la symbolique temporelle de ce bijoux. Le fait que l'anneau que donne Nanna à Hermódr pour Fulla double le premier anneau et vient renforcer notre interprétation. En effet, Fulla, dont le nom signifie « Abondance, Plénitude », est considérée comme une déesse de la fertilité et de l'abondance85, donc des notions qui connotent la bonne saison.

De la même manière, le combat entre Balderus et Hotherus pour la main de Nanna, qui s'unit successivement à l'un et à l'autre, a aussi une symbolique d'alternance saisonnière, si l'on a à l'esprit la symbolique printanière/estivale de Baldr et celle, sombre et fatale, d'Hödr, mais également la comparaison avec les faits celtiques où de nombreux duels pour la main d'une femme symbolisent une alternance saisonnière86.

Il n'en reste pas moins que, comme dans le cas des obscénités de Loki, nous sommes en présence d'un mariage où la symbolique saisonnière est présente, bien que détournée. Une symbolique identique est présente dans le dernier acte que font les dieux pour apaiser Skadi : la catastérisation des yeux de Thjazi.

Les étoiles en lesquelles ceux-ci sont transformés ont été identifiée avec les deux étoiles principales de la constellation des Gémeaux, c’est-à-dire α et β Geminorum87. Le premier détail marquant est ce lien indirect entre Skadi et une constellation qui est assimilée, dans d’autres mythologies, à un couple gémellaire, en premier lieu les Dioscures grecs, alors que nous avons vu que cette déesse était l'(ex-)épouse et la (belle-)mère des équivalents scandinaves des jumeaux divins indo-européens. Or, si l'on examine la trajectoire d'α et β Geminorum dans le ciel médiéval à la latitude d'Oslo, on remarque que, entre fin février et début mars, ces deux étoiles et leur constellation sont à leur méridien – leur point le plus haut dans le ciel – au moment du coucher du soleil, soit un mois avant l'équinoxe du printemps qui marque, astronomiquement parlant, le retour de la saison claire88. Le lancement des yeux de Thjazi pourrait donc correspondre à cette position méridienne de fin d'hiver qui annonce le retour effectif des beaux jours, représenté par l'équinoxe de printemps.

Ces comparaisons nous donnent le tableau récapitulatif suivant :

 

Mythes de Korê et de la Déméter arcadienne

Mythe de Skadi

Mythe islandais de Baldr

Mythe danois de Balderus

Poséidon et Hadès, deux frères, s'unissent respectivement à Déméter et sa fille (et hypostase) Korê.

Deux déesses, Njörun (?) puis Skadi, s'unissent successivement à Njördr.

Baldr, dont le frère est Hödr, est d'abord marié à Nanna, puis se retrouve chez Hel (sa nouvelle épouse ?), car...

Balderus et Hotherus se disputent la main de Nanna.

Hadès est le souverain des morts.

-

-

...il a été tué par Hödr, un pourvoyeur des morts

Hotherus tue Balderus.

Korê se retrouve dans l'Autre Monde...

Déméter se retrouve dans le monde des mortels...

Njördr se retrouve dans l'Autre Monde...

Nanna meurt de chagrin et se retrouve chez Hel...

-

...où elle est l'épouse d'Hadès.

…où elle est violée par Poséidon.

...en couple avec Skadi

...avec son mari Baldr et comme détentrice d'un voile de mariée...

Nanna est d'abord unit à Balderus puis à Hotherus.

Mythes de Korê et de la Déméter arcadienne

Mythe de Skadi

Mythe islandais de Baldr

Mythe danois de Balderus

Mythes de Korê et de la Déméter arcadienne

Korê devient la souveraine des Enfers grecs par son union avec Hadès.

-

Skadi est une souveraine de l'Autre Monde, rapprochable d'Hel.

Hel est la souveraine du monde des morts.

-

-

Poséidon est le dieu de la mer.

Njördr, le dieu de la navigation, est confondu avec Baldr par Skadi.

Balderus possède des pouvoirs liés à l'eau.

-

Déméter donne à Poséidon deux jumeaux : une fille et un cheval.

Skadi est la (belle-)mère de deux jumeaux de Njördr : une fille et un fils chevalin.

Baldr a des accointance avec Freyr, le fils gémellaire de Njördr.

-

-

La naissance des jumeaux de Déméter coïncide avec son adoucissement et le retour du printemps.

L'apaisement de la colère de Skadi survient finalement lorsque les yeux de son père deviennent une constellation, qui marque la fin de l'hiver, assimilable en Grèce à une autre paire de jumeaux, les Dioscures.

La mort de Baldr est printanière ou estivale.

-

Korê-Perséphone séjourne à la mauvaise saison chez Hadès et chez sa mère durant la saison claire. Leur mariage dure ainsi.

L'errance et la réclusion de Déméter symbolise la mauvaise saison.

Skadi et Njördr alternent un séjour chez Skadi durant la mauvaise saison et un séjour chez Njördr durant la saison claire. Leur mariage ne dure pas.

Baldr et Nanna donnent chacun à Hermódr un anneau d'or. Celui de Nanna est assimilable à celui de Baldr. Celui-ci lui fut donné par Odin sur son bûcher funéraire et il charge Hermódr de lui rendre. Cet anneau incarne un cycle temporel et il passe alternativement de notre monde à celui des morts, pour enfin retourner dans notre monde.

