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  • (Review) Judith Kalik et Alexander Uchitel – Slavic Gods and Heroes

    Kalik.jpgJudith Kalik and Alexander Uchitel, Slavic Gods and Heroes, 2019, Londres et New York, Routledge, 186 p.

    J’ai eu à plusieurs reprises à regretter le fait qu’il ne paraît plus depuis des décennies, dans une langue occidentale, de travaux d’envergure sur la mythologie des Slaves païens. De ce fait, cette mythologie est largement méconnue des chercheurs non-slaves. Aussi la parution toute récente de Slavic Gods and Heroes, de Judith Kalik et Alexander Uchitel, ne peut qu’être saluée car, même si, comme on va le voir, le livre souffre de multiples défauts, il ne tombe pas dans le néopaganisme et ne se contente pas non plus que recycler les vieilles hypothèses d’Alexandre Afanassiev.

    Cependant, cette volonté de faire neuf, et presque tabula rasa, a un prix. Ainsi les auteurs regroupent dans l’«École mythologique», qu’ils rejettent, aussi bien Alexandre Afanassiev et Alexandre Famintsyne pour le XIXsiècle et l’académicien soviétique Boris Rybakov pour le XXe, ignorant une foule d’autres auteurs autrement plus sérieux. Du coups les hypothèses de cette école sont un peu légèrement qualifiées de «fantasies» (p. 3).

    Dès leur introduction, les auteurs basent leur travail sur un a priori surprenant: ils déconnectent la religion et le culte de la mythologie proprement dite, considérant que les premiers sont issus d’une évolution récente, lourdement influencée par le christianisme. Or sur ce point, ils ne démontrent rien, et n’auraient rien à répondre, par exemple, à Bernard Sergent qui avaient montré la grande proximité existant entre le culte de Svantovit à Arkone et celui d’Apollon à Sparte, rapprochement qui démontre l’antiquité du premier (Revue de l’Histoire des Religions, 1994, 211-1, p. 15-58).

    On entre dans le vif du sujet avec le chapitre 2 (p. 20-30), qui présente un bref, trop bref survol des sources supposées les plus anciennes sur la religion des Slaves: chaque texte est traduit puis suivi de quelques considérations dans lesquelles la bibliographie critique est quasiment absente. Et l’a priori signalé ci-dessus fait dire aux auteurs: «However, the belief in ‘one god’ that Procopius attributed to the Slavs is a typically Christian ‘monotheistic’ interpretation of primitive religions without a developed polytheistic pantheon of gods […]» (p.31).

    C’est là prendre le texte de Procope bien trop au pied de la lettre, car si celui-ci parle bien d’un « dieu unique », c’est pour ajouter ensuite: «Ils adorent en outre les fleuves et les nymphes et d’autres divinités et pendant ces sacrifices ils font des divinations» (Procope, De Bello gothico, III, 14 = Meyer, 1931, p. 5). On serait plus en droit de soupçonner que l’auteur byzantin a pu faire allusion à une forme d’hénothéisme.

    Autre a priori préjudiciable: selon les auteurs, il n’y aurait pas de panthéon commun à l’ensemble des Slaves. C’est là une assertion curieuse, même s’il est vrai que les noms de divinités attestés les sources textuelles ou la toponymie dans l’ensemble du monde slave (Perun, Veles, Mokoš), sont rares. Cette rareté peut vouloir dire que les Slaves, comme par exemple les Celtes, ont usé d’épithètes locales pour désigner leurs dieux. Mais s’en tenant à leur a priori, les deux auteurs en viennent à affirmer que si, par exemple, le dieu Svarožič est mentionné tant chez les Slaves de l’Ouest, que dans une source russe, c’est que l’auteur de cette dernière l’a emprunté à des sources occidentales (p. 49). Suivant cette même logique, Svarog ne serait qu’un fantôme, basé sur Svarožič, servant à traduire Hephaistos dans l’adaptation slavonne de la Chronique de Jean Malalas. C’est malheureusement ignorer d’autres sources, qui montrent l’existence d’un Svarok, anthroponyme en Bulgarie au XIIIe-XIVsiècle, ou encore d’un Suarunas, mercenaire slave attesté par Agathias (Histoires, IV, 18), deux noms vraisemblablement basés sur celui du dieu. Enfin, divers toponymes conservent sans doute encore la mémoire de Svarog : Swarożyno siodło et Twarożna góra en Pologne, Tvarožna en Bohême et en Moravie, Twarog en Styrie, la substitution de l’initiale et son remplacement par un «t» relevant sans doute d’un tabou.

    Cette même idée d’éclatement complet du panthéon slave fait dire aux auteurs que «the identification of Prove with the East Slavic Perun is without foundation» (p. 63), ceci sans le moindre argument à l’appui. Or il existe deux variantes dans le texte de la Chronica Slavorumd’Helmold, l’une d’elle nomme le dieu Prove et l’autre Prone. Or «Prone» peut aisément être accepté comme une forme germanisée de Perun. En atteste un toponyme de la région de Stralsund, Prohn, écrit Perun en 1240. Perun n’est pas seulement un dieu des Slaves de l’Est, mais bien un dieu pan-slave: à défaut de textes, il est connu dans l’ensemble du monde slave par la toponymie. Ce simple fait suffit à montrer que Perun était aussi connu des Slaves de l'Ouest.

    Aussi conclure cette importante partie consacrée au dieux par un «There was no pan-Slavic pantheon. All Slavic gods were purely local» sans appel est clairement abusif et démontre juste que les auteurs n’ont pas su s’affranchir des textes anciens pour aborder d’autres sources.

    La deuxième partie, consacrée au héros, porte assez mal son titre, «Heroes», puisqu’en définitive, elle ne traite que des mythes de fondation et des héros fondateurs, à l’exclusion des héros épiques (lesquels ne sont pas connus par des sources anciennes). Les auteurs notent avec raison la grande ressemblance qui existe entre les mythes de fondation des différents peuples slaves, dont ils dressent l'inventaire détaillé, et après avoir présenté les diverses sources, ils tentent une reconstruction audacieuse mais intéressante, n’hésitant pas à invoquer une forme de totémisme animal.

    Issu d’un cours professé récemment à Jérusalem, Slavic Gods and Heroes pose clairement problème par son manque d’ambition et son caractère trop péremptoire: les analyses y sont bien trop brèves et ne s’appuient pas assez sur la bibliographie pourtant importante. On constatera ainsi des lacunes flagrantes: Roman Jakobson est ignoré, un seul ouvrage de Vjačeslav Ivanov et Vladimir Toporov est mentionné, les publications récentes de sources ne sont pas connues. On relève aussi une erreur étrange: Religia Słowian du Polonais Andrzej Szyjewski (2003, Kraków, WAM), est systématiquement cité sous un titre anglais, alors qu’il semble que cet ouvrage n’ait jamais été traduit. Malgré tous ces défauts, il ne s'agit pour autant pas d'un livre indigne, en regard de ce qui existe autrement en anglais. 

    Patrice Lajoye