Le combat de Balderus et d'Hotherus pour la main de Nanna a une symbolique d'alternance saisonnière.

-

Avant son union avec Poséidon, Déméter s'était unit à Zeus, le roi des dieux, auquel elle donne une fille.

Après son son union avec Njördr, Skadi s'unit avec Odin, le roi des dieux, auquel elle donne un fils.

-

-

 

5. Skadi, Déméter et leurs (belles-)filles

 

Comme énoncé précédemment, un point de convergence supplémentaire entre ces deux figures est le fait qu'elles ont chacune des filles – sa belle-fille, pour Skadi, dans certaines sources – qui sont comparables. Il convient donc d'approfondir l'étude de ces deux déesses.

Nous avons vu que Freyja avait des liens avec Korê-Perséphone, dans les circonstances des transformations de Loki et d'Ascalaphos, mais le lien qui existe entre elles ne se limite pas à cela. Ainsi, Perséphone est la souveraine des Enfers, aux côtés d'Hadès, tandis que Freyja règne sur la moitié des guerriers tombés au combat, l'autre moitié revenant à Odin89. Ce qui nous rappelle également l'union de Skadi avec Odin.

Cependant, Freyja peut être reliée également à cette autre fille de Déméter qu'est Despoina, dont le nom signifie également « maîtresse » et qui possède un jumeau équin. Si l'on se penche sur l'étude de cette déesse arcadienne, telle que faite par Madeleine Jost, on se rend compte d'une grande proximité entre ces deux déesses.

A Lykozoura, tout d'abord, un sanctuaire de Despoina est attesté. Elle y apparaît associée non seulement à Déméter, mais aussi à une Artémis bien particulière. Celle-ci est de nature chtonienne, du fait des serpents qu'elle tient à la main, et elle y est décrite comme la fille de Déméter. M. Jost cite plusieurs aspects faisant le lien entre les deux déesses et qui dénotent une parenté profonde entre ces deux déesses : le lien à la danse, au monde animal, avec une biche consacrée à ces deux déesses dans leurs sanctuaires90. En outre, Artémis est associée, à Poséidon, à Phénée91 et à Kaphyai92, à Déméter à Lykozoura et Zotia, et elle est présente à l'entrée de l'enclos sacré des Grandes Déesses à Mégalopolis93. A partir de ces dernières données et de comparaisons héortologiques entre les pratiques cultuelles mycéniennes et celles des temps historiques, Bernard Sergent considère que l'Artémis arcadienne a dû commencé sa carrière théologique comme fille de Poséidon et de Déméter94. Ce qui est confirmé par Pausanias qui nous dit qu'Artémis est la fille de Déméter, selon Eschyle95. Sachant que la seule fille de Poséidon et Déméter attestée dans nos sources mythologiques est Despoina, on peut considérer que celle-ci est un doublet théologique de cette Artémis arcadienne. Une telle conclusion est d'autant plus tentante que Bernard Sergent fait correspondre avec la Potnia de la tablette mycénienne PY Tn 316, la déesse Déméter, à laquelle se serait substituée cultuellement Artémis, aux temps historiques96 . Or, Potnia, qui signifie « Maîtresse » est l'exact synonyme de Despoina.

Dans le même ordre d'idées, on remarquera qu'Artémis a également un jumeau, Apollon, et que c'est un fils de celui-ci, Onkos qui possède le troupeau de chevaux dans lequel se cache Déméter métamorphosée et qui recueille le cheval Arion, le jumeau de Despoina97.

Cependant, Freyja n'est pas cette Artémis. Pour trouver une correspondante nordique à cette figure, il faut se tourner vers la (belle-)mère de Freyja, Skadi. Nous avons, en effet, vu que cette dernière était lié aux montagnes sauvages, comme l'est Artémis en Grèce. Un autre fait pouvant lier Skadi à cette symbolique artémisienne est le fait qu'elle est surnommée Öndurdis « la dise [déesse] aux raquettes » ou Öndurgurdr « Bataille-à-la-raquette », selon R. Boyer98. De la même manière Franz Rolf Schröder a montré nombre de caractères rapprochant Skadi d'Artémis : elles manipulent toutes les deux des arcs ; elles sont les maîtresses des espaces sauvages et des animaux qui y vivent, en particuliers des montagnes99.

Ce lien entre Skadi et Artémis est renforcé par les rapprochements effectués par B. Sergent entre la première et l'héroïne artémisienne par excellence, Atalante :

- celle-ci est chasseresse, comme Skadi est guerrière.

- Atalante évite le mariage par la course à pied, tandis que la géante scandinave choisit son mari par une épreuve de reconnaissance des pieds.

- Atalante se déplace rapidement à pied, c'est-à-dire aussi vite que Skadi avec ses skis.

- Atalante est trompée au moyen d'une pomme d'or du jardin des Hespérides, équivalent grec des pommes d'immortalité d'Idunn, que vole le propre père de Skadi, entraînant ainsi sa perte.

- leurs mariages sont productifs – si l'on accepte la maternité de Freyr et Freyja par Skadi – mais ne durent pas.

- toutes les deux sont associés à des paysages montagneux.

- Skadi a été considérée comme l'éponyme de la Scandinavie, conçue comme « l'île de Skadi », tandis qu'Atalante est l'homonyme d'une petite île100.

On ajoutera à tous ces éléments que nous avons vus précédemment que Skadi avait un nom lié avec l'idée d'ombre, d'obscurité. Or, contrairement à Skadi, ce n'est pas Atalante qui subit l'épreuve matrimoniale pédestre, mais son futur mari, que certaines versions appellent Melaniôn, « le Noir »101. Il y a là un lien sémantique entre les noms de ceux qui passent les épreuves matrimoniales dans ces deux mythes.

On peut ajouter à tout cela que le père adoptif de cette Despoina, un Titan du nom d'Anytos102, peut être assimilé au père de Skadi qui est un géant. Les géants scandinaves, comme les Titans grecs, étant des précurseurs des dieux.

Inversement, on remarquera que Freyja possède des liens avec Déméter, comme le montre le mythe suivant :

« (…) Freyja est la plus noble [des déesses]. Elle épousa Ódr, et leur fille s'appelle Hnoss. Celle-ci est si belle que son nom sert à désigner toutes les choses belles et précieuses : elles sont en effets appelées hnossir (« joyaux »). Ódr est parti au loin pour de longs voyages, et, depuis Freyja le pleure, et ses larmes sont d'or rouge. Elle possède beaucoup de noms, et la raison en est qu'elle se fit appeler de diverses façons quand elle voyagea à travers des nations étrangères à la recherche d'Ódr (...)103. »

Il a été vu depuis longtemps que cet énigmatique Ódr n'est autre qu'un doublet d'Odin104, le roi des dieux Scandinaves, dont elle a une fille. Or, en Grèce, Déméter et Zeus, le roi des dieux, ont une fille unique. Par contre, alors que Freyja pleure la longue absence du père de sa fille et part à sa recherche, Déméter, elle, pleure la longue absence de sa fille et part à sa recherche. En outre, Déméter, comme Freyja, est une déesse liée à la fertilité, la féconditéet elles ont toutes les deux le porc comme animal associé105. P. Guelpa, quant à lui, a rapproché Baubo de Freyja, les deux étant désignés comme des chiennes106. Or nous avons vu que Skadi partageait aussi quelques traits avec Baubo.

Freyja possède aussi des liens avec sa (belle-)mère. Ainsi, nous avons vu que Freyja était une souveraine des morts guerriers, un rôle similaire à celui de Perséphone, mais aussi de Hel, la souveraine des morts du commun, que nous avons rapproché de Skadi. En outre, Freyja fut, sans doute, tout d'abord l'épouse de son propre frère Freyr107, comme l'a été leur père Njördr avec sa sœur, et qu'elle épousa ensuite un doublet d'Odin. C'est exactement le même parcours matrimonial que connaît Skadi : elle est tout d'abord l'épouse de Njördr, qui forme un couple théologiquement gémellaire avec Freyr, puis le quitte pour Odin108. On peut donc en conclure que Freyja et Skadi entretiennent une relation similaire à celle existant entre Déméter et ses filles.

De façon similaire, les aventures matrimoniales de l'équivalent danois de Njördhr, Hadingus, sont intéressantes. Celui-ci a tout d'abord une première épouse, Harthgrepa, une géante qui n'est autre que sa sœur adoptive et nourrice. Celle-ci lui fait alors des avances auxquelles il cède. Elle l'accompagne alors dans ses voyages lui fournissant une aide précieuse : elle fait parler un mort au moyen d'un bâton runique placé sous la langue de celui-ci et elle sauve Hadingus d'une main géante, mais elle meurt plus loin mise en pièce par des géants, en conséquence de ses activités nécromantiques109. Peu après, Hadingus prend une seconde épouse Regnilda :

« Le hasard fit que Hadingus apprit qu'un Géant s'était fait promettre par traité Regnilda, la fille de Haquinus, le roi des Nithériens. Il trouva la chose inconvenante, inacceptable, et la haine s'empara de lui à l'idée de cet abominable mariage. Les noces n'eurent pas lieu, car, avec une noble audace, il prit les devants, partit pour la Norvège et, de son bras armé, tua l'infâme qui avait le front d'aimer la princesse.

Comme il pouvait alors jouir des délices de la cour du roi, il jugea son geste tellement plus important que la consolation qu'il refusa le repos et trouva plus courageux, et préférable à tout plaisir, de combattre l'injustice, non seulement celle dont il était victime, mais encore celle que subissent les autres. Il fut couvert de mille blessures.

Ignorant qui était son bienfaiteur, la jeune fille le soigna et le guérit. Pour que le temps, par-delà les années, ne l'empêchât pas de le reconnaître, elle lui enferma un anneau dans une plaie de la jambe. Quand, un peu plus tard, son père l'autorisa à choisir un mari, elle invita des jeunes gens à sa table et leur palpa les jambes en recherchant l'objet qui servait d'indice. Elle reconnut Hadingus à l'anneau caché, repoussa tous les autres prétendants, embrassa celui qui n'avait pas supporté qu'un Géant se mariât avec elle, et l'épousa110. »

Plus loin, s'engage un dialogue entre Hadingus et sa femme où ils se lamentent de la même manière que Njördr et Skadi, sans qu'il y est une alternance entre deux séjours ou une séparation111. Cette épouse qui choisit volontairement un mari d'une manière similaire au choix involontaire de Skadi et qui, tout comme elle, se plaint de son séjour marin, a été identifiée avec Skadi112. Cependant, comme le remarque Georges Dumézil, il y a une inversion entre ces deux épouses : la géante Harthgrepa par la supériorité qu'elle a vis-à-vis d'Hadingus rappelle Skadi. Cependant, le caractère lascif et incestueux de la géante danoise, ainsi que son talent pour la nécromancie, rappellent par contre Freyja113. Il y a comme un entremêlement entre les deux épouses successives de Njördr, d'une part, et Skadi et Freyja, d'autre part114. Sachant cela et que la mère de Freyja est alternativement donnée comme la première ou la seconde épouse de Njördr, il se pourrait que ces deux épouses du vieux Vane ne soient que deux formes évoluées d'une même proto-déesse scandinave. Les arguments qui nous permettent d'étayer cette hypothèse nous viennent la encore de Grèce.

En effet, nous avons vu que Déméter était mélaina « la Noire » et qu'un Mélainon, un « Noir », associé à Atalante, autre correspondante grecque de Skadi, était rapprochable sémantiquement du nom de la géante nordique. Cette épiclèse de Déméter est donc là aussi comparable au nom de Skadi. Or, elle ne prend ce surnom, de la même manière que celui d'érinys, qu'après son viol par Poséidon. Ce dernier épithète de Déméter est lié, selon une étymologie populaire à l'idée de colère, de vengeance, d'affolement, et de façon plus sûre, à une définition chthonienne de la déesse115. Ces deux définitions de ce terme cadrent parfaitement avec la réclusion de Déméter outragée dans l'ombre caverneuse à Thelphousa. De la même manière, en Scandinavie, l'ombreuse Skadi, en colère, provient d'une terre de l'Autre Monde, hivernale, comme l'est l'errance de la Déméter éleusinienne, tout aussi en colère et vêtue de noire, qu'en Arcadie. En outre, nous avons vu qu'une étymologie rattachait le nom de la Scandinavie à celui de Skadi, ce qui lui donne un caractère indubitablement tellurique, comme est celui de Déméter en Grèce. De plus, Skadi est surnommée « la resplendissante épouse des dieux »116, à savoir ces deux époux successifs, sachant qu'elle est une « ombreuse » du fait de la colère générée par la mort de son père et qu'elle n'est apaisée qu'en prenant un époux, il est légitime de voir ce surnom comme reflétant une évolution inverse de celle qui se produit chez Déméter : la sombre terre hivernale fait là place à la terre fertile et ensoleillée de la belle saison.

On peut donc tirer de tout cela l'équation mythologique suivante :

 

Freyja + sa mère (Njörun (?) ou Skadi) = Déméter + ses filles (Korê-Perséphone, Despoina, Artémis)

 

et, par conséquent, on peut en déduire que Déméter Erinys/Mélaina correspond en Scandinavie à Skadi, en particuliers lors de son arrivée chez les dieux, tandis que l'aspect apaisé de la déesse grecque pourrait correspondre à la première épouse de Njördr, en tant que déesse Vane liée à la fertilité et l'abondance, comme peut l'être Déméter. Ainsi, ce que les Grecs ont conçu sous une même figure divine, les Scandinaves l'auraient plus ou moins séparé en deux figures liées par un même mari. Dans ce cas de figure, on peut donc aisément concevoir Skadi comme une incarnation de la terre hivernale, sauvage, propre à la chasse, mais pas à l'agriculture.

Récapitulons donc les différentes caractéristiques de ces déesses :

 

Déméter...

Korê-Perséphone...

Despoina...

Artémis...

Skadi...

Freyja...

...transforme Ascalaphos en hiboux...

...transforme Ascalaphos en hiboux...

-

-

-

...aide à la transformation de Loki en faucon...

...après l'avoir emprisonné sous un rocher ou transforme Ascalabos en lézard des rochers...

-

Participe au liage de Loki à un rocher et en liant au-dessus de lui un serpent...

-

...en lui lançant sa boisson au visage.

...au moyen de l'eau d'un fleuve infernal.

...qui dégoutte du poison sur son visage.

...au moyen de sa cape.

-

Korê-Perséphone est la souveraine des morts au côté d'Hadès.

-

-

Skadi, une souveraine de l'Autre Monde, s'unit à Odin.

Freyja se partage la moitié des morts tombés au combat avec Odin.

 

 

Le nom de Despoina signifie « Maîtresse ».

-

 

Le nom de Freyja signifie « Maîtresse ».

Déméter...

Korê-Perséphone...

Despoina...

Artémis...

Skadi...

Freyja...

Déméter est Erinys, « en colère », lorsqu'elle conçoit Despoina.

Korê-Perséphone est la fille de Déméter.

Despoina est la fille de Poséidon et de Déméter. Elle a un jumeau équin.

Artémis est associé à Despoina, Poséidon et Déméter (dont elle est la fille) en Arcadie. Elle a un jumeau, Apollon, dont un fils, Onkos, recueille le jumeau équin de Despoine.

Skadi, (belle-)mère de Freyja est « en colère » lorsqu'elle se marie avec Njördr

Freyja est la fille de Njördr et de Skadi. Elle a un jumeau aux accointances équines.

Déméter est Mélaina « la Noire », après son viol.

-

-

Une hypostase d'Artémis marie un « Noir »

Skadi est « l'Ombre »

-

-

-

Le père adoptif de Despoina est un Titan.

-

Le père de Skadi est un Géant.

-

-

-

-

Artémis et Skadi partagent de nombreux points de comparaison.

-

Déméter a une fille avec le roi des dieux grecs.

-

-

-

-

Freyja a une fille avec un doublet du roi des dieux scandinaves.

Elle erre, accablée par la souffrance, à la recherche de sa fille disparue.

-

-

-

-

Elle erre, accablée par la souffrance, à la recherche de son mari disparu.

Déméter est une déesse de la fertilité et de la fécondité liée au porc.

-

-

-

-

Freyja est une déesse de la fertilité et de la fécondité liée au porc.

Baubo, une hypostase de Déméter, est assimilée à une chienne.

-

-

-

Skadi est rapprochable de Baubo.

Freyja est assimilée à une chienne.

-

-

-

-

Njördr, l'époux de Skadi, est d'abord l'époux de sa sœur (Njörun ?).

Freyja est d'abord l'épouse de son propre frère Freyr.

-

-

-

-

Njördr est le père gémellaire de Freyr.

-

-

-

-

Njördr épouse Skadi en seconde noce et le quitte ensuite pour Odin

Freyja épouse Ódr en seconde noce

Déméter est la déesse de la terre cultivée. Elle a une apparence hivernale lorsqu'elle porte ses surnoms d'Érynis et de Mélaina et qu'elle erre à la recherche de sa fille.

L'alternance des séjours de Korê-Perséphone entre notre monde et celui des morts symbolise le passage entre la bonne et la mauvaise saison.

-

-

Skadi incarne la terre hivernale, tandis que la première épouse de Njördr, incarne la terre lors de la bonne saison.

L'errance de Freyja a une symbolique hivernale.

 

Dernier point, avant de conclure, Freyja, qui erre, comme Déméter, à la recherche de son mari odinique, à été rapproché de Frigg117, épouse d'Odin, liée à deux errances en rapport avec la mort de Baldr. Les rapports existant entre ces deux déesses seraient à revoir à la lumière de la nouvelle mythologie comparée, mais nous pouvons déjà dire qu'à travers ces deux déesses, la boucle est bouclée entre le mythe de Skadi et celui de Baldr.

 

Nous avons donc pu voir que le mythème eurasiaméricain de la colère de la Grande Déesse et de son apaisement, lié au cycle saisonnier, était éclaté, en Grèce comme en Scandinavie, dans plusieurs traditions. Alors qu'en Grèce, ce mythème s'articule autour de Déméter et ses filles, il est réparti en Scandinavie autour de plusieurs déesses et de leurs enfants. Inversement, nous avons pu voir, qu'en Scandinavie, Loki avait cumulé sur lui, sous son identité réelle ou à travers des déguisements féminins, les rôles de diverses figures grecques dont les actes entraînaient l'ouverture ou la fermeture de la mauvaise saison. Ce rôle calendaire, nous l'avons vu aussi à travers l'association astronomique du mythe de Skadi.

Il convient maintenant de ce demander si un complexe mythologique comparable se retrouve ailleurs dans le monde indo-européen. Nous pouvons déjà vous affirmer, chers lecteurs, que la réponse est affirmative, mais cela est une autre histoire...

 

Bibliographie

 

B. Acosta Hughes et C. Cusset, Euphorion. Œuvres poétiques et autres fragments, 2012, Paris.

M. C. Astour, Hellenosemetica. 1965, Leiden.

R. Boyer, L'Edda poétique, 1992, Paris.

R. Boyer, La Grande Déesse du Nord, 1995,Paris.

R. Cleasby et G. Vigfusson, An Icelandic-English Dictionary, 1957, Oxford.

M. Clunies Ross, Prolongued Echoes. Old Norse Myths in Medieval Northern Society, 1994, Odense.

F.-X. Dillmann, L'Edda, 1991, Paris.

F.-X. Dillmann, Histoire des rois de Norvège, 2000, Paris.

G. Dumézil, Mythe et épopée, 1968-1973, Paris.

G. Dumézil, Les Dieux souverains des Indo-Européens, 1977, Paris.

G. Dumézil, Idées romaines,1980, Paris.

G. Dumézil, Du Mythe au roman, 1983, Paris.

G. Dumézil, Loki, 1986, Paris.

G. Dumézil, « Le mythe de Sisyphe », L'Homme, XXX, 1990, p. 5-12.

G. Dumézil, Mythes et dieux des Indo-Européens, 1992, Paris.

G. Dumézil, Le Roman des jumeaux, 1994, Paris.

D. Gricourt et D. Hollard, « Les dieux-héros médecins et bienfaiteurs dans les panthéons grec ; celte et germanique », Ollodagos XV, 2001, p. 7-95.

J. Grimm, Teutonic Mythology, 1880-1883, Londres.

P. Guelpa, « Le couple Njördr-Skadi dans la mythologie nordique », Europe 928-929, 2006, p. 84-109.

J. S. Hopkins, « Goddesses Unknown I : Njǫrun and the Sister-Wife of Njǫrðr, » RMN Newsletter V, 2012, p. 39-44.

E. A. Jacobi, Dictionnaire mythologique universel, 1854, Paris.

M. Jost, Sanctuaires et cultes d'Arcadie, 1985, Paris.

P. Lévêque, Colère, sexe, rire. Le Japon des mythes anciens, 1988, Paris.

J. Lindow, Murder and Vengeance among the Gods. Baldr in Scandinavian Mythology, 1997, Helsinki.

J. Lindow, Handbook of Norse Mythology, 2001, Santa Barbara.

M. Olender, « Aspects de Baubô », Revue de l'histoire des religions CCII, 1985, p. 3-55.

G. Oudaer, « Les dieux souverains mineurs celtiques et leurs alter egos démoniaques dans le Cath Maige Tuired », Ollodagos XXVIII, 2013, à paraître.

P. Sauzeau, « Les guerriers hiboux dans l'imaginaire grec archaïque », in P. Brillet-Dubois et E. Parmentier (éd.), Philologia. Mélanges offerts à Michel Casevitz, 2006, Lyon, p. 77-87.

P. Sauzeau et A. Sauzeau, La Quatrième fonction, 2012, Paris.

K. Schier, « Balder », Reallexikon der germanischen Altertumskunde. 1976, Berlin et New-York, p. 2-7.

K. Schier, « Breiðablik/Bredebliche : Zur Frage einer Balder-Überlieferung in Dänemark », in F. Hødnebø et al. (éd.), Eyvindarbók. Festskrift til Eyvind Fjeld Halvorsen 4. mai 1992, 1992, Oslo, p. 273-281.

L. Séchan et P. Lévêque, Les Grandes divinités de la Grèce, 1966, Paris.

B. Sergent, « Enfers, mode grec », Nouvelle Revue d'ethnopsychiatrie X, 1988, p. 45-83.

B. Sergent, « Héortologie du mois Plowistos de Pylos », Dialogues d'histoire ancienne XVI, 1990, p. 175-217.

B. Sergent, « Arc », Mètis VI, 1991, p. 223-252.

B. Sergent, « Sur l'inversion mythique : Korè et Baldur », Revue de l'histoire des religions CCXII, 1992, p. 3-55.

B. Sergent, Celtes et Grecs. Le livre des dieux, 2004, Paris.

B. Sergent, « Amaterasu, Déméter et leurs acolytes », Dialogues d'histoire ancienne XXXV, 2009, p. 45-68.

R. Simek, Dictionnaire de la mythologie germano-scandinave, 1996, Paris.

F. R. Schröder, Skadi und die Götter Skandinaviens, 1941, Tübingen.

N. Stalmans, Les Affrontements des calendes dété dans les légendes celtiques, 1995, Bruxelles.

J.-P. Troadec et F.-X. Dillmann, La Geste des Danois, 1995, Paris.

 

1 Sergent, 1992. Nous remercions Bernard Sergent pour ses corrections et ses conseils, ainsi que Patrice Lajoye pour son travail d'édition sur notre texte.

2 Hymne homérique à Déméter II. Pour les autres versions principales, cf. Sergent, 1992, p. 135, n. 6.

3Snorri Sturlusson, Gylfaginning XLIX = Dillmann, 1991, p. 89-92.

4 Pausanias, Périégèse VIII 25 4-7, cité dans Jost, 1985, p. 302-303.

5Pausanias, Périégèse VIII 42 1-5, cité dans Jost, 1985, p. 314.

6 Lévêque, 1988.

7 Sergent 1992 : 136-138.

8 Frazer, 1981-1984, IV, p. 358.

9Snorri Sturlusson, Skáldskaparmál L = Dillmann, 1991, p. 93-94.

10Snorri Sturlusson, Gylfaginning XLIX = Dillmann, 1991, p. 89-92.

11Snorri Sturlusson, Gylfaginning XXIII = Dillmann, 1991, p. 54.

12Snorri Sturlusson, Ynglinga saga IV = Dillmann, 2000, p. 58.

13La Gylfaginning (24 = Dillmann, 1991, p. 55) dit, après la séparation du mariage de Njördr et de Skadi, qu'il « eut ensuite deux enfants : un fils appelé Freyr et une fille appelée Freyja ». Ici, la mère des deux enfants ne peut être, implicitement, que Skadi.

14Simek, 1996, p. 74-75 ; Lindow, 2001, p. 125.

15Cf. infra.

16Snorri Sturlusson, Skáldskaparmál I = Dillmann, 1991, p. 106-107.

17 Snorri Sturlusson, Gylfaginning XXVI = Dillmann, 1991, p. 58.

18Dumézil, 1968-1973, I, p. 227-228.

19Dumézil, 1994, p. 293-300.

20Clunies Ross, 1994, p. 122.

21Pseudo-Apollodore, Bibliothèque I 33.

22Pseudo-Apollodore, Bibliothèque II 124.

23Simek, 1996, p. 217 ; Lindow, 2001, p. 216-217.

24L'Achéron est le fleuve infernal bien connu, tandis que Gorgyra signifie « Conduit Souterrain ».

25G. Dumézil a comparé le châtiment d'Ascalaphos à celui de Sisyphe. Ce dernier dénonce les amours de Zeus et d'Égine au père de cette dernière, ce qui suscite l'ire de Zeus qui l'afflige d'un fardeau éternel à rouler. Dans les deux cas nous avons des bavards. La punition d'une charge de pierre pour affliger les calomniateurs sexuels existait en France et dans le monde germanique médiéval et elle était sans doute plus largement répandue dans le monde indo-européen à une époque plus reculée (Dumézil, 1990). On peut ici que Ascalaphos, même si son bavardage ne concerne pas une faute sexuelle, va, par son témoignage, dénoncer la pérennisation de l'union de Perséphone et d'Hadès. Dans le même ordre d'idée, le fait que Loki soit finalement lié à une pierre est aussi en rapport avec des dénonciations sexuelles : dans la Lokasenna, avant de laisser échapper qu'il est le véritable responsable de la mort de Baldr, il traite toutes les Asines, dont Skadi, de catins !

26Dumézil, 1986, p. 128-129.

27« l'Obscurité », ce qui concorde là encore parfaitement avec l'ascendance infernale d'Ascalaphos.

28Ovide, Métamorphoses V 538-550.

29Antoninus Liberalis, Métamorphoses XXIV.

30Ovide, Métamorphoses V 447.

31Jacobi, 1854, p. 51 ; Astour, 1965, p. 315-316. Cependant, en dehors du rapprochement entre ces deux personnages, les analyses de ces auteurs nous semblent dépassées.

32Sachant que les deux transformations concernent des animaux à la robe mouchetée, on peut se demander si cette première partie de leurs noms ne serait pas en lien avec leurs teintes.

33Nous remercions Bernard Sergent pour cette remarque.

34Sauzeau, 2006, p. 81.

35Une tradition athénienne, attribuée à Philochore, la fait parler et gesticuler pour faire rire Déméter (Ollender 1985, p. 21 n. 81 pour les références).

36Boisson similaire à celle donnée à Déméter par Mismé.

37Ollender, 1985, p. 21 n. 81 pour les références.

38Pseudo-Appollodore, Bibliothèque I 5 1.

39Sergent, 1988, p. 46-47.

40Odyssée X, 513.

41Euphorion de Chalcis, Fragments, 9 = Acosta-Hughes et Cusset, 2012, p. 38-39.

42Sergent, 1988, p. 46.

43Arnobe, Adversus Nationes V 25.

44Clément d'Alexandrie, Protreptique II 20-21.

45Ollender, 1985, p. 14, n. 52 pour les références.

46Pausanias, Périégèse I 14 3.

47Ollender, 1985, p. 14, n. 56 pour les références.

48Ibid., n. 52 pour les références.

49Ibid., p. 41, n. 181 pour les références.

50Ibid., p. 46.

51Lévêque, 1988, p. 52.

52Sergent, 2009, p. 50.

53Lindow, 2001, p. 269.

54Sergent, 2009, p. 59-63.

55Sauzeau et Sauzeau, 2012, p. 284-287.

56Clunies Ross, 1994, p. 123.

57Sauzeau et Sauzeau, 2012, p. 275-305.

58Sergent, 2009, p. 62 ; Olender, 1985, p. 46-47.

59Séchan et Lévêque, 1966, p. 135-174. Cf. Sergent, 2009, p. 48.

60Lindow, 1997, p. 89.

61Saxo Grammaticus, Gesta Danorum III 2-3 = Troadec et Dillmann, 1995, p. 99-110.

62Dillmann, 1991, p. 186, n. 26.

63Snorri Sturlusson, Gylfaginning XLIX = Dillmann, 1991, p. 92.

64Hopkins, 2012.

65Bernard Sergent (1992, p. 137) rapproche justement Perséphone d'Hel.

66 Boyer, 1995, p. 195. Cette étymologie est confirmée comme étant la plus probable par Patrick Guelpa (2006, p. 105)

67Snorri Sturlusson, Gylfaginning XXXIV = Dillmann, 1991, p. 61.

68Gricourt et Hollard, 2001, p. 33-37.

69Sergent, 2004, p. 475-480.

70N'oublions pas également que le cœur de la personnalité de Baldr appartient au type des dieux mineurs de la souveraineté dont Aryaman est le représentant indien (Dumézil, 1977, p. 86-114) et qu'une autre grille interprétative du mythe de la mort de Baldr, qui peut s'ajouter à celle qu'a proposé Bernard Sergent, est en lien avec le concept de divinité aryamanique, dans le contexte du mythème indo-européen de la Bataille Finale. En Grèce, l'implication de figures aryamaniques dans un tel contexte a été déplacé sur d'autres mythes (sur tout cela, Oudaer, 2013, à paraître).

71Kurt Schier (1976, 1992) considère que Baldr est à l'origine un équivalent danois du Freyr d'Uppsala, en tant que fondateur d'une dynastie locale. Pour notre conception du rapport entre ces deux divinités, cf. la fin de notre comparaison entre celles-ci.

72Simek, 1996, p. 54 (pour Baldr) et 121 (pour Freyr).

73Snorri Sturlusson, Gylfaginning XXII (pour Baldr) et XXIV (pour Freyr) = Dillmann, 1991, p. 89-92 et 56.

74Snorri Sturlusson, Gylfaginning XLIII = Dillmann, 1991, p. 76.

75Snorri Sturlusson, Gylfaginning XLIX = Dillmann, 1991, p. 91.

76Lindow, 1997, p. 113-116.

77Snorri Sturlusson, Gylfaginning XXXVII = Dillmann, 1991, p. 68-69 ; Skírnisför= Boyer, 1992, p. 125-136.

78On peut ajouter que dans le début du mythe de la mort de Baldr voit une errance où c'est le soucis de Baldr qui fait passer Frigg à l'action, mais c'est alors elle qui part.

79 Dumézil, 1992, p. 117-153.

80 Dumézil, 1977, p. 101.

81Snorri Sturlusson, Gylfaginning XXIII = Dillmann, 1991, p. 55.

82Snorri Sturlusson, Gylfaginning XXIII = Dillmann, 1991, p. 56.

83Guelpa, 2006, p. 95-96.

84Snorri Sturlusson, Ynglinga saga VIII = Dillmann, 2000, p. 63.

85Dumézil, 1980, p. 295-296.

86Sur ces faits celtiques et leur symbolique saisonnière, nous renvoyons à l'étude de Nathalie Stalmans (1995).

87 Grimm, 1880-1883, II, p. 723-724 ; Cleasby et Vígfusson, 1957, p. 594-595.

88Je tiens à remercier David Romeuf, astronome amateur et informaticien, qui a généré les cartes astronomiques de la constellation des Gémeaux pour la période et la zone concernée ici et m'en a donné les interprétations astronomiques.

89Snorri Sturlusson, Gylfaginning XXIV = Dillmann, 1991, p. 57.

90Jost, 1985, p. 334-335.

91Ibid., p. 35-36.

92Ibid., p. 110.

93Ibid., p. 227

94Sergent, 1990, p. 196.

95 Pausanias, Périégèse VIII 37 5. Au sujet des liens entre Apollon et les chevaux, cf. Sergent, 2004, p. 253-258.

96Ibid., p. 195.

97 Pausanias, Périégèse VIII 25 4-5 et 10.

98Boyer, 1995, p. 187-188.

99Schröder, 1941, p. 75-76.

100Sur toutes ces équivalences ici résumées, Sergent, 1991, p. 242-244.

101Pseudo-Apollodore, Bibliothèque III 9 2 ; Pausanias III 12 9.

102Pausanias VIII 37 5-6, cité par Jost, 1985, p. 335.

103Snorri Sturlusson, Gylfaginning XXXV = Dillmann, 1991, p. 65.

104 Simek, 1996, p. 261 ; Lindow, 2001, p. 247.

105Séchan et Lévêque, 1966, p. 135-174 (pour Déméter) ; Simek, 1996, p. 119-122 ; Lindow, 2001, p. 126-128 (pour Freyja).

106 Guelpa, 2006, p. 100-101 (avec les références des sources).

107Lokasenna 32 = Boyer, 1992, p. 481.

108Snorri Sturlusson, Ynglinga saga VIII = Dillmann, 2000, p. 63.

109Saxo Grammaticus, Gesta Danorum I 6 2-6 = Troadec et Dillmann, 1995, p. 43-45.

110 Saxo Grammaticus, Gesta Danorum I 8 13 = Troadec et Dillmann, 1995, p. 53. Le fait que Hadingus tienne dans la première partie de cet extrait le rôle de Skadi est intéressant. En effet, nous avons vu qu'Hadingus était précédemment le fils nourricier d'un géant. Or nous avons rapproché précédemment Skadi, fille d'un géant de Despoina, fille adoptive d'un Titan. Il en ressort que la mise en pagerie danoise correspond encore plus précisément à la mise en pagerie grecque que la filiation paternelle de Skadi.

111Saxo Grammaticus, Gesta Danorum I 8 18-19 = Troadec et Dillmann, 1995, p. 55-56.

112 Dumézil, 1983, p. 30-46.

113Ibid., p. 57-79.

114 De la même manière que nous avons montré la correspondance entre le mythe de Skadi et celui de Baldr et J. Lindow a montré que le premier pouvait avoir un parallèle dans le mythe de la conquête de la géante Gerdr par Freyr, on peut également comparer le parcours matrimonial de ce dernier à celui de son père gémellaire. Tous les deux épousent leurs sœurs, puis, une fois chez les Ases, une géante.

115Jost, 1985, p. 305-306.

116Snorri Sturlusson, Gylfaginning XXIII = Dillmann, 1991, p. 56.

117 Lindow, 2001, p. 128-130.

Les commentaires sont fermés